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au café des destins croisés (4)

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seyne
joe-joe
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Message  joe-joe Lun 16 Juin 2014 - 6:59

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joe-joe

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Message  seyne Mar 17 Juin 2014 - 15:00

Ce n'est pas désagréable à lire, dans le genre "Goupi-mains-rouges".
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Message  Madeleine Adèle Mar 17 Juin 2014 - 15:28

seyne a écrit:Ce n'est pas désagréable à lire, dans le genre "Goupi-mains-rouges".

Tu peux m'éclairer ? Je ne connais pas cette expression ... Merci. Pour ma culture personelle ...

Madeleine Adèle

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Message  seyne Mar 17 Juin 2014 - 16:05

c'est un vieux film...
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Message  joe-joe Ven 20 Juin 2014 - 16:27

Le fétichiste au souffle court


C'est dans un état déjà bien avancé que ce groupe, quelque peu malmené par la pluie et le vent, avait franchi mon seuil. Un groupe d’hommes. Le parfait quarteron de notaires brélien. La quarantaine largement sonnée et pas rugissante. Ils avaient dû réussir à faucher compagnie à leurs dames, et, prétextant quelque marche tardivement digestive ou tôtement apéritive, les laisser à leurs conversations pour braver fièrement les éléments... et, comme jadis, se retirer entre hommes au fumoir, en l'occurrence (mutatis mutandis et o tempora o mores!) le premier rade venu- le mien.
L'ersatz de majordome, à savoir: votre fidèle homme de peine, s'il servait le digestif, pour lequel ces messieurs avaient opté, n'offrait toutefois pas les cigares. En revanche, et en dépit de mon peu de sympathie pour leur vaine réussite sociale affichée et crissant jusque sous leurs semelles de cuir, je les gardais à l'œil, mon estaminet ne manquant pas de jeunes ou moins jeunes peigne-cul tout à fait capables de leur manquer vertement de respect.

Après les avoir servi, je passai un torchon prophylactique sur mes mains et mon innocent comptoir tout en gardant, donc, un œil critique mais protecteur sur leur assemblée de ventres ronds et de sourires de contrebande.

Bien qu'assez peu moelleusement assis, chacun s'assoupissait dans les réciproques congratulations d’usage. Entre deux renvois d'ascenseur, régnait un vide ouaté, propice aux confidences.
Toussotant, l'un d'eux, veste sombre et crâne luisant, après avoir complimenté une nouvelle fois leur hôte du jour- un petit brun au sourire de fouine, camouflant un corps de basset artésien sous une veste rotarysée- pour la qualité du repas et de ses vins, sa splendide collection de marteaux de commissaire-priseur, et l'idée canaille de venir en mes murs finir l'après-midi, requit la parole.
De sa poche-revolver, il extirpa, devant son public ébahi, une petite culotte rose chair. La qualité du silence s'en trouva sur-le-champ modifiée.
Il l'agitait, la tenant fermement entre pouce et index. «Ceci, mes amis, est une pièce à conviction. La preuve que je n'ai pas rêvé.» Un grognement d'hilarité, qui n'aurait pas déparé une réunion des anciens du 11ème bataillon parachutiste, parcourut l'assistance. Une voix questionna: «Serait-ce la petite culotte de Cendrillon? Vous voudriez nous faire le coup du Prince Charmant qui cherche chaussure à son pied ?»
Le tribun ne se donna pas même la peine de chasser la remarque d'un haussement d'épaule, d'un froncement du sourcil, d'une impatience de l'index. Superbe, il l'ignora.

Cela se passe voici une bonne vingtaine d'années, en été, voilà pour l'incipit.
Enveloppé dignement dans ma serviette, comme se drape un chef peau-rouge d'une couverture, je m'étais assis en tailleur non loin de la piscine, municipale et découverte.
Ma dignité sobre et élégante- c'est du moins ainsi que je la qualifiais- ne pouvait manquer d'attirer les regards sur ma personne. Écœurés par la turbulence désordonnée, chaotique, des enfants et des hordes adolescentes; abrutis par l'incessant manège des athlètes musculeux et bovins exhibant leur statuaire narcissique autour du bassin sans oser cependant y plonger afin d'assumer leur destin de noyés; lassés du spectacle minimaliste offert par une brochette d'intellectuels malingres et pâlichons dont, seuls, parfois, s'agitaient les doigts d'une main afin de tourner fébrilement une page; écœurés, abrutis ou lassés, les regards, immanquablement, se fixeraient, humides et reconnaissants, sur votre serviteur.

Je n'en croyais pas mes oreilles... et l'étonnement au mépris se mêlait tandis que je servais à mes notaires une seconde tournée d'armagnac (Baron de Lustrac, VSOP).
Ne voulant pas profiter éhontément de cette brillante, mais trop facile, introduction, j'abandonnai la tendresse cotonneuse de ma serviette et plongeai, impeccablement. J'émergeai vingt mètres plus loin, me livrai au plaisir d'une planche nonchalante, m'abandonnai tel le crocodile: l’œil lucide et froid, évaluant les proies.
Je nageais ensuite durant quelques centaines de mètres en un crawl olympien. Après quoi je me vis contraint de reprendre ma respiration, les pieds s'agrippant au petit reposoir qui courait le long de la piscine, les bras engoncés, en une feinte insouciance, dans l'accoudoir en creux qui, lui aussi, courait, parallèlement au perchoir déjà évoqué.
Elle surgit sous mon nez, se colla à moi et, goulûment, vampiriquement, m’embrassa. Haletant, incapable de prononcer le moindre mot, suffoquant, les bras tuméfiés, les coudes broyés, livré à sa merci, je subis coup sur coup trois baisers. Et me furent, par trois fois, révélés, l'éden, l'enfer et tous les purgatoires.
Pétrifié, rigide -et à quel point ! -je sentis, impuissant, paradoxalement, les masses jumelles et colossales de ses seins rouler le long de ma poitrine, et descendre, descendre…
Quelques vies imaginaires plus tard, prudemment, j'entrouvris une paupière. Elle n'apparut pas dans mon champ visuel. Je cessai de faire le mort et profitai de l'accalmie pour, au prix d'un violent effort, parvenir à m'arracher à l'élément liquide - et féminin. Je me hissai enfin à la force des bras et filai me réfugier sous ma bien-aimée serviette, me séchai et, halluciné, dépité de ne point la voir, je patientai.
Peut-être avait-elle dû, illico presto, se rendre en un lieu retiré afin de satisfaire une revendication pressante de son organisme. Pressante... ? Ou... lubrique? ... ou, plus simplement: juste ?
A cet instant, je la vis sortir de l'établissement municipal, me chercha, me trouva, me médusa, rompit le charme en me clignant de l’œil et, ondulante, s'en fût.
Quelle silhouette, mes amis quelle silhouette! Et, point d'orgue du chef-d’œuvre: une croupe! ...
Dire que, voici quoi? Cinq minutes? Je la serrais contre moi. Enfin, elle me tenait dans ses bras. Oh, je ne délirais pas! Elle était bien réelle et sa chair, souple, et dense, généreuse, onctueuse, palpitante -débordante! n'avait rien de commun avec ces rêves insanes de lycéens boutonneux et émaciés où de pâles créatures évanescentes et androgynes fondent à tout coup sous l'étreinte.
L'exubérance de sa chair: je l'avais goûtée- pêché inépuisable et enivrant! Il me la fallait! Je courus au vestiaire, hélai la préposée qui se curait le nez avec délectation dans un incognito tout relatif, sautai dans mes vêtements et parcourus la ville à sa recherche. Je n'eus pas à parcourir longtemps. Elle marchait cent mètres devant moi. Je tentai bien de la rejoindre, mais, peine perdue, un incident m'empêcha à chaque essai d'y parvenir. Les yeux rivés à ses fesses, je traversai la ville en somnambule, obscurément conscient, cependant, de mon triste état de toutou tenu en laisse. Car, oui, envouté, j'en étais là!
Finalement, elle quitta les artères principales, pénétra dans un parc où je crus la perdre. Un jeune voyou siffla admirativement -chant de la polaire sur lequel je pointai ma course. Il me fallut encore me faufiler entre des arbres, contourner des taillis, enjamber quelque fossé. Enfin, elle m'attendait, adossée à un arbre, dryade et fille des sèves.
Elle se saisit de moi, me serrant à m'étouffer dans une étreinte d'une force surhumaine. Un seul de ses bras, pourtant y suffisait; je dus l'admettre quand une main experte, brûlante et volontaire défit ma ceinture, abaissa mon pantalon, mon slip, et entreprit (manœuvre superfétatoire) de vérifier l'état de ma virilité.
Je suffoquai. D'un geste vif elle retroussa sa robe. Elle était nue. Cela dura - je ne saurais dire ce que cela dura- une seconde? une minute? Une vie ? Davantage ?
Lorsque je repris péniblement mes esprits, pauvre chose exsangue, il n'y avait naturellement plus personne.
Évidemment, je ne l'ai jamais revue et tout aussi évidemment personne ne la connaissait. Seule preuve, irréfutable, de notre miraculeuse rencontre, cette petite culotte, rose chair. Je ne l'ai jamais ni lavée ni quittée. Je la garde, là, contre mon cœur.

Ils commandèrent un troisième cognac puis s'en furent, tout du moins je l'espère, se dissoudre sous la pluie et le vent qui, justement, les attendait derrière ma porte.

Je me suis servi... un petit Lustrac, un ! Le métier de cafetier est parfois dur à assumer. On avale. On ravale. Bile et nausée.
Cendrieuse, que mes notaires avaient lourdement matée, m'observait du coin de l'œil, et moi, bêtement, je feignais de ne pas m'en apercevoir.
Je m'en voulais, un peu, aussi, de mes a priori anti-notables, anti-ceci, anti-cela. Des tics, nous en avons tous. Des exotismes de pacotille, des épate-bourgeois... Lui, là, avec ses potes rotarysés, son pédantisme langagier, j'avais beau jeu de m'en moquer... C'est si facile- et, Melvile Burns dixit, «l'ironie est une métaphore inutile».
Décidément, je partais en vrille, je le sentais. Ils le sentaient aussi, les deux momifiés, j'en aurais juré. Et même la Tête-de-chat.
Et quoi ?
Hein ? Quoi ?
Il aurait fallu que je me crucifie, peut-être? Et la tête à l'envers, pour le moins... Ben non! Je vous emmerde. Parfaitement, je vous emmerde.
Il n'y a qu'un truc qui compte, dans la vie, ne vous déplaise, c'est la coïncidence, oui, être au centre, en accord avec soi-même, avec l'instant... Et, pas de souci, on sait bien si - si on y est, si on est dedans. Ça vibre. Ça sent le clair et le limpide. Pas d'arnaque. Pas de faux-semblant. On est ce qu'on est, mieux: on est dans ce qu'on est, sans fioritures, figures de style, foin des ficelles et du chiqué.
Cash!
Et l'art, hein ? Vous vous en torchez, de l'art ?
Je m'en re-sers un, je lève mon verre, provocateur, en direction des deux Anciens. Putin !
Si j'avais eu un fils, je l'aurais appelé Diogène.
Et merde à tous les faux-monnayeurs.






Petite femme



Elle était entrée pendant que je satisfaisais un quelconque besoin naturel. J’ai tout de suite identifié un D.P.
Je l’ai regardée, de loin, suffisamment longtemps et intensément pour qu’un aveugle même en lève les yeux au ciel.
Elle n’a pas cillé.
J’ai dû m’approcher. Elle fouillait dans son sac, penchée, une mèche de cheveux châtains lui barrait le front.

- Des clés ? Des photos ? Votre portefeuille ? Votre portable ? vos clopes, votre briquet ? Hmmm ? Alouette ?
- Mes clopes, ça y est, le briquet, trouvé, (dit-elle d’une voix rauque et basse totalement incompatible avec sa taille et son poids, tout en fouillant frénétiquement,), une feuille… Ah ! la voilà !

Alors, elle m’a gratifié d’un sourire extrême. Il n’y avait plus que ça, son sourire, un sourire qui lui avait avalé le visage, hop ! d’un coup.
J’en suis resté baba.

- Alors, un stylo et une bière, s’il vous plaît. Vous avez de la blanche ?
- De la bière blanche ?

Elle a pouffé.
Le rire a disparu sous une maigre et longue, longue main- si longue pour une si petite et si menue personne. Sur ces longs, longs doigts, plusieurs bagues, moins grosses qu’on aurait pu l’imaginer.
Elle avait posé sa veste mouillée sur le tabouret voisin et montrait ses épaules, menues mais avenantes. Une espèce de bustier enserrait son torse d’oiseau mouche, maintenant sévèrement ses seins.
Elle est revenue à elle.
- Bien sûr, gros nigaud ! et un stylo, s’il vous plaît.
Bon, ça ne me ressemble pas, les habitués vous le diraient, eux, mais elle avait beau incarner un paradigme du Danger Potentiel, elle m’émouvait. Alors, au lieu de gronder, j’ai rigolé un coup, avec elle, puis :
- Nigaud, d’accord. Mais gros, comment avez-vous pu deviner ?
Elle pouffe à nouveau. Je reviens avec une blanche et un stylo.

- Vous pourrez le garder.
- Merci.
- Oh ! je dis ça juste pour nuire à votre plaisir de me le voler.
- Je…
- Oui ?
- Je… Non. Plus tard, peut-être. Là, il faut que j’écrive.
- Vous voulez prendre une table ? Celle-là est bien éclairée.
- D’accord. Vous passerez me voir (-était-ce question ou plate affirmation ?).
- Je n’y manquerai pour rien au monde. Je lui dis ça avec toute la conviction dont je suis capable.

Elle se lève. Mon dieu ! Je n’avais pas imaginé ça ! Le petit oiseau a des fesses, des fesses et des cuisses, et, la quarantaine franchie, porte joyeusement une mini-jupe en jean. J’en avale ma salive.
Je me sers une blanche.

Elle est assise face à moi. Son regard, quand il échappe à sa feuille, dérive à travers la salle sans rien trouver qui l’y accroche. Et puis, à chaque fois, un éclair luit dans sa prunelle, un sourire s’entr’esquisse et elle replonge sur sa feuille. Je crois qu’elle dessine quelque chose.
En servant un client, je lui apporte un carnet à souche offert par une marque de bière, on a le mécénat qu’on mérite, et je jette un coup d’œil à son dessin, oui, c’en est un, bizarre, comme si…
- une idée de sculpture, me lance-t-elle en se dévissant la tête.
« Oui, bien sûr. » et oui, une fois vu, c’est bien sûr.
Je file, une des extras de la soirée me guette au bar, visiblement agitée. Un deuxième D.P., si tôt… surtout quand les candidats sont des candidates. Mauvais présage, selon Saint Bernard, saint-patron des cafetiers, -et qui siège à la droite de Dieu le père !, mais au fond, dans l’ombre.
Je bous.

Vu de près, le D.P. est indiscutable. Je ne sais pas ce qu’elle souhaite en venant ici. Mais je sais ce que moi, je cherche : la virer au plus vite.

- Patron, je peux pas ce soir.
- Et pourquoi, bordel, cette fois-ci ?
- Je peux pas, c’est tout.
- C’est bon, va te chouter, pauvre conne ! Et pas la peine de remettre les pieds ici. Ce disant, je lui tends un billet.
Elle le prend et s’en va.
Sans même un merci. Ingrate jeunesse !
Et, là, tout a commencé à s’emballer… à moins que ce ne soit passé un peu plus tôt et que je ne m’en fusse pas aperçu.

La fille au cendrier m’appelle. Ah ! Elle peut donc parler. Elle désigne le téléphone. Qui sonne. Et où qu’y’a person qui répond. J’y fonce. C’est Alicia. Elle s’est cassé la jambe. Oui, elle me téléphone de l’hôpital. Oui, je passerai signer sur ton plâtre… enfoirée !
Et une de moins de plus !

Un sale mec, avec lequel les relations ont tourné au vinaigre depuis certain soir dont je n’ai aucune raison de me souvenir, vient de se poster près de ma caisse. La trentaine arrogante, un blouson de cuir d’aviateur.
Il me nargue d’un œil mauvais. Je m’approche. Le téléphone sonne. La cendrieuse, dans mon dos, dit : je réponds. Alors, j’avance encore.

- Vous voulez quoi ?
- Boire un coup.
- La maison ne sert pas d’alcool aux gens en état d’ébriété. Un café ? Un soda ? Un lait fraise ?
- Vous vous foutez de moi ?
- Voyons, c’est évident.

Il me regarde, indécis. Je souris, par-dessus son épaule, à Bambi.
Je reprends : « Je vous ai déjà demandé de ne pas revenir ici. Vous avez bu. Vous m’injuriez, maintenant. Alors, qu’est-ce que je fais ? Je vais vous aider à deviner, ça ira plus vite, n’est-ce pas… Bon, solution numéro un, j’appelle les forces de l’ordre, elles m’ont à la bonne, ça tombe bien. Solution numéro deux : j’appelle Bambi, qui est entré en même temps que vous et qui est là, dans votre dos. »
Il ne se retourne même pas. Il sait qui est Bambi. Il rentre un peu les épaules. « Je reviendrai », jette-t-il pitoyablement.
- La maison vous offrira votre premier lait-fraise, promis.
Le problème, avec ce genre de crétin, c’est qu’effectivement, tôt ou tard, ils reviennent…

Pour le moment, il s’en va, sous escorte- et l’escorte me sourit, lève son énorme main droite, index et pouce recourbés se rejoignant en un vague « O » sans centre, les autres doigts tournés vers le ciel. Les lèvres de Bambi esquissent un redondant : « ça baigne ».
Le téléphone ?
Je pivote. Tour de salle visuel et machinal- et j’entrecroise le regard de petite femme et je ferme les yeux, la contourne, les ouvre à nouveau, la cendrieuse les attrape au vol.

- Le téléphone.
- Oui, le téléphone.
- Une certaine Iléna.
- Elle ne vient pas non plus, c’est ça !
- Oui.
- Et merde !... Vous faites quoi ce soir ?
- J’imagine que ce n’est pas une proposition malhonnête. Alors, je dis : je ne sais pas encore, ça dépend de vous.
- Écoutez, je ne comprends rien à ce que vous me dites. Moi, je veux juste savoir si vous pouvez me dépanner, ce soir. Bon salaire. Un service.
- Je peux vous dépanner. Pas de salaire. Mais si vous voulez encore de moi pour le dépannage quand je vous aurai parlé…

Je soupçonnais l’étalage d’une vie sentimentale brisée. Le risible désespoir d’un premier grand amour éternel devenu moribond ou fantomatique… Toutes ces naïvetés de première communiante qui, loin de m’exciter, me dépriment.

- Bref, c’est oui ?
- Vous promettez de m’écouter ?
- Bien sûr, mais
- Mais ?
- Mais je ne peux pas dire exactement quand, c’est tout.

Elle vrille ses yeux noirs dans les miens. C’est moi qui finis par regarder au ciel, avec un haussement d’épaule, manifeste d’un match nul.
Je lui tends la main.
Elle tape dedans, puis retend le poing. Je fais de même. Petit choc. Accord signé. Je me détourne, fonce me réfugier derrière ma caisse, reprendre mes esprits, gérer ma salle qui se remplit et- ma sculptrice- je croise son regard et

tout s’arrête et tout chavire. Une espèce d’air vaudou s’est emparé de mon cœur. Nous sommes là, elle et moi, nus, imbriqués, elle sur moi, me chevauchant, minuscule, échevelée, qui prend mes mains pour les poser sur ses seins, les y écrase, et moi, moi qui la regarde et moi qui ne sais plus, alors qu’elle se rapproche de moi, qu’une odeur d’Afrique s’échappe de nos sexes en fusion, en osmose, et que, m’accrochant enfin à ses épaules, je la pénètre de toute mon âme afin de me perdre en elle. Au plus loin d’elle. Au creux même de ces gémissements de plus en plus forts de plus en plus rauques qui s’échappent de sa gorge et
Le téléphone me vrille les tympans. Cendrieuse décroche et répond. Une erreur, me souffle-t-elle.
« Qui ? » Je veux savoir. Ou qui ils demandaient. Dieu pour son fils. Ou un appel pour Max…
- Une femme. Elle croyait qu’on était un traiteur.
- On ?
- Elle hausse les épaules et me brave à nouveau du regard. Je lève le pouce en signe de pause.
- OK. Si c’est pour Max, c’est lui, là.
- Je sais.
- Ah ?... Bon.

Et je réévalue. Les oreilles fines se regrouperaient-elles vraiment dans mon antre ?


Ce que je vois alors me fait avaler deux doubles whiskys coup sur coup, sans rien perdre du spectacle, pourtant.
Elle s’était levée.

Elle est de dos, sa jupette en jean virevolte et rebondit sur son fessier aimable. Elle se dirige droit vers… Non ! Elle s’assied en face du fils d’Héraclite. Elle se penche. Elle lui parle. Il la regarde. Il me regarde. Je la regarde. Il lui répond enfin sans que j’ose lever l’œil à nouveau sur lui.
Le même manège se répète, avec le Splendide Anonyme. Pareillement, je détourne le regard, je reconnais plus fort que moi, tellement plus fort.
Elle revient d’un pas ferme vers sa table. Elle ne dandine plus du tout du cul, maintenant. Elle semble en colère. Aïe !
Je déconne, bien sûr. Je sais parfaitement que je déconne. Que je n’ai pas pu lui faire l’amour et que si j’ai la queue raide... Non. Pas vraiment vrai non plus que j’aie peur de ces deux vieux machins au rebut.
C’est juste que la tête me tourne. Que j’ai l’impression, floue mais indiscutable, que quelque chose d’important se joue pour moi… presque sans moi.
C’est juste que j’ai bu un coup et que j’ai soif, mais soif !
Je me sers une blanche, et je tends la bouteille vers sa table, en regardant par-dessus son épaule comme l’enseignait Castaneda à tous les apprentis véridiques sorciers amérindiens du monde entier. Un petit hochement de tête, en hommage, et j’avale ma bière.
C’est juste qu’il n’y a rien, sauf que je ne braverai pas le regard des vieux et que… que je n’aborderai qu’après mûre réflexion le regard de petite femme. Voilà. Une lâcheté bien gérée, non ? Bon, il serait temps de préparer le concert… La petite Myriam vient d’arriver.

- Oh ! Ma Kéba, tu me sauves. Tu peux gérer un peu la clientèle? Je rallongerai l’enveloppe. Et dès que tu as cinq minutes, tu commences à ranger la salle de concert, on n’a rien foutu, enfin, moi, et puis…
- Ça va patron ?
- Excellente question et je vous remercie de me l’avoir posée.
- C’est non, alors.
- Et le délit d’innocence, tu en fais quoi ma belle ?
- Délit d’innocence ? Un fou ! Bon, d’accord pour le boulot. Je me change derrière et c’est parti. C’est qui, elle ? Une nouvelle ?
- Non, pas vraiment.
- Son nom ?
- Demande-lui, si ça t’intéresse, moi, je n’en ai pas eu le temps.

Pour lui je suis petite femme. Je suis l’objet de son désir. Son sexe le dirige, pointe vers moi, boussole.
Os pointé. Os abo.
Homme.
Espèce vaniteuse et ignorante.
Espèce qu’il faut toujours laver des ses prétentions de possession, eux qui ne laissent pas plus de traces sur la femme que la vague sur la plage.
Et lui. Lui qui ne sait rien. Qui ne voit pas le jeu qui se joue sous ses yeux. Et moi… Moi qui…
Moi qui rien.
Et ça n’arrête pas, galère sur galère, casse-couille sur casse-couille. Débordé, je me laisse emporter dans ces vagues d’actions confuses et isolées, toujours à renouveler, et je fatigue, je fatigue, et l’Amérique semble à jamais inespérable. Et le temps passe, s’enfuit comme l’eau parmi le sable... Les Héros sont fatigués. Le Danemark trop lointain, Ithaque un rêve inaccessible…
Soudain, elle est là, matérialisée par magie devant moi. Ses yeux sont tristes. Elle ne me fera pas le coup du sourire, cette fois-ci.
- Vous aviez promis de venir me voir.
Elle est là, devant moi. Et je ne dis rien. Ces mots d’une obscénité effroyable- « je t’aime »-, ces mots absurdes de collégien, je les ravale. Ils font une boule au fond de ma gorge qui m’empêche presque de respirer.

- Vous n’avez pas tenu parole, dommage.
- Je…

Et merde, elle partait, déjà. Je l’ai accompagnée jusqu’à la porte. Vous reviendrez ?
- Je ne crois pas, non. Je vis au Gabon.

Elle a ouvert la porte, elle a failli me dire quelque chose, elle a tendu la main, m’a caressé la joue et elle partie, indifférente à la pluie.


Je suis resté derrière la porte.

L’agitation du café, se remplissant avant le concert de la Saint Patrick, concert dont j’avais négligé la préparation, a fini par me sortir, plus ou moins, de ma torpeur. J’ai fait le tour de la salle, salué, serré des mains, échangé quelques bises. Tendu l’oreille ici ou là…
- Alors son frère lui dit : eh ! Masha ! T’as couché avec cette enflure ?
Curieusement, la tablée rit d’un bon gros rire épais… Là, mon petit couple de quinqua main sur la main, non, la vie n’est pas si moche… Ici, ce grand et bel homme brun et dégarni, aux yeux pétillants derrière ses petites lunettes ovales, qui souffle à ses voisines sur un ton de conspirateur : « Au cœur, il y a une boîte à secret, le casse-tête, dont le défi est la simplicité ». Pourquoi pas ? Et ici, encore plus incompréhensible : « La croix... Un truc de maso, ça. Mais la rame, hein... Et on peut en faire des choses, avec une rame... Les pizzaïolos, tiens... par exemple... », une voix goguenarde, avec l’accent du sud-est, le coupe : « eh !, moi j’ai la rame, déjà ! On me dit même que c’est de naissance. Je dois être une espèce de saint ?». Mais Tête de chat avec Patrice… Max, dans son coin qui jette des regards anxieux vers la porte. - Faudrait pas non plus qu’il pète les plombs, celui-là !… J’ai réendossé sans m’en rendre compte mon costume de taulier. Envoyé un extra passer un coup de serpillère en commençant par l’entrée en urgence, le café se transformant en pataugeoire glissante. Je suis même allé chercher d’autres serpillères pour qu’on puisse s’essuyer un peu les pieds sitôt le seul franchi. Mais je n’ai pas tenu longtemps. Je suis retourné derrière le bar…
Dieu est grand et la rame est son signe !

J’avais trop bu.
Je savais tous les quais de gare, toute la noirceur des mouchoirs, tout le chagrin des amours veuves.
J’avais soif.
J’étais un lâche.
Je resterais toujours derrière la porte.





Plus tard, bien plus tard dans la soirée, trop tard dans la soirée, je découvrirai que Cendrieuse n’est plus là. Qu’elle a laissé une lettre. Avec mon prénom et mon nom complet dessus. Une lettre que je n’aurai ni le temps ni l’envie de lire là, sur-le-champ, quand je la découvrirai. Une lettre que je lirai donc bien plus tard, en buvant une blanche, sous l’œil de cette fille aux yeux rouges, brune aussi, qui lui ressemble un peu et qui l’a remplacée auprès du cendrier.


Tu avais promis.
J’étais venue te voir, te parler, te connaître.
Je suis ta fille.

Marguerite

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au café des destins croisés (4) Empty Re: au café des destins croisés (4)

Message  hi wen Sam 21 Juin 2014 - 7:12

on peut pas dire que le lecteur soit à la fête.
le texte est opacifié, plein de soi.
il n'y a de la place pour .. rien.

hi wen

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au café des destins croisés (4) Empty Re: au café des destins croisés (4)

Message  joe-joe Sam 21 Juin 2014 - 7:56

Tu es "le lecteur" ?
Du soi, oui, pas du moi.

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Message  Ento Sam 21 Juin 2014 - 19:25

La forme : c’est brillant, et par conséquent, c’est plus ou moins relâché (puisque la syntaxe, dès qu’on la possède, on l’abandonne ; du moins l’on a cette propension). Au final, comme les tournures font mouche, comme les phrases sont rythmées, et euphoniques à leur manière, comme tout cela sonne juste dans le détail et dans l’ensemble, y compris lorsqu’il se veut populaire ou vulgaire (réaliste, diront d’autres), l’on doit bien réfréner nos élans de farouches grammairiens, et accorder à l’auteur qu’il a fait de la littérature.

Le fond : n’ayant pas lu les trois précédents recueils (chapitres ? qu’est-ce ?) je débarque donc en pleine narration, aussi il s’est pu que j’aie mal saisi de quoi il en retourne. Mais ce n’est, selon toute évidence, pas un texte d’intrigue. Si donc j’ai compris, l’on nous donne à voir la vie dans un café, les relations des clients entre eux, des clients avec le gérant (narrateur), il y a les habitués, etc. Le tout mâtiné de réflexions senties sur ce petit monde, assorti d’un peu de poésie drolatique, de dialogues bien troussés. Entends-je bien ? Si je n’entends pas bien, alors il y va de mon erreur propre ou provoquée, si j’entends bien, alors il m’a seulement manqué un enjeu ; je veux bien admettre que l’on ne fasse pas de suspens, de « qui a tué qui ? », « qui finira avec qui ? », etc. mais j’aime malgré tout que l’on me démontre quelque chose, que l’on me conduise quelque part ; c’est le fameux contrat / pacte avec le lecteur ; ou alors, c’est bien juste de la poésie déguisée sous cette forme. Pourquoi pas !
Le fond et la forme (parce que l’un sans l’autre, ça ne rime à rien) : ce texte, qu’on se le dise, c’est un torrent de vie, ça bouillonne, ça brouillonne, et comme pas grand-chose ne le contient, c’est parfois difficile à suivre. J’admire la manière, j’apprécie des morceaux – parce que ça raconte quelque chose, tout de même – mais, peut-être faudrait-il trier, raccourcir, organiser, qu’en sais-je. Tel quel il faut quand même se donner du mal pour le lire. Malgré ses qualités, et l’intelligence de son auteur.
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Message  joe-joe Sam 21 Juin 2014 - 20:48

D'abord, merci du commentaire bienveillant.
Bon, il y a quand même des liens, qui apparaissent peu à peu et tissent des enjeux.
Si, si.
Quand même un peu.
Mais j'ai abondé (en rougissant) à la critique.
Je suis peut-être un salaud d'écrivailleur (en prose) qui exige (ou suppose ?) un certain type de lecteur.
Je le crains de plus en plus.
Merci encore.

joe-joe

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Message  Sahkti Mer 1 Avr 2015 - 10:36

Un écrivailleur doit-il/peut-il être lecteur ?
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