CLICHÉ
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CLICHÉ
J’ai gardé une photo de toi. Celle que tu détestais tant. Je l’ai sortie d’un album qu’on avait rangé dans une boîte au sous-sol. Un album dans lequel tu n’existes qu’en un seul exemplaire, parmi des dizaines d’autres où tu n’existes pas du tout. Même protégée, l’image s’est écornée, le cliché s’est un peu replié sur lui-même, comme un vieillard se courberait sous le poids des années. Je t’ai regardé, comme je te regardais autrefois. Mon grand frère. Je me souviens que papa avait découvert cette photo, un matin où tu n’étais pas là, quand j’avais encore dix ans, un jour comme chaque jour où je savais que tu rentrerais à la maison le soir venu. Un jour comme tant d’autres que j’ai laissé passer sans les voir vraiment, ni eux ni toi. Ce jour-là, papa est entré dans ta chambre. Je ne me souviens plus pourquoi. Peut-être cherchait-il quelque chose, peut-être avait-il envie de te voir, simplement, mais tu n’étais pas là. La photo était sous ton oreiller. Pourquoi ce jour-là précisément, le seul jour où la photo se trouvait là, avait-il décidé de glisser son bras sous ton oreiller ? Tu lui avais demandé, mais il ne t’a jamais répondu. Il a vu la photo ; moi, je la trouvais tordante. Lui, il était furieux. Il trouvait que parmi toutes ces fleurs, toutes ces couleurs, que dans ton regard presque théâtral, tu avais l’air homosexuel. Fifi, qu’il a dit, comme on aurait prononcé une insulte. Il s’est enfermé dans sa chambre, le cliché dans sa poche, jusqu’à ce que tu reviennes au souper. Il n’a pas mangé et tu ne comprenais pas pourquoi. Tu as demandé à maman, mais elle n’avait pas encore vu la photo : elle n’a pas pu te répondu. Tu as cru qu’elle te cachait quelque chose et tu lui en as voulu longtemps. Moi, je suis resté silencieux. Quand est venu l’heure pour moi de me coucher, papa s’est décidé à sortir de sa chambre. Je ne dormais pas et j’ai entendu votre conversation. Il a réclamé des explications, en te traitant de tous les noms et jamais tu n’as nié la vérité, mais il ne pouvait pas l’accepter. Une semaine plus tard, tu es parti, bagages sur le dos, sans me jeter le moindre regard. Me croyais-tu, à l’exemple de notre père, l’esprit clôturé de préjugés ? Tu ne savais pas que j’étais à l’âge où l’on découvre le monde, la vie, la sexualité. Dix ans. Si jeune, si naïf, mais pourtant, je t’aimais bien.
Hier, papa est allé pleurer dans ta chambre. Ton lit s’y trouve encore, certains de tes effets personnels aussi. Tu n’avais apporté que le nécessaire et n’étais jamais revenu. Tu ne reviendras plus. C’est pour ça que papa a souillé ton lit de larmes. Des regrets. Des remords. Des excuses qu’il aimerait te dire, mais qu’il ne pourra que chuchoter tristement sur ta tombe. C’est hier, quand papa pleurait, que je suis descendu et que j’ai trouvé la photo. Je l’ai volée et l’emporterai avec moi en partant. Peut-être irais-je te rejoindre. Peut-être pas. Mais demain, je pars et suivrai les traces de tes pas quelque temps.
Hier, papa est allé pleurer dans ta chambre. Ton lit s’y trouve encore, certains de tes effets personnels aussi. Tu n’avais apporté que le nécessaire et n’étais jamais revenu. Tu ne reviendras plus. C’est pour ça que papa a souillé ton lit de larmes. Des regrets. Des remords. Des excuses qu’il aimerait te dire, mais qu’il ne pourra que chuchoter tristement sur ta tombe. C’est hier, quand papa pleurait, que je suis descendu et que j’ai trouvé la photo. Je l’ai volée et l’emporterai avec moi en partant. Peut-être irais-je te rejoindre. Peut-être pas. Mais demain, je pars et suivrai les traces de tes pas quelque temps.
Jonjon- Nombre de messages : 2908
Age : 40
Date d'inscription : 21/12/2005
Re: CLICHÉ
**** j'ai corrigé quelques fautes ****
J’ai gardé une photo de toi. Celle que tu détestais tant. Je l’ai sortie d’un album qu’on avait rangé dans une boîte au sous-sol. Un album dans lequel tu n’existes qu’en un seul exemplaire, parmi des dizaines d’autres albums où tu n’existes pas du tout. Même protégée, l’image s’est écornée, le cliché s’est un peu replié sur lui-même, comme un vieillard se courberait sous le poids des années. Je t’ai regardé, comme je te regardais autrefois. Mon grand frère. Je me souviens que papa avait découvert cette photo, un matin où tu n’étais pas là, quand j’avais encore dix ans, un jour comme chaque jour où je savais que tu rentrerais à la maison le soir venu. Un jour comme tant d’autres que j’ai laissé passer sans les voir vraiment, ni eux ni toi. Ce jour-là, papa est entré dans ta chambre. Je ne me souviens plus pourquoi. Peut-être cherchait-il quelque chose, peut-être avait-il envie de te voir, simplement, mais tu n’étais pas là. La photo était sous ton oreiller. Pourquoi ce jour-là précisément, le seul jour où la photo se trouvait là, avait-il décidé de glisser son bras sous ton oreiller ? Tu lui avais demandé, mais il ne t’a jamais répondu. Il a vu la photo ; moi, je la trouvais tordante. Lui, il était furieux. Il trouvait que parmi toutes ces fleurs, toutes ces couleurs, qu’avec ton regard presque trop théâtral, tu avais l’air homosexuel. Fifi, qu’il a dit, comme on aurait vilainement prononcé une insulte. Il s’est enfermé dans sa chambre, le cliché dans sa poche, jusqu’à ce que tu reviennes au souper. Il n’a pas mangé et tu ne comprenais pas pourquoi. Tu as demandé à maman, mais elle n’avait pas encore vu la photo : elle n’a pas pu te répondre. Tu as cru qu’elle te cachait quelque chose et tu lui en as voulu longtemps. Moi, je suis resté silencieux. Quand est venue l’heure pour moi de me coucher, papa s’est décidé à sortir de sa chambre. Je ne dormais pas et j’ai entendu votre conversation. Il a réclamé des explications, en te traitant de tous les noms et jamais tu n’as nié la vérité, mais il ne pouvait pas l’accepter. Une semaine plus tard, tu es parti, bagages sur le dos, sans me jeter le moindre regard. Me croyais-tu, à l’exemple de notre père, l’esprit clôturé de préjugés ? Tu ne savais pas que j’étais à l’âge où l’on découvre le monde, la vie, la sexualité. Dix ans. Si jeune, si naïf, mais pourtant, je t’aimais bien et j’étais prêt à te découvrir.
Hier, papa est allé pleurer dans ta chambre. Ton lit s’y trouve encore, certains de tes effets personnels aussi. Tu n’avais apporté que le nécessaire et n’étais jamais revenu. Tu ne reviendras plus. C’est pour ça que papa a souillé ton lit de larmes. Des regrets. Des remords. Des excuses qu’il aimerait te dire, mais qu’il ne pourra plus que chuchoter tristement sur ta tombe. C’est hier, quand papa pleurait, que je suis descendu et que j’ai trouvé la photo. Je l’ai volée et l’emporterai avec moi où j’irai. Peut-être vais-je te rejoindre. Je ne sais pas. Mais demain, je pars et suivrai les traces de tes pas quelque temps.
J’ai gardé une photo de toi. Celle que tu détestais tant. Je l’ai sortie d’un album qu’on avait rangé dans une boîte au sous-sol. Un album dans lequel tu n’existes qu’en un seul exemplaire, parmi des dizaines d’autres albums où tu n’existes pas du tout. Même protégée, l’image s’est écornée, le cliché s’est un peu replié sur lui-même, comme un vieillard se courberait sous le poids des années. Je t’ai regardé, comme je te regardais autrefois. Mon grand frère. Je me souviens que papa avait découvert cette photo, un matin où tu n’étais pas là, quand j’avais encore dix ans, un jour comme chaque jour où je savais que tu rentrerais à la maison le soir venu. Un jour comme tant d’autres que j’ai laissé passer sans les voir vraiment, ni eux ni toi. Ce jour-là, papa est entré dans ta chambre. Je ne me souviens plus pourquoi. Peut-être cherchait-il quelque chose, peut-être avait-il envie de te voir, simplement, mais tu n’étais pas là. La photo était sous ton oreiller. Pourquoi ce jour-là précisément, le seul jour où la photo se trouvait là, avait-il décidé de glisser son bras sous ton oreiller ? Tu lui avais demandé, mais il ne t’a jamais répondu. Il a vu la photo ; moi, je la trouvais tordante. Lui, il était furieux. Il trouvait que parmi toutes ces fleurs, toutes ces couleurs, qu’avec ton regard presque trop théâtral, tu avais l’air homosexuel. Fifi, qu’il a dit, comme on aurait vilainement prononcé une insulte. Il s’est enfermé dans sa chambre, le cliché dans sa poche, jusqu’à ce que tu reviennes au souper. Il n’a pas mangé et tu ne comprenais pas pourquoi. Tu as demandé à maman, mais elle n’avait pas encore vu la photo : elle n’a pas pu te répondre. Tu as cru qu’elle te cachait quelque chose et tu lui en as voulu longtemps. Moi, je suis resté silencieux. Quand est venue l’heure pour moi de me coucher, papa s’est décidé à sortir de sa chambre. Je ne dormais pas et j’ai entendu votre conversation. Il a réclamé des explications, en te traitant de tous les noms et jamais tu n’as nié la vérité, mais il ne pouvait pas l’accepter. Une semaine plus tard, tu es parti, bagages sur le dos, sans me jeter le moindre regard. Me croyais-tu, à l’exemple de notre père, l’esprit clôturé de préjugés ? Tu ne savais pas que j’étais à l’âge où l’on découvre le monde, la vie, la sexualité. Dix ans. Si jeune, si naïf, mais pourtant, je t’aimais bien et j’étais prêt à te découvrir.
Hier, papa est allé pleurer dans ta chambre. Ton lit s’y trouve encore, certains de tes effets personnels aussi. Tu n’avais apporté que le nécessaire et n’étais jamais revenu. Tu ne reviendras plus. C’est pour ça que papa a souillé ton lit de larmes. Des regrets. Des remords. Des excuses qu’il aimerait te dire, mais qu’il ne pourra plus que chuchoter tristement sur ta tombe. C’est hier, quand papa pleurait, que je suis descendu et que j’ai trouvé la photo. Je l’ai volée et l’emporterai avec moi où j’irai. Peut-être vais-je te rejoindre. Je ne sais pas. Mais demain, je pars et suivrai les traces de tes pas quelque temps.
Jonjon- Nombre de messages : 2908
Age : 40
Date d'inscription : 21/12/2005
Re: CLICHÉ
Comment dire... je trouve ton texte beau, Jonjon, mais en même temps un peu facile. Dans la première partie, tu en fais un peu trop, tu t'attardes trop sur une mystérieuse photo qui ne l'est pourtant pas tant que ça, tu as donné des pistes, on sait de quoi il en retourne. Donc ça traîne en longueur, on espère quelque chose, autre chose, une vraie émotion. Là, on devine tout. Puis arrive la fin, la mort, attendue elle-aussi.
Scénario sans surprise pour moi donc, mais bien écrit, mieux que d'autres de tes textes qui me paraissaient plus bâclés. Ici, l'écriture est fluide, les phrases s'enchaînent relativement bien. C'est juste le fond qui ne me surprend pas vraiment.
Scénario sans surprise pour moi donc, mais bien écrit, mieux que d'autres de tes textes qui me paraissaient plus bâclés. Ici, l'écriture est fluide, les phrases s'enchaînent relativement bien. C'est juste le fond qui ne me surprend pas vraiment.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: CLICHÉ
Un texte émouvant que j'ai lu avec plaisir, Jonjon.
Un truc ou deux ont un peu heurté ma lecture comme l'idée de souiller un lit avec des larmes, devaient être bien noires ces larmes-là.
Pour le reste: bravo!
Un truc ou deux ont un peu heurté ma lecture comme l'idée de souiller un lit avec des larmes, devaient être bien noires ces larmes-là.
Pour le reste: bravo!
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: CLICHÉ
Un texte raconté avec sensibilité. C'est vrai qu'il ne surprend pas mais les émotions sont posées là simplement. Ca devrait suffire mais je ne sais pas il me manque quelque chose Jonjon, peut-être un peu plus de fougue, de force dans le récit...
Re: CLICHÉ
Un texte sensible, touchant, qui se veut plein de sincérité, ça se sent. Et c'est peut-être ça qui le rend à certains moments maladroits.
Mais un texte qui existe quand même.
Mais un texte qui existe quand même.
Re: CLICHÉ
Oui plein de sensibilité. J'ai aimé surtout le contraste entre le frère absent mais tellement présent parmi les fleurs et les couleurs de la photo et les vivants là et mais tellement mornes.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: CLICHÉ
Je trouve ce texte émouvant, bien écrit, visuel, vrai, avec ce qu'il faut de sentiments, j'ai aimé.
Re: CLICHÉ
Comme kilis, "souillé de larmes" m'a un peu gèné. Mais pour le reste j'ai beaucoup aimé, tout le début, la façon de le narrer, et l'entame du dernier paragraphe, je trouve que c'est très bon. J'ai un peu tiqué sur la tombe, j'aurais aimé quelque chose de moins conventionnel : une façon de le dire légèrement plus détournée. Mais la fin est très belle: le petit frère qui décide de partir dans les traces de son aîné : une note d'espoir, une renaissance pour ce frère disparru.
Les émotions sont belles, sans fioritures inutiles. Bravo.
Les émotions sont belles, sans fioritures inutiles. Bravo.
Kicilou- Nombre de messages : 290
Localisation : île de france
Date d'inscription : 12/12/2005
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