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Au café des destins croisés (1)

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Message  joe-joe Mar 27 Mai 2014 - 15:51

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joe-joe

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Message  joe-joe Mer 28 Mai 2014 - 6:56

[au vu des commentaires, nombreux et élogieux, je me permets de poursuivre:]


Parfois, je rêve. Ou l’on me rêve, parfois.






Embastillé derrière mon comptoir, parfois, les mots me viennent, ou les images, les destins. Parfois…













La mort, un jour



Où ai-je fourré cette cravate ? Le nœud-papillon, hors de question ! Ce qu’il me faut, c’est cette bonne vieille cravate jaune crocus. Et merde, le téléphone… C’est toujours comme ça. Je ne réponds pas, tant pis.
Sept heures trente ! Et pas encore prêt. Les fleurs ! J’allais oublier de commander des fleurs.
Heureusement, chérie, que je l’avais noté sur mon agenda ; grâce à toi je n’oublie pas le bouquet pour mes hôtes. Tu vois, tu es toujours présente dans ma vie, toujours utile… Et moi toujours aussi distrait… Désolé, chérie, mais je ne pourrai pas encore te voir ce coup-ci. De toute façon, tu n’as jamais été formaliste. Et puis, là où tu es, pas vrai ? Enfin, ils déposeront les fleurs demain, ils me l’ont promis.
Bon, j’y vais. Un petit coup de peigne, hop !

Ce n’est pas vrai ! cette fille… il faut que je lui parle. Lui dire quoi ? Combien elle ressemble à celle que j’ai aimée ? Le beau compliment ! Vous avez la tête d’une morte qui m’était chère. Elle répondra poliment, lèvres pincées : « oh… vraiment ? »Sa bonne éducation lui interdisant de me signaler combien mes propos sont déplacés. Elle me le fera comprendre quand même… Ou alors, innocemment, je lui apporte une coupe de champagne, j’engage la conversation « je ne pense pas vous avoir déjà rencontrée ». Elle me répondra qu’elle ne m’a jamais rencontré non plus et que, même rétrospectivement, elle ne constate aucun vide…
Bonjour Bruno, comment allez-vous ?
Bien, ma foi. Dîtes, connaissez-vous par hasard la jeune femme blonde là-bas, oui, celle qui parle avec Verlain.
Elle ? Mais c’est l’amie de Mitan, le compositeur.
J’avalai ma salive. Un coup de feu ne m’aurait pas plus profondément ébranlé. Son amie ! A lui ! Une histoire de fous.
Je m’écroulai sur le premier siège disponible- un sofa.
Lui, lui, toujours lui. Et Elle. Par delà sa mort, ils me narguaient encore. Je l’examinai attentivement. Mon œil inquisiteur décelait des différences que, sur-le-champ, je considérai comme des imperfections, des erreurs grossières. Ce nez-là ignorait par exemple la petite cicatrice longitudinale qui barrait l’arrête de l’original. Les yeux, surtout, étaient moins bleus, moins lumineux. Elle devait être sensiblement plus grande, deux ou trois centimètres qui modifiaient l’allure générale.
Bon, somme toute, il ne s’agissait que de ressemblance. Pas de quoi fouetter un chat ni réveiller les morts.
Le seul point extraordinaire, à la réflexion, était qu’elle fût sa maîtresse. Moi même, la découvrant en premier, n’aurais-je pas aussi souhaité la conquérir ? Pauvre fille… un jouet. Un instrument. Un fétiche. A travers toi, il cherche à la retrouver, Elle. Preuve d’amour, d’imbécillité ou d’égoïsme, je ne sais.
Après tout, les histoires de ce genre sont monnaie courante, dans les romans. Les sosies, les copies… et l’espoir insensé de feinter la mort. Mais elle, qu’en sait-elle ? Accepte-t-elle ce rôle qui la nie ? Un portrait approximatif, une pâle imitation… l’aime-t-elle ?
Fleurit-il aussi, encore, sa tombe ? Et où est-il, je ne l’ai pas encore aperçu… Tant pis, je l’aborde.
- Excusez-moi, je suis un ami de Mitan… Je suis surpris de ne pas le voir avec vous. A sa place, je ne vous lâcherais pas d’une semelle.
- Vous êtes musicien également ?
- Non, dans les affaires.
- Ah…
- Je dois me rendre prochainement en Normandie et je me demandais si Mitan ne s’y trouvait pas. Vous pouvez peut-être me renseigner ?
- Il est en Normandie, effectivement. Comment l’avez-vous deviné ?
- Disons que nous avons certains souvenirs en commun.
- Vous n’êtes pas très clair, monsieur
- Boyard. Bruno Boyard. Vous ne savez pas ce qu’il est allé faire ?
- Je ne suis pas du genre curieuse.
- Ce qui sous-entend que je le suis. En effet. Écoutez, je vais vous paraître carrément indiscret, mais comment l’avez-vous connu ?
- Il n’y a aucun secret. Je suis violoncelliste.
- Je suis persuadé que, dès votre première rencontre, il ne vous a pas quittée des yeux.
- C’est exact, monsieur Boyard. Vous êtes extra-lucide ? Permettez-moi d’être surprise, vous surgissez à l’improviste, vous me parlez d’Yves- qui ne m’a jamais parlé de vous, soit dit en passant- vous semblez au courant de faits qui…
- Je… vous a-t-il jamais avoué que vous ressembliez extraordinairement à quelqu’un qu’il a connu ? (A peine prononcés, ces mots m’emplirent de honte. Je m’immisçais sans gêne dans leur vie, y semais les ferments du doute, les germes insanes du soupçon… un délateur !) Elle me fixait, soucieuse et, en cet instant, il m’eut été impossible de les distinguer. Ce regard ! c’était, absolument, le même.
- J’aimerais que vous soyez plus explicite. Vous en avez trop dit, allez jusqu’au bout.
- Le lieu ne me semble pas très indiqué. Peut-être pourrions-nous nous retrouver un peu plus tard ?
Elle me tournait déjà le dos et, sur un ton badin, échangeait je ne sais quels propos frivoles avec des figurants.
Que penser ? Que penser de moi ? Quelle motivation avait pu me pousser hors de ma réserve coutumière, de mes retranchements ? Vengeance, jalousie ? Pulsion morbide, envie de salir, de saccager ? A moins que ce ne soit, plus sobrement, l’amour. L’amour suscité par cette parodique résurrection de l’être aimé. Je pressentais qu’en nommant ce qui me dévorait, je nommerais aussi ce qui, lui, l’avait poussé vers elle. Et cependant, demain, il serait là-bas, sans doute, dans le petit cimetière de campagne, sous le crachin, ses fleurs à la main- avec Elle.
L’heure s’effaça comme un songe d’opiomane. Je la vis s’habiller, s’excuser de ne rester plus longtemps, sortir. Discrètement, j’en fis de même.
Elle m’attendait ; je lui pris le bras, la dirigeai jusqu’à mon véhicule, lui ouvris la portière. Elle se laissa glisser jusqu’aux sièges surbaissés. Alors que je démarrai, je remarquai, non sans fierté, que ses doigts en caressaient le cuir. Un instant, un instant seulement, j’envisageai de la tuer. L’éliminer. La gommer. Je me contentai de hausser les épaules, j’étais ridicule.
Je ne savais plus quoi lui dire et j’étouffais dans ce rôle ingrat de traître d’opérette. Non, je n’avais rien à lui révéler. Seul, finalement, seul l’amour compte. Je l’avais aimée, Elle, plus que tout, et cette pauvre fille…
Mais j’en avais trop dit, trop bavé, pour qu’elle tolère ce silence. Elle m’obligea à tout lui raconter. Je trichais un peu, embellissant le rôle de son amant. Cela dura jusqu’à l’aube.
Elle ne posait que peu de questions, précises. J’avais l’impression de plus en plus désagréable qu’elle me méprisait. Mais j’attache, probablement, trop d’importance à ma modeste personne. Elle n’était vraisemblablement qu’indifférente à mon égard.
Voilà. J’avais tout dit, enfin… tout ce que je pouvais laisser entendre. Elle m’indiqua son adresse et je l’y menai. Elle ouvrit la portière, se retourna brusquement vers moi- je crus qu’elle allait me gifler- elle m’embrassa. Un baiser sans fièvre ni passion, un peu fade, un peu triste, un lot de consolation. Elle était partie, sans adieu ni au revoir, partie en laissant derrière elle le cadavre aux ongles longs de mon amour perdu. Je tremblais. J’avais mal. J’étais mal. Roulant à tombeau ouvert sur l’autoroute, je hurlais. Je hurlais sans fin. Démentiellement.
J’aurais pu, je l’ai imaginé, j’aurais pu me tuer. La voiture, lancée à toute vitesse, aurait percuté les rambardes, rebondissant de-ci, de-là, après tout pourquoi pas ? mourir près d’elle, en allant vers elle.
Une idée stupide. Une faute de goût. Et puis, il aurait fallu un effacement complet, qu’il ne subsiste rien car j’étais mort, déjà et définitivement depuis tellement longtemps…
Mon amour ! Non, le monde n’est pas déserté, insignifiant depuis que tu nous as quittés. Il s’en fout, le monde. Il est là, bien vivant, rigolard, indifférent à nos souffrances. Inchangé. Moi seul mène une existence fantomatique. Tout ce vide que j’avais dans les poches s’évacuait d’un seul coup, me délestant. Et j’étais là, nu, au volant, convaincu que cette rencontre aurait dû me révéler quelque chose d’important, de vital, de central. En elle reposait le germe d’une autre résurrection- la mienne.
J’ai ri en imaginant Yves remontant vers Paris. Nos voitures se percutant. Nous aurions le temps de nous reconnaître, juste avant le choc. Une belle fin. Comme dans les fables. Nos sillons opposés s’annihileraient. Le désordre, dont nous avions été les jouets, ou les maîtres d’œuvre, ne serait plus qu’un souvenir, bientôt rien.
Dans moins d’une heure, le soleil se lèvera. Mon bolide garé sur la petite place, en face du cimetière, j’irai boire un café calva, et, par la fenêtre, au delà de la tache rouge et insolente de ma voiture, de l’autre côté du muret gris du cimetière, je regarderai sa tombe, le temps qu’il faudra, jusqu’à ce que je comprenne.


Un jour, la mort



Du vert. En abondance du vert, riche et luisant. Les champs. Quelques taches –marron et blanc- des vaches. Une ligne de gris sur le gris d’un ciel lourd. L’église. A ses pieds, strictement alignés, les blocs de granit familiaux, familiers, parfois mangés de mousse. Des fleurs - en plastique ici, naturelles là- rompent l’harmonie du gris sur gris.
Là, ici ou là, dans ce cimetière, il est une pierre que je connais. Je n’aperçois personne auprès d’elle. Je n’ose dire : de toi. La journée passe. C’est le jour des morts.
Je suis dans un coin, loin de la tombe. Je n’étais pas venu depuis longtemps. Je vis loin. Avant, j’étais à l’étranger. Je ne croyais pas à la sacralité des pierres. J’ai changé, peut-être. Les tombes, je le crois, suggèrent ou facilitent la communication. Vous me direz que l’on peut toujours appeler d’une cabine. C’est ce que je pensais. Je ne me rendais jamais dans les cimetières. Mais on n’a pas toujours sur soi de la monnaie ; mais la distance corrompt le sens des mots, des phrases ; mais…
Et cette année me voici, sur sa tombe, le jour des morts, académiquement, petit mouton qui réintègre le troupeau, petit mouton qui a troqué son âme de loup contre une sagesse séculaire ; petit mouton : c’est la pierre. C’est le jour. Le rite, le cérémonial collectif- et puis : silence, les morts ! La nuit les enveloppe et les couvre et les berce jusqu’à l’année suivante.

Un grand et gros homme, entre cinquante et soixante ans, l’allure poupine, le béret basque surplombant d’épaisses lunettes, s’avance, s’arrête, s’agenouille. Face à la tombe. Ma tombe. Il y dépose des fleurs. Qui est-ce ? Un vague cousin, sans doute.
De surprise, presque de colère, j’ai pensé : « ma tombe ». Ce serait une idée. Il retourne sur terre, le jour des morts, et va traîner dans le cimetière… il attend des visites ; il est déçu puis surpris, enfin, par celle de ce bon vieux tonton, son brave vieux tonton. Il en attendrait, en espérerait bien d’autres… sa femme, sa mère, sa fille- beaucoup de dames. Père, frère, amis… Mais ils sont retenus. Par d’autres visites, plus pressantes, plus urgentes, à moins qu’ils n’usent, eux aussi, de cabines… Allô, Raymond ? J’ai trente secondes à te consacrer. Je viens de penser à toi, en mangeant. Des tripes, oui. Emu, si, si. Terriblement. Pardon ? Je t’entends mal- Bip ! bip ! – coupé.
Ce n’est pas ma tombe. Mais la sienne. A Elle. Elle qui nous a quittés. Qui m’a quitté. Oh, je pourrais jouer les exclusifs, mettre en avant le fait que je sois le seul, ici, aujourd’hui… mais hier ? Mais l’année dernière ?
Sont-ils morts ? Il se peut qu’ils soient morts, tous, que je sois le dernier qui l’aie connue. C’est possible. Le doux tonton de tout à l’heure… et si c’était un ange, peut-être pas tout à fait un ange, un sous-ange ancillaire, un larbin de la mort… Le seul ! Le seul à l’avoir connue. Le seul à se souvenir du grain de sa peau. Le seul à se rappeler comme elle était douce à embrasser. Comme elle savait se lover dans vos bras- j’en aurais hurlé. J’en hurlais. Le seul qui l’ait aimée. Le seul qu’elle ait aimé. L’unique. Ne serais-je pas comblé d’être celui-là, de ne plus avoir à la partager. Détenteur du monopole de sa mémoire. Mon amour, je suis ta mémoire. Tu vis par moi, en moi, et les souvenirs que j’ai de toi font que ta trace ne s’efface pas de ce monde. Par eux, de quelque manière, tu perdures, tu persévères dans l’existence. Il reste, même ténu, même diffus, un sillon, un sillage. Tu vis. Mais il y a tant de trous. Ton enfance inconnue… Alors j’invente, je brode, j’imagine.
Il vaudrait mieux que tu pioches à droite, à gauche, que tu tisses ta toile à partir de plus vastes et plus diverses sources.
Je m’attendais à sa venue. Lui qu’elle aimait aussi. Qu’elle aima. Et qu’importent les temps quand on parle d’une morte. Tout, absolument, pourrait se dire à l’imparfait.
Elle l’aimait. Il l’aimait. Ils s’aimaient. Que dire de plus ? Que je ne l’aime pas, lui. Quel intérêt ? Mais oui, ils s’aimaient. Mais c’est moi qui suis là. Moi qu’elle aimait. Aussi.
Je ne le hais plus. Depuis un instant, il m’est devenu cher, depuis que je comprends qu’elle vit grâce à nous, à nous tous qui la portons vrillée à l’âme.
Mais il fait froid. Il fait vraiment trop froid. Je me rends au café sur la place, boire un calva. Je remarque en passant une superbe voiture de sport rouge. J’entre. La patronne a posé sa débordante poitrine sur le comptoir en bois. Nul ne semble s’en soucier mais mon regard s’englue sur cette surabondance de chairs avant de photographier un vieux, sec, au teint de brique, qui, goulûment, avale son verre.
Il est assis face à la fenêtre. Elle donne sur le cimetière avec, derrière, toute proche, la fraîcheur des prés et soin trop-plein de vert. Abruptement, bascule l’univers. Plus signe d’intimité ou de sacré. Le vert, le vert honteusement vert, dégoulinant, nauséeux, sournois, révèle un sourire forcé et carnassier, un rictus par lequel tout craquelle. Les dents du loup surgissent de la bouche doucereuse et mielleuse de mère-grand. Face cachée qui se dévoile.
Ainsi il était là. A épier. A se rire de moi. A l’abri, derrière son verre. Avec sa voiture de sport, son argent bien apparent, sa bonne santé éclatante, ses façons de gentleman tandis que moi, dehors, je me gelais. Près d’Elle. Je tentais de la réchauffer, de l’approcher, de lui sourire.
Il m’a regardé. Il avait les paupières rougies. Comme une manière, triste infiniment, de s’excuser. Je me suis assis en face de lui. D’une voix égale, j’ai commandé un café calva. D’un geste, il a signifié : deux. La patronne nous les a apportés. Nous avons bu. Nous sommes sortis.
Par dessus le muret du cimetière nous avons reconnu le béret du cousin. Comment nous serions-nous comportés si elle était revenue en cet instant ? Nous serions-nous mesurés fusillés du regard ? Aurions-nous couru vers Elle ? Qui serait arrivé le premier ? Qui aurait-Elle choisi, le premier, d’embrasser ? Et si, tranquillement, le cœur joyeux, bras dessus, bras dessous… je m’attendrissais.
A l’évidence, Elle ne reviendra pas ; ce qui, en un sens, simplifie tout. Et si son cœur, à lui, lui était offert, à Elle, à minuit, sur l’autel en granit de sa tombe… reviendrait-elle ?
Non. Il me fallait me résoudre à abandonner ces chimères, être raisonnable, que diable !
Il parlait. Je pouvais lui demander de me déposer à la gare. Je pouvais préférer quatre kilomètres de marche. Mais seul. Avec Elle. Non.
- Vous pouvez me déposer à la gare ?
Avant, je le tutoyais. Oui, certainement. Mais cela remonte à loin. Nous n’étions pas si distants l’un de l’autre, à l’époque. Elle était le lien et puis nous n’étions pas non plus si différents, avant. Et puis chacun sa route. Comme disent les braves gens : la vie m’est passée dessus… C’est le destin. Vous parlez d’un destin.
Je manque de foi, celle qui soulève les montagnes, qui ressuscite les morts… Je n’ai même pas essayé de la faire revenir ! Réciter sur sa tombe des formules magiques. Psalmodier des incantations maudites et terrifiantes. En appeler au diable. Au Vaudou ! A la Kabbale ! Rien, je n’ai rien tenté, rien osé. Amour de peu de foi. Je vais y retourner- il le faut.
Je lui fais signe de m’arrêter, traits tirés (s’imagine-t-il que je vais vomir, que je vais dégueuler sur ses sièges veloutés ?) je repars, en courant, vers Elle. Attends-moi me voici mon aimée
La voiture du cousin fait une embardée, j’entends les pneus crisser. Un choc. Un éclair. Un coup de tonnerre. Puis un brouillard, un écart entre le monde et moi.
Tiens, le revoilà, l’ancien amant, je lui souris, pourquoi pas ? Il me répond. Il n’ose pas me questionner. Tant mieux. Il me serre la main. Imbécile ! Et c’est maintenant le tour du cousin. Bonjour, cousin. Lui me regarde jusqu’au tréfonds. Me transperce. Ange de la mort. Pourquoi pas ? Il est bienveillant. Il soulève ma tête. Je m’en trouve mieux.
Je cherche à reprendre souffle et, péniblement, j’articule : pensez à Elle.
Ils sont surpris. Puis comprennent. Je la devine, l’aperçois. C’est Elle. C’est Toi. Tu es floue mon amour, je voudrais tant te saisir, tu te dérobes. J’ouvre les yeux, je les supplie.
- Plus fort !…
Et là, sourds, j’entends ses pas- elle court ! Les yeux ouverts, je la vois. C’est Elle. Ils n’ont encore rien remarqué, conservent les yeux baissés, concentrés. Elle est là et son parfum ranime mes narines. Mourir dans son odeur !
Mais elle ne me jette pas un regard. Elle se pend à son cou. Ils se retournent. Alors je ferme les yeux et je meurs.


Le puzzle


Ça crie. Ça court. Ça bouscule. Ça vomit. Ça pleure, ça rit, ça laisse des miettes partout, de la glace fondue, des papiers de bonbon. Souvent, ça a le nez morveux, parfois même, la fiente leur coule le long des fesses et s’échappe en dégoulinant le long d’une cuisse. Ça coule vert, mais aussi jaunasse.
Au début, en arrivant, la plupart les tiennent en laisse. Au pied. Assis ! Pas bouger. Ils comprennent, mais ça ne s’inscrit pas durablement, il faudrait leur fixer des écouteurs aux oreilles, serinant le même message en boucle. « Assis ». « Sage ». Peut-être quelques mots de plus ? Comme « rapporte ».
J’ai lu que certains chiens, les boxers notamment, peuvent mémoriser beaucoup de mots. Il y avait même un boxer prodige, en Allemagne, qui devait dépasser les deux cents ! Bon, il ne faisait pas de phrases, d’accord. Mais il rapportait, au moins, lui.
Au début, donc, « au pied ! », ça se passe entre eux et je ne me mêle jamais des affaires privées. C’est leur choix, leur croix, etc. Ils ont sacré roi un enfançon qui n’en demandait pas tant et ils s’étonnent de devoir supporter un tyranneau. Imbéciles qui croient faire le bien et font le mal, par déchéance narcissique.
Celui-là, c’est le collier de force, qu’il lui faudrait.
Va-t-il cesser de me regarder avec ces yeux-là, bon sang !
Ils en ont toute une panoplie- le grand regard étonné, yeux écarquillés ; la surprise inquiète, pupille brillante, sourcil à demi froncé ; l’indignation, le courroux, la peur, la panique ; la joie perfide quand ils s’apprêtent à écraser ou martyriser quelque animalcule, ou seulement y songent ; la joie ensoleillée, enfin, ensoleillante, dont je n’ai rien à dire de particulier.
Et sa réaction : « maman, pourquoi il me fait ses gros yeux, le monsieur ? »… La mère s’apprête à bêler- et s’il a choisi la mère, on imagine ce que doit être le « père ». Je la coupe.
- Tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour l’éducation que vous inculquez à votre fils, si, si, car il s’agit bien de votre fils, n’est-ce pas ? Oui, bien sûr, sinon…
Revenons à votre héritier…Il parle de moi poliment. Il n’a pas dit, l’autre enculé ! Si, si, je vous jure, d’aussi petits que ça… Je l’ai entendu. Oui, comme vous dites, c’est un monde.
Ceci posé, mon café est un lieu paisible, où quelques vénérables retraités, (coup de menton vers les spectres peu amènes qui règnent là-bas, au loin, dans le fond), viennent passer leurs dernières heures. Et oui, j’énonce non un reproche mais un fait : votre fils est… bruyant. Ceci dit, en fonction du temps que vous comptez passer dans mon établissement, je peux vous confier un puzzle. J’ai dit confier. Vous vous engagez à me le rendre dans le même état ? Sans voler de pièce ?
Le gosse dit : oui maman. Les parents bêlent : oh ! moins d’une heure.
Je vais chercher l’un des puzzles hérités du tonton, qu’il devait inventer et fabriquer secrètement, l’écho de ce passe-temps ne m’étant jamais parvenu. Le thème en est obsessionnel : une toile d’araignée. Des photos de toiles d’araignée. L’un des plus déments, mais non le plus difficile, représente le puzzle incomplet et partiellement fautif d’une toile d’araignée, avec, étalées au centre, les pièces restantes.…
-ça a quel âge ?
-J’ai cinq ans
.-Et ça parle… ! Pour un peu, ça se prendrait même pour un homme à part entière… Une pièce de collection. Du fait-main. De l’art !

Et je les plante là. Du coin de l’œil, mine de rien, je m’amuse. Bien sûr, le puzzle est trop compliqué pour leur rejeton. Mais comme le petit prodige s’impatiente, papa donne un coup de main, enfin, essaye… Il hausse les épaules, penaud, quête le soutien de sa femme absorbée par son chocolat qui fut chaud. Elle y viendra, pourtant. Mais le puzzle est presque trop compliqué pour elle aussi, et le temps passe… ils ont gardé leur mouflet tout le long, et ça, c’est une réussite.
Du sens, c’est ce qu’on cherche tous.
Le sens et la connivence… Mais, la plupart du temps, il y a des pièces manquantes, que l’on cherche, tout en se disant que c’est peut-être une chance, cette absence... On les retrouve, parfois, plus tard, sous un tapis, dans un coin de mémoire, un souvenir suri. L’élucidation n’apporte rien, à part la satisfaction immédiate de l’égo, bien sûr.
Et certains s’en contentent.











Un amour improbable



Il est arrivé vers onze heures, onze heures trente. La pluie et le vent l’accompagnaient. Il les a laissés dehors.
Il est venu directement vers le comptoir, en me regardant. M’a réclamé un noir, m’en a proposé un. Un homme direct, décidé. Tendu.
Je lui ai répondu que je n’en buvais jamais. J’ai regardé l’horloge. Je pouvais accepter une bière.
Il a souri des lèvres. Je nous ai servis.

- Voilà. Je risque fort de passer ma journée dans votre établissement. J’attends quelqu’un. Quelqu’une. Entre midi et minuit, ici, aujourd’hui. Je ne vais pas camper au bar en permanence, n’est-ce pas ? Je pourrais prendre cette table là, et consommer avec une certaine modération et croquer l’un de vos éventuels sandwiches.
- A une condition.
Il a arqué un sourcil surpris.
- Oui ?
- Que vous me racontiez votre histoire.
- C’est que…
- Je vous avoue tout : j’écris. Et je sens en vous un récit. Ne me décevez pas.

Il m‘a observé, intrigué. Une bonne quarantaine. Pas loin des cinquante, peut-être. Ligne impeccable. Pas de bouée. Un corps fin et sec de trentenaire surplombé d’une vieille tête. Pas ridée, non, ou peu, mais vieillie, revenue, nue, aurait-on dit, s’il n’y avait eu cette fébrilité mal tenue en laisse, qui tentait de déborder de ses yeux.

Max… Voici deux ans, j’ai quitté la France où rien ne me retenait, pour la Polynésie Française. Je suis prof de maths et j’ai été nommé au collège de F*** sur l’île de Raiatea.
- Rien ne vous retenait… ?
- Si vous me coupez, ça promet d’être long. J’avais chois l’ellipse…
L’avant importe peu. Ou trop. Un chaos. Un désert. Pas d’enfant. Pas de port. Pas de niche. Pas de chien. Un peu d’argent. Rien qui mérite d’être rapporté ici. Des ruines fumant sous un ciel gris.
Vous en voulez davantage ? Enfant d’expatriés, de garnison en garnison, Koumac, Djibouti, Les Marquises… De vagues études de biologie… des petits boulots… un certain temps employé en Calédonie, dans l’agronomie, je me suis formé sur le tas et par correspondance… puis maître-auxiliaire en France, puis titularisé, puis…

Pour en revenir à Raiatea. Je m’y suis rapidement ennuyé, disons-le net. La vie y était bon-enfant, sans doute, et la paye généreuse… mais voilà, je n’en avais pourtant pas pour mon argent. Le lagon s’était avéré mort, les coraux éteints, le poisson rare. Les marches, impossibles, en raison du relief et de l’absence de vallées. Le travail, éreintant, avec des élèves fiu et sans intérêt pour cette école de Popa’as. Quant aux autochtones, ils pratiquaient avec un raffinement bonhomme la technique de l’évitement.
Les couleurs étaient belles, oui. Et je m’ennuyais ferme sur cette carte postale que les locaux aimaient à qualifier de petit paradis…
Sans doute, sans doute ce long temps vain, ce passé cendreux ont-ils joué un rôle dans mon soudain et improbable ravissement.
Car, un jour, j’ai rencontré Nahei.
Nahei…
Une liane, ma liane, lascive, languide.
Une peau d’ambre tiède.
Un visage légèrement caprin, une lointaine ascendance royale égyptienne, akhénatonienne ?
Un long cou, un long corps, elle mesure près d’un mètre quatre-vingt. Un buste interminable d’une minceur sportive, enflé de deux seins respectables, s’effaçant en une taille si fine que j’en sentais une démangeaison dans les mains.
Et puis des hanches, des hanches qui, au premier regard, semblaient presque trop féminines pour ce corps juvénile, des hanches comme des promesses.
Et puis ses jambes, interminables, nues sous le bermuda un peu lâche, ses jambes élancées et galbées, et son pas, son pas lent, relâché, vahiné.
Et son regard, légèrement apeuré, une biche.
Mon regard qui glisse aussi, sur ses seins, elle s’est assise, elle est un peu penchée et j’ai une envie obsessionnelle d’elle. Je délire. Je la veux. Là. La tête me tourne. Rien à faire, un siphon, qui m’aspire. Oh ! je veux sentir sa peau sous ma main, en compter les grains. Je veux… oh ! ses yeux ! mon dieu ! ces amandes, ces plages noires bordées de longs cils, surplombés de sourcils fournis, sans excès.
J’entends « Roonui ».
Je lui réponds que son fils, non son frère, non, elle m’explique que c’est son frère faamu. Elle n’a pas d’enfants, elle, d’ailleurs, elle n’est pas assez vieille pour que Roonui soit son fils. Elle rit. Elle a de grandes dents blanches. Éclatantes. Je serai ton chaperon rouge, tu seras mon loup, ma gazelle.
La sueur me coule le long des tempes. Je n’ai jamais connu ça, vous comprenez, cet ébranlement soudain de toute l’âme. J’en ai les larmes aux yeux.
Je me fous de son frère. Je ne sais pas qui est son frère. J’ignore jusqu’à son existence. D’ailleurs, je ne sais plus très bien non plus qui je suis moi-même. Je reste vague. Je ne me mouille pas. Je bafouille un peu. Je cherche à gagner du temps. A me reprendre… Non ! Je cherche à suspendre le temps ! Mon regard voltige et revoltige et s’enracine et…
Ces sveltes épaules, là, sont charnues, musclées. Pareillement ce cou, mince et gracieux, qui se penche, se redresse. Et ses mains ! Ses mains filiformes, ses doigts fuselés. Une basketteuse.
« Sorcière, je »- Je m’arrête là et je rougis comme un communiant surpris en train de se masturber. Je sais que je suis complètement flou et probablement grotesque mais…
Alors, je cherche quelque chose à dire. Je me relance. « Mademoiselle, excuse-moi, il faut absolument que je te parle. Finis le tour de mes collègues, si ce n’est déjà fait ? Non ? »
« Je n’ai pas vu le prof d’histoire », me murmure-t-elle, sans r, et les mots semblent fondre dans sa bouche, s’adoucir au contact de ses lèvres, de sa langue et elle me présente à nouveau ses grandes dents blanches. J’en oublie la couleur douteuse des miennes. Je lui dévoile mes pauvres crocs transis d’amour.

Oui, bien sûr, vous me voyez en prédateur et elle en agneau, en faon. Mais non ! Sa candeur me désarmait. Sa fraîcheur, sa naïveté, son absence de malice me dénudaient, m’écorchaient jusqu’à l’os. A son contact, le pauvre type blasé retrouvait son âme de petit garçon. J’étais intimidé comme à un premier rendez-vous. Repucelé.
Une fée. Ou plus bêtement le coup de foudre ?

« Dans un quart d’heure ? Sur le parking ? Merci. Merci infiniment. » Elle opine. Elle se lève, elle ne comprend pas, non, ne te tourne pas, mais si, et je la dévore des yeux, ma liane, ondulante, obsédante, nonchalante, cette taille et ces hanches qui balancent et ces fesses, ces fesses, ces fesses ! Je suis en nage.
Une dame moustachue s’affaisse déjà sur le siège en face de moi. Elle est en nage aussi. Même les grosses dames peuvent se faire foudroyer. En l’occurrence, elle devait seulement avoir chaud.
Son fils ? Oui, oui, un ange, absolument, elle avait raison, un bon garçon au fond. Mais bien sûr. Et les injures dont il m’avait gratifié ? Ah ! c’était lui ? Oubliées, oubliées, vous dis-je ! mais si, je vous assure. Il ira loin, votre Tinorua. Et je lève les yeux, entrouvrant le ciel à son brillant rejeton.
Je la remercie. La félicite. Me lève. Lui serre la main, range mes affaires, et profite d’une accalmie pour filer vers le parking.
Elle est là.


Je l’invite à prendre un verre quelque part, elle hésite… Tu crois ? Qu’est-ce que les gens vont penser de toi ?
De moi ? Elle se demandait ce que les gens penseraient de moi ? Eh bien ! ils verraient un homme heureux et qu’importe ce qu’ils en penseraient !
Bon, alors, à l’Hawaïki Nui ? C’est l’endroit le plus discret, à cette heure.
C’était le plus chic aussi et je la soupçonnais, (en moi-même et…) en riant, d’avoir cédé à cette envie-là plutôt qu’à un souci de discrétion altruiste !
Nous buvons deux bières, mangeons les cacahuètes, sur un fond d’Orange Blossom. Je suis sous le charme. Je ne sais pas ce que je dis. On prend rendez-vous pour le lendemain, soir, elle insiste, chez moi.
Je vous épargne les détails triviaux comme l’achat, in extremis, de préservatifs… Elle me plaisait. Je la voulais. J’étais sous le charme, hypnotisé, mais je cherchais, quand même, à rationaliser… Je me disais que, peut-être, que sans doute, enfin… Que, comment dire, vu de son côté, mes atouts n’étaient guère que mon statut de Popa’a, mon salaire indexé… ma parole facile, peut-être ? Car, quoi, vous me voyez : ni beau ni laid, la quarantaine sonnée…


Et Nahei est arrivée, à pied, sitôt la nuit tombée.
Je l’attendais sur ma terrasse, elle a choisi d’entrer, j’avais mis Groover Washington, elle est allée s’asseoir sur mon modeste et inconfortable canapé. Le repas mijotait. Elle a croisé ses longues jambes. Je nous ai servi un whisky. Nous nous sommes embrassés…
Et rien de plus, de toute la soirée. Si ce n’est réitérés, le même bonheur, la même intensité.

On s’est revu. De plus en plus souvent. Des rendez-vous de chouette, par peur du qu’en-dira-t-on, disait-elle. Il lui fallait longer une ruelle, bordée de maisons, hérissée d’yeux et bavant de langues vipérines…
J’avais beau lui certifier qu’ils étaient tous mormons, gens qui ne fument, ne boivent ni alcool, ni thé, ni café, vont à la messe, lisent la Bible et ne médisent pas- d’ailleurs, plusieurs étaient mutoi !
- Étaient quoi ?
- Policiers municipaux. Elle s’en tenait à ses horaires.
Je n’allais pas faire un scandale pour des peccadilles alors que je venais de toucher le gros lot !

Je l’ai coupé à ce moment-là. Il m’avait bien appâté avec sa Nahei, mais ça faisait un moment qu’il tournait autour du pot… Comme dit la jeune mariée le soir de ses noces.
- Je vous offre un sandwich et une bière. Je vous laisse un moment. Le travail… Des choses personnelles… Et vous reprenez le fil de votre belle histoire, Max, d’accord ?

- Je vous écoute ! Excusez-moi si j’ai été un peu long…
- On se voyait régulièrement, bisous, guère plus, interdit de toucher vers la ceinture ! Je retombais en pleine adolescence. Je trouvais ses seins fermes, très fermes. Je lui en fis la remarque. Elle me dit qu’elle avait des implants. C’est sa tante de Tahiti, Tehea, qui lui avait payé l’opération.
Je finis par avoir droit à la vue des seins, superbes. Le chirurgien avait fait du beau travail, léger, sans oublier la ligne d’ensemble de son sujet.

Nous passions souvent nos week-ends sur Tahiti, feignant, à l’aéroport, de ne pas nous connaître et poussant, à sa demande, la discrétion jusqu’à ne pas nous asseoir côte à côte.
Bien sûr tout était magnifié, enchanté. Cette île qui m’avait laissé, jusque là, sur ma faim, me révélait d’autres facettes de sa personnalité. Nous allions dans sa famille. Nous y mangions. Nous sortions en mer avec l’un ou l’autre… Elle était protestante. J’allais à l’office, pour partager ce moment avec elle et découvris ainsi la grâce les himenes et vis les dames dans leurs plus beaux et sages atours.


Et, malgré l’absence de sexe, à quelques gâteries qu’elle me concédait près, et sans souffrir la moindre réciprocité, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Seulement voilà. Mon contrat arrivait à son terme. J’aurais pu le renouveler, avant de connaître Nahei, mais je ne l’avais pas souhaité, vu le peu d’intérêt, autre que financier, de ma vie à R***. Oui, je l’ai déjà dit…
J’ai songé à démissionner. Mais quoi ? Je serais devenu un « touriste de bananes » ? Je ne me sentais pas l’étoffe d’un Robinson vivant du fa’apu et de la pêche. Et je ne pouvais pas offrir ça à Nahei.
J’ai tenté de vaines et épuisantes démarches. J’ai proposé le mariage à Nahei qui m’a répondu vaguement, plus tard, qu’elle ne pouvait pas, pour le moment… Je me suis syndiqué pour l’occasion. Peine perdue. J’allais rentrer en métropole. La date approchait. J’étais désespéré.
Enfin, j’osai demander à Nahei, qui ne soufflait mot, si elle était prête à me suivre, à aller vivre dans le Fenua farani dont elle ignorait tout, du vouvoiement jusqu’à la neige et aux feuilles d’automne.
Nous avons discuté une nuit entière et… Bon. Elle passerait trois mois en France, puis retournerait dans sa famille pour trois autres mois. Je lui enverrai alors un billet d’avion, aller simple, signe que je souhaitais sa venue. Elle le prendrait ou pas. Elle me rejoindrait, ou pas, ici, entre douze heures et minuit.
Voilà, c’est tout, ou presque.

Sa voix s’était étranglée, sur la fin de ce récit, fin qu’il avait, me semblait-il, un peu bâclée. Je le poussai dans ses retranchements.

- Ou presque … ?
- Je pensais que vous aviez compris.
- Quoi ?
- Que Nahei était venue en France pour se faire opérer. Qu’elle était repartie pour… et que moi…
- Attendez, je ne vous suis pas.
- Nahei est née homme.
- …
- Oh ! ne vous méprenez pas, je suis hétéro jusqu’au bout des ongles. Et… mais vous la verrez, je l’espère, et alors vous comprendrez…

Il a repris, plus distant : des rae-rae, vous savez, j’en avais vu pas mal. Certains sont risibles, boudinés dans des jupes ou des robes trop étroites, la barbe bleue, les biceps puissants saillant… D’autres, plus mignons, sur-jouent la femme, bruyants, maniérés… Mais Nahei…
Un prénom neutre…
Elle ne voulait pas qu’on s’affiche ensemble… Pour me préserver des quolibets ? Pour repousser le moment où je découvrirais…
Voilà, vous savez tout.
Mais nous ne savons rien, tant que je l’attendrai.




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Message  Ba Mer 28 Mai 2014 - 7:40

Voilà des écrits impossibles à lire à la "roulette" de la diagonale ;-).
Peut-être qu'un texte à la fois permettrait d'en savourer la substantifique ?...
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Message  jfmoods Mer 28 Mai 2014 - 7:43

Je plussoie. On ne saurait mieux s'y prendre pour ne jamais être lu.
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Message  joe-joe Mer 28 Mai 2014 - 7:53

Ne pas être lu semble en effet une constante pour ce que je propose ici. L'ensemble (poésie) "portraits et tableaux" a déjà connu le même sort. Je ne dois pas être formaté pour ve.
M'étonne que vous en perceviez la cause comme étant mienne. N'est-ce pas plutôt votre réception qui est en jeu (ou aussi en jeu ?) ?

Il s'agit non d'une série de nouvelles sans lien, mais, cela se dessine peu à peu, bel et bien d'un ensemble aux liens entrecroisés.

Je ne vois pas bien comment procéder autrement, d'autant que l'idée de "tout", constitué sur une base de puzzle me semble prioritaire.
Quand vous lisez un roman, vous n'en lisez qu'un chapitre à la fois ?
Merci, toutefois, d'avoir exprimé à haute voix ce rejet de lecture.
Bonne journée.

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Message  So-Back Mer 28 Mai 2014 - 8:48

c'est long mais c'est bon
tu vois tout n'est pas perdu

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Message  Ba Mer 28 Mai 2014 - 9:13

Juste pour faire remonter le " débat " autour de l'éternel sens de nos productions : oui, je lis un chapitre à la fois même si j'ai tenté d'avaler certaines œuvres d'un coup sans bien mâcher ;-)
Voilà, cela permettra aux lecteurs de VE de venir ou non commenter votre production, au demeurant intéressante mais par trop classique pour moi.
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Message  Madeleine Adèle Mer 28 Mai 2014 - 9:19

C'est long en effet. Il faut un certain temps pour tout lire. Je suis pas encore allée jusqu'au bout.
Pour autant la richesse des mots, l'ambiance créee, les sentiments dévoilés par morceau sont très bons.
Tout n'est pas perdu. Loin de là.
Je me suis vue à Marrakech, je me suis vue dans ce troquet cotôyer toutes ces âmes décrites ...
Sincèrement, c'est bien !
La 'morte' me parle (mais là c'est du perso ;))
Je finirai la lecture bien évidemment et reviendrai surement pour d'autres commentaires plus 'poussés' dirons-nous !

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Message  joe-joe Mer 28 Mai 2014 - 9:24

Ba a écrit:Juste pour faire remonter le " débat " autour de l'éternel sens de nos productions : oui, je lis un chapitre à la fois même si j'ai tenté d'avaler certaines œuvres d'un coup sans bien mâcher ;-)
Voilà, cela permettra aux lecteurs de VE de venir ou non commenter votre production, au demeurant intéressante mais par trop classique pour moi.

Je ne comprends rien à votre deuxième phrase. "Voilà" ? Voilà quoi ?

Pourriez-vous me dire, au moins, en quoi cela vous paraît "par trop classique" ?

Merci, mamzelle et so-back.

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Message  joe-joe Mer 28 Mai 2014 - 17:49

La belle Hélène

Elle est tapie l'amère veilleuse
les yeux petits la patte soyeuse
l'âme goulue comme sirène
Tisse sa toile et puis attend
au labyrinthe toujours se prennent
l'homme et l'insecte pareillement

Melville Burns




Il a hélé Max, d’une voix habituée au commandement. Un homme trapu, dans la soixantaine, avec ce teint qui désigne à coup sûr le vieux colonial. Il avait demandé un café, un croissant, lu la note, cherché la monnaie, ouvert son canard de droite. Je l’avais abandonné en train de le feuilleter non loin de la jolie petite brune au cendrier. Et le voilà qui intervenait alors même que le téléphone sonnait…

Il l’a entraîné vers une table libre, son café d’une main, l’épaule de Max de l’autre. Et ils m’ont échappé.




L’amour, vous n’y connaissez rien ! Moi non plus, d’ailleurs. Mais vous me faites rigoler. Allez, approchez, il pleut si fort, de toute façon, que nous serons lavés de tous nos pêchés.
Je vais vous parler d’elle, à vous, oui, et de moi. Et sitôt mon histoire finie, je dégage. Pigé ?
Pourquoi vous ? Parce que je vous ai écouté. Voilà pourquoi. Et que c’était foutrement plus intéressant que les sempiternelles conneries de vos torchons ! (Il avait replié le sien et en frappait sporadiquement la table qui n’en pouvait mais.) Vous racontez bien. Certes.
J’ai l’esprit large, rien ne me choque, non, non, si ce n’est votre romantisme à deux balles ! Et le mot « amour », en tapinois, à chaque coin de phrase. Brrrr !

Vous dégouliniez d’un amour bêlant… Non, ne vous fâchez-pas !
Moi, ai-je jamais aimé ? L'ai-je jamais aimée ? Je n'en conserve pas le souvenir, mais qui s'imagine encore que le souvenir s'apparente à la conserve ? La mémoire n'est pas du temps en boîte.
M'aima-t-elle ? En dépit -ou à cause ? -de ses serments, j'en doutai vite. Mais, (il y a toujours un mais dans une histoire d'amour, mieux : ce mais est l'œil même du cyclone, l'axe vertical, chute ou ascension, puits ou cheminée, canal par lequel, tôt ou tard, l'amour devra s'éprouver), mais disons-le vite et net : amour vrai ou amour singé, de pure apparence, le plus commun sans doute, cela ne change rien. Que dalle !
Mêmes regards langoureux, mêmes étreintes, mêmes promesses, mêmes brouilles, mêmes mots doux susurrés, mêmes râles sur l'oreiller... Non, rien ne les distingue. Et je crois que les protagonistes de ces amours-là, au fond d'eux, s'ils ont un fond, s'ils ne sont pas gens de pure surface, se mentent, se taisent, ensevelissent la vérité sous un amoncellement de gestes, de signes, d'habitudes...

On parle, aussi, parfois, de la peur de la solitude... On se lève, tôt généralement, on s'en va au boulot. On s'en revient au soir, affadi de fatigue et d'ennui, on allume le poste, on se visse devant, on mange avec Charlotte, Simone, Aimée qui fut une Dulcinée, on se couche, on s'attouche... et la vie passe, sans ces heurts que l'on redoute. Sans angoisse, surtout, car, à tout prix, c'est elle que l'on chasse, que l'on écrase sous son talon, que l'on camoufle, que l'on farde... « Jaam rek »… Bien sûr, elle est là toujours, tout près, en planque, dans le recoin ombreux de la salle à manger, dans la nuit grise ou blanche de la chambre à coucher, distillant son venin dans les moindres méandres, tortueux et serpentins, de la pensée.
On la fuit, l'angoisse. On l'étrangle. On la bâillonne de soucis sitôt qu'elle revendique le droit à l'expression. On la tutoie parfois, pour mieux la rudoyer, la renvoyer à ce demain que l'horizon pourchasse... Mais elle résiste, persiste, virtuelle, et le plus endormi, le plus engourdi de nous tous l'entr'aperçoit encore.
Ce long préambule... En forme d'excuse... de bouclier... de mensonge... Vous voyez, au fond, on se ressemble, vous et moi.
La crainte d'être seul, de devoir affronter l'angoisse face à face, de la fixer, sans ciller, cette crainte, dans mon cas, a bon dos. L'orgueil se cache derrière. Comprenez, je l'avais choisie ma Béatrix, je ne pouvais m'être trompé. Et pourtant, à l'évidence, ce n'est qu'au terme d'efforts, de ruses, de triches et de retouches que je parvenais à superposer la réalité au rêve, décalcomanie délavée collée approximativement sur son modèle.
Non, ce n'était pas là, pas ça, l'amour rêvé. Mais c'était mon amour. Le mien. Celui que j'avais voulu, choisi, revendiqué. Et je m'y entêtais, coûte que coûte, vaille que vaille.
Il me fallait pourtant dépenser chaque jour une énergie plus exorbitante pour y croire. Notre vie de couple me minait, m'absorbait comme une éponge en permanence desséchée, un cœur déshydraté, qu'il fallait à tout instant alimenter, gaver de sang frais, de valium et de berceuses. Tout en me bétonnant de phrases creuses et protectrices, de propos mensongers sur des demains enchanteurs, j'abandonnais un à un mes projets, usais mes forces et vaporisais ma trop maigre volonté‚.
Combien de fois, la nuit tombée, alors qu'elle ronflait tranquillement, enveloppée dans les draps, blottie, recroquevillée, enfantine, angélique, combien de fois me suis-je levé en silence pour gagner mon réduit : un vulgaire placard d'un mètre trente sur deux dans lequel j'avais aménagé ce que je nommais pompeusement un bureau. Là, les mains pressant les tempes, je demeurais des heures le nez collé à la feuille blanche. S'il m'arrivait d'inscrire quelques mots, quelques phrases, la lucidité revenue avec le petit jour, je chiffonnais la feuille, mon avenir et moi avec.
Le matin, elle dormait. Elle dormait souvent, beaucoup. Il n'était pas rare qu'une journée entamée vers onze heures du matin soit entrecoupée de siestes. Elle se couchait tôt. Pour être franc, je ne lui connaissais alors aucun vice, aucun défaut, si ce n'est, mère de tous les pêchés : l'oisiveté, mais, dans son cas, me semblait-il, mère aux trompes bouchées, incapable d'engendrer, et son être se lovait, se pelotonnait, dans cette espèce de tiédeur ensommeillée, d'ordinaire apanage des très jeunes enfants.
De quel droit lui aurais-je jeté la pierre ? Et pourquoi aurais-je tenté de l'extirper de son sommeil, moi qui m'engonçais au creux, moelleux, de la paresse, de la somnolence.
Je buvais. Beaucoup. Le soir, uniquement. Souvent je me jetais sur le lit, tête et jambes molles, avide de silence, de vacuité, d'oubli.

Je découvris qu'elle me mentait. Qu'elle inventait de petites fables alambiquées, des contes qu'elle ne savait mener à terme... Qu'elle était prévisible ! Je la voyais, petite araignée, tisser sa toile et s'y engluer, s'y empêtrer, refuser de l'avouer, et, confiante dans le seul et hypnotique pouvoir de son charme, elle me fixait de ses yeux de biche en chaleur, ses yeux gluants de promesses ("viens, petit insecte, viens, je serai gentille, viens donc, que je te mange... Mes grands yeux ? C’est pour mieux t'enlacer, viens petit moucheron, viens, là encore plus près... ") et moi, malgré moi muet, humide, je feignais de la croire, ma Circé des trottoirs.
Les années glissant sur la vaseline de la monotonie, nous eûmes trente ans. Je végétais comme gardien de nuit dans un hôtel du centre-ville. Elle travaillait de temps à autre dans un restaurant. Nous joignions à grand peine les deux bouts... Écrivant aujourd'hui ces mots, l'envie me prend de les rapprocher de ces fragments de vers verlainiens : « Ah ! le bonheur indicible quand nous joignions nos bouches. / C'est possible ». Et nos bouches, en effet, ne se joignaient plus guère. Notre vie sexuelle avait viré progressivement à la bestialité. De tendresse, il n'en était plus question. Nous copulions furieusement, en proie aux seules injonctions des sens. Les mots les plus crus émaillaient ces relations ; ils en devinrent le nerf, le centre. Nous émergions éreintés, le souffle court, en nage, et regagnions chacun notre moitié de lit en prenant garde à ne pas violer le territoire de l'autre.
En dehors de ces contacts, nocturnes et de plus en plus espacés, nous ne nous adressions plus guère la parole. Nous sortions davantage, mais séparément. Elle avec ses amis, et moi seul. J'arpentais désormais fréquemment, au petit jour, les trottoirs de la ville. Somnambule équilibriste, je déambulais à travers les artères, les veines, les veinules de la ville endormie, parlant volontiers avec des inconnus, pochards, étudiants bringueurs, vieilles putes aux chevilles enflées, chats de gouttière aux yeux de sphinx, ombres diverses et ambiguës... Il m'arrivait, l'espace d'une heure ou d'une minute, d'un rêve, de renouer avec la vie. Je leur racontais les livres que j'écrirai, les idées que j'aurais pu avoir, le bonheur qui m'attendait. Le monde m’apparaissait alors comme un puzzle qu’il suffisait de reconstituer en s’armant de patience et de volonté… Et je manquais de la deuxième denrée… D'autres fois, quand le vin me piquait l'âme de tristesse, je sanglotais sur mon épaule et murmurais à mon oreille comme faucon au fauconnier, et maudissais tout à la fois l'acharnement néfaste du sort, ma veulerie, mes erreurs.
Presque par hasard, tant le détachement me caractérisait alors, c’est au bout de plusieurs années de vie commune que je compris que, depuis les premiers jours, voire : avant !, elle me trompait. Elle avait déployé à cette fin une adresse considérable dont je ne la croyais pas capable.
Je dus alors admettre qu'elle montrait un talent indubitable pour la malice, la dissimulation. Les filets grossiers de la petite araignée en cachaient d'autres, plus fins, plus subtils.

Je cessais de m'aimer. Je me laissais aller et n'allais plus nulle part. Au gré du courant, au fil de l'eau comme on dit au fil de l'épée, on ne va guère que vers l'effacement et la mort.
J'appris à renoncer. Douloureusement, puis voluptueusement. Car il y a une joie, fleur du mal probablement, à s'enterrer, se ternir, se salir, à déchoir. Le plaisir trouble de sombrer : qui ne l'a jamais goûté ?
Je jouissais de ma déchéance, m'en délectais. Elle était ma compagne, ma pâture, mon exclusif aliment spirituel. Ma drogue. Je ressemblais à un gréviste de la faim dont l'organisme pratique l'auto-combustion : je me dévorais. Ange déchu, je jetais par-dessus bord les souvenirs qui me tenaient à cœur, ces bouées de la mémoire qui m'empêchaient de sombrer pour de bon, corps et âme, je leur crachais au visage, les lestais de ma haine ; ils coulaient, suintaient, crevaient.
Ces zones ultimes de pureté‚ qui subsistaient- il en reste toujours !- je m'acharnais à les violer, les profaner. Cet autre-là n'avait plus place en moi. Il me gênait. Me suspectait de son regard gonflé de bonne conscience. A défaut de le tuer, tâche impossible-(j'ai toujours considéré le suicide comme une escroquerie)-je devais le réduire au silence. Je le couvris d'injures. De ricanements, de fiel. D'alcool et de douleur.
Quand que je découvris qu'elle avait des amants, mes cornes me furent une parure supplémentaire. Un emblème ! Je les portais avec cet orgueil à l'envers qui désormais me caractérisait. Je lui fis pourtant des scènes, retrouvant des accents attendris et attendrissants, capables de fendre son cœur de génisse. Petit cœur qu'un rien émouvait. Petit cœur que l'annonce de cent morts, au Chili ou au Sierra Leone suffisait à gonfler tant et si bien qu'il se déversait en un torrent de larmes. Petit cœur de lectrice (potentielle, je ne l'ai jamais vu faire) de romans Harlequins.
Peine perdue, je ne trouvais pas la clef pour percer ses défenses. Elle demeura de glace, de marbre, un sourire narquois, vainqueur et laid fissurant ce visage qui m'avait semblé si beau et sur lequel je lisais avec trop de précision désormais le reflet de mes propres lâchetés. Je la haïssais déjà mais sans oser le dire ou le penser. Je la haïssais, elle, comme j'aurais dû me haïr, moi, si le courage ne m'en avait fait défaut.
Simultanément je ne parvenais à me dépêtrer d'un sentiment de pitié à son égard. Pauvre fille, me répétais-je, que lui avais-je donné ? Rien, ou si peu. Je la traitais comme un gros matou ronfleur qui ne réclame que sa pâtée et une caisse de sciure propre où faire ses besoins. Qu'elle n’ait eu probablement pas d'autre désir profond ne changeait rien à l'affaire. Elle s'ennuyait. Je l'ennuyais aussi. Elle avait donc pris des amants comme on se gave de sucreries. Quoi de plus naturel, somme toute, et qu'avais-je à redire ? Elle devait, entre leurs bras pressés, chercher ce réconfort, cette oreille, même inattentive, que je trouvais quant à moi dans mes discussions nocturnes, et cet engourdissement de l'esprit et des sens que l'alcool me procurait.
Oui, mais elle me trompait depuis le début. Cela me gêna quelque temps et puis je m'habituai. Ne professais-je pas que rien n'était sacré, tout tromperie, coup de Jarnac, chausse-trappe, piège à rats, combine, truquerie et illusion. J'étais conforté dans mon système, reclus dans mon château inexpugnable.
Il eut suffi, peut-être, d'une relation vraie, d'une rencontre honnête, d'un dialogue véritable pour que je sorte de mon camp retranché, que je jette les armes amères du ressassement, que je renoue avec la simplicité‚ le rire frais, l'amitié. Dans l'état où j'étais, cette solution relevait de la chimère. Un saint eût-il tenté de me sauver, je ne l'aurais ni reconnu ni entendu. J'étais sourd, aveugle, inaccessible. Des saints, il y en eut peut-être, je ne sais pas. Je n'écoutais pas. Entre nous, s’il y en a, ils sont discrets.

Une nuit de printemps, l'un des quelconques printemps de ces années-là qui ne constituent pour moi qu'un bloc, monolithique et gris, couleur cendre, elle tenta de se suicider et réussit assez joliment à se rater. Je découvris la cause : la rupture avec l'amant du moment. J'appelai l'hôpital où on l'avait conduite, en mon absence, sur la demande du dit amant auquel elle avait téléphoné-on me dit de ne pas m'inquiéter. Je ne m'inquiétais pas.
Je passai la voir, deux jours plus tard et organisai avec elle le processus de son retour à la maison. Je ne lui adressai aucun reproche, aucun sermon, je ne m'apitoyai pas non plus sur son sort ; je devenais d'une indifférence absolue qui, je le crois maintenant, la blessa peut-être, pour le moins la conforta dans ses attitudes.
Je ne comptais dés lors plus du tout pour elle et elle ne songeait plus à sauvegarder les apparences. Était venu le temps des injures et du mépris... « Pauvre mec! Minable ! Raté ! Connard ! »... j'eus droit à ces épithètes, peu louangeuses mais marquées au coin du bon sens, ainsi qu'à d'autres, volontairement plus basses, probablement plus efficaces aussi, quoi que non fondées, tant notre amour-propre se situe le plus souvent en dessous de la ceinture.
Je croisai par hasard, par un petit matin abstinent, une relation d'enfance engagée dans l'enseignement et la religion réunis, qui, devant un café et après la longue évocation de ses maigres souvenirs d’écolier, me proposa un poste d'assistant dans un établissement de sa congrégation, à l'étranger. J'acceptai sur-le-champ. Certes, le salaire s'avérait des plus minces, mais la possibilité d'une fuite salutaire balaya jusqu'au soupçon d'une réserve. Et, qui sait ? Peut-être trouverais-je ailleurs ce que j'avais renoncé à chercher ici.
Je partis seul. Elle devait me rejoindre, plus tard, quand je lui aurai envoyé l'argent du billet. Il n'y eut jamais d’argent. Il n’y eut jamais de plus tard.
Je lui abandonnais mes maigres affaires, n'emportant que les poèmes de mon adolescence que je n'avais pu me résigner à brûler et que je relisais encore, parfois, en ricanant, les soirs de biture particulièrement sévère.
Je ne la revis pas. Souvent, je pensais à elle, me demandant ce qu'elle devenait et deviendrait, certain que nul ne consentirait comme je l'avais fait, à s'occuper d'elle, à lui préparer sa pâtée et lui changer sa sciure. Je me la représentais prématurément vieillie, défraîchie, les seins pendants comme des nageoires le long de son corps flasque, la cigarette aux lèvres, bouffie de mauvaise graisse, les yeux pochés, noircis, le teint verdâtre, égarée, perdue, transie.
Je savais qu'il lui fallait la tranquillité d'un amour sans faille, même feint, même joué, même faux. Et je savais aussi qu'on ne le lui donnerait pas.
Le remord me réveillait au milieu de la nuit, en sueur. M'apitoyer sur son sort, probablement, favorisait ma guérison, me ragaillardissait ; l'homme est ainsi fait que le malheur d'autrui lui sert de béquille, de prétexte pour ne pas se laisser pourrir, mourir.
L'exotisme ne transforma pas mon existence comme par miracle. Simplement, je m'habituais à une vie réglée, orchestrée, minutée, frugale. Je déblatérais d'une voix morne des fadaises consciencieuses sur les auteurs au programme, débitais mes leçons de grammaire, déjeunais à la cantine, souriais humblement au Père directeur, rentrais dans le moule, le troupeau dont je n'aurais jamais dû m'évader.
J'entretins négligemment des relations, purement physiques, pas toujours hygiéniques, avec certaines de mes collègues, mariées ou non. Tout cela m'était indifférent.
Je cessais de boire. Je m'adonnais deux fois par semaine au plaisir collectif du volley-ball. Je me retapais.

L'école fut contrainte, les effectifs s'amenuisant, pour cause de concurrence publique et déloyale, de se séparer de certains de ses collaborateurs. Mon nom s'inscrivit en premier sur la liste. On me remercia gentiment. On m'octroya même une petite prime, pour voir venir, pour mes bons et loyaux services... Il y eut un verre de l'amitié‚ une modeste collecte... quelques chastes baisers, des poignées de mains... Je quittai l'Afrique dont je n'avais rien vu et revins en France… où personne ne m’attendait. Mes parents étaient décédés, je n'entretenais plus de relation avec le reste de la famille ; d'amis, je n'en conservais pas non plus. Quelques connaissances auraient accepté‚ peut-être et tout au plus, de m'héberger un jour ou deux.
Muni d'une lettre de recommandation des bons pères, j'allais frapper aux portes de l'enseignement privé. "Nous n'avons pas de poste à pourvoir, hélas, pour le moment, mais, quand même, laissez-nous votre adresse, votre cévé‚ on ne sait jamais. "Je laissai.
Une semaine plus tard, une réponse se frayait un chemin jusqu'à l'hôtel, classe fauché, qui m'abritait. Une institution d'une petite ville de Normandie se déclarait prête à m'engager à condition que je sois libre immédiatement. Je l'étais.
J'enfournai mon bien dans ma valise, dévalai quatre à quatre les trois étages me séparant du rez-de-chaussée, payai la note à la femme à barbe de service, appelai un taxi, filai vers la gare Montparnasse, pris un aller simple, nous hissai, mon baluchon et moi, et m'endormis illico, le visage recouvert d'un masque de la plus pure sérénité : on m'offrait la respectabilité‚ tarifée d'un enseignant de campagne et, ce qui comptait le plus pour moi, la paix vaine d'un esprit en vacance.
Je recommençai donc à vaticiner à propos de Molière, Jean-Baptiste de son petit nom, à peaufiner des exercices grammaticaux d'une stérilité éprouvée ... Je participais sans état d'âme à la vaste entreprise de lobotomisation qui caractérise notre système éducatif.
On me payait pour ça. Mal, j'en conviens, mais cela satisfaisait amplement la modestie de mes besoins. Je n'avais plus de vices, je ne "sortais" pas et mes seules dépenses consistaient en l'achat de livres.
J'obtins rapidement une réputation d'homme sévère et intègre sans beaucoup d'esprit ni d'originalité‚ et j'entendis une fois ou l'autre de braves femmes certifiant que je devais cacher par devers moi un grand chagrin d'amour. J'en ris. Pour ne pas en pleurer.
Ma qualité d'étranger, de "horsain", m'épargnait la sympathie de la population locale. Je lui en savais gré.
Je ne sortais guère du meublé que me louait, à un prix raisonnable, une délicieuse septuagénaire. Je ronronnais au coin de l'âtre, unique richesse de mon chez-moi. J'observais des heures durant les flammes lécher la conduite de la cheminée, les braises consumer les bûches ; la fumée et la mythologie hypnotique du feu me berçaient chaudement.
Il me fallut deux ans de cette vie-là pour qu'un matin me revienne la joie. C'était un matin clair de juin, un mardi, je ne prenais mes cours qu'à dix heures. Le soleil brillait. Le ciel d'un bleu limpide hébergeait les ébats virevoltants des hirondelles auxquels se mêlaient, de temps à autre, le vol entre coupé de rires d'une mouette.
J'aperçus tout cela de mon lit, par la fenêtre ouverte. Je souris, en retour, à la vie qui venait de me reprendre sans prévenir. Je me sentais neuf, fraîchement éclos, vierge. L'impression de nouveauté écrasait toutes les autres. C'était le premier matin et j'étais le premier homme.
Je me levai, enfilai mes vêtements à la va-vite et, sans prendre la peine de me raser, de me coiffer autrement que d'un geste de la main, je dégringolai l'escalier, saluai au passage ma logeuse d'un sourire radieux et, la porte une fois ouverte, plongeai vers la lumière. Les pavés du trottoir étincelaient. La grâce imprégnait l'air, quasi palpable, les visages des passants la reflétaient. Des cloches sonnèrent... J'étais au bord de la transe mystique, j'avançais, je crois, sur la pointe des pieds, pour m'approcher du ciel, je tendis même, il me semble, mes mains jointes vers les nues.
Je m'assis à la première terrasse de café rencontrée, commandai un grand chocolat fumant, deux croissants, allongeai mes jambes et me gorgeai de ce soleil qui me fuyait depuis si longtemps.
Mes élèves ébahis eurent droit au dithyrambe exalté d'une pièce imbuvable de Racine. Je chantonnai dans les couloirs, frappant de stupeur mes collègues qui se jetèrent non sans force murmures dans la fraîcheur de mon sillage avec l'empressement atavique d’oiseaux pêcheurs.
Le directeur m'appela dans son bureau l'après-midi même, sous un prétexte futile, afin, je n'en doutais pas, de constater de visu ma métamorphose. Il n'éprouva cependant pas le besoin de s'en moquer et, à la fin de notre entrevue, me tendit sans façon une main cordiale.
Mon travail achevé‚ vers les quatre heures, je me sentis pris au dépourvu. Que faire de ce temps, vide et blanc qui s'offrait à moi ? Ou, plutôt, que ferait ce temps-là de moi ? Que me réservait-il ? Quelles surprises joyeuses ? Le chant inespéré‚ d'un rossignol, peut-être ? Le clin d'œil d'une fille ? Une goutte de rosée sur le velours d'une fleur ? Peu importait. Tout était bon à prendre. Tout. La Vie était là, simple et fragile, et le bonheur jouait dans le pré !
Je trottinais en sifflotant lorsque deux lourdes mains se posèrent, en une parfaite simultanéité, sur mes épaules. Je me retournai : deux individus, en civil, mais fleurant indiscutablement le commissariat, le flico-judiciaire, m'encadraient.
- Philippe Marcel ?
Oui, leur dis-je, puisque c'était bien moi.
- Veuillez nous suivre sans opposer de résistance.
J'avais beau chercher, je ne voyais pas quelle sorte de résistance j'aurais pu leur opposer, à ces deux malabars au veston bosselé par l'irréfutable présence de l'arme de service.
Je leur emboîtai donc le pas, en toute bonhomie, m'autorisant quand même à questionner : "Que me veut-on ? "
- Vous expliquera au poste.
Ils me poussèrent dans la voiture banalisée, vite, hop, que l'on n'ait pas le temps de s'attrouper surtout, de commenter, de gloser‚ éviter le qu'en dira-t-on, faire propre, net, sans bavure, sans faux-col, en vrais professionnels, nourris de films policiers médine Youhéssaie.
La voiture démarra au quart de poil, je le remarquai à part moi et ajoutai : de cul. Poil de cul. Déjà nous arrivions au poste ; on m'extrayait de l'automobile, on m'encadrait, on pénétrait dans l'établissement, on franchissait quelques portes, traversait des couloirs. Stop.
"Il est là" lança l'un de mes anges (gardiens et gémellaires) à un planton à ventre de baleine, lequel ouvrit une porte et répéta à qui de droit.
Un homme passa la tête par la susdite porte, "faites zentrer !"
Après une fouille méthodique, précise, des fois que j'eusse planqué, en douce, sous mon tricot, mon maillot de peau, un bazooka, un lance-grenades, un fusil à canon scié, l'annuaire des PTT, allez savoir ce qu'ils cherchaient ? mes anges, bredouilles et dépités m'invitèrent à m'asseoir.
Il faisait chaud dans la pièce enfumée, exhalant un mélange peu affriolant de fragrances masculines : tabac froid, tabac chaud, pieds douteux, sueur, quoi d'autre encore ? Le mal, je crois, n'a pas d'odeur.
Le chef m'apostropha sans se perdre en vaines présentations :
- Hier soir, vingt et une heure, où étiez-vous ?
- Je suis sorti pour ma promenade digestive. Comme chaque soir, ou presque.
- Votre... "promenade !" vous a conduit par hasard rue Brémesnil ?
- J'ignore où se situe cette rue, Monsieur le commissaire.
- Faites pas le mariole, Marcel, on vous tient. On vous a vu sortir du 13, hier soir. Avouez, ça nous facilitera la tache, hein, ça rendra les choses plus simples... De toute manière, vous êtes cuit, alors ...
- Mais enfin peut-on me dire ce qu'on me reproche ?
- Une broutille, mon bonhomme, le meurtre de Charles Vannier.
- Connais pas.
- Pour sûr, que tu le connais pas. Pour ça qu'on t'a vu sortir de chez lui hier soir, à l'heure de son assassinat.
- Je vous ferai remarquer que si j'étais sorti de chez ce Monsieur Pannier à l'heure de son assassinat, cela prouverait mon innocence !
-Tu te crois malin, hein, Marcel... Lerue, fais zentrer le témoin.
L'ange sortit... on percevait le son de voix étouffées... Un quinquagénaire chauve nanti d'un groin violacé aux narines béantes entra, tordant et triturant un béret entre ses gros doigts- peut-être pour résister à l'appel des narines ?
- Asseyez-vous.
Il s'assit.
- Vous le reconnaissez, l'individu qu'est là ?
- Oui, Msieu l'commissaire, sauf qu'i portait pas les mêmes habits.
- Vous pourriez en jurer? Attention, c'est grave!
- J'vous dis, Msieu l'commissaire, je vais des fois chercher ma nièce, à l'école Saint Jean Baptiste, je l'ai reconnu tout de suite, le prof, hier soir, même que je me suis dit : qu'est-ce qu'i vient foutre là, çui-là ? Et puis c'matin, quand j'ai appris le meurtre, pis quand vos inspecteurs imondit l'heure, j'ai tout de suite fait le rapprochement, msieu le commissaire.
- C'est bon, je vous remercie... Lerue...
Il s'en fut, le témoin capital. A voir ses grosses pognes pleines de doigts et de sueur qu'il essuyait sur son béret, on aurait juré que c'était lui, le coupable. Je l'ai dit au commissaire. Il n'a pas apprécié ma remarque.
- Te fous pas de nous, Marcel !
Alors ce fut l'interrogatoire, dans les règles, trente-six heures d'affilée... Questions-silence. Questions-silence. Juste mes nom, prénoms, âge, date de naissance, un avocat, s'il vous plaît.
Au bout de ce temps, les policiers découvrirent que nous avions vécu dans la même ville, Charles Vannier et moi. Plus grave : que nous avions fréquenté trois ans durant la même école. Heureusement, pas la même classe, dis-je aux enquêteurs, sinon mon compte était bon et le motif trouvé : il copiait mes devoirs de maths, me piquait mon goûter, ou mes cachous, ou mes billes à la récré.
- Fais pas le mariole, Marcel !
Mais voilà, deux ans d'écart, il était dans la classe au-dessus de la mienne, pas en avance, le Vannier.
Si je l'avais croisé sous un préau, en culottes courtes, glissai-je au commissaire, ça remontait à plus de vingt ans ! Alors, après tout ce temps, lui faire la peau pour une histoire de cachou ! Y'avait de l'abus.
Je cognais dur sur ce clou-là : le mobile, de toutes mes forces, à en rameuter la ville... Il ne m'avait jamais rien fait, le Panier, à part, d'accord, cette fois où il avait triché durant une partie de bille... Je ne savais même pas qu'il existait, alors pourquoi -POURQUOI- je l'aurais tué ? Ce ne serait pas un voleur, plutôt ?
- On n'a rien volé.
Il a peut-être eu peur, le voleur, il aura paniqué, après avoir occis le Vanneur, suggérais-je. En vain. A leurs yeux, j'avais une bonne tête de coupable. Une histoire d'étrangers, venus régler leurs comptes chez eux, que ça va pas traîner ! Ca peut p't'être valoir de l'avancement ? ... Une affaire rondement menée... Je voyais les rouages de son cerveau à l'œuvre, au commissaire.
Et puis, fatigue aidant, j'ai perdu peu à peu le fil de l'intrigue... un mandat... la camionnette... vingt kilomètres de route en lacets... le dépôt... à propos de lacets : on ne me les a pas enlevés... seulement ma cravate, mes papiers... j'ai signé un reçu... Ah! oui, j'oubliais, avant j'ai vu la substitute du procureur. Jolie brune, la trentaine. Convaincue, elle aussi. Et puis la cellule... le premier contact, olfactif...
La porte s'est refermée... J'ai réveillé malgré moi un type qui roupillait, me suis allongé sur mon matelas, sans mettre les draps, et, aussitôt, je me suis endormi.
L'autre, je l'appris le lendemain, l'autre s'appelait Marcel aussi, mais c'était son prénom. Il en avait pris pour six mois. Il lui en restait trois à tirer. Une bagarre à la sortie d'un café. Il avait suriné. On l'avait débiné.
Moi, j'étais innocent. Je le lui dis. Il me répondit que nous l'étions tous ; il n'avait sûrement pas tort, Marcel.
On ne se chamaillait pas, tous les deux, on ne se parlait pas beaucoup non plus. Une partie de carte ponctuait parfois les après-midi. Il la gagnait systématiquement, je n'avais pas le cœur à l'ouvrage, ça me sapait le moral, cette accusation. J'en perdais le sommeil. Je le lui disais, au juge : "Enfin quoi ! Sur la simple foi d'un témoignage douteux, car il boit, votre témoin, Monsieur le Juge, ça se lit sur son mufle vineux, vous me collez au trou ! Zou ! Il y a de l'abus !"... Je la clamais, mon innocence. Peine perdue.
Mon avocat, Maître Marchand, Joséphine de son prénom, reprenait avec moi en chœur. Je l'avais choisi au féminin, l'avocat, à cause de mes lectures. Il paraît que ça réconforte, quand on est sous les verrous, de voir une femme, même vêtue de la robe noire et unisexe de la justice. Mais elle, la Joséphine, elle aurait pu avoir la palme, à Avoriaz. Même sans maquillage. Et encore, au cinéma, il manque l'odeur.
Le juge, mine sévère, intègre jusqu'au rectum, on en jurerait, me toisait sans mot dire. Il tenait son coupable. Je finirais par craquer. Des preuves ? Il en trouverait, on pouvait lui faire confiance.
Les jours et les semaines passèrent sans rien apporter de neuf à mon dossier. On n'avait décelé aucune gouttelette de sang sur mes vêtements. Je ne possédais d'ailleurs pas, dans ma garde-robe, de pull-over bleu nuit tel qu'en portait l'ombre décrite par le Témoin. Et nul, jamais, de mémoire d'élève, de collègue, de voisin, ne m'en avait vu sur le dos. On me gardait pourtant à l'ombre, au frais, mais je devinais que la conviction du juge, entamée, fléchissait. Il se résignait par avance au non-lieu. L'étique poitrine de Joséphine pointait fièrement, lors de ces magistrales entrevues, tandis qu'un modeste mais ironique sourire illuminait désormais mon visage, jusque là buté. Mon avocate réclamait systématiquement mon élargissement. En ville, selon elle, la population retournait sa veste. Un bon à rien, le Vannier, qu'elle grommelait, la population, et ce pauvre professeur, si consciencieux... Je cotais à la hausse. Le temps travaillait pour moi.
Je venais à bout de ma sixième semaine de préventive lorsqu'ils mirent Hélène sur le tapis.
Ils m'assommèrent de questions... comment je l'avais connue... Où ? ... Quand? ... Pendant combien de temps nous avions vécu ensemble... de quoi ? ... A n'en plus finir ! Ils émaillaient l'interrogatoire de remarques scabreuses sur la vie sexuelle de la belle Hélène.
J'explosai. Mais enfin, où voulez-vous en venir ?
- Elle est devenue quoi, la belle Hélène ?
- Et ta sœur ?
- Marcel, fais pas le mariole !
Qu'est-ce que j'en savais, moi ! Aurait-elle épousé un milliardaire sud-américain ou saoudien que cela ne m'aurait fait ni chaud ni froid. Je ne le leur envoyai pas dire que je m'en tapais, de la Belle Hélène, que ce n'était pas mes oignons... que je l'avais plaquée, larguée, 'raus ! ... Pas de nouvelles, bonnes nouvelles... Rideau !
Ils ne me croyaient pas. Tu l'aimais trop, Marcel ! Tout le monde le dit. Tu étais fou d'elle. Au fait, sa mère affirme qu'elle est partie te rejoindre... que tu lui aurais envoyé l'argent du billet... Mmh ?
Je niais. La mère ? Une vieille folle qui m'avait toujours haï, abhorré, exécré‚ calomnié, vilipendé ! Pourquoi ? Elle aurait peut-être voulu se faire sauter ? A ses yeux j'incarnais le mal. Lucifer. Beelzeboul. Méphisto. Bibi ! Ivrogne, débauché, vaniteux, je pervertissais sa chaste et pure et douce et délicate et belle Hélène. Sa petite chatte... Vous voyez le tableau, la belle-mère caricaturale, dans toute sa suffisance, sa laideur, sa bêtise. Je la révoquai sur-le-champ, celle-là ! Pas habilitée à me salir, me noircir le portrait.
Mes dénégations ne semblaient pas les atteindre. Ils préféraient la croire, elle, qui maintenait, mordicus, que j'avais envoyé la monnaie.
On ne trouva pas trace de chèque, de mandat... En revanche, il fut prouvé que la belle Hélène était bel et bien partie, pour me rejoindre, avait-elle confié.
Or, elle n'avait pas reparu depuis lors... Ah ! Ah ! Mon cas prenait de l'ampleur, on me traitait avec déférence. Un double meurtre, ça pose son homme, plus rien à voir avec l'assassin occasionnel, l'assassin d'un soir, qui tue une fois pour toute, presque par hasard -et qui n'y revient pas.
Je tenais bon pourtant. Jamais, je ne l'avais revue, jamais ! Je jurais mes grands dieux, invoquais le ciel, prenais l'Univers à témoin...
Ce qu'elle était devenue ? Comment savoir ? Je conseillais quand même d'envoyer les limiers visiter tous les bordels des cinq continents. Jusqu'aux plus miteux. Et même de préférence ceux-là.
On présuma, on insinua, on soupçonna... Verdict : non-lieu. Je retrouvais la vie, la ville, le dehors... Les journalistes ne m'importunèrent pas longtemps, par chance pour moi on venait de déterrer le corps d'un homme découpé en rondelles. A l'école, le directeur, navré, me fit comprendre à demi mots, que, en raison de la situation, des circonstances, n'est-ce pas... Il me glissa une enveloppe... Je refis mon baluchon et, sans demander mon reste, je déguerpis.
J'avais suffisamment d'argent en poche pour quitter la mère patrie. Je le fis. Je retournai en Afrique, dans un pays frontalier de celui qui m'avait accueilli, avant. J'achetai une voiture d'occasion et m'engageai sur les pistes. Elles n'avaient guère changé.
Deux jours plus tard, je roulais dans la forêt. Je finis par repérer l'endroit, arrêtai la voiture et marchai. J'eus du mal à identifier l'emplacement exact. Un œil non averti ne pouvait rien remarquer. Mais je savais, moi, que dessous la végétation, là, précisément, reposait la belle Hélène. Je me soulageai la vessie en ricanant. Bien sûr, j'avais été stupide de tuer ce pauvre Charles. D'autant que je ne lui en voulais pas particulièrement. Qu'était-il ? L'amant numéro... Pourquoi, bon dieu ! pourquoi cet imbécile avait-il élu domicile dans la même ville que moi ? C'était sa plus grande faute. Je ne souhaitais qu'une vie neuve, propre. Il m'avait fallu l'éliminer. Par mesure de salubrité privée. D'ailleurs, ça m'avait soulagé.
Voilà, Mon récit s'arrête là. Au bout de la piste... La suite est sans intérêt. J'ai gagné le cœur de l'Afrique noire. Tâté de divers métiers. Bourlingué. Économisé. Monté ma boite, pas grand chose, non, mais de quoi vivre à l'abri du besoin. Jusqu’à hier, je n’étais jamais retourné en France. Ni dans la forêt où dort la belle Hélène. Je ne pense plus guère à elle, maintenant, c'est de l'histoire ancienne, ancienne et enterrée. Mais, c'est drôle, quand je vais pisser dehors, et que je vois une araignée, je ne peux pas m'empêcher de la viser.


















La vieille bonne sœur des Belep




Deux hommes se sont arrimés au bar, la quarantaine, sportifs, souriants. Des retrouvailles, sans doute : ils parlent un peu trop fort, et leurs gestes, leurs mimiques, paraissent un rien exagérés.
Dans un sourire, ils me commandent deux bières.
Le plus grand des deux tient le crachoir. Je tends l’oreille.

- Tu vois, je voulais écrire quelque chose, à partir de cette histoire de vieille ou très vieille bonne sœur qui s’était fait violer aux Belep.
Là, c’est plus fort que moi, tout en posant leur consommation, je saute sur l’occasion :
- Si vous êtes venus pour la soirée littéraire, vous vous êtes trompés de jour, c’est le jeudi à partir de vingt heures. Ce soir, c’est un concert.
- Et trompés d’heure. Puisque c’est le soir.
Il ne me reste plus qu’à sourire, torché de main de maître. Je me replie vers ma caisse et mon tabouret et… ouvre mes pavillons.
- La vieille bonne sœur des Belep n'était pas si vieille que ça... dans les cinquante, au max, et pas trop bonne sœur non plus…
- Arrête ! J’ai inventé cette histoire ?
- Pas inventé, puisque j’ai reconnu des éléments de celle de départ. Bon, tu philosopheras après, Charlie, là, je raconte.

C’était juste une infirmière, pas une nonne. Laisse tomber tes fantasmes de viols de carmélites, Charlie.
C’est son point faible, dit-il, en s’adressant à moi.
Une infirmière à l’évidence totalement à l’ouest : elle ne bougeait pas des Belep, groupait ses congés pour tout prendre, d’un coup, en métropole… Encore, la jouer comme ça sur quelques mois… Mais année après année ?
Tu sais quoi, je reprendrais bien une bière. Oui ? Notre ami poète va se faire un plaisir de nous en remettre une.
Bref, à l'époque je suis allé voir Manou qui remplaçait la Sylvaine qui était, comme il se doit, en France.
Tout en servant les bières, j’ose : « Sylvaine, c’est la bonne sœur ? »
Vous avez l’oreille éveillée, sourit Charlie.
J’avais oublié de le dire, c’est ça ? Vous aviez compris, la preuve ! Oui, Sylvaine, la bonne sœur ! J’exige un auditoire à la mesure de mon talent, qu’on se le dise ! Bon… ça ne vous dérange pas trop, les duettistes, si je reprends le cours de mon récit ? Non ? Merci… Bien.
A mon arrivée aux Belep, Manou, qui est la personne la plus sociable et positive que je connaisse (le genre à être appréciée de tous -et en un temps record !- dans les moindres kibboutz, ashrams, camps de jeunes, clubs de tous poils, auberges de jeunesse, vous voyez le genre,) Manou, donc, qui effectuait le remplacement annuel de Sylvaine, la bonne sœur, commençait à craquer par rapport aux boulons de ses volets que l'on dévissait la nuit et aux bites en bois qu'elle retrouvait dans le jardin !
Elle avait mis des doubles rideaux dans sa chambre, se déshabillait dans sa salle de bain, portait une chemise de nuit la nuit. Pour les bites en bois, elle n’avait pas trouvé d’usage. Elle les jetait en tas, dans un coin du jardin.
Pour tout soutien, Manou avait le postier et deux sœurs, deux grasses jeunes femmes, dont l’une, la plus jeune, me semblait à vrai dire un peu simplette.
Sinon, au mieux, l'indifférence.
J’abrège.
Sur mes conseils, Manou décide de rentrer avec moi une semaine avant le retour de Sylvaine. Coups de téléphone aux autorités prétendument compétentes... Grosse déprime. Maux de tête aussi. Sentiment de peur. « Je craque. A l’aide !… » Le joint fut fait par un infirmier de Poum.

(Là, il avale une gorgée de bière, ménageant sciemment ses effets.)

Sylvaine fut violée à son arrivée en guise de welcome.
Après, les gens, tu vois... les gens… les gens dirent qu’en fait… qu’en fait, c'est plus compliqué que ça… (il baisse le ton, feint de regarder peureusement à droite et a gauche) elle aurait eu (il chuchote) : des relations suivies avec un Indigène...!

(Il se redresse, réendosse ce sourire goguenard qui lui va bien aux traits, il le sait.)
À partir de là, que peux-tu ajouter ? rappeler à ces bonnes gens qu'une femme peut porter plainte à juste titre contre son mari… ou ricaner que c'est bien fait pour sa gueule, à cette salope...

Bon… Sylvaine est rentrée en métropole. La suite fut comique aussi.
- Tss, tss, Laurent, pas de cynisme comme ça !

J’en profite pour leur proposer un verre, aux frais de la maison. Ils acceptent une autre bière. Je surprends le regard éloquemment appréciateur de Laurent prenant les mensurations de notre belle silencieuse, enfermée dans l’espace clos d’un cendrier que je vide régulièrement.

- T’as pas de Number one, l’ami ? me demande Laurent, goguenard.
- J’ai de la Forster.
- Non, non, interrompt Charlie, continue comme t’as commencé, c’est parfait. Toi aussi, Laurent, si tu continuais ?
- Oui…
- Tu en étais à la fin : « comique aussi »…
- Awa ! Donc, tout ça s’ébruita, fit la une des torchons, et de fortes sommes furent proposées à qui voudrait bien s’y rendre... Un zozo de première, qui « avait fait, Beroute » fit coutume, comme il se doit : tissu, billet et cigarettes, et amena sa famille ! Après le premier caillassage, il retourna faire coutume, tissu, billets, et cigarettes ; puis, après les autres caillassages, il… prit peur et l’ôngin s’en retourna sagement en métropole vivre auprès de ses parents le reste de son âge.
Et tout aurait pu s’arrêter là… Mais il y eut d’autres téméraires, d’autres agressions, d’autres viols.
Les prix montèrent encore.

- On dirait du Gombrowicz, ricana Charlie.
- Je crois que la permanence est maintenant assurée par le dispensaire de Poum, sur la Grande Terre, donc. L’infirmier ou le médecin doit venir en hélico, avec les gendarmes. La sage-femme vient de Koumac, dans les mêmes conditions…
J’ai quand même entendu le maire des Belep, à la radio, confier, suite à tous ces incidents, que ce n’était pas pire qu’ailleurs…
Enfin…
(Il savoure à nouveau une gorgée de bière, s’essuie la bouche, soupire…)
Enfin… Pire qu’à Beroute, en tous cas.


Nous avons souri à la chute. Laurent apprécie. Charlie médite.


- Au fait, Charlie, et ta nouvelle sur l’idée que je t’avais refilée ?
- Euh ? Je l’ai là !
- Ben, tu nous la lis, Charlie, tu nous la lis, politesse exige.

Charlie déplie les deux feuillets qu’il vient d’extraire de sa poche revolver. Il toussote. Repousse le souvenir d’une mèche rebelle sur son œil droit ; il a une belle voix, un peu rauque, avec de curieux et brefs accents juvéniles.


Des veines d'un caillou qu'il frappe au même instant
il fait jaillir un feu qui pétille en sortant"
Boileau (Lutrin, III)



Une rencontre, peut-être

Après deux longues journées de pluie intense, le ciel, balayé par les vents du large, s'égayait d'étoiles qui dessinaient l'étoffe dont se revêt la nuit. Je décidai de laisser du temps au temps… et à la bière qui n'attendait que mon bras, dans la fraîcheur du réfrigérateur, et sortis.

L'air était plus vif que je ne le soupçonnais. Je frissonnais en marchant, d'un pas redevenu miraculeusement souple, vers la mer. Parvenu au bord de l'eau, je me laissai tomber sur le sable, ôtai mes chaussures, et agitai béatement mes orteils tout en caressant des yeux les astres lointains et clignotants.
J'étais. Pas même "bien", tout simplement j'étais. Tout comme au premier jour du monde, gagné peu à peu par la lancinante et mélancolique palpitation de l'océan. Les vagues amollies expiraient tendrement à mes pieds. Le temps n'avait plus cours. J'étais vague, remugle hauturier, respiration marine, grain de sable, parcelle d'éternité sise en un battement quelconque de la paupière du Dieu-Néant.
Doux et vain clapotement.
Au Nord, J'aperçus le rougeoiement d'un feu, tandis que, simultanément, un vent fraternel offrait à mes narines les effluves poivrés des niaoulis en flamme.
Je ne saurais décrire la léthargique félicité qui m'emplit alors. Êtres et choses reposaient à leur place ; ce qui devait être était, voilà tout.
Il surgit sans que je l'entende arriver et je ne m'en étonnai pas. Il s'assit prés de moi, sans mot dire, et nous contemplâmes ensemble la frange mousseuse où s'épousaient, paupières closes, l'océan et les cieux, ces deux infinis sombres.
Comme s'écoule et filtre le sable de nos mains, du temps passa, vide et plein. Dans le lointain, hurlaient des chiens ; se mêlait, voulais-je croire sans en être certain, aux aboiements canins le cri mythique du cagou. Quoique la plage fût exempte de pierres, de galets, deux cailloux, deux pierres noires, avaient surgi entre les mains de mon nocturne visiteur, qui, les frappant, en fit jaillir des sons secs comme des étincelles. Sans en connaître la raison, absurdement, je ris. Sans s'en offusquer, il m'expliqua qu'un jour les dieux avaient demandé aux hommes de choisir entre l'igname et la pierre. Les hommes avaient choisi l'igname. La pierre ignore la maladie, les changements d'écorce et les jours et la nuit et l'amour et l'ennui ; elle est inaccessible à la douleur, ajouta-t-il, mais l'homme préfère l'igname.
Tout en parlant, il ne cessait de frapper ses cailloux l'un contre l'autre et j’écoutais, stupide et envoûté, bercé par le rythme de ses gestes, par le choc répété des pierres, par le son de sa voix qui se muait en chant, harmonieuse cadence qui, des ondes alanguies, épousait le pas à jamais recommencé, la primordiale danse.
Il me dit avoir opté pour la pierre, jadis, contre l'avis du clan. Dans l'obscurité, seules sa tête et ses mains m'apparaissaient, et son ton était celui-là même dont Verlaine nous révéla qu'ils ont "l'inflexion des voix chères qui se sont tues".
Peut-être attendait-il de ma part une parole de sympathie, un geste de compréhension. Je n'en fus pas capable. N'appartenais-je pas, moi aussi à la catégorie commune de ceux qui préfèrent l'igname à la pierre, la douleur à l'absence ?
La sérénité parfaite et nulle du sage demeurera pour moi tentation pure, aussi inaccessible que le sont à mes doigts les trop lointains nuages qui semblaient, par-dessus la cape de vert sombre et végétal, s'accrocher aux sommets de la Chaîne.
Là-haut, Sur la montagne proche, la montagne blessée, aux flancs abrupts écorchés, aux veines rouges et saillantes, saignantes, les camions accomplissaient déjà leur besogne d'insectes.
Le jour s'efforçait à renaître, le cycle de la vie se poursuivait. L'igname l'emportait, une fois de plus. Je voulus communiquer ces pensées confuses et pâles à mon compagnon de veille, il avait disparu.
Au Nord, les flammes empourpraient maintenant l'horizon que le soleil, timide encore, teintait de pastels, rose, jaune et vert entremêlés.
Sur le sable humide, je ne lus nulle trace de pas, mais, poussés par le vent sans doute, quelques lambeaux d'écorces, de peaux, tournaient autour de deux petites pierres oblongues évoquant vaguement la forme d'un foie.

Je suis rentré, en longeant l'océan, les pieds dans le bleu clapotis tandis que l'astre du jour, soudain pressé, chassait les derniers rêves de la nuit. Une nuée d'oisillons, comme dans l'air un frisson de lumière, s'envola à reculons à mon approche.
J'étais de retour. Chez moi, où, dans la fraîcheur du réfrigérateur, une bière n'attendait que mon bras.



On a applaudi, Laurent, moi- et Max, qui avait donc aussi l’oreille fine. Charlie la jouait modeste, ravi, presque rougissant sous ses dehors bougons. Ces trois là m’étaient fort sympathiques.
Charlie a regardé sa montre. « Faut qu’on ».
Des poignées de main, des regards d’intelligence, et les deux Zors avaient filé sous mon sourire de bistrotier.






(désolé, mais je craque: normalement, et ça aide à la compréhension, je joue sur les polices pour expliciter le "qui parle"- mais c'est trop de boulot. Excusez-moi.)




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Message  Pussicat Mer 28 Mai 2014 - 17:55

joe-joe a écrit:(désolé, mais je craque: normalement, et ça aide à la compréhension, je joue sur les polices pour expliciter le "qui parle"- mais c'est trop de boulot. Excusez-moi.)
pareil ! je craque... "c'est trop de boulot" de te lire joe-joe, et je parle même pas de commenter...
alors je prendrai mon temps, einh, on va dire ça comme ça.
à bientôt...
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Message  Jyde Mer 28 Mai 2014 - 18:35

Cela m'a fait penser à Alger la Blanche,
''Baptisé'' à Jean-Baptiste,
L'amour ? c'est quoi ça se mange, ?
1 jeunesse ça s'oublie ?
Comme de l'argent au fond d'1 chaussette ?
La particularité petit
C'est de retenir l'attention plus qu'il n'en faut -
La difficulté petit
C'est de faire mieux que Chateaubriand
L’acharnement petit
C'est ce 'à bientôt...' de la dame Poussive cat -

Alors , écris petit et cris d'abord pour toi !


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Message  joe-joe Mer 28 Mai 2014 - 18:56

Jyde...
Je ne comprends rien à vos propos- ou, si, j'y perçois un narcissisme forcené dont je n'ai rien à battre.
Par ailleurs, vous devriez vous relire, au delà de l'absence de fond ne se remarquent que les faiblesses et fautes de langue.

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Message  Jyde Mer 28 Mai 2014 - 18:59

Je comprends que vous avez du chemin à faire - sourire -
Quelle aventure , c'est bien !

Merci, comme déjà demandé, de débattre des textes ou de placer les bavardages dans le fil "discussions autour de nos textes" et non dans le fil des textes eux-mêmes !

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Message  Sahkti Mar 3 Juin 2014 - 7:43

Plusieurs impressions à la lecture de cette "première" partie.

D'abord, la taille de ces destins, balancés ainsi en bloc, a de quoi freiner leur expression. Je ne parle pas ici de la taille du texte que tu as volontairement choisi de poster ainsi et qui pourrait en rebuter plus d'un (tant pis pour eux et pour toi aussi), mais plutôt du fait d'en mettre autant dans une même partie, prenant le risque de créer un effet de masse qui tue le charme de chaque fragment. Et c'est ce que je ressens au fur et à mesure de ma lecture, ça finit par s'essouffler sans pour autant se mélanger ou donner des destins croisés, hélas. Sur ce point, m'est avis que tu passes peut-être à côté de l'objectif, dommage.

Ensuite la manière de raconter. Par moments, tu cribles de détails de manière mathématique, presque clinique, sans que cela ne permette pourtant de poser une ambiance. Parfois tu y arrives mais pas tout le temps. Et encore, quand tu y arrives, c'est quand tu fais plus long, que tu prends le temps de de créer une atmosphère mais là, on rejoint ce que j'ai souligné dans le point précédent, ça finit par s'essouffler.

Dans l'ensemble, je trouve que c'est intéressant et qu'il y a du bon mais que c'est mal exploité. Ces destins n'arrivent pas se libérer, à s'exprimer, ils ont enfermés dans une masse de mots.
Peut-être faudrait-il alléger ces blocs, laisser le temps à deux-trois destinées de réellement se croiser dans l'imaginaire du lecteur sans lui tracer ainsi une autoroute qu'il est obligé de prendre sans avoir le droit d'emprunter les aires de repos.
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Message  Yoni Wolf Mar 3 Juin 2014 - 12:10

Je rejoins pas mal de commentaires, et appuie sur cette longueur et multiplication des publications. Lire sur un écran, c’est déjà dur, mais alors TE lire relève du défi. En fait, je trouve ton attitude assez agaçante, d’autant plus agaçante que tu as un réel talent d’écriture, c’est indéniable, tu es bon dans ce que tu fais. Et je pense par ailleurs que ton écriture a toutes les qualités d’une publication sur livre. Et je sais que tu le sais. Et je pense que tu es déjà publié.
Mais tu nous bombardes d’écrits brillants, mélangeant à peu près tout, tu nous en mets plein la gueule détournant la fameuse règle du 1 par semaine et par catégories. Tu es peut-être au dessus de tout ça mais pour moi c’est un manque de respect, tu es souvent méprisant dans tes commentaires, sans doute à cause de cette position que tu as, d’(h)auteur connaissant la valeur de son travail.
Alors comme tu l’as compris je ne m’attaque pas à tes écrits, mais à la raison de ta présence ici. Pour moi ça ne te sert strictement à rien de pulier sur le forum, et je doute que tu veuilles apprendre quelque chose de nos commentaires. Réponds-moi sérieusement: tiens-tu vraiment compte de nos jugements sur ton écriture? Ca te sert à quelque chose? Ou bien souhaites-tu juste montrer pour démontrer que tu es bon?
bref.
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Message  joe-joe Mer 4 Juin 2014 - 9:05

1) Pour ce qui est des croisements, faudrait laisser du temps au temps... il y a un bon paquet de textes, et, si, si, ça se croise quand même pas mal. Mais pas tout de suite, pas linéairement.
L'objectif était peut-être trop haut, il se peut que je l'aie loupé, mais pour le dire, il faudrait aller un peu plus avant.

2) j'ai déjà posté l'ensemble ailleurs et socque l'a pas mal critiqué et j'ai procédé, de ce fait, à des corrections diverses.
Donc, oui, j'attends bel et bien des commentaires pour évoluer et faire évoluer ce texte.

3) Désolé si je passe pour méprisant, c'est un sentiment que je n'apprécie pas. Cassant, sans doute, élitiste, parfois.

Enfin, quant à croire que ce que je fais a la moindre valeur... ou plutôt dépasse le médiocre... j'aimerais bien. Au lieu de ça, ces temps-ci, je brûle au lieu de corriger et n'ai plus guère le goût d'écrire.
C'est comme ça.
Bon, on fait quoi de ce fil de merde qui casse les couilles aux rares lecteurs ?

Dites, on efface ?
Je suis d'accord.

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Message  Yoni Wolf Mer 4 Juin 2014 - 9:15

Cette réponse te fait honneur.
Et oui, désolé, tu as de formidables capacités d'écriture. Et ça me frustre de ne pas pouvoir te lire sans avoir mal aux yeux.
Et le fait que tu brûles est aussi, pour moi, une force, un signe d'intégrité littéraire.
J'ai mal jugé. Désolé.
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Message  Sahkti Mer 4 Juin 2014 - 9:56

joe-joe a écrit:Dites, on efface ?Je suis d'accord.
Non... il descendra de lui-même au fil du temps :-)
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Message  Ba Ven 6 Juin 2014 - 7:31

Hop, hop,

Comme je n'ai pas l'habitude de m'attarder sur les réponses aux réponses de la question fondamentale, je ne suis pas revenue; oubli réparé par :
" Voilà " est la conclusion sur le fait de lire un chapitre après l'autre ou l'inverse et non l'ouvrage d'un seul coup.
Le " par trop classique " concerne les thèmes de la " rencontre " soit fille garçon, soit fille fille, soit garçon garçon soit l'ensemble, ne m'intéresse pas. Le thème de l'amour d'une façon générale et dans quelque œuvre que ce soit, m'ennuie sauf s'il est caricaturé, estropié ou impossible; ce thème accompagné des enfants, des veuvages, des divorces, de la famille, de la patrie et du reste, tout ce qui est censé cimenter la vie collective et individuelle, donner un sens à la vie quotidienne ( tiens encore une histoire à dormir entre deux ifs ) et à la mort me fait fuir.
Il n'empêche que l'on peut bien en parler de façon intéressante tant sur le plan stylistique qu'imaginaire.
Et puis vive l'ellipse parfois qui laisse tout entendre à qui veut bien la voir...
Voilà ;-)
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Message  joe-joe Sam 7 Juin 2014 - 6:25

Ba a écrit:Hop, hop,

Comme je n'ai pas l'habitude de m'attarder sur les réponses aux réponses de la question fondamentale, je ne suis pas revenue; oubli réparé par :
" Voilà " est la conclusion sur le fait de lire un chapitre après l'autre ou l'inverse et non l'ouvrage d'un seul coup.
Le " par trop classique " concerne les thèmes de la " rencontre " soit fille garçon, soit fille fille, soit garçon garçon soit l'ensemble, ne m'intéresse pas. Le thème de l'amour d'une façon générale et dans quelque œuvre que ce soit, m'ennuie sauf s'il est caricaturé, estropié ou impossible; ce thème accompagné des enfants, des veuvages, des divorces, de la famille, de la patrie et du reste, tout ce qui est censé cimenter la vie collective et individuelle, donner un sens à la vie quotidienne ( tiens encore une histoire à dormir entre deux ifs ) et à la mort me fait fuir.
Il n'empêche que l'on peut bien en parler de façon intéressante tant sur le plan stylistique qu'imaginaire.
Et puis vive l'ellipse parfois qui laisse tout entendre à qui veut bien la voir...
Voilà ;-)

J'ai bien compris, et le ton des ces quelques lignes le prouve, que ton jugement venait d'en haut.
Dont acte.
Maintenant, je ne pense pas qu'on puisse réduire cet ensemble (dont tu n'avais lu qu'un fragment) à des rencontres amoureuses, non, vraiment, je ne crois pas.
L'ellipse ? Tu veux dire, la tienne ?
Enfin, bref, merci d'avoir/ne pas avoir répondu à ma demande.

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Message  hi wen Sam 7 Juin 2014 - 8:52

j'ai lu en diagonale à la roulette russe, c'est ma façon de me venger.

quel imbroglio, quel embrouillamini, quel imbrogliamini de chai-pas-quoi. on dirait de la béchamel avec des relents de souvenirs dedans en grumeau, le tout régurgité dans l'urgence, jacté façon maniaque éjaculateur de mots.

ceci étant, il y a de la matière, on peut pas nier. y'a de la graisse d'oie. dites, c'est tout plein de prénoms, votre truc? et qui vont souvent par paire, je comprends maintenant pourquoi vous vous appelez joe-joe. faut faire gaffe, derrière le joe se cache un joe.

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Message  joe-joe Sam 7 Juin 2014 - 10:43

"le tout régurgité dans l'urgence, jacté façon maniaque éjaculateur de mots."
Vous pourriez expliquer ? L'urgence, notamment ?

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Au café des destins croisés (1) Empty Re: Au café des destins croisés (1)

Message  hi wen Dim 8 Juin 2014 - 0:36

je ne parlais pas de vous. je ne sais pas de qui je parlais. peut etre de moi.

hi wen

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