Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -21%
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, ...
Voir le deal
39.59 €

Philomène

4 participants

Aller en bas

Philomène Empty Philomène

Message  Modération Ven 12 Avr 2013 - 8:59

— Il me les fera toutes, lui ! Qu’est-ce que tu as fait à Salomé ? Dis-moi vite ce que tu lui as fait ?
Pourquoi sa maman ne me parle plus ? Pourquoi elle est toute en pleurs quand je la vois à la porte de sa maison ? Dis-moi ce que tu lui as fait à Salomé, dis-le moi où je te bats !

Jean-Eudes baissait la tête. Sa mère en colère le secouait par le bras. Même si elle lui brisait le membre, il ne dirait rien, encore moins que rien, il avait juré. Il ne la regarderait pas dans les yeux, il avait trop peur qu’elle ne devine ce qu’il pensait en ce moment.

— Regarde-moi quand je te parle !

Il souleva les paupières, dévoila ses pupilles noires qui s’échouèrent devant la bouche invective de sa génitrice. Il savait qu’elle ne l’aimait pas et ce, depuis sa naissance. Il savait que son frère et sa sœur plus âgés mais enfants légitimes étaient sa préférence.

— Tu n'es qu'un vaurien, un lâche ! Je vais te donner le fouet et toi-même tu te lacèreras le dos. J’ai honte pour toi. Regarde-moi quand je te parle !

De la bouche au nez de Philomène, il n’y avait qu’un pas, pourtant il préféra observer le ballottement des seins nourriciers sous son boubou. Avec sa main libre, Jean-Eudes attrapa la ficelle de son short et se l’entortilla autour de l’index.
— Non, je ne vais pas te battre. Tout le monde nous regarde. Tu me fais honte. Tu le sais ça ? Tu me fais honte.
La douleur qu'il ressentait sous l'emprise de la main serrée de sa mère n'était rien à comparer de celle de se retenir de pleurer.
Comprimé, le cœur. Le sable soulevé par le vent tournoyant irrita ses yeux. Les larmes jaillirent à ce moment-là et c’est tant mieux, car sa mère s’en rendit compte.

— Espèce de pleurnicheur. Tu vas tout de suite t’excuser auprès de la mère de Salomé. Et je veux entendre les mots d’ici ! Je veux que tout le monde soit témoin !

Jean-Eudes traînait les pieds, soulevait une poussière légère que le vent s’empressa d’emporter.


— Que me veux-tu, petit voyou ?
La mère de Salomé était campée sur ses jambes, forte, puissante, les deux poings plantés sur les hanches. File d’ici, je ne veux pas te voir.

Jean-Eudes restait sous le soleil. Les bras dans le dos, il dissimulait le tremblement de ses mains. Sa tête n’était qu’une boule de flipper sur laquelle glissaient les mots, les injures. Il avait fermé les écoutilles. Un jour il comprendrait pourquoi les grandes personnes l’invectivaient sans cesse, qu’elles soient de sa famille ou non. Il préférait ne rien dire, attendre et accepter le déluge de paroles.
De loin, Philomène l’interpella.
— Je n’ai rien entendu. Dis ce que tu as à dire.
Il aperçut Salomé. Elle se dissimulait derrière les lanières du rideau à mouches. Elle aussi adoptait la même attitude que lui. Elle non plus n’avait pas l’air de comprendre ce qui leur arrivait.
— J’entends rien !
Ils avaient été si heureux d’échanger un baiser. Ils n’auraient pas dû en parler aux grands frères. Ceux-là ne tiennent pas leur langue.
— Pardon madame.
— Pardon de quoi ?
— J’ai rien entendu ! cria Philomène.
Ils savaient tous les deux que plus tard, ils recommenceraient en cachette, parce que c’était à la fois bizarre et délicieux, étrange et délicat. La peau de Salomé était nettement plus blanche que la sienne et c’est ce qui l’attirait. La curiosité.
Ensemble et sans se concerter, ils adoptèrent l’attitude d’enfants pris en flagrant délit, bien qu’il soit le seul à essuyer l’engueulade.
— Pardon madame. Sa voix avait atteint les oreilles de la maman de Salomé mais pas celles de Philomène.
— Pardon de quoi ? Vas-tu me dire ce que tu as fait à ma fille ? Hein ? Vas-tu le dire ou il faut que je t’arrache les mots de ta bouche avec mon crochet ?
Jean-Eudes avait déjà vu son grand frère embrasser plusieurs filles oui, mais toujours celles qui avaient la même couleur que lui. Jean-Eudes avait cru reconnaître en Salomé sa sœur de sang, sa moitié, celle avec qui il pouvait échanger ses rires et ses bonnes blagues. L’interdit de leur relation pesait lourd au-dessus de leur tête en cet instant où le soleil ne brûlait pas autant que les vindictes de la mère de Salomé. Elle acheva sa tirade par un « va-t’en » bien appuyé, aussi sec qu’un coup de bâton invisible.
— Je n’entends rien, dis le plus fort que tu es un voyou, pour que tout le monde le sache, vas-y dis-le. Philomène se rapprochait peu à peu en frappant sa robe avec les lanières d’un martinet.
— Il est bien le fils de sa mère, il a de qui tenir ce voyou. Fous le camp, bâtard ! Et que je ne te revoie plus avec ma fille, jamais.
Elle lui lança une pierre sur la tête. Celle-ci atteignit Jean-Eudes sur le front, ce qui provoqua une blessure immédiate, ainsi qu’une crise d’hystérie de la part de Philomène qui accourut toutes dents dehors.
— Tu peux l’injurier si tu veux, mais je t’interdis de frapper mon fils, tu m’entends ?
— Ton fils, ton bâtard de fils, oui ! Fous le camp d’ici, putain ! Tu n’as rien à faire dans ma rue.
— Ta rue est aussi la mienne ! Que tu le veuilles ou non, tu devras me supporter, moi et mes enfants, comme moi je te supporte.
— Dégage, putain !

Philomène saisit Jean-Eudes par le bras et l’entraîna jusque dans devant la porte de chez elle.
Pour lui, c’était trop difficile d’occuper sa position d’enfant du mauvais souvenir, celui qui rappelait à chaque fois le génocide. Philomène, mise à l’écart, avait été accusée d'être une collaboratrice. Personne ne s’était inquiété de son sort lorsqu’elle était détenue prisonnière et servait d’esclave sexuelle. Elle devait élever ses enfants légitimes seule, en plus du fardeau que représentait Jean-Eudes. Elle n’avait jamais eu la force de le noyer, comme d’autres l’avaient fait.
— Voilà ce que tu as gagné à vouloir faire le coq. Ne te ravise plus de traîner avec Salomé.

Jean-Eudes décida de se blottir contre le chien. L’oreille coupée reçut le souffle de l’enfant.

— Prends la machette et va me chercher du bois. Rapporte tout ce que tu peux.

Etait-ce donc cela sa punition ?
Jean-Eudes craignait d'y aller seul. Les fourrés recelaient encore les traces sinistres des exactions commises par les Hutus, ses pères. Il pouvait utiliser ce nom, puisque lors d'un viol collectif, il était difficile de connaître la réelle paternité des enfants. Sa mère, Philomène, avait de son côté, enregistré chaque visage, mémorisé chaque voix avant de s'évanouir sous les derniers assauts des criminels. La mémoire lui revint longtemps après que les Médecins du monde eurent pansé ses plaies. Elle avait bien fait de ne pas avorter malgré les conseils des soigneurs.
Dès lors, elle pensait tous les jours à ses tortionnaires. Il n'était pas rare pour elle de les croiser dans la rue. Ceux-ci s'en sortaient la tête haute, sans crainte d'un procès qui ne viendrait jamais.

Chacun d’entre nous sera jugé suivant ses actes, murmurait-elle, les uns trouveront la sérénité, les autres connaîtront la morsure de ma vengeance.

Et ce n’est pas par hasard si elle armait le bras de Jean-Eudes.

Modération

Nombre de messages : 1362
Age : 18
Date d'inscription : 08/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Modération Ven 12 Avr 2013 - 9:01

Texte anonyme hors exo.
À commenter selon les modalités habituelles.

Modération

Nombre de messages : 1362
Age : 18
Date d'inscription : 08/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Invité Ven 12 Avr 2013 - 16:10

Quel texte fort ! Un condensé de violence intime reflet d'une violence plus vaste, celle qu'un peuple s'est faite à lui-même.
C'est un beau témoignage.
En première partie, je me demandais si le titre n'aurait pas dû être Jean-Eudes, mais au fur et à mesure de la lecture, le choix de Philomène s'impose de façon naturelle et évidente.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Invité Sam 13 Avr 2013 - 6:45

Il m'a coupé le souffle ce texte.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Invité Sam 13 Avr 2013 - 8:24

c'est très bon,
bravo!
pardon, c'est un peu laconique mais le coeur y est...

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Invité Dim 28 Avr 2013 - 9:36

Un texte qui se passe de commentaires. À désespérer de l'humain.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  polgara Dim 28 Avr 2013 - 22:52

j'aime ! la violence du propos, la fluidité du texte, les images terribles qu'il renvoie...

polgara
polgara

Nombre de messages : 1440
Age : 48
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Titia_____ Lun 29 Avr 2013 - 1:07

Je suis désolée, j’ai du mal avec ce texte. On touche là à quelque chose qui est beaucoup trop grave et trop récent. On parle d’un million de morts en trois mois, de massacres, d’êtres humains traqués comme des bêtes à exterminer, de tortures et de viols qui ont eu lieu hier, et si vous habitez en France ou en Belgique, il est possible que certains de vos voisins ou collègues immigrés aient vu leurs parents, frères et sœurs assassinés sous leurs yeux. Perso, je ne me serais jamais permis d’écrire là-dessus, à moins d’être Tutsi moi-même. Je comprends le thème de la difficulté voire de l’impossibilité à aimer un enfant conçu dans des conditions inhumaines, quelque chose de terrible et à la fois tout à fait humain justement, enfin, un vrai terreau littéraire quoi, et ce qu’il peut y avoir d‘«honorable » au regard de certains à avoir choisi de garder l’enfant (bien que ce ne soit pas vraiment mis en avant ici), mais là, la femme tutsi qui traite l’autre femme tutsi de putain alors qu’elle a été violée par des hutus, je trouve ça… En fait, je crois surtout que, au-delà de ma réaction épidermique (je l’avoue, mais je ne dois sûrement pas être la seule), ce qui me gêne vraiment, c’est qu‘ici les Tutsis tiennent trop le mauvais rôle… Enfin, c’est comme ça que moi je le ressens. Peut-être que si cette femme, ces femmes, comme moi, comptaient parmi vos amies, vous prendriez les choses autrement. Je comprends le propos humaniste au fond, de l’amour sincère, l’amour d’enfance, qui ne connaît pas les différences d’ethnies, les problèmes d’adultes, les conflits politiques, et j’imagine que l’auteur est sensible à ce génocide pour avoir choisi ce cadre mais, comme je le disais, ça me gêne que les personnages Tutsis tiennent ici le mauvais rôle

Titia_____

Nombre de messages : 140
Age : 44
Date d'inscription : 08/10/2009

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  bertrand-môgendre Lun 29 Avr 2013 - 7:21

Titia........... Je comprends tes remarques. De mon côté, j'assume mon rôle de petit écrivant. Je ne suis pas journaliste, donc je n'ai pas envie de relater les faits sans prendre parti. De part mes activités, ma sensibilité oriente souvent mes portraits du côté de l'enfance. Je ne prétends pas détenir la vérité. Par contre, je suis persuadé qu'il vaut mieux parler de ce qui dérange, même mal, plutôt que de garder le silence.

Petite précision qui est sous-entendue dans le texte : la mère de la jeune Salomé à la peau nettement plus noire (et non pas blanche comme précisé dans le premier texte non corrigé, présenté sur vos écrits) appartient à la communauté des Hutus. Pour activer le processus de réconciliation, l'obligation de vivre ensemble est instaurée. Elle n'empêche pas de refermer toutes les cicatrices. J'imagine que l'éducation institutionnelle permettra aux enfants de connaître un avenir meilleur.
Pour moi, le couple Salomé et Jean-Eudes représente l'avenir.
bertrand-môgendre
bertrand-môgendre

Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  bertrand-môgendre Lun 29 Avr 2013 - 14:31

Je remercie les lecteurs commentateurs pour le texte de Philomène sur ce fil, pour éviter que le texte ne remonte. Je dois sûrement me tromper à chaque fois que je poste ma réponse. Désolé.


Bertrand : http://www.vosecrits.com/t13236-modification-de-fonctionnement-des-forums
bertrand-môgendre
bertrand-môgendre

Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007

Revenir en haut Aller en bas

Philomène Empty Re: Philomène

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum