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Discipline

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Message  ubikmagic Jeu 24 Mai 2012 - 15:30

Discipline. Ce titre convient parfaitement à cet extrait, plus long que les précédents, sans doute.
Mais il me fait inévitablement penser à King Crimson et au morceau qui se nomme ainsi. J’imagine que pour tricoter ainsi les notes, avec cette logique absolue, il faut une grande rigueur, beaucoup de précision et une pratique assidue.
La musique de Robert Fripp m'accompagne depuis que j'ai quinze ans environ. Elle a changé ma vie. Lorsque j'ai écrit les romans qui se sont retrouvés publiés, elle était là, constamment, obsédante. Elle a influencé les récits car des bribes de phrases, dans les parties chantées, suscitaient parfois un lieu, une action... Les incursions de Robert Fripp dans la musique industrielle m’ont imprégné, fait en sorte qu’on me désigne comme « cyberpunk », ce que je trouve réducteur et ne constitue qu’une facette parmi d’autres.
Je mets donc un lien vers ce Discipline, que les curieux pourront éventuellement écouter.


https://www.youtube.com/watch?v=bO2BIf12xnQ

… En très peu de temps, mes repères antérieurs s’étaient amenuisés. Les rues de Detmold, la maison, nos tournées en uniforme Schutpolizei, tout me paraissait un autre univers, perdu dans des confins brumeux. Les vagues réminiscences de Bertastrasse ne se manifestaient que le soir, dans les quelques instants qui précédaient ma perte de conscience. Dans la journée, nous n’avions pas le loisir de ressasser des souvenirs. J’avais l’impression d’avoir toujours vécu ici, comme si j’étais venu au monde dans cette caserne et ne connaissais rien d’autre. Oui, j’étais une sorte d’orphelin. Je n’avais plus ni père ni mère, j’étais le fils d’Adolf Hitler, qui m’éduquait par instructeurs interposés. Ou alors un forçat, condamné pour quelque mystérieux forfait.
J’étais en train de forger, de sculpter, une nouvelle personnalité. Le Wolfgang que j’avais été disparaissait, gommé, remplacé peu à peu par un féroce guerrier, en tous points conforme aux statues et bas-reliefs créés par les artistes officiels, mettant en scène le courage, la force du glaive et les muscles saillants. Je ne pensais plus, j’agissais. Ma vie se résumait à des ordres aboyés au visage et aussitôt exécutés. Accessoirement, je retrouvais confusément conscience d’une existence personnelle lorsque, dans les toilettes, j’avais un vague moment d’intimité. Pendant que mes entrailles se vidaient, j’accomplissais un acte gratuit, réflexe, qui échappait à la logique de la S.S. et du parti. J’étais alors une carcasse épuisée, lessivée, qui s’accordait un instant de répit. Un tube digestif qui se laissait aller à son fonctionnement automatique.
Cependant il ne fallait pas s’attarder en ces lieux : malheur à celui qui, tenté par ce relatif isolement, aurait voulu se toucher. La honte se serait alors abattue sur lui. Le bas des portes avait été scié et il y avait toujours quelqu’un pour surveiller, de l’extérieur : si nos pieds se trouvaient dans la bonne position, si nous ne haletions pas… Heffner ou un autre, suivant les cas. J’avais remarqué qu’un silence de mort régnait aux latrines. Je compris ensuite pourquoi : le bruit régulier des excréments était un indice ; il prouvait que notre présence en ces lieux était fondée. C’était une façon pour ceux qui nous encadraient de débusquer les éventuels onanistes. Alors, dans l’intervalle, ne résonnait que ma respiration, et celle de mon garde-chiourme, qui se répondaient. Gagné par l’angoisse, je me raclais la gorge, cherchais à meubler ce vide. Plus j’y prêtais attention, plus il me semblait que le souffle de l’autre devenait insistant, envahissant, hostile, et qu’on allait bientôt me reprocher quelque turpitude, ou même, simplement, le fait d’y avoir pensé.

La nuit, la consigne était de laisser les mains hors du lit, bien visibles. Personnellement, cela me gênait : je ne m’endors bien que couché sur le côté, et j’ai tendance à plier les coudes. Mais le règlement était inflexible. J’ai mis des semaines à m’habituer à cette position de gisant, de cadavre. Plusieurs fois, il m’est arrivé de feindre le sommeil, tandis que les lattes du plancher grinçaient. Heffner, une lampe de poche à la main, inspectait les travées. Celui qui se masturbait risquait gros. C’était considéré comme de la pédérastie. Quant aux amours illicites ou caresses entre garçons, c’était totalement exclu, à tel point qu’on ne nous en avait parlé que sur un mode allusif, à mots couverts. Impensable, dans une école SS. Le tabou régnait, la menace pesait comme un couvercle de plomb.

Il était treize heures environ, j’avais encore le goût du café dans la bouche. Mon ami fumait. Nous étions dans l’herbe, près de la cantine, à l’arrière du bâtiment. De l’autre côté des fenêtres, les cadets de corvée tapaient les plats sur le bord des poubelles. Le vacarme assourdissant rendait toute conversation impossible.
Une douce somnolence me gagnait. Toutefois, nous n’avions qu’une demi-heure avant l’appel de l’après-midi. Je m’étais allongé, j’avais les mains croisées sur le ventre. J’observais les nuages courir et mes pensées s’envolaient, une fois de plus, vers Inge.
Et puis, sorti d’on ne sait où, Heffner fit une apparition :
- Willerts, Ström !
Je me levai précipitamment, remis mon calot, adoptai un garde à vous, imité par Franz, qui avait jeté sa cigarette.
- Suivez-moi. Kommando à l’extérieur.
Nous lui emboîtâmes le pas jusqu’à une camionnette, garée dans la cour nord, près du réfectoire. Heffner prit le volant. Franz s’installa sur le siège passager. Je dus me contenter de la partie coffre.
On fit le tour, les gardiens ouvrirent la grille.

C’était la première fois que nous sortions de la caserne. J’en profitai pour jeter un coup d’œil à la ville. C’était vraiment bizarre, après ces semaines de claustration, de retrouver cet univers si naturel, spontané, où chacun vaquait à ses occupations sans recevoir d’ordres. J’étais ravi : les échoppes de boulangers, coiffeurs, épiciers, les bars, les marchands de tabac… Les jolies femmes dans la rue, les chiens qui aboyaient à notre passage… Je me régalais, tout joyeux.
Nous nous arrêtâmes au centre, devant une pharmacie. Là, Heffner se contenta de grogner :
- Corvée de médicaments. On trimballe les paquets. Et vous vous tenez tranquilles.
Nous avions parfaitement compris, surtout la dernière phrase. Aucun de nous deux n’avait en tête de s’évader : nous voulions rester, devenir SS. Et quand bien même : nous aurions été repris et là, quel eût été le châtiment ?

Je fus content d’entrer dans l’officine. Un agréable parfum flottait, huile d’eucalyptus, pastilles pour la gorge, savons… Les rayons étaient chargés de mille et un produits, tous bien rangés. Au comptoir, le patron, un homme entre deux âges, chaussé de lunettes, indiqua à Heffner que la commande était prête. Au passage, je vis aussi deux préparatrices : une de la cinquantaine, assez revêche, qui ne nous accorda pas un regard ; l’autre plus jeune, assez jolie, nous gratifia d’un timide sourire.
On allait dans la réserve, on prenait les cartons, on les posait dans le véhicule. Puis on recommençait.
Ce n’était pas bien fatiguant. Et j’étais satisfait de revoir le monde.

Au cours de ces allées et venues, je remarquai un spectacle étrange sur la place : un groupe d’une trentaine de personnes en habits rayés était occupé à frotter le sol de la place, à genoux. Des hommes et parmi eux, quelques vieillards. Serpillière à la main, courbés, ils s’échinaient à briquer le ciment, comme s’il s’agissait d’un parquet en bois précieux. Autour, des gardes en uniforme SS, armés, les apostrophaient, leur ordonnaient de s’appliquer, d’aller plus vite, parfois leur décochaient un coup de pied. J’en vis un s’approcher, défaire sa braguette, uriner devant un des types, l’éclaboussant. Puis, d’une voix forte :
- Recommence, gros porc, ça n’est pas propre ici !
Ses collègues ponctuèrent d’un éclat de rire. L’homme accroupi, sans rien manifester, s’approcha de la flaque et frotta de plus belle.
J’étais resté là, planté, devant ce spectacle. Heffner, qui m’avait rejoint, me tira par le coude, sans un mot. Je l’interrogeai du regard. Il finit par lâcher :
- Sachsenhausen.
Au lieu de le suivre, je me tins immobile :
- … mais quelle est l’utilité de… ?
- Discipline. Obéissance. Allez, Ström, au boulot.
De retour dans le magasin, je fus saisi par le contraste. Ici, les clients étaient dignes, on les soignait, cela sentait bon. Dehors…

Lors du dernier voyage, Heffner s’attarda avec Franz, pour pointer le bordereau de livraison, je suppose. Je ne pus m’empêcher de sortir, il fallait que je voie. Alors m’apparurent des éléments qui m’avaient échappé :
Tout d’abord, le public. Des badauds s’étaient assemblés pour contempler les détenus et leur besogne. Assis sur les bancs publics, des retraités, mais aussi des hommes plus jeunes, n’en perdaient pas une miette. Il y avait même une femme avec des petits enfants. On raillait les prisonniers, les insultait…
Et puis, garés près de l’avenue, à moitié sur le trottoir, un camion plateau et une Volkswagen décapotable. A l’arrière était assis un Rottenführer, une cigarette au coin des lèvres.
Un septuagénaire décharné s’affairait à quelques mètres de moi, auprès d’une fontaine. Il s’employait à remplir des seaux. L’opération accomplie, il partit en titubant, perdant une bonne partie du liquide. A mi-parcours, il posa sa charge, pour reprendre un instant son souffle. Le sous-officier se leva, avança vers lui. Le vieil homme s’ébroua, ramassa prestement son fardeau, tenta de repartir. Le Rottenführer sortit sa badine et lui fouetta rageusement le visage. L’homme lâcha les récipients et s’effondra en criant, trempé. Les coups pleuvaient, sur son dos, sa tête, qu’il protégeait tant bien que mal, de ses mains jointes. Roulé en boule, il attendait dans cette position que la punition prît fin. Le SS lui décocha deux ou trois puissants coups de pieds dans les côtes, jusqu’à le renverser. Effondré sur le côté, le vieil homme semblait avoir perdu connaissance. Haletant, le Rottenführer le frappa encore, puis, s’adressant alentour :
- Toi, remplace-le ! Vous deux, emmenez-le à l’arrière !
Docilement, un autre esclave s’empara des seaux, retourna vers le robinet, tandis qu’on portait la victime inconsciente par les pieds et les épaules, pour la jeter dans le camion.
Durant l’incident, les forçats n’avaient que très brièvement tourné la tête. Ils s’acquittaient de leur tâche le regard rivé au sol, comme si rien ne s’était produit, dans un silence total. La foule se taisait, les lazzis avaient cessé, momentanément.
Heffner et Franz sortirent. Le SS-Oberschütze, d’un signe du menton, m’invita à remonter. Ils s’installèrent à l’avant. La fourgonnette démarra. Une odeur de tabac s’éleva.
Tassé contre les colis, j’étouffais, nauséeux. Le retour à la caserne me parut interminable.

( ... )
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Message  AleK Jeu 24 Mai 2012 - 16:22

très efficaces.
Ca prend au ventre. C'est tellement violent que j'arrive a avoir des doutes sur le réalisme de ces morceaux. Je te fais confiance pour collé aux témoignage de l'époque, mais... on a du mal a imaginé que cela ai pu exister (les camps, les violences, ect... ok, mais en contact avec les habitants des villes, je savais pas, je pensais que les camps était assez reculé et que les prisonniers ne sortaient pas.)
C'est le camp de l'opération Bernhard, ils étaient capables de tout ces nazis, fallait oser.


deux ou 3 choses :
C’était considéré comme de la pédérastie.

pourquoi pédéraste, c'est un rapport homosexuelle entre un maitre et son disciple, même pas forcément pédophile.

après ces semaines de claustration
je sais que c'est choisi avec soin et que c'est exact, mais claustration est assez peu usité, et j'ai buté dessus.
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Message  Remus Jeu 24 Mai 2012 - 21:51

Bonsoir,

Oui très efficace,
J'écoute en ce moment le morceau, discipline, de King Crimson
C'est particulier, mais j'aime.
Aucun commentaire au texte, l'écriture est fluide, la lecture aussi,
C'est prenant, autant cette "vie" dans la caserne
Que cette vie à l'extérieur de la caserne,
Les doutes, en tout cas le questionnement, de Wolfang, rajoute quelque chose
Par contre, je constate que cette gêne qu'il ressent est assez forte
Est-ce compatible avec l'idée qu'il se fait du SS, la volonté d'en devenir un, ce désir et cette détermination qu'on ressent dans les autres extraits (certes, elle est en partie due à Franz, mais il y a ici une rupture)
Bref, personnellement je suis toujours conquise
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Message  Invité Ven 25 Mai 2012 - 18:18

King Crismson... j'écoutais ça il y a ... bien longtemps...

Bon sur ce nouvel extrait... C'est toujours aussi riche, varié, détaillé et passionnant.
Déjà j'aime bien les deux parties distinctes, la première plus tournée vers l'intérieur, vers la réflexion ; la deuxième liée à l'action, à l'observation aussi.
Au sujet de la première partie, je suis assez surprise par certaines affirmations, par exemple : " Je ne pensais plus, j’agissais. Ma vie se résumait à des ordres aboyés au visage et aussitôt exécutés." ou "J’étais alors une carcasse épuisée, lessivée, qui s’accordait un instant de répit.", ça me semble faire office de critique et je me demande si Wolfgang a déjà franchi l'étape qui lui permet de prendre du recul par rapport à ce qu'il est en train de vivre, ce qu'on est en train de lui inculquer.

La deuxième partie est rude, j’ai souffert, mais l'écriture fluide aide ; ça ne passe pas tout seul mais ça passe. Je sais que la scène décrite correspond à une réalité - ce n’est pas ma première lecture de ce type, mais on ne s'habitue pas - heureusement. Cela signifie en tout cas que l'écriture fonctionne et même très bien.
Bravo, donc. Encore du très bon boulot, forme et fond.

Une remarque aussi sur l'emploi de "pédéraste", comme AleK, je trouve le choix du mot malvenu, à tout le moins discutable ici.

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Message  Louis Sam 26 Mai 2012 - 16:32

Cet extrait illustre bien, en effet, la technique disciplinaire.
Cette technique exige, comme l’analyse Michel Foucault, dans Surveiller et punir, et comme le montre cet extrait, un lieu clos, fermé sur lui-même : la caserne est ici l’espace de clôture.
Tout l’univers se réduit à cet espace, toute la vie est confinée en ce lieu, si bien que le monde extérieur s’estompe, l’extériorité s’évanouit, elle semble glisser dans un lointain flou et indéterminé, le monde extérieur « me paraissait un autre univers, perdu dans des confins brumeux. »
Dans ce renfermement, pas de sortie, pas de désertion, pas de fuite possible, ni pour le corps ni pour l’esprit. La discipline s’oppose à toute errance, tout nomadisme, tout vagabondage, elle est sédentarité.
L’esprit, tout entier accaparé par la vie de la caserne, ne peut vagabonder. Il n’est plus que l’attention portée aux ordres donnés, une vigilance de chaque instant portée au respect des règles, dans l’effacement de tout ce qui peut distraire ou troubler.

Dans l’espace du renfermement disciplinaire, l’emploi du temps est rigoureusement organisé. N’est permis que très peu de temps libre qui permettrait l’évasion de l’esprit, qui l’autoriserait à se détourner de la vie de la caserne, c’est-à-dire à se divertir. Tout le temps doit être occupé, utile, efficace. « Les vagues réminiscences de Bertastrasse ne se manifestaient que le soir, dans les quelques instants qui précédaient ma perte de conscience. Dans la journée, nous n’avions pas le loisir de ressasser des souvenirs. »

Dans cet espace-temps disciplinaire, contrôle et surveillance des activités sont permanents. La caserne ressemble étroitement à une prison ou un bagne, autres espaces de la discipline. « Oui, j’étais une sorte d’orphelin (…) Ou alors un forçat, condamné pour quelque mystérieux forfait. »

Wolfgang prend conscience, au moment dans lequel il écrit son histoire, que ce lieu a été celui d’une dépersonnalisation et de la construction d’une personnalité nouvelle, disciplinée. Le cercle fermé de l’obéissance à la règle disciplinaire, de l’attitude combative, vaillante et brutale, devient le cercle constitutif de l’individu nouveau. Le renfermement devient intégration, passage du dehors au dedans.
Le modèle de la fabrique de l’individu est « un féroce guerrier, en tous points conforme aux statues et bas-reliefs créés par les artistes officiels, mettant en scène le courage, la force du glaive et les muscles saillants. », modèle idéal du nazi, dans lequel la force corporelle apparente est mise en avant, alors que l’esprit et la pensée sont réduits au maximum, « Je ne pensais plus, j’agissais. Ma vie se résumait à des ordres aboyés au visage et aussitôt exécutés ». Le pouvoir disciplinaire exige une obéissance aveugle, irréfléchie, l’ordre n’est pas expliqué, il est « aboyé » ; il ne demande aucune réflexion, aucune hésitation, aucune réserve, aucun délai, il est « aussitôt exécuté ». Il ne demande pas même une réflexion, il est la réaction à un signal qui se repère à sa tonalité, celle d’un « aboiement », tonalité animale qui porte en elle une menace violente en cas de non réponse immédiate. Le comportement de la nouvelle personnalité se ramène à la réaction conditionnée à des stimuli acquis dans le cadre disciplinaire.

La discipline militaire exige un corps dressé, redressé, droit, totalement soumis à la règle, et à l’idéal combattant. Il ne doit souffrir aucune faiblesse, aucun laisser-aller. C’est pourquoi Wolfgang a cette impression d’échapper au pouvoir disciplinaire que dans les brefs instants passés aux toilettes. « Pendant que mes entrailles se vidaient, j’accomplissais un acte gratuit, réflexe, qui échappait à la logique de la S.S. et du parti »
L’unique acte spontané, naturel, non soumis au pouvoir disciplinaire, mais à celui de la nature, ne peut être que « merdique ».

Les toilettes, lieu d’un « un vague moment d’intimité », s’avère un lieu dangereux pour la discipline.
D’abord parce qu’il est le lieu d’un « relatif isolement ». La discipline ne s’accommode pas de l’isolement qui met en retrait du regard et donc de la surveillance et du contrôle. Chacun doit être à tout moment visible aux yeux d’une hiérarchie toute puissante qui trouve les conditions de cette toute puissance justement dans le visible contrôlable.
Des stratégies sont ainsi mises en place pour surveiller les toilettes : « Le bas des portes avait été scié et il y avait toujours quelqu’un pour surveiller, de l’extérieur ».
Ensuite le petit coin peut être un lieu de plaisir, or la discipline ne s’accommode ni de l’isolement ni du plaisir. Elle a partie liée avec l’austérité ; elle est un ascétisme, héritière en cela du couvent d’autrefois et de ses règles.
Le plaisir est amollissement du corps, qui doit être soumis aux plus rudes épreuves. Comment permettre cette faiblesse, cette soumission au pouvoir naturel de la pulsion sexuelle, alors que tout le corps doit être soumis à des règles strictes ? Aucune activité déréglée ne peut être autorisée, aucune insoumission, aucun écart.
L’onanisme est « considéré comme de la pédérastie ». « Pédé » est une insulte particulièrement infâmante dans la caserne S.S. A strictement parler, la masturbation n’a rien à voir avec la pédérastie, mais elle reçoit ce nom injurieux pour en dénoncer le caractère illicite et honteux. Le « pédé » n’est pas un homme, mais une « femmelette », or il s’agit de fabriquer l’homme nouveau, fort et brutal. « Pédé » désignera chaque individu qui se plie à une faiblesse d’ordre sexuel, quelle qu’elle soit. Quand le sexe se dresse, le corps plie, le dressage disciplinaire en est menacé.

Le moment de l’obscurité, la nuit, est une autre menace pour le pouvoir disciplinaire. De nouveau, la stratégie adoptée vise à rendre chacun visible et contrôlable, même dans l’obscurité. « La nuit, la consigne était de laisser les mains hors du lit, bien visibles. ».
La nuit, aucune vie n’est autorisée, chacun doit mourir en quelque sorte pour ne ressusciter le lendemain que sous le pouvoir de la règle et de la hiérarchie. Ainsi chacun est tenu de dormir dans la position d’un mort « J’ai mis des semaines à m’habituer à cette position de gisant, de cadavre. »

Le pouvoir exercé dans la discipline est totalitaire, tous les moments de la vie lui sont soumis jusqu’aux plus infimes détails.
Ce pouvoir ne s’exerce pas seulement sur les actes, mais sur les intentions elles-mêmes : « … on allait bientôt me reprocher quelque turpitude, ou même, simplement, le fait d’y avoir pensé. ». Les actes, les désirs et les pensées : rien n’échappe au dressage, à la soumission, à l’autorité absolue de la règle et de la hiérarchie.

Dans la deuxième partie du texte, qui relate une sortie hors de la caserne, c’est la réalité du pouvoir disciplinaire qui apparaît aux yeux de Wolfgang. Ce pouvoir qui s’exerce sur lui, et qu’il devra exercer à son tour sur les autres, lui apparaît dans toute son absurdité, et toute son horrible inhumanité, fait de mise en esclavage, d’humiliation et de sadisme. Mais l’essentiel a été dit sur cette partie.

Cet extrait me paraît donc très bien illustrer certains aspects importants du pouvoir disciplinaire et bien montrer les transformations qui se produisent dans la personnalité de Wolfgang sous son effet.
De nouveau, bravo Ubik.


Louis

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Message  ubikmagic Mar 29 Mai 2012 - 15:31

... Merci à ceux qui ont pris la peine de me lire, et de commenter mes textes.

Je crois avoir compris que nous nous acheminons vers la fin. Pourquoi ?

D'abord, ce texte est le 39°, et je pense que 40 est un chiffre rond. Je devrais, logiquement, n'en proposer plus qu'un. Ensuite ?

Ensuite je constate qu'à mesure, des gens qui me lisaient, me commentaient, ne s'en donnent plus la peine. J'en conclus que peu à peu, ils ont cerné le sujet. L'effet de surprise est faible, comparé à ce que peut proposer un autre, qui variera les tons, les discours, les thématiques. Preuve que le procédé, s'il fonctionne au coup par coup, s'essouffle sur le long terme. Et puis, tout le monde n'est pas forcément intéressé par la montée du nazisme dans l'Allemagne des années 30, ni par les ruses de la propagande et de l'embrigadement idéologique des jeunes.

Mais ces considérations ne sont rien face à la dernière :

Surtout, je quitte, lentement mais sûrement, le territoire de la vie ordinaire, pour entrer dans celui de la guerre. Or, déjà en temps de paix, on a pu constater la présence d'une certaine violence, qui devenait de plus en plus nette à mesure. Bientôt, ce que j'aurai à raconter deviendra abominable et n'aura plus sa place, à mon sens, sur un forum de littérature générale, même de qualité. Mine de rien ( et mine de crayon ), j'en ai dit énormément, au fil de mes extraits, et ceux qui les ont lu ont largement de quoi m'identifier le jour où le roman sortirait, si ça se fait. J'ai livré des clés, peu à peu, et si je me relis systématiquement, je vois qu'avec un peu de pertinence, il est aisé de deviner ce qui se passe, certains événements que j'ai tus, mais qui sont là, en filigrane, pour qui a compris le jeu de ce roman, et ma façon d'amener les choses. Il faut bien, si cette histoire de fous est publiée, qu'elle recèle un minimum d'effet de surprise.

Il me sera certes difficile de me passer de ce contact, de cet échange, moi qui suis, physiquement, socialement, très isolé. Surtout face à une telle entreprise, dure, éprouvante, déchirante certainement, et dont la dureté ne peut qu'aller crescendo. Mais le mot-clé, dans cette histoire est : affronter. Depuis le début, je dois me porter au-devant de cette œuvre tourmentée qui m'obsède, qui m'habite malgré moi. Et il y a toujours un moment où on dit au héros : je ne vais pas plus loin, les épreuves qui suivent, tu dois les affronter seul. C'est cela aussi, grandir, ou tenter de le faire.

N'importe comment, le virtuel ne peut être qu'un palliatif. Il ne saurait se substituer aux échanges dans la réalité. Et si mon destin est d'être, de rester isolé...

Alors je vous laisserai bientôt... Sauf si je suis incapable d'affronter seul, ce qui me décevrait, évidemment.

Je tenterai toutefois de venir lire et commenter si je trouve quoi dire. Cela me permettra de venir vous faire coucou.

Que dire d'autre ? Que passion vous habite. Beaucoup de création et de plaisir.

A... A mon prochain et dernier extrait, je suppose.

Ubik.
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Message  AleK Mar 29 Mai 2012 - 15:38

t'as pas besoin de lecteurs tu as Louis, il en vaux 100.

Sinon, présenter les textes n'est pas une fin en soit, dans le cas d'un roman, les extraits sont dangereux, car tu va avoir des points de vues tronqué.
Il te faut des lecteurs test globaux. Qui veulent bien lire le roman fini en entier, et t'exposer leurs sentiments. Car le roman, c'est comme une photo, l'important c'est pas le cheminement, c'est le résultat final.

en tout cas moi je te lis.
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