Envie de dormir

Les enfants qui ne sont pas nés
les graines qui n'ont pas germé
les poésies que nul n'a écrites
que nulle oreille n'a entendues
où sont-ils donc ?
Ils ont lieu
avec les rêves que j'ai oubliés

Il n'est resté que d'avoir rêvé
moins des images des empreintes
qu'une odeur
Ils sont ensevelis
dans une telle masse de paroles
de mots dits ou tus
de vouloirs
de souvenirs
qu'ils se dérobent
obstinément La traque est vaine

Dans un monde si plein de faits
têtus j'échoue à saisir le vrai

les choses que l'on aurait aimé faire, et puis la vie a passé, alors on se retourne, comme si les ans pouvaient nous faire le cadeau de nous alléger des aléas de la vie
a la place de têtus je préfère obstinés,
mais ce regard très réaliste est dans le vrai

J'avoue que ce n'est pas le meilleur que j'ai lu de toi,
je retiens :
"Il n'est resté que d'avoir rêvé..." pour la musique et le sens.
...maintenant je souscris, la quête est vaine...

Un style différent de celui auquel tu nous as habitués ici, et qui nous fait découvrir une parole simple et directe, poétique par son épure même, sa modestie de moyens : j'en apprécie beaucoup la tonalité. Et le propos également! Oh, combien nous échouons tous à l'appréhender, cette "vérité"! C'en est si désespérant, que l'on est parfois tentés, le titre nous prévient, de se mettre en "off".
Mais ne dors pas, toi, Poète au dit d'or.

J'aime infiniment ce poème, ce qu'il dit, qui me semble si complexe. Pardonne-moi si je me livre à une traduction personnelle peut-être fausse, mais voici ce que j'y trouve...le sommeil, le rêve, comme le retour au gisement primordial de tout ce qui possible.
Une matrice qui est là, à portée, indistincte, et dont "ce qui ne sera pas" illustre la fécondité.
Et j'aime ce ton tâtonnant d'exploration, si adouci, pour en rendre compte.

Bonjour Annie,

J'aime beaucoup ce thème, il m'évoque les moments de glissements quotidiens de la veille au sommeil, du sommeil à l'éveil, juste après la naissance, juste avant la mort, la vison périphérique de moments particuliers de la vie, ce qu'il y a juste à côté de "l'important" si difficile à saisir et à rendre, à partager. Holà, je délaye la couleur dans mes associations d'idées, le poème a aussi des moments clés à ma lecture, le "Ils ont lieu" que je recevais comme un "ils ont une place", ce n'était plus la formule plate, un peu vidés d'un sens premier, d'un "les festivités auront bien lieu ce samedi" par exemple. Et puis encore le super enjambement de la toute fin :

"Dans un monde si plein de faits
têtus j'échoue à saisir le vrai"

ce "têtus" avec son accord au pluriel qui l'associe irrémédiablement au vers précédent, alors qu'une autre "tête de mule" ne peut le séparer de son "j'échoue à saisir le vrai", la ligne parle aussi, l'horizontal défie le zigzag de l'enjambement, c'est perdu d'avance, la grammaire a parlé comme une baba yaga sur son chaudron, c'est comme un rêve qu'on voudrait rattraper au réveil : le poème le dit, le poème le fait.

Les mots ont un ton plus funeste que ma lecture, je m'en rends compte, je ne sais pas trop si je lis où si je fabrique mais, ah... ça me saute aux yeux, ça, euh... m'éclate ! Une vraie petite joie irraisonnée.

Merci à tous