Exo anonyme « Ce que je fais » : Serrer

Ce que je fais n’est pas à faire : je suis tueur de chatons. En temps de crise il m’arrive de faire dans le chiot, mais c’est plus rare, ils sont plus gros.

Quand j’ai eu mon problème de main morte, le kiné m’a dit de serrer fort. Tout le temps, n’importe quoi. J’ai commencé par les oranges. J’ai vite appris à les presser sans même les couper. Mais le jus avait une couleur fade et j’ai pris en horreur son odeur molle d’agrume. Puis c’était froid. J’avais envie de douceur tiède, de palpitations gémissantes.

J’ai trouvé un oiseau blessé un matin, devant la baie vitrée. Je le tenais entre mes doigts, légèrement couché sur ma paume, j’ai senti le frémissement de ses ailes bloquées. J’ai appuyé un peu, ses pattes se sont agitées. J’ai aimé le craquement de ses os minuscules dans ma main, ça me rappelait celui du pain grillé sous mes dents. Mais c’est beau les oiseaux qui ondulent sur la campagne au premier coup de fusil. J’ai envie de m’envoler avec eux. J’ai laissé les oiseaux tranquilles.

Quand la voisine a eu une portée imprévue, je l’ai trouvée devant la mare, elle pleurait, sac poubelle à la main agité de miaulements. J’ai proposé de les noyer pour elle, elle était tellement soulagée qu’elle m’a donné un kilo de patates et un gros melon d’eau.

À force, ça s’est su dans le quartier. Par chez nous personne n’a les moyens de stériliser chez le vétérinaire. Les chats pullulent et copulent à tout va. Leurs cris me réveillent la nuit, et l’odeur de leur pisse s’incruste dans les ruelles. C’est devenu mon métier.

Avec le bouche à oreille tous les villages voisins me font travailler. Ma main se porte à merveille. Et mes doigts frissonnent lorsque le liquide chaud coule entre eux. Un beau rouge, bien épais, avec une odeur agréable de métal tordu.

Ce que je fais n’est pas à faire. C’est ce qu’ont dû se dire les chats du coin. Même en serrant les poings, je n’ai pas été de taille face à leur nombre. Ça a beaucoup étonné le docteur qu’ils ne m’aient griffés que les mains. Ils n’ont laissé que des lambeaux.

Je suis de nouveau au chômage. Mais je m’entraîne à serrer mes orteils sur des oranges.

au moins un qui ne tombera pas sous tes grosses pattes de tueur...

viens là mon bébé... non, ne lis pas, ce n'est pas un texte pour toi...
et pourtant j'ai aimé... quelque chose ne tourne pas rond chez moi...

Super !
Ni trop, ni trop peu, d'une logique dans le déroulement du récit, implacable, on est obligé d'adhérer au propos.

Serrer les poings ....
Sinon ça me fait penser à Drole de drame, "j'aime les animaux alors je tue les bouchers", ici c'est le contraire ...

lu.

Oh, noir !
Heureusement , il y a cette dernière phrase qui nous sauve fort à propos du sordide.

on va recevoir du courrier...

sinon, un peu trop explicite à mon goût
oui, heureusement la dernière phrase !

D'une précision chirurgicale. Une écriture soignée sans fioriture qui colle parfaitement au sujet et à ce personnage sans état d'âme. Pas de temps mort. Efficace, très ! Un excellent moment de lecture malgré le sujet ... sensible chez moi :-)

je suis complètement d'accord avec Zou, je ne dirai donc pas mieux: exactement pareil!

j'ajoute que la fin qui rétablit une féline justice
laisse à penser que l'auteur n'est pas un sans coeur autant qu'il veut le laisser croire...

Argh... le pire est que j'aime ça ! (même si ça manque un peu de froideur à mon goût. Il y en a, certes, mais pas assez pour moi). La fin en forme de morale tout aussi cruelle que le reste emballe bien le tout et lui offre une belle porte de sortie, bien vu.

C'est cruel et sadique à souhait. Et en même temps, une chose m'inquiète : j'ai lu le texte en crispant le poing, comme si, horreur ! j'éprouvais la même jouissance que l'auteur à entendre craquer des os. Preuve que le texte est bien écrit !

encore un psychopathe mais animalier celui-ci, pauvres chatons, c'est si mignon un chaton

Délicatement tordu et malsain, mais avec soin.

Bigre !

"Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur soûl, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué de la dent et de la griffe..."
Jean de la Bruyère

Et pour le texte, Croisic ?

Qui c'est qu'a bien pu écrire chat ? Si je le chope j'l'étrangle.

Efficace et bien écrit, mais j'ai du mal à adhérer au fond, non parce que j'aime les chats (mon amour des chiens éclipse tout héhé !) mais parce que justement cette froideur me laisse en dehors du texte. J'ai pensé au début au personnage de Lenny dans Des souris et des hommes de Steinbeck mais j'ai été vite déçue car pour moi la narration est trop superficielle (et c'est sûrement volontaire), il n'y a aucune fragilité, pas de faille dans laquelle le lecteur peut s'engouffrer.

Synopsis.
Un résumé de… pas une scène parce qu'elle manque de profondeur, de détail dans l'action, et le personnage n'a pas de tessiture, et de…
Synopsis, et tout est là, mais pas vraiment.
Pour autant ce n'est pas un pitch, un résumé plus cinématographique que littéraire donc, avec watt millions de tonnes de bonnes pistes inexploitées.
J'ai une idée quant à l'auteure.
wouaouw, je viens d'écrire un vrai commentaire.

C'est chirurgical, quasi « dextérien », j’approuve bis repetita
Ce genre de calcul froid, j’adore.

Et puis tellement artistiquement psychotique.

À l'attention de tous :

« Ce que je fais », le thème même est ultra directif => je fais caca, je fais pipi... Tout se veut factuel, donc normal qu'on ne soit pas immergé d'office dans le métaphorique et l'allégorie.

Un texte châtié jusque dans les détails qui serrent le propos.

Un bon texte efficace qui fait lever les poils presque jusqu'à la fin.

La chose qui cloche à mon avis c'est la rebellion des chats et le fait que seules les mains soient déchiquetées. Du coup le texte reprend place dans la romance, la pure fiction, alors que jusque là il était trés crédible et plaçable dans la réalité, et je redeviens lectrice c'est à dire, je prends du recul et du coup l'histoire perd de sa puissance. Auparavant ce qui permettait précisément d'avoir l'échine glacée, c'était d'être immergée dans l'histoire au premier degré , une description en subjectif, et en direct du cerveau du tueur.On est là au point précis où la question "fiction ou réalité?" nous permet le frisson.
Après la scène de l'attaque par les chats arrive avec la description objective des faits, on voit qu'il n'y a plus d'ambiguité , on est dans une pure fiction, ce sont des chats de fiction qui n'attaquent que les mains, du coup on redevient spectateur, on prend conscience d'être lecteur d'une réalité orchestrée . Gros contraste entre lecture premier degré et lecture spectatrice avec questions sur crédibilité etc...Le charme est un peu rompu.
Bon mes explications sont un peu confuses désolée.

Mais sinon, je répète, l'essentiel de l'hisoire est pas mal du tout.

Je penserai volontiers à éléa

Ou alors il faudrait pas que ce soit lui qui raconte ses mains dechiquetées . Peut être introduire un autre narrateur ou deux autres personnages qui discutent et nous racontent ça.
Parce que la voix du tueur ne doit être que ça à mon avis, une voix de tueur. Il faut introduire une rupture formelle pour signifier le retournement de situation.
Et on pourrait revenir au narrateur initial pour la dernière précision qui le situe à nouveau dans le rôle de prédateur et pas de victime.

bravo rebecca d'avoir trouvé !
(moi j'ai triché)

ce qui m'a plu, c'est le thème j'avoue
et de voir narbah s'émouvoir me fait bien (sous) rire

j'aurais aimé que ça aille en fait un peu plus loin

Tu tiens un truc pas mal avec ce texte elea, j'y retrouve ta précision chirurgicale et cette distance que tu peux placer dans tes textes. Un chouïa en plus et ça serait encore meilleur (avis perso, hein).

sans tricher (j'ai quand même vérifié après hein^^), j'avais pensé à Elea pour ce style très visuel, très cinématographique. Un royaume des chats version gore où l'homme essaie de reprendre le dessus. Le génocide initial ne m'a guère gêné, ce sera autant de crises d'asthme en moins :o).
et comme souvent avec toi, je reste avec cette impression d'avoir vu un film. Efficace donc.

je viens de relire le texte et j'ai une toute autre impression, ce que je trouve étrange c'est que le narrateur ne me semble pas DANS l'histoire, comme si c'était quelqu'un d'autre qui la racontait, comme si était hors-champ... j'ai du mal à expliquer ce que je viens de ressentir... comme si il se regardait faire, agir, sans être acteur... comme si il était spectateur de sa propre vie... pourquoi ? je ne sais pas... je vais le relire.
L'étrange est que je trouve le texte bon, il y a une froideur très bien rendue.