Exo « À chacun son bonbon » : Un bonbon pour toujours

Je l’ai mangé avec dévotion.
J’ai même pas recraché les bouts de trucs innommables qui faisaient corps avec la masse poisseuse, d’un vert douteux. Mes papilles réduites au silence, mais le cœur tout gonflé et les hormones à fleur de peau.

Il avait les genoux un peu sales, la tignasse dru bouclée. Quand il posait les yeux sur moi, ça vibrait à l’intérieur comme si un essaim cherchait à sortir de mon corps.
Mais il ne posait pas souvent les yeux sur moi. Il s’entraînait au foot sur le terrain derrière les immeubles, avec ses deux frères presque aussi beaux que lui.
Je rôdais dans les parages, serrant à mort ma ceinture pour tenter de dessiner une féminité, faire ressortir une poitrine absente. J’avais treize ans. J’aurais donné n’importe quoi pour avoir l’occasion de lui parler.
Mais j’étais le décor habituel et on ne parle pas au décor.
C’est cette invisibilité qui m’a donné l’occasion : il venait de poser son pantalon sur l’herbe pour enfiler un short et de la poche arrière dépassait son portefeuille. Le décor s’est rapproché lentement, le décor a saisi l’objet de sa convoitise puis s’est sagement écarté.
Je me suis abîmée dans la contemplation de sa photo d’identité avec un sentiment d’éternité. Il s’appelait Alexis, il avait dix-huit ans.
C’est lorsque j’ai vu leurs dos s’éloigner que j’ai paniqué : j’allais pas être une voleuse !
- Hé ! Attends !
Je n’avais plus de souffle, plus de salive en arrivant à sa hauteur.
- T’as perdu ça !
- Oh, putain ! Merci !
Il a tendu la main et j’ai déraillé : je l’ai attrapée et embrassée.
Il aurait pu se moquer. Non. Il m’a fait un sourire très gentil, a fouillé sa poche, en a tiré un bonbon à moitié écrasé, me l’a mis dans la main et a déposé un baiser sur le bout de mon nez.
Quand j’ai cessé d’être une statue de sel, il était rentré chez lui et j’ai mangé le bonbon comme une hostie consacrée, incapable d’identifier son parfum.

Très jolie évocation des premiers émois d'une préado. Habilement peinte, j'ai vu toute la scène :o)

Délicieux, tendre
Un vrai bijou bonbon

Très chouette !
superbe écriture comme d'hab, avec cet humour teinté de mélancolie

ha les garçons de 18 ans quand on n'a pas encore de poitrine !

Comme toujours avec toi l'émotion est au rendez-vous et tu rends si vivant le portrait de cette ado timide qu'on partage avec délice son adoration et la ferveur de son geste.

Mais j’étais le décor habituel et on ne parle pas au décor
Superbe !

un peu hors sujet, ça me rappelle la phrase que j'ai dit à mon poussin, quand il me parlait encore:
... Si tu demandes pas, t'as pas... et faut pas oublier de demander, aussi... !

je note que la prédado pubèrisante lui a quand même collé un bécquopif qu'il fallait osé,

tu sais que t'écris bien toi !

La magie des premiers émois amoureux. Très bien dit !

Jolie récompense que le bisou sur le nez, mais le bonbon a quelque chose de moqueur, quand même, je dirais. ça me fait penser à une scène du premier Chat du Rabbin où le chat se fait engueuler par un kabbaliste parce qu'il déclare adorer sa maîtresse autant que son interlocuteur adore Dieu. Mais des fois, c'est pas faux !

Voilà un texte qui n'a rien de sucré et qui me parle pour moult raisons.
P..... qu'c'est bien écrit !

C'est très bon, entre tendresse et humour. J'aime bien quand tu évoques cette période de la fin d'enfance, elle sonne et résonne.
(le bisou sur le nez alors qu'on aimerait tant autre chose, le bisou "grand frère" alors que nous on voudrait... c'est si bien raconté !)

Chako Noir a écrit:Jolie récompense que le bisou sur le nez, mais le bonbon a quelque chose de moqueur, quand même, je dirais. ça me fait penser à une scène du premier Chat du Rabbin où le chat se fait engueuler par un kabbaliste parce qu'il déclare adorer sa maîtresse autant que son interlocuteur adore Dieu. Mais des fois, c'est pas faux !

Oui, bien vu Chako ! Même s'il y a de la gentillesse chez Alexis, il y a une façon un peu ironique de dire à la gamine " t'es encore trop petite pour un grand comme moi" !
Merci de vos commentaires.

elle en a quand même dans le paquet la loupiote, fallait oser lui coller le bécot au lascar !
j'aime beaucoup le rythme de ce texte, encore !

Croustillant.
(C'est pas mon fort, les commentaires)

J'ai lu ce texte comme on regarde un court-métrage réussi.

J'avais raté ce petit texte que je viens de découvrir avec délectation.
Frédéric a raison qui lui trouve une ressemblance avec ce texte d'un ou une anonyme "Du haut de mes quinze ans".
Les impressions, sensations, éprouvées durant cette période adolescente sont sans doute si fortes qu'elles vous suivent toute la vie.
Coline, comme tu as bien su exprimer cette vive émotion ! Quel plaisir de te lire.