Caresse
+4
Frédéric Prunier
So-Back
Polixène
Art. Ri
8 participants
Page 1 sur 1
Caresse
Caresse
On voudrait la caresse plus profonde qu'elle ne l'est; qu'effleurer, avec la plus sincère des tendresses, cette jambe nue, soigneusement, de bas en haut, de haut en bas, ce ventre - le plus précieux des ventres - ces seins, ce visage, bref, qu'effleurer la surface du corps puisse être, d'une façon ou d'une autre, une manière d'y plonger, d'y sombrer durablement, d'en explorer le dessous, le revers, l'insondable secret, se l'incorporer; on voudrait que la main ait la magie de se mouvoir sous l'océan intime, affectif, et d'influer de la manière la plus juste sur celui-ci, qui porte à toute émotion le mouvement de ses vagues, ses tempêtes et ses éclaircies; on voudrait que la main puisse, au-delà du corps, infléchir cette âme, étreindre, comme à tout jamais, l'unité de ses états, de ses sentiments, de ses rêves, et se transmettre à eux. Il y a dans l'éphémère de la caresse un désir toujours déçu, une aspiration pinçante, obsessionnelle, un attrait du transitoire mêlé d'un refus violent et catégorique de celui-ci, une désespérance de l'instant couplée d'un besoin de pérennité, une révolte devant l'impossible ambition. Il y a dans tout cela une qualité, et même une urgence, tout bonnement tyrannique. C'est qu'au fond la moindre caresse témoigne de la fureur dont un être, dans le mouvement même de son geste, est dominé : fureur de tatouer le désir de l'être aimé; fureur suffisamment piquée de lucidité pour se résigner à temps et se muer en jeu et légèreté de cœur; légèreté de cœur suffisamment piquée de fureur pour reprendre, au moindre doute, son sens du pathos et sa lourdeur tragique.
On voudrait la caresse plus profonde qu'elle ne l'est; qu'effleurer, avec la plus sincère des tendresses, cette jambe nue, soigneusement, de bas en haut, de haut en bas, ce ventre - le plus précieux des ventres - ces seins, ce visage, bref, qu'effleurer la surface du corps puisse être, d'une façon ou d'une autre, une manière d'y plonger, d'y sombrer durablement, d'en explorer le dessous, le revers, l'insondable secret, se l'incorporer; on voudrait que la main ait la magie de se mouvoir sous l'océan intime, affectif, et d'influer de la manière la plus juste sur celui-ci, qui porte à toute émotion le mouvement de ses vagues, ses tempêtes et ses éclaircies; on voudrait que la main puisse, au-delà du corps, infléchir cette âme, étreindre, comme à tout jamais, l'unité de ses états, de ses sentiments, de ses rêves, et se transmettre à eux. Il y a dans l'éphémère de la caresse un désir toujours déçu, une aspiration pinçante, obsessionnelle, un attrait du transitoire mêlé d'un refus violent et catégorique de celui-ci, une désespérance de l'instant couplée d'un besoin de pérennité, une révolte devant l'impossible ambition. Il y a dans tout cela une qualité, et même une urgence, tout bonnement tyrannique. C'est qu'au fond la moindre caresse témoigne de la fureur dont un être, dans le mouvement même de son geste, est dominé : fureur de tatouer le désir de l'être aimé; fureur suffisamment piquée de lucidité pour se résigner à temps et se muer en jeu et légèreté de cœur; légèreté de cœur suffisamment piquée de fureur pour reprendre, au moindre doute, son sens du pathos et sa lourdeur tragique.
Art. Ri- Nombre de messages : 314
Age : 26
Date d'inscription : 28/10/2010
Re: Caresse
"Tatouer le désir", belle image vraiment.
Ta façon d'écrire m'évoque celle de Bachelard. (Gaston)
Ta façon d'écrire m'évoque celle de Bachelard. (Gaston)
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Caresse
la caresse au pinacle, nirvana du toucher
bel écrit
bel écrit
So-Back- Nombre de messages : 3657
Age : 101
Date d'inscription : 04/04/2014
Re: Caresse
Merci pour votre passage.
On a comparé - assez curieusement - ailleurs mon petit texte à Francis Ponge. Bachelard, pourquoi pas. Enfin je n'y songeais guère. Qu'est-ce qui vous y a fait penser Polixene ?
On a comparé - assez curieusement - ailleurs mon petit texte à Francis Ponge. Bachelard, pourquoi pas. Enfin je n'y songeais guère. Qu'est-ce qui vous y a fait penser Polixene ?
Art. Ri- Nombre de messages : 314
Age : 26
Date d'inscription : 28/10/2010
Re: Caresse
-La posture d' "entomologiste" (cette volonté de décrire une réalité au plus précis),
-La dépersonnalisation ("on", "il y a",l'effacement du "narrateur"),
-Le sérieux du propos (Ponge est plus ludique, il se joue des mots),
-Cette tentative de généraliser l'infime/intime expérience, cette confiance dans les mots.
-La dépersonnalisation ("on", "il y a",l'effacement du "narrateur"),
-Le sérieux du propos (Ponge est plus ludique, il se joue des mots),
-Cette tentative de généraliser l'infime/intime expérience, cette confiance dans les mots.
Polixène- Nombre de messages : 3298
Age : 62
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Caresse
juste un truc à la fin,
persoje
je remplacerai le pathos et le tragique par l'empressement du désir et l'envie de jouir :-D
mais dans ce cas là, celui qui écrit ne pourrait plus écrire qu'il est toujours déçu.... :-(
et sinon,
je ne comprends pas ici : on voudrait que la main puisse, au-delà du corps, infléchir cette âme, étreindre, comme à tout jamais, l'unité de ses états, de ses sentiments, de ses rêves, et se transmettre à eux.
à eux ?
ses états ? (ses)...
la main infléchit, étreint... ses .. ses... ses... à eux.
je perçois une globalité mais n'arrive pas à percer le mystère...
persoje
je remplacerai le pathos et le tragique par l'empressement du désir et l'envie de jouir :-D
mais dans ce cas là, celui qui écrit ne pourrait plus écrire qu'il est toujours déçu.... :-(
et sinon,
je ne comprends pas ici : on voudrait que la main puisse, au-delà du corps, infléchir cette âme, étreindre, comme à tout jamais, l'unité de ses états, de ses sentiments, de ses rêves, et se transmettre à eux.
à eux ?
ses états ? (ses)...
la main infléchit, étreint... ses .. ses... ses... à eux.
je perçois une globalité mais n'arrive pas à percer le mystère...
Re: Caresse
Votre finesse, Polixene, m'honore beaucoup. Ce que vous dites est fort juste. Il est plaisant d'être ainsi lu. Merci encore.
Frédéric Prunier. Vous pointez le doigt sur une confusion que je n'avais pas remarquée. J'ai écris "se transmettre à eux" en songeant aux états, aux sentiments, aux rêves qui font la matière de l'âme. Mais il est évident que c'est ici une faute puisque "eux" se réfère, syntaxiquement, à l'âme et à l'unité de ses états. Je corrigerai la faute, bien que mon oreille musicale y rechigne un peu.
Je suis surpris que ce texte vous soit mystérieux. Mais peut-être est-ce là un tour que me joue ma "confiance dans les mots". Disons que je décris une expérience ambivalente, celle d'une plénitude tactile et amoureuse qui, tout en s'eprouvant ainsi, se voit troublée, presque tachée par la conscience, qui à la fois l'accompagne d'une ambition de profondeur d'éternité (l'amour est une aspiration de l'âme à envelopper deux corps et pour toujours) et à la fois en éprouve l'impossibilit, pire : elle en soupçonne - sans vouloir y croire - le caractère éphémère et illusoire. La vanité.
J'espère n'avoir pas trop gâché votre mystère. M'expliquer est aussi une manière que j'ai de me résoudre.
Frédéric Prunier. Vous pointez le doigt sur une confusion que je n'avais pas remarquée. J'ai écris "se transmettre à eux" en songeant aux états, aux sentiments, aux rêves qui font la matière de l'âme. Mais il est évident que c'est ici une faute puisque "eux" se réfère, syntaxiquement, à l'âme et à l'unité de ses états. Je corrigerai la faute, bien que mon oreille musicale y rechigne un peu.
Je suis surpris que ce texte vous soit mystérieux. Mais peut-être est-ce là un tour que me joue ma "confiance dans les mots". Disons que je décris une expérience ambivalente, celle d'une plénitude tactile et amoureuse qui, tout en s'eprouvant ainsi, se voit troublée, presque tachée par la conscience, qui à la fois l'accompagne d'une ambition de profondeur d'éternité (l'amour est une aspiration de l'âme à envelopper deux corps et pour toujours) et à la fois en éprouve l'impossibilit, pire : elle en soupçonne - sans vouloir y croire - le caractère éphémère et illusoire. La vanité.
J'espère n'avoir pas trop gâché votre mystère. M'expliquer est aussi une manière que j'ai de me résoudre.
Art. Ri- Nombre de messages : 314
Age : 26
Date d'inscription : 28/10/2010
Re: Caresse
Ce travail, de qualité, s'apparente à celui de l'essayiste qui se donne pour tâche de fixer les aspérités d'un phénomène. Comme le signale très justement Polixène plus haut, le « on » tend à donner un caractère universel à l'expérience traversée. Les formes superlatives (« la plus sincère », « le plus précieux », « la plus juste », « la moindre caresse », « au moindre doute »), la forme comparative (« plus profonde qu'elle ne l'est »), la modalisation du désir (« voudrait » x 3, « que la main ait », « puisse être », « puisse... infléchir »), les hyperboles (« à toute émotion », « comme à tout jamais »), le chiasme (de bas en haut, de haut en bas »), la gradation (« on voudrait que la main ait », « on voudrait que la main puisse »), la gradation hyperbolique (« d'y plonger, d'y sombrer durablement, d'en explorer le dessous, le revers, l'insondable secret »), manifestent une immense soif d'absolu dans le rapport à l'autre. Cependant, l'individu est saisi par la contradiction inhérente sa condition (oxymore : « une aspiration pinçante », paradoxes : « l'unité de ses états », « un attrait du transitoire mêlé d'un refus violent et catégorique de celui-ci, une désespérance de l'instant couplée d'un besoin de pérennité, une révolte devant l'impossible ambition ») qui met en lumière l'impuissance qui est la sienne de se rassasier pleinement de son désir (métaphore : « l'éphémère de la caresse », passif présent : « est dominé », verbes pronominaux : « se résigner », « se muer », chiasme : « fureur... légèreté du coeur » / « légèreté du cœur... fureur »).
Merci pour ce partage !
Merci pour ce partage !
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 59
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: Caresse
le ratio mots/idées est déséquilibré en défaveur des dernières. je pense qu'on peut distinguer dans l'énumération ce qui va préciser une idée de ce qui se réduit à une conjonction de formulations et c'est plutôt le cas ici.
Cerval- Nombre de messages : 286
Age : 33
Date d'inscription : 09/09/2012
Re: Caresse
je trouve ça un peu verbeux quoi
Cerval- Nombre de messages : 286
Age : 33
Date d'inscription : 09/09/2012
Re: Caresse
Vouloir saisir l'essence d'une caresse est un projet louable, surtout si on se place du côté de celui qui la donne. Bravo pour cette tentative.
J'aime assez l'idée d'effleurer la surface d'un corps dans le but d'y explorer un insondable secret, comme si un grand bandit ouvrait des coffres forts à tâtons.
Merci pour cette lecture !
J'aime assez l'idée d'effleurer la surface d'un corps dans le but d'y explorer un insondable secret, comme si un grand bandit ouvrait des coffres forts à tâtons.
Merci pour cette lecture !
Zoorit- Nombre de messages : 6
Age : 36
Date d'inscription : 07/03/2015
Re: Caresse
Bonjour,
Parfois je tiens, pour des raisons qui me sont propres, à souligner la qualité de l'écrit, pas obligatoirement de l'écriture d'ailleurs. C'est le cas ici.
Par contre, la présentation façon pavé de boeuf au milieu d'une assiette blanche est un peu indigeste.
De plus, la logorrhée - écrite, certes - de mots et d'idées associée à la difficile pénétration du texte a conduit le lecteur que je suis à des décrochages fréquents.
Les idées sont celles qu'on a, bien sûr, en début de "carrière" lorsque tout n'est encore qu'hypothèses, fantasmes et rêveries.
Amicalement,
midnightrambler (Les mains d'un homme sur mon corps ... Section PROSE, au bas de la page 5)
Parfois je tiens, pour des raisons qui me sont propres, à souligner la qualité de l'écrit, pas obligatoirement de l'écriture d'ailleurs. C'est le cas ici.
Par contre, la présentation façon pavé de boeuf au milieu d'une assiette blanche est un peu indigeste.
De plus, la logorrhée - écrite, certes - de mots et d'idées associée à la difficile pénétration du texte a conduit le lecteur que je suis à des décrochages fréquents.
Les idées sont celles qu'on a, bien sûr, en début de "carrière" lorsque tout n'est encore qu'hypothèses, fantasmes et rêveries.
Amicalement,
midnightrambler (Les mains d'un homme sur mon corps ... Section PROSE, au bas de la page 5)
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Sujets similaires
» Caresse
» Discussions autour de nos textes
» Un oiseau me caresse
» Fugue caresse
» J'ai caressé le nulle part
» Discussions autour de nos textes
» Un oiseau me caresse
» Fugue caresse
» J'ai caressé le nulle part
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum