Une nuit

Une vie... non ! Une nuit, je n'ai pas rêvé, c'était la pleine lune. Il soupira. Se redressa. Mal au dos comme toujours. S'était-il endormi? Ses paupières brûlaient. Les plissa, déplissa, fit claquer le livre. Le déposa sur la table basse dont il venait de retirer ses jambes emmitouflées du plaid à câlins. N'aurait pas su dire de quoi ça parlait. Le chat avait ouvert un oeil curieux. C'était ça l'important. La douleur de ses paupières. L'important c'était ça, cette nuit-là, pas les livres. Cette nuit-là et l'oeil du chat. Déverrouilla la porte de derrière. Il ne rêvait pas. C'était la pleine lune. Rit en dedans et une étoile cligna. Piétinant la litanie de sa grand-mère : "La nuit c'est fait pour dormir!"il posa le pied sur la pierre. Il aurait fallu aller se coucher, se brosser les dents, passer un pyjama troué ou pas ; parce que dans quelques heures tout recommencerait.

               Une conscience lui arriva dans la clarté de la lune. Elle découpait crûment les mousses suintantes qu'il n'avait pas raclées entre les carreaux de la terrasse. Dans quelques heures ce serait samedi ! Il avait devant lui deux matins sans réveil : un royaume. Whistler aurait sans doute été déçu. " Nocturne " oui mais pas de noir. Encore moins d'or. Restons dans la réalité de l'existence.Il n'avait pas gagné à l'euro millions. Ne gagnerait jamais. Pas pour lui tout ça. Aïe, ça piquait! Son pied sur l'herbe eut froid. Il songea à la myriade de limaces qui avaient attaqué la baie vitrée la veille. Allait-il en écraser? Un cri fusa du bois tout proche : douleur de bête qu'on égorge....qui peut-être enfin consent. Il s'était immobilisé au bout du rectangle de béton. Si claire la lune derrière le squelette du noyer. Si claire. Hibou lointain, rassurant. Froid. Le chat attentif frotta son mollet. Il releva doucement sa jambe et pressa le flanc de l'animal. Un frisson clair le parcourut.

               Le chat le précédait, glissant  noir et paisible, le long de la plinthe carrelée jusqu'au bol d'eau de la cuisine où flottait sur une branche un éclat de lumière.  Il ne prit pas la peine de descendre les volets. Remercia les limaces, le noyer patient, la lune, le chat. Rêvait-il déjà? Cette nuit il sut qu'il allait dormir. Vraiment.



P.S : j'ai eu des problèmes pour les italiques qui n'apparaissaient pas sur le premier envoi.
Du coup il faudrait le supprimer si possible....

Parfois, de façon surprenante, un instant de la vie présente nous inonde, effaçant toutes les obligations qui encrassent notre conscience, qui nous tuent à petit feu.
Le texte, par touches discrètes évoque tout cela jusqu'à nous faire vivre l'expérience elle-même, sa beauté libératrice.

Ce que je lis c'est ta manière de décrire la nuit. De la peindre. J'ai à côté sur l'écran une ou deux nocturnes de Whistler, et je lis ta façon à toi. A la fois réelle, et même réaliste, et sensorielle plus qu'imagée. Je prends, tout ça. Même le désordre dans lequel tu le livres.
Où j'aurais envie d'aller, c'est toujours de la peinture. Ce qui pourrait mériter un style. La première Nuit qu'a peinte Van Gogh, la terrasse du café la nuit à Arles, il a décidé de ne pas mettre de noir. Comme toi. D'être fidèle au motif, comme tu l'es aux sensations. Mais ce motif, il l'a travaillé avec son style, sa touche, sa force, ses contraste, son désordre à lui. Je ne sais pas si c'est possible, mais c'est vers ça que je tendrais. Un style, comme un stylo.

Merci beaucoup seyne et 'toM de vos remarques. Pourrais-je avoir des précisions 'toM?
Pour moi "Ce qui pourrais mériter un style" n'est pas clair. Tu veux dire qu'il faudrait retravailler le texte afin de lui donner un style?
Le seul style possible pour moi est, comme le dit Aristote "la clarté". Tu touches juste : ce que je visais dans le texte c'étaient les sensations puisque l'on était la nuit. Buffon qui prétendait que "le style c'est l'homme" me semble ne dire finalement qu'une chose très simple : chacun se dépatouille pour faire comprendre ce qu'il veut dire ou faire sentir.
Je crois qu'on ne peut pas s'efforcer d'avoir un style mais simplement essayer de se faire comprendre au plus proche de ce qu'on a voulu dire.
Quelquefois ça marche mais pas toujours.

P.S :Question piège:
Tout cela est-il compréhensible ou pas? ;-)

Ce qui pourrait bien entendu

Le style, c'est sûr que ça ne peut pas être délibéré, calculé. Pas plus que la façon qu'on a de marcher, de manger, d'écrire à la main. C'est quelque chose qui s'est peu à peu imposé dans la pratique, qui reflète la personne qu'on est, et qui s'exprime quand on essaie juste de dire ce qu'on voit, ressent, le plus justement possible, le plus honnêtement possible. Une partie de l'apprentissage c'est de se débarrasser des coquetteries, faussetés, conventions : en commençant par les voir. En cela, pratiquer un art est comme une auto-éducation, voire une auto-thérapie. Parfois il faut des années pour que ça vous saute aux yeux, et c'est bien mortifiant !

C'est aussi ce qui est utile dans un site comme celui-ci : les autres peuvent voir ces petites tricheries, à cause de leur distance, et nous les faire voir. Bien sûr, ça ne fonctionne que dans la confiance, l'estime.
Après, il y a les jeux avec la forme, les expérimentations qu'on peut tenter. C'est encore plus difficile de savoir si ça fonctionne. Et l'oeil d'un autre est encore plus utile.

J'ai bien aimé que tu poses ce texte dans le rayon poésie, j'y vois une réflexion sur la nature même de la poésie, si tant est qu'on puisse la définir.

Je suis désolé, j'ai peu de temps pour alimenter ce débat qui le mérite. Je crois comprendre qu'il faudrait se détacher de ce qu'on dépeint en l'écrivant, en restant fidèle au plus près à ce qui est perçu. J'aime beaucoup Van Gogh. A une période de sa vie de peintre il a senti le besoin sur cette réalité qu'il voyait (le motif), de mettre l'accent, la touche, la ou plutôt les couleurs, leur alliage, sur ce qu'il sentait devant cette réalité. Le style (qui n'est pas celui de Van Gogh, mais celui de Van Gogh représentant quelque chose ou quelqu'un) transmet la vérité du sujet et l'autre vérité, ou son reflet, de celui qui le voit et cherche à montrer avec justesse et honnêteté, voire enthousiasme et maladresse, ce choc, cette interférence. Jusqu'où faut-il aller, jusqu'où peut-on se réinterroger ou effacer. Je ne m'en lasse pas, même si je finis par être abstrait. Bon stop, parce que quand l'écriture se met à parler de l'écriture, j'ai toujours l'impression qu'elle s'éloigne de l'écriture.