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Devoir de mémoire !

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Message  Raoulraoul Dim 31 Mar 2013 - 9:07

Devoir de mémoire !
Parce que je disais « non », il continuait.
Une masse vue de près paraît encore plus massive.
Elle prenait tout mon air. Faut dire que l’endroit en manquait.
L’ombre.
Elle était entrée, avait déposé sa houppelande, mais conservé ses braies.
Grosse toile épaisse qui m’étouffait.
Non ! je criais mais lui me forçait.
En bas, déjà, je l’avais observé, avalant, vorace, une garbure fumante.
Une bosse comme un bourgeon volumineux dans ses braies, à la fourche de ses jambes.
Ce n’était pas possible.
A Furiani, les gradins d’un stade s’étaient écroulés. Plusieurs morts.
Cela faisait comment l’écroulement d’un gradin ? Se sentir par en-dessous partir brusquement.
Lui sur moi obstruait mon espace.
Dans la cabine des douches, c’était lui qui avait oublié son machin. Ce machin qui soutient les hommes, dessous leurs braies. A la patère il pendait, inqualifiable. Deux minutes plus tard, il est venu frapper pour le réclamer. Je lui ai rendu son machin, entrouvrant la porte sous ma douche. C’est-y donc qu’il l’avait encore remis son machin, sous les braies ?
Dans le stade, les supporters impatients tapaient des pieds sur les gradins. Quelle joie ! les enfants aussi. En famille, ils étaient tous venus pour la demi-finale de la Coupe de France.
Dehors, l’enseigne lumineuse s’éteignit, peu avant minuit.
Je me retrouvai en tête à tête avec l’obscurité.
Des pieds obscurs qui enfonçaient le matelas. Un ventre obscur étranger qui me labourait le menton. Une langue obscure que je ne comprenais pas. Avec des mots rugueux qui m’écorchaient, mais aussi boueux, dégoulinant, à cause du délire qu’ils faisaient sur moi.
Des crépitements de flatulence dans ses braies, à lui.
A Furiani, la tribune tanguait comme un bateau, déjà quelques minutes après le coup d’envoi.
Je m’agrippais à la musculature surplombante. Sa toison partout. Son chapeau qu’il avait gardé. Même pas pris la peine de se décoiffer pour me culbuter.
J’étais si jeune.
Les joueurs avaient envahi le terrain sous un tonnerre d’applaudissements.
Quand j’y repense. Moment inoubliable. Faut dire aussi que les ouvriers déjà resserraient des vis et des boulons sous les gradins, pendant que la foule chantait.
Dans le noir on ressent mieux les choses.
Cette odeur de tabac et de sueur qu’il répandait dans la pièce.
Dans le noir, bonheur-malheur se confondent.
Je criais « non » encore, sans plus rien savoir. Sous les braies d’un homme gaulois.
Dans les tribunes, il y eut sans doute un silence, avant leurs cris aussi horribles que les miens.
Faut dire aussi qu’à table, les saveurs de la garbure avaient préparé l’homme. A me dévisager de la sorte son bourgeon enflait.
La télévision retransmettait le match. Un bruit énorme de tôles et de fer, puis ce fut les cris, les pleurs, les plaintes.
Le bourgeon surgit, écartant les braies, et sur moi s’écrasa. Le chapeau de l’homme sauta.
Quatre mille personnes dans le vide. Dans un enchevêtrement de structures métalliques des dizaines de corps ensanglantés.
Et lui, même pas avec ses bras, il essaya de m’enlacer. D’autres éclats de flatulence ponctuèrent sa jouissance. J’étais un peu défaite.
On entendit dans la rue les ambulances. Les joueurs eux-mêmes se précipitèrent pour sauver les survivant coincés en haut de la tribune. La pelouse se transforma en hôpital. Au milieu des tôles froissées, pliées, les blessés se tordaient de douleurs.
L’homme sortit son affreux bourgeon de moi, mais moi lui demandai de sortir tout entier de ma chambre. Il ne voulait pas. Il s’assit allumant une cigarette.
Fous le camp ! je criai, fous le camp !
Puis quelques mots précieux seulement de lui m’expliquèrent qu’une femme pleurait là, dans le couloir, au bout du couloir, parce que son fils était mort à Furiani.
L’homme n’aimait pas entendre une femme qui pleure.
Dans ma chambre alors il prit racine, sur une chaise, préférant mes cris aux pleurs de la femme.
Toute la nuit avec son mégot rouge.
Toute la nuit la fente ouverte de ses braies.
Toute la nuit sa peur des sanglots des femmes.
Toutes la nuit durant mes cris qu’il n’entendait pas.
A l’aube des médecins sont venus emporter la femme.
Ainsi sa houppelande l’homme reprit, avec chapeau, et reboutonnant ses braies.
Avant que je vois son visage, déjà il était parti.
Ombre redevenue, il se coula dans le couloir.
Ce fut alors que je pleurai.
Pendant des années.
Dix ans après le stade est reconstruit.
Neuf. Réglementaire.
Les morts son toujours morts, les blessés handicapés et meurtris.
Aujourd’hui encore je crie.
Un 5 mai 1992, une ombre m’a violé dans une chambre d’auberge.
Sur un stade, des milliers de gens ont chaviré dans le vide.
J’ai déposé une plainte pour viol.
Mais mon cri s’est perdu dans la foule.

**


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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 13:07

Bien, l'entrelacs entre l'intime et l'accident public.

"quelques mots précieux seulement de lui" on bute un peu, mais peut-être que ça veut suggérer une inconsciente ambivalence, reformulable peut-être

"J'ai déposé une plainte pour viol. Elle s'est perdue dans la foule" donne une fin plus en suspens

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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 15:18

cette superposition parallélisée (euh...je ne sais comment dire autrement...), c'est bien vu, et bien fait.
au début, je ne comprenais pas pourquoi la garbure, je ne voyais pas le lien avec la Corse, mais ensuite j'ai vu que cela justifiais les flatulences récurrentes de l'homme visqueux. et puis cette auberge peut tout à fait se situer dans le Sud-Ouest.

"Un 5 mai 1992, une ombre m’a violée dans une chambre d’auberge.", autrement ce n'est pas cohérent.

pour l'instant voilà ce que je peux dire, j'y reviendrai sûrement, là je n'ai pas le temps.

à la fin de la lecture de ce texte, j'ai envie de te demander: Raoulraoul, as-tu déjà été publié?
(excuse moi si ma question te semble bête)
parce que même si je n'y connais rien, je trouve que ton style le mérite...
ce texte me semble très maîtrisé.





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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 16:17

c'est marrant parce que dans World of Warcraft, on trouve le terme "braies des ombres".

j'ai un peu honte d'avoir parlé de publication dans mon précédent commentaire...d'abord de quoi je me mêle, et en plus tu es assez grand et exigeant pour savoir ce que tu as à faire, et quand. et peut être as tu ce projet en tête, et y travailles-tu en cherchant encore. ou encore, peut-être est-ce même déjà fait...bref...j'ai dit ça parce que ton style est singulier, et que très égoïstement je me suis prise à penser que j'aimerais qu'il compte, qu'il se divulgue.

ce terme récurrent de braies, maintes fois cité dans ces lignes, dérange. mais n'est-ce pas aussi la focale obsession de ce souvenir encore au présent dans la mémoire du personnage narrateur. c'est dérangeant, mais moins pour nous que pour elle, j'imagine, si on se place du point de vue de cette fille.

et on comprend que sa plainte à été écrasée, diluée, "J’ai déposé une plainte pour viol. Mais mon cri s’est perdu dans la foule.", dans cette actualité dramatique de Furiani. que sa sirène a elle, son cri, ses cris, ont été étouffées dans le vacarme et l'urgence ambiants, tout à fait autres et prioritaires pour la "foule", alors que le drame qu'elle a vécu fut pour la narratrice tout aussi dévastateur.
ça, tu le fais très bien passer ici:
"Les morts son toujours morts, les blessés handicapés et meurtris.
Aujourd’hui encore je crie."


j'ai beaucoup aimé ce texte. il y a souvent beaucoup de géographies, de topographies, physiques ou mentales, de la géométrie, aussi, dans ce que tu écris. et j'aime cette façon d'observer le monde, les dimensions du monde, et les mondes.
observer voire même scruter, parfois. car c'est à la fois fragmenté, et total.


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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 16:57

Ce texte dépasse la dénonciation d'une agression et de la négligence des pouvoirs publics.
Il évoque tous les viols commis et tus à la faveur d'autres événements.
L'accident du stade traduit bien l'oppression, les braies situent l'agresseur, bref tout y est.

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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 17:23

Excellente idée de thème que celui du drame personnel vs le drame public, la petite voix étouffée contre la grosse voix médiatique ; drame public par ailleurs composé d’une myriade de drames individuels - le comportement de l’homme qui ne veut pas entendre pleurer la femme en est l’illustration parfaite.
Il n'y a pas de degré dans/à la souffrance - qu'elle quelle soit, et à évoquer cet aspect de la chose, le texte prend une tournure philosophique. Sans parler de la légitimité qu'il (n') y a (pas) à transcender sa propre souffrance en l'imposant à autrui.
Comme d'habitude, un texte profond, abyssal, à niveaux et problématiques multiples.
Excellente idée donc et traitement adéquat, démonstration économe qui atteint pourtant (ou ainsi ?) parfaitement son but.



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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 17:43

Je n’étais pas bien sûre, mais à la deuxième lecture je trouve que l’emploi de mots un peu « anciens » : houppelande, braie renforce l’aspect inquiétant, le côté ogre de l’homme. De même je n’ai pas adhéré tout de suite au parallèle (à la superposition comme le dit justement Igloo) avec Furiani mais je trouve l’enchevêtrement (chaos des corps/tôles froissées) des deux particulièrement intéressant et surtout brillamment mené.
Amateur d’Odilon Redon ? Je parle de votre avatar.

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Message  Frédéric Prunier Dim 31 Mar 2013 - 19:17

j'ai eu beaucoup de mal avec ce qui suit:

Elle prenait tout mon air. Faut dire que l’endroit en manquait.
L’ombre.

Elle était entrée, avait déposé sa houppelande, mais conservé ses braies.


Grosse toile épaisse qui m’étouffait.
Non ! je criais mais lui me forçait.



entre le il (le sexe est masculin, non ?) et le elle (de l'ombre)
ok c'est l'ombre mais l'effet de style, marquant ce mot tout seul à la ligne précédente, fait que mon esprit de lecteur ne l'a pas associé automatiquement en sujet de la phrase Elle était entrée, avait déposé sa houppelande, mais conservé ses braies.

donc ce point, d'après moije
est le point de départ de tout le reste
si l'on veut un texte à tiroirs, à lecture superposé,

je ne suis pas convaincu que l'auteur ait trouvé encore la formulation idéale.

(mais ça, c'est juste mon point de vue)

amitié
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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 19:30

* auto correction, j'ai dit n'importe quoi
et puis cette auberge peut tout à fait se situer dans le Sud-Ouest.

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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 19:42

et il y a aussi un parallèle entre l'effondrement du stade, et le fracas d'un dégât entrelacé dans la tête de la victime.
vraiment, chapeau Raoulraoul.

et pardon pour ces multipostages maladroits...

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Message  Janis Dim 31 Mar 2013 - 19:44

igloo a écrit:

"Un 5 mai 1992, une ombre m’a violée dans une chambre d’auberge.", autrement ce n'est pas cohérent.


Il s'agit peut-être d'un garçon ?

Un texte entêtant sur lequel il m'a fallu revenir plusieurs fois - l'ai-je pleinement saisi ?
Impeccablement écrit, l'imbrication des deux événements fonctionne très bien.

Cependant, je suis un peu dérangée par l'emploi de certains mots (braie, houppelande, toison, ombre - en vrac). Les images ne se forment pas de façon évidente en moi à la lecture, c'est-à-dire que je suis obligée en lisant de me dire : bon alors, là, ils sont où, ils sont comment, etc.

Très belle écriture tout de même, au-delà de ces réserves toute personnelles.

Je pense à Mauvignier, pas pour le style, mais parce qu'il a écrit Dans la foule et Ceux d'à côté : un désastre dans un stade, une vie dévastée par un viol.
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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 19:51

Janis a écrit:Il s'agit peut-être d'un garçon ?
en fait je ne crois pas, à cause de ceci:

"J’étais un peu défaite."

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Message  Janis Dim 31 Mar 2013 - 19:58


Ah merci ! je l'ai relu à la recherche d'un indice mais il m'a échappé. J'y pensais parce qu'il y a une histoire de vestiaire, de douche (si j'ai bien compris) ça a fait cogiter mon imaginaire !
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Message  Frédéric Prunier Dim 31 Mar 2013 - 20:00

...c'est le hic du texte

le mélange entre le il et le elle

cela peut et doit être comme cela
mais le lecteur
à mon sens
ne doit pas être gêné par cela
il doit voyager entre deux

il ne manque pas grand chose
d'après moi

cela fonctionne dans beaucoup de parties de texte...
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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 20:26

Janis a écrit:
Je pense à Mauvignier, pas pour le style, mais parce qu'il a écrit Dans la foule et Ceux d'à côté : un désastre dans un stade, une vie dévastée par un viol.
ah moi aussi, j'ai pensé à Mauvignier, au Heysel (orthographe ?) surtout...

et puis tiens, il y a la ponctuation du titre qui m'interroge aussi, le sens du point d'exclamation, pas fortuit je pense, et qui donne peut-être son ton à tout le récit...

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Message  Invité Dim 31 Mar 2013 - 20:41

Janis a écrit: J'y pensais parce qu'il y a une histoire de vestiaire, de douche (si j'ai bien compris) ça a fait cogiter mon imaginaire !

les douches de l'auberge, genre une sorte de gite corse, collectif...?
le gars qui repère la fille en bas dans la salle en bas au moment du repas, la serveuse peut être?
il nous fait cogiter, ce Raoulraoul, mais il nous éclairera...!

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Message  Janis Dim 31 Mar 2013 - 20:42


mais comme dit fredo, c'est peut-être le viol, homme ou femme peu importe, universel ?
oui, il nous éclairera
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Message  Louis Lun 1 Avr 2013 - 21:12

Deux souvenirs : celui d’un viol, et un autre, un souvenir « écran »,
Ecran de télévision d’une part, écran médiatique ; « souvenir écran » au sens de la psychanalyse, d’autre part.

Le texte commence par le souvenir d’une scène de viol.
En mémoire, le violeur se nourrit du refus, le « non » l’excite, « Parce que je disais « non », il continuait. » Son plaisir est d’abord celui de la transgression, il force l’interdit, il lui faut une résistance ; il lui faut exercer une force contre une autre force ; l’acceptation, la résignation ne peuvent le satisfaire. Pas plus que les pleurs. « L’homme n’aimait pas entendre une femme qui pleure. » Il n’aime pas la faiblesse, il lui faut les cris, la rage, le refus, la révolte, « préférant mes cris aux pleurs de la femme. ». La douleur impuissante ne le fait pas jouir ; la douleur imposée, une force vaincue et le sentiment de sa propre puissance dominante font son plaisir.

Le violeur apparaît massif, masse imposante à laquelle il est difficile de résister, masse étouffante. Il apparaît, avec ses « braies » comme un homme du passé, une brute antique, ou un rustre moyenâgeux, « Sous les braies d’un homme gaulois » ; dans tous les cas, une force brutale issue du passé, une violence ancestrale, la manifestation d’une pulsion la plus ancienne de l’homme.

Il est une « ombre » : un profil sans visage. Une masse noire, inhumaine.

Le violeur est « vorace », « En bas, déjà, je l’avais observé, avalant, vorace, une garbure fumante. » Son appétit est immense, pour la nourriture comme pour le sexe. Ogre dévoreur d’air vital, ogre dévoreur de vie.

Le souvenir écran suit le souvenir du viol, alors que l’on pourrait s’attendre à l’inverse.
En mémoire un écran très matériel, celui d’un téléviseur : « La télévision retransmettait le match ». Un match de foot à la télé. Et une catastrophe : « A Furiani, les gradins d’un stade s’étaient écroulés. »
En mémoire, un souvenir « écran » qui dissimule et révèle un souvenir insupportable, un souvenir refoulé.
Le mouvement du texte ne va dans le sens de la découverte de ce que cache le souvenir écran. Celui-ci est d’abord révélé pour en venir ensuite à ce qui fait écran. Si bien qu’est mis au clair, véritablement révélé par le texte, le rôle et la formation du souvenir écran, et les jeux subtils de la mémoire.
« Devoir de mémoire ! » dit le titre, il ne s’agit pas de l’obligation morale de mémoire, mais d’un exercice de mémoire.

Des analogies permettent aux souvenirs de renvoyer l’un à l’autre, permettent un jeu de correspondances.
Les gradins s’effondrent sur les spectateurs ; une ombre, un gredin, s’effondre sur la personne violée.
Les spectateurs se retrouvent sous une masse imposante de béton et de métal ; la personne violée se retrouve sous la masse énorme du violeur, « Se sentir par en-dessous partir brusquement. »
Les spectateurs prisonniers sous les débris des tribunes manquent d’air et d’espace ; de même le violeur dérobe tout l’air et tout l’espace : « Lui sur moi obstruait mon espace. » ; « Elle prenait tout mon air ».
De même que « Dans le stade, les supporters impatients tapaient des pieds sur les gradins. », « Des pieds obscurs », ceux du violeur « enfonçaient le matelas ». etc…

Dans les deux souvenirs, le passage d’un état à un autre, d’un stade à l’autre, du jeu, de l’innocence, de la position debout à l’effondrement, à l’état suffoquant, à la violence qui s’abat sur les corps.

Le stade a été reconstruit, mais non la vie de la personne violée, « Aujourd’hui encore je crie ». Plus d’analogie ici. On ne passe pas si aisément d’un stade de la vie à un autre.

Le souvenir écran renvoie au souvenir refoulé-dévoilé.
On ne peut commémorer la catastrophe de Furiani sans raviver un viol.

La dernière phrase, « mon cri s’est perdu dans la foule », loin de clore le texte, l’ouvre sur la réflexion, l’ouvre sur une fonction nouvelle de l’écran. Le souvenir écran d’un événement médiatique, qui concerne une foule de personnes, masque l’événement individuel, rend sourd aux cris d’une douleur singulière.
Et c’est alors la fonction d’un texte de révéler ce que l’écran de la télévision et des médias refoule. L’écrit permet de donner voix à la singularité que masque l’événement médiatisé, l’événement socialisé.

Bravo Raoulraoul pour ce texte fort intéressant, et profond.



Louis

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Message  Invité Mar 2 Avr 2013 - 6:32

ah oui, j'y ai pensé aussi pour le titre: c'est comme le top départ d'un professeur sur son estrade qui lance le sujet d'une composition, d'où le point d'exclamation.

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Message  Raoulraoul Mer 3 Avr 2013 - 7:45

Merci Igloo pour ta correction majeure : "une ombre m'a violée " évidemment.
Non, Vertigo, je ne suis pas amateur particulièrement d'Odile Redon. Simplement je trouve cet "avatar" assez représentatif d'une idée qui me plaît ; un ange déchu...
Janis, je ne connais pas ce texte de Mauvignier "Dans la foule. Ceux d'à côté".
Louis, pour ton remarquable développement et analogie entre télévision et événement-écran...
Merci à tous. Vos questions m'interrogent plus que je ne peux l'exprimer. La manque de temps hélas m'empêche d'y répondre avec l'attention et le sérieux qu'elles exigent. Mais toutes vos remarques trottent dans ma tête et elles alimentent toujours mes textes à venir.
Raoulraoul
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