Marek

Ecrit très vite aujourd'hui, et à peine relu. Un début de nouvelle pour mes "Histoires sombres".
...

Marek, je l’avais toujours considéré comme un faible, une quantité négligeable. Il faut dire qu’il ne payait pas de mine avec ses petites lunettes, ses épaules étroites et ses oreilles décollées. Il avait été affecté au bataillon en même temps que moi mais c’était là notre seul point commun.

C’est vrai qu’il détonnait un peu Marek, au milieu de types comme nous. C’était à croire qu’il y avait eu une erreur d’affectation. Comment ce petit bonhomme à la poitrine creuse avait-il pu se retrouver là ? Il aurait été cent fois plus à sa place dans un bureau non ? Les marches de nuit, les manœuvres, ce n’était pas pour lui.

Il n’avait pas eu de mal à se faire repérer par le sergent dès le premier jour. Largué au bout d’à peine trois kilomètres lors de la première marche, il s’était traîné sous les insultes du sous-officier tout le reste de la journée.

Une tête de turc, ça n’a pas que des inconvénients. Je veux dire pour les autres. Moi par exemple, ça m’avait permis de m’intégrer en douceur à l’effectif. Pendant que les anciens s’occupaient du cas de Marek, cette larve, ce sous-homme, ils ne s’occupaient pas du mien. Il m’avait suffi de m’esclaffer avec les autres à la première blague que Drogan avait lancé sur le sujet de la virilité de l’avorton pour me différencier définitivement de lui.

Mes performances sportives, mon allure, avaient fait le reste.

Un soir, alors que nous étions de garde lui et moi, je lui avait posé la question à Marek. Je lui avais demandé pourquoi il s’était engagé. Pourquoi il supportait tout ça. J’étais en droit de me demander non ? C’est vrai, j’ai toujours dit qu’il y a des choses pour lesquelles on est fait et puis d’autres pas. C’est comme ça. Et un gars comme Marek n’était pas fait pour la vie d’une unité combattante. Pas lui. Moi, à sa place, j’aurais demandé ma mutation. Sûr que le sergent ne s’y serait pas opposé.

Mais Marek s’obstinait. Malgré les railleries, malgré les insultes, malgré les mauvaises blagues, il serrait les dents, finissant toutes les courses bon dernier… mais finissant tout de même. Je crois bien que finalement, si le sergent le tolérait c’est parce que, quelque part, il cimentait le reste du groupe. Il avait fait l’unanimité contre lui le gars Marek, et en une seule journée. Dès qu’il s’agissait de se foutre de sa gueule tout le monde était d’accord.

Donc oui, je me demandais ce qu’il faisait encore ici.

En réponse à ma question, il avait haussé ses maigres épaules et il avait répondu qu’il était là pour les mêmes raisons que moi : pour défendre sa patrie. Moi, ça m’avait fait sourire. On pouvait rêver mieux comme protection.

Alors il m’avait regardé droit dans les yeux et il avait craché cette phrase :

- L’honneur, tu crois que c’est réservé aux types comme toi ?

- Non. Bien sûr que non.

Mais je n’en pensais pas moins. Il n’avait rien d’un guerrier.

Nous avions replongé dans le mutisme, chacun de notre côté. Après tout, s’il rêvait de mourir au combat,… Je n’étais ni sa mère ni son père n’est-ce pas ?

…

Les histoires d'armée, il y a normalement pas mieux pour me faire fuir à toutes jambes. Là j'ai lu, jusqu'au bout, avec plaisir. D'abord parce que tu as réussi dès le départ à intriguer le lecteur avec ce Marek qui ne paie par de mine, ensuite parce que le texte est fluide, la lecture se fait toute seule en dépit d'une chronologie qui ne me paraît pas toujours parfaitement logique....

D'accord avec Island, dès le début du texte, on sent tout de suite l'intrigue nous appater.

Un petit hic, à mon goût pour la phrase "Donc oui, je me demandais ce qu’il faisait encore ici." qui pourrait être enlevé.
En somme une petite histoire sympa, et un Marek qui prend toute son allure avec "- L’honneur, tu crois que c’est réservé aux types comme toi ?"

cooool

Maniak j'aime encore beaucoup ton texte !

Les personnages sont vrais, le Marek qui s'obstine, le crétin qui en profite, le groupe à qui il suffit de si peu pour se souder... Celui qui a la notion d'honneur n'est finalement pas celui qu'on croit... Oui, c'est très vrai..!

Island, ce n'est pas tant le contexte de l'histoire qui compte que le sujet. J'ai choisi l'armée parce que les histoires de guerre permettent de traiter les sentiments des personnages dans des situations extrêmes. Marek n'est en fait qu'un prétexte pour pouvoir mettre le narrateur face à ses propres faiblesses. La suite promet d'être dure pour lui.

Couscous, pour cette phrase : "Donc oui, je me demandais ce qu’il faisait encore ici." tu es le second à me faire la remarque. Je suppose que quand je relirai, dans quelques jours, ça me sautera aux yeux.

Faustine, le narrateur n'est pas forcément un crétin, il est seulement humain. Il profite d'une situation qu'il pense lui être favorable. La suite lui prouvera que non. Mais bon, je n'en suis pas encore là, ce passage n'est que le début de l'histoire. Une espèce d'introduction.

Merci en tous cas à vous trois de m'avoir lu et commenté.

Ce n'est pas tellement le fait qu'il profite qui me fait dire que c'est un crétin, mais plus le fait qu'il ne voit pas plus loin que le bout de son nez spécialement pendant le dialogue... Le mot "crétin" est peut-être un peu abusif mais bon...

Dis donc, le Marek, c'est pas un taupe-modèle, mais on l'a déjà pris en affection, surtout si tu nous dis que ça va être dur, dur, pour lui dans le prochain épisode.
Je ne sais pas si ça met "le lecteur face à ses propres faiblesses", comme tu dis, mais je me sens l'âme à défendre ce pauvre bougre, bec et ongles ! :-))

maniak' a écrit:Island, ce n'est pas tant le contexte de l'histoire qui compte que le sujet. J'ai choisi l'armée parce que les histoires de guerre permettent de traiter les sentiments des personnages dans des situations extrêmes. Marek n'est en fait qu'un prétexte pour pouvoir mettre le narrateur face à ses propres faiblesses. La suite promet d'être dure pour lui.

J'entends bien. No comment.

Réussi pour moi. Un concentré de belle écriture qui suscite l'intérêt pour les personnages, le fil à venir de l'histoire. En quelques lignes tu as su brosser un portrait crédible des deux hommes, et combien humain. Du bel ouvrage.

L'armée comme décor mais, ce genre de situation peut se retrouver dans bon nombre de contextes... malheureusement. Le souffre-douleur à la vie dure et longue. On est tout de suite dedans, que l'on se place d'un côté ou de l'autre. Les gens aiment, bien souvent, s'unir dans la vacherie : plus on est de fous...
Merci pour cet incipit qui promet, à mon sens, une histoire des plus prometteuses.

Merci pour les commentaires. Je vous colle une petite suite dont je n'arrive pas à savoir si elle me plait. Donnez moi votre avis.

…

Drogan, lui, c’était autre chose. Un teigneux, un méchant, un meneur. Des types comme ça on en rencontre dès la petite enfance. Vous savez le gamin qui décide à quoi on va jouer à la récré, qui établit les équipes, qui définit les règles… c’est un Drogan. Celui qui, au collège, est toujours entouré, qui sort avec les plus jolies filles… c’est un Drogan. Celui qui ne se dégonfle jamais, qui méprise les faibles, les trouillards, et qui les martyrise… c’est un Drogan aussi.

Le genre de gars qu’on n’aime pas forcément, qu’on déteste même parfois, qu’on craint peut-être aussi, mais qu’on suit. Comme tout le monde. Parce que, ne pas le faire c’est accepter de ne pas être dans son camp… et en assumer les conséquences.

Il était comme ça le sergent-chef Drogan. Et il mettait un point d’honneur à être encore plus dur que le plus dur d’entre nous.

Tenez. Une petite anecdote, histoire de vous situer un peu le personnage et illustrer le pouvoir qu’il avait sur nous tous :

Ce matin là, il nous avait réveillé avant l’aube pour une petite excursion dans les collines. Il faisait un froid de fin du monde et le vent coupant qui sifflait entre les arbres n’arrangeait rien. Un parcours de dix kilomètres était prévu au programme, en tenue de combat, avec tout le barda et en terrain accidenté. Il avait plu une bonne partie de la nuit et la boue qui se dissimulait sous le tapis glissant de feuilles mortes rendait notre progression encore plus pénible.

Ce n’était pas une course. Pas officiellement. Mais bien sûr, chacun d’entre nous savait qu’il devrait démontrer aux autres sa supériorité, sa force de caractère.

D’ordinaire, Drogan ne courrait pas avec nous. Il se contentait de nous indiquer le parcours et de prendre les chronos en nous traitant de fillettes quand ça n’allait pas assez vite à son goût. Mais, ce jour là, il avait décidé de nous montrer de quoi il était capable. Comme nous, il s’était harnaché, le fusil d’assaut en bandoulière, le casque sur la tête et le sac sur le dos.

Dès le départ, il avait imprimé un tel rythme que nous n’avions été que deux à pouvoir le suivre : Vranek et moi. A mi-parcours, alors que nous attaquions l’ascension d’une énième colline encore plus pentue que les précédentes, notre sergent-chef avait tourné vers nous son visage maculé de boue et avait grimacé un sourire. Un sourire qui voulait dire : Mes p’tits gars ! J’en ai encore dans les chaussettes ! Je vous lâche quand je veux.

Et c’était vrai qu’il allait vite.

Vranek nous avait laissé partir à trois kilomètres du but, asphyxié. Moi j’avais insisté encore un peu et puis j’avais levé le pied à mon tour, histoire de garder des forces pour finir.

Et Drogan était parti seul… Fin de la démonstration.

Enfin, c’était ce qu’il croyait. Mais il n’avait pas prévu que la dernière montée serait si dure, que ses jambes le trahiraient si près de l’arrivée.

Et c’est là que je veux en venir avec ma petite histoire. À ce moment précis. À l’instant où je l’ai rattrapé. Il fallait voir ça ! La rage qui l’animait quand je suis revenu à sa hauteur et ce regard qu’il m’a lancé.

Vous savez, le genre de regard qui est aussi explicite qu’un long discours. Le genre de regard qui vous dit que, cette course, vous pouvez la gagner bien sûr, mais que ce serait une grossière erreur. Sauf, bien sûr, si vous avez envie d’en baver jusqu’à la fin des temps. Un regard qui vous explique qu’on ne bat pas le chef Drogan, même si on court plus vite que lui. L’humilier devant ses hommes, c’était pile la connerie à ne pas faire.

Alors, l’estomac noué par un profond malaise, je l’ai laissé reprendre du champ. J’ai même ralenti suffisamment pour que Vranek finisse devant moi.

Parce que je me savais capable de supporter beaucoup de choses : avancer sur l’ennemi les armes à la main sous un déluge de feu, sauter de nuit sur n’importe quel objectif militaire quitte à y laisser ma peau… Mais pas affronter les brimades du sergent Drogan au quotidien comme le faisait Marek. Ça non.

C’était au-dessus de mes forces.

À l’arrivée, juste avant qu’on embarque dans le camion, il m’a tapé sur l’épaule avec un sourire neutre :

- T’as bien couru Skol… T’as bien failli m’avoir.

- Sûr chef. La prochaine fois...

Son sourire s’est élargi et il s’est éloigné tranquillement.

- C’est ça,… la prochaine fois…

Il m’a balancé ça sans se retourner, par-dessus son épaule. Nous savions tous les deux que, si j’avais les jambes pour le battre, je n’avais pas suffisamment de tripes…

Voila comment il était le chef Drogan.

…

Ton narrateur, je l’aime bien. Il est très humain. Un héros lâche comme il faut. Une sorte de champion qui se la pète pas, fort et sensible en même temps, un peu fragile aussi du côté du caractère, lucide, caméléon, conscient que dans un milieu hostile, il vaut mieux adopter un profil bas.
Son instinct de survie lui évite de se mettre dans les emmerdes.
Il ne prendra pas l’initiative de faire le mal, mais ne l’empêchera pas forcément.
Il est pour l’instant trop sur la réserve. Il lui faudra endurer encore bien des frustrations pour réagir face à l’injustice.
Il est dans une phase d’observation.
Il aura peut-être un jour un sursaut de révolte, ou peut-être pas.
J’aime beaucoup ton écriture. A lire c’est du petit lait.
Les deux textes sont très bien . Ils s’enchaînent et se complètent bien.
Je suivrai ton histoire.

Un humain. Avec ses forces et ses faiblesses.

Content que tu ais vu exactement ce que je voulais décrire. On ne peut pas me faire de meilleur commentaire.

Merci donc, d'avoir lu et d'avoir aimé.

J'aime beaucoup ta façon d'impliquer le lecteur dans le texte, de le prendre à témoin du récit et des brimades de Drogan. C'est vrai que ça se lit tout seul, c'est vivant et sensible, les observations du narrateur pleines de finesse dans un contexte qui en manque souvent.
Pourquoi dis-tu ne pas être sûr d'aimer cette 2ème partie ? Qu'est-ce qui te gêne ?

C'est simplement que je n'ai pas assez de recul. C'est tout frais. En général il me faut un peu de temps pour décider si ça me plait.

Merci d'avoir lu.

Rien à redire, j'allais ajouter "comme d'hab'"... C'est du Maniak'... Les personnages sont bien campés, avec humanité, toujours, et on n'a plus qu'à les suivre.
Moteur... on tourne ! (c'est juste un clin d'oeil sourire, ça)

Le narrateur est, comme l'ont dit d'autres avant moi, très humain et c'est ce qui m'a poussé vraiment à continuer. Je déteste en générale les histoires d'armé, enfin, ce qui touche à l'armé, mais cette histoire reflète bien plus que ça. Elle me fait penser à mon enfance, j'étais, comme qui dirait une tête de turc (sauf que je l'étais en parti volontairement, je détestais que les gens se plie devant un "petit chef" présomptueux), tout ce "racontage" de vie pour dire que je trouve ton écris super, on s'y retrouve ou on y retrouve forcément beaucoup de vrai et de vécu.

Par petite touche, tu brosses les portraits de tes soldats et on n'attend plus que de tous les connaître.
Oui, ce qui fait - souvent - la lâcheté des " forts ", c'est cette crainte d'être traité comme des faibles. Parce qu'il en faut pour supporter de se laisser harceler tout le temps par les meneurs. Il en faut même sacrément !

Ben merci pour les coms, la suite est sur le feu. J'ai pas trop le temps d'écrire là. J'essaierai d'en poster un bout d'ici un jour ou deux.

Par moment, ça réveille en moi des echos de voyage au bout de la nuit...

Hello maniak!

J'aime cette phrase: "pour défendre sa patrie. Moi, ça m’avait fait sourire. On pouvait rêver mieux comme protection." et aussi ceci "L’honneur, tu crois que c’est réservé aux types comme toi ?", simple mais très parlant.

Plaisir à te lire maniak. Une tranche de vie morose et grave et pourtant, il y a ce soupçon de légèreté qui apporte beaucoup au texte.

Pour ce qui est de la suite, je l'ai trouvée plus faible, parce que tu prends moins le temps de poser les éléments, de permettre au lecteur de pénétrer la psychologie des personnages. Quelque chose passe moins bien, non pas que ça aille trop vite mais c'est davantage narratif et expliqué, un peu trop.

Une petite suite que je me suis un peu forcé à écrire... Suis pas inspiré en ce moment.
...

Ça faisait plus de vingt minutes à présent que nous étions tassés dans ce fossé. De l’autre côté de la route, des snipers, postés à l’étage d’une station service abandonnée, n’attendaient que l’occasion de nous allonger, comme Vranek et Tobias, sur le macadam.

Nous étions arrivés par les bois, en milieu de matinée et, lorsque les premiers bâtiments de ce village dont je ne veux pas me souvenir du nom étaient apparus, j’avais senti croître l’angoisse qui me nouait la gorge depuis le matin. Il faisait gris, la terre humide collait à nos semelles et mes mains étaient glacées malgré les mitaines kaki que j’avais pris la précaution de passer. Un temps maussade. Un temps à se pendre à la première branche venue.

Mais le chef Drogan ne nous en avait pas laissé le loisir. Il nous avait fait avancer, à marche forcée et en silence, en direction de ce hameau perdu dans les collines dont je me demandais ce que notre état-major pouvait bien avoir à foutre. Quelques dizaines de maisons de pierre, déjà en grande partie détruites par les raids aériens, blotties dans une cuvette au milieu des bois, en bordure d’une route de campagne. Quel intérêt stratégique cela pouvait-il bien avoir ? Pourquoi fallait-il absolument prendre ce champs de ruines ? C’était un mystère pour le trouffion que j’étais. Probable que les galonnés d’en haut avaient leurs raisons. Des raisons qui faisaient que Vranek et Tobias étaient étendus sous ce triste ciel d’hiver, en travers de cette route dont on ne savait même pas où elle menait.

- Qu’est-ce qu’il fout ce con ? Il devrait déjà avoir demandé une protection aérienne…

Marek, à plat ventre à mes côtés, essuyait la boue sur ses lunettes en marmonnant. Et il avait raison. Je me demandais moi même pourquoi Drogan ne s’était pas servi de la radio pour demander que l’on nettoie ce nid de snipers.

Mais je n’aurais pas été lui poser la question. Ça non. Il aurait été capable de me faire fusiller sur place tellement il était enragé. Et à mon avis, c’était autant à cause des corps de nos deux camarades criblés de balles que de l’humiliation qu’il ressentait d’avoir sous-estimé le danger. Lui. L’infaillible chef Drogan.

- Ta gueule Marek ! Il doit avoir ses raisons…

Je préférais m’en convaincre, c’était tellement plus rassurant.

Des raisons, en tous cas, il en avait. Peut-être pas celles que j’aurais espéré, mais il en avait. La meilleure d’entre elles c’était qu’il voulait faire lui-même la peau aux enfoirés de snipers qui nous avaient pris sous leur feu et lui avaient descendu deux hommes.

Et Drogan, quand il avait décidé quelque chose…

…

Une petite tentative de reprise de l'écriture. Un tout petit bout de Marek.

...


C’était la fin de l’après-midi. De lourds nuages obscurcissaient le ciel bas et une bruine
glacée faisait luire les bouts de trottoir épargnés par les bombardements. Dans moins
d’une heure il ferait nuit. La température déjà glaciale tomberait alors probablement de
quelques degrés supplémentaires.

Ils se tenaient devant nous. Le regard apeuré et les lèvres tremblantes. Drogan les avait
fait s’agenouiller dans cette impasse au fond de laquelle nous avions fini par les acculer.

Ça n’avait pas été facile. Ils nous avaient donné du fil à retordre, passant d’un bâtiment
en ruine à un autre, nous prenant sous leur feu à la moindre occasion. Plus d’une fois,
pendant les presque deux heures qu’avait duré la traque, ils nous avaient forcés à
reculer.

Mais ils étaient là, à genoux dans la boue et la trouille au fond des yeux, les mains liées
dans le dos par des colliers d’électricien en plastique. Deux jeunes types à peine sortis
de l’adolescence aux tenues de combat dépareillées et un autre, un peu plus vieux. Un
grand maigre avec une barbe de trois ou quatre jours.

Je me souviens particulièrement du plus jeune d’entre eux : blond, les yeux clairs. Un
gars comme nous finalement, qui était là pour défendre ce qu’il considérait comme sa
terre. Un gosse.

Nous n’étions que quatre avec les prisonniers dans cette foutue impasse. Drogan bien
sûr. Et puis Nikoliz, Marek et moi. Plus Slapz, qui montait la garde un peu plus haut,
histoire qu’on ne vienne pas nous déranger.

Je crois que c’est là que j’ai compris que tout n’était pas aussi simple que je l’avais
imaginé en m’engageant. Les bons n’étaient pas forcément bons. Il n’y avait qu’à
regarder Drogan pour s’en convaincre. D’ailleurs, pour ces trois hommes pissant dans
leurs frocs, nous étions probablement les méchants.

Oui, jusqu’à ce que je me retrouve face à ces gamins apeurés, pendant tout le temps
qu’avait duré la traque, j’avais imaginé avoir affaire à de gros durs. A des vétérans qui
nous auraient toisés avec du défi dans le regard. Des miliciens à gueule d’assassin.
Pas à des collégiens terrifiés tout juste en âge de passer le bac.

Drogan et Nikoliz n’en avaient rien à foutre. Tout ce qu’ils voyaient c’étaient trois franc-
tireurs qui nous avaient abattu deux gars. Et c’était le genre de chose que des types
comme eux ne pouvaient laisser impunie. Pas après tout ce qu’ils avaient vécu depuis
le début du conflit…

Je me doutais que ce qui allait se passer n’allait pas me plaire. Drogan allait
probablement exécuter ces pauvres gars sans autre forme de procès. Et certainement
pas d’une simple balle dans la tête. Non. Ce n’était pas de cette façon que les anciens
réglaient leurs comptes.

Oui, je m’attendais à quelque chose comme ça. Et je me préparais déjà à l’horreur d’une
exécution sommaire. A la chute des corps sans vie de nos prisonniers dans la boue de
cette venelle obscure, à la terreur dans leurs yeux après la mort du premier d’entre eux…

J’étais encore loin d’imaginer qu’il pouvait y avoir pire que l’assassinat de ces trois
gamins par Drogan et Nikoliz…

...

Sympa ces textes, et bien écrits. Ça me fait penser au film "l'ennemi intime" sur la fin, une histoire avec des soldats français en Algérie, ce qui n'est pas forcement mauvais, mais du coup j'ai eu une impression de déjà vu. J'attends avec impatience la suite. ( Quelque chose me dit que Marek va paraître beaucoup moins sympathique dans le prochain morceau ).

…


- L’article 13 de la convention de Genève interdit à ce soldat d’exécuter cet ordre chef !

Marek se tenait au garde-à-vous face à Drogan, évitant de croiser son regard.

Moi, je me retenais de courir vomir mes tripes dans le coin le plus sombre de l’impasse. Parce que je n’étais pas une putain de fiote comme Marek. Moi j’étais un dur. J’avais prouvé que je méritais d’être accepté dans cette unité.

Oui… Je venais tout juste de le prouver.

Je ne savais pas encore que les images de cette fin d’après-midi me hanteraient si longtemps. Je ne pensais pas qu’il m’arriverait si souvent de me réveiller en larmes plus de dix ans après. Je ne me doutais surtout pas que j’arriverais un jour à envier sa force à un type comme Marek.

Drogan avait commencé par insulter copieusement nos prisonniers. Il leur avait expliqué qu’ils n’étaient pas autre chose que la lie d’un peuple de bâtards consanguins. Qu’il savait où étaient planquées leurs mères, leurs femmes et leurs filles et qu’il n’allait pas manquer de les éventrer après que nous les aurions violé les unes après les autres, histoire de ne pas mélanger notre sang avec le purin qui courrait dans leurs veines.

Nikoliz, tournait en ricanant autour des trois pauvres gars tremblant de peur, à genoux dans la boue. Cet imbécile prenait réellement son pied. C’était un géant encore plus costaud que moi, aux oreilles décollées, au nez fort et busqué et à la mâchoire épaisse. Une véritable brute à front bas.

La première gifle claqua avec une telle violence que j’en sursautai.

Je ne sais pas si je suis capable d’expliquer réellement ce que j’ai ressenti à ce moment précis. Je crois que le mieux c’est juste de retranscrire cette phrase qui s’est allumée dans mon cerveau : On y est…

On y est. Oui, on est dans une de ces situations dont on sait qu’elles existent, dont on sait qu’on aura probablement à en vivre en étant affecté à une unité combattante, mais dont on a fini par se persuader qu’on pourra les éviter en remplissant correctement son devoir. Le genre de situation où on perd tout contrôle. Où toutes les valeurs qu’on a respecté jusque là volent soudainement en éclats.

Ce sursaut, ce tressaillement qui a secoué mon corps au claquement sec sur la joue du plus vieux des trois prisonniers, ce mouvement de recul devant la brutalité du coup, ce clignement d’œil… ce simple réflexe… Oui, ce simple réflexe a été, je crois, ce qui a fait que je sois devenu l’homme que je suis aujourd’hui…

…

Il m'a manqué Marek...

J'adore !

Toutes ces parties d'un écrit en voie de gestation me plaisent beaucoup.
Style clair, agréable, fond humain, intéressant. A suivre avec plaisir pour toutes ces qualités. Toutefois, à mon avis, il faudra vous relire attentivement avant de livrer une mouture définitive. J'ai relevé deux fautes dans la même phrase, vers le début : ... à la première blague que Drogan avait lancé (lancée) sur le sujet de la virilité de l'avorton (au sujet)...

Bon. J'aime le style. Les persos sont bien campés, les dialogues fluides, le décor bien décrit.
Mais voilà...
Ça ressemble à un milliard de choses, diverses et variées, on y retrouve tout ce que les américains ont fait autour de la guerre du Vietnam, sans parler du soldat Ryan, etc.
Le pleutre qui sera finalement un héros, la grande gueule aux pieds d'argile, les scènes à vomir qui vous changent un homme (le début de Mesrine quand il est en Algérie). Tout cela a déjà été vu, décrit et montré.
Et c'est bien embêtant.

Merci slave1802, ça fait toujours plaisir.

embellie, ces extraits sont postés à chaud, pratiquement sans relecture. Je procède de la sorte parce que j'ai toujours du mal à apprécier mes propres textes et j'ai donc besoin d'avoir des avis extérieurs.

ptipimous, je n'ai pas vu Mesrine (et je n'irai pas je crois). Sinon, quand j'écris, mon objectif n'est pas d'être original ou de faire des trucs qui n'ont jamais été faits. Non, ce que je veux d'abord c'est me faire plaisir. Et bien sûr, faire plaisir au lecteur éventuel. après, que j'y arrive ou pas, c'est une toute autre histoire.

Pour en revenir au texte : Marek, n'est pas un pleutre. Il encaisse sans broncher depuis la première ligne de ce texte et sans dévier de la route qu'il s'est tracé. Skol n'est pas une grande gueule, c'est un suiveur qui se planque derrière sa carrure d'athlète.

Et personne ne deviendra un héros dans cette histoire. tout simplement parce que je ne crois pas aux héros.

Mais bon, si je suis obligé d'expliquer ce que j'ai voulu écrire, c'est que mon objectif n'a pas été atteint.

Merci à tous de m'avoir lu en tous cas.

La suite est sur le feu.

La suite et la fin. C'est tout frais et je ne sais pas quoi en penser. J'ai essayé de ne pas en faire trop (d'ailleurs, pour le coup, j'ai peut-être même été trop vite) mais, vraiment, j'aimerais avoir votre avis.

…

Il y a des moments charnière dans la vie. Des décisions lourdes de conséquences. Tout le monde connaît ça : le mauvais choix qui fait qu’on perd alors qu’on avait en main le jeu idéal pour l’emporter, juste parce qu’on a décidé de jeter la mauvaise carte. Celui qu’on se reproche et dont on sait qu’il aurait pu tout changer…

Quand Marek a repoussé l’arme que lui tendait Drogan en invoquant la convention de Genève, je n’ai pas réalisé qu’on entrait dans un de ces moments clés. Je n’ai pas su voir la force de caractère qu’impliquait ce geste. Je n’ai pas vu où était l’honneur, celui dont je me gargarisais depuis des années et qui m’avait valu de me retrouver là.

Non. Marek était un faible n’est-ce pas ? C’était en tous cas ce qu’on m’avait enfoncé dans le crâne depuis des semaines. Et s’il refusait de faire ce que lui demandait le sergent, c’était uniquement parce qu’il manquait de couilles. Ça ne pouvait être que ça. Alors que moi j’étais la plus prometteuse recrue de la brigade…

- Quoi, t’as peur de te salir Marek ? Tu crois qu’il ferait quoi ce fils de pute si c’était lui qui tenait le flingue ?

Drogan ricanait en dévisageant l’avorton.

- T’as peur de pas y arriver ? Que ça t’empêche de dormir ?

Avec le même sourire détendu que s’il avait été accoudé à un bar à descendre une bière, il se retourna et logea une balle dans le crâne du prisonnier. Il avait fait ça tellement vite que je dus réprimer un nouveau sursaut.

- A toi Skol. Montre lui à ce pédé…

Il avait enjambé le cadavre qui gisait face contre terre à nos pieds et me tendait son Tokarev.

Je me souviens parfaitement du contact de la crosse gaufrée de l’automatique dans ma main moite, du regard clair et suppliant du garçon à genoux face à moi et de sa lèvre qui tremblait, de Nikoliz qui me disait en rigolant de faire gaffe à ne pas l’éclabousser et de la promesse que je me suis fait de le tuer un jour…

Je ne crois pas avoir fermé les yeux en pressant la détente. Je ne crois pas mais je n’en suis pas sûr.

Je ne sais pas qui, de Drogan ou Nikoliz, a descendu le troisième prisonnier. Ce que j’entends encore, c’est la voix du chef :

- Marek, s’il te prenait l’envie de raconter ce qui s’est passé ici… n’oublie pas que celui-là c’est toi qui l’as buté. Nous sommes trois pour en témoigner.

Et puis l’expression sur le visage de Marek quand nous avons embarqué dans le camion et que nos regards se sont croisés… juste avant qu’il ne détourne les yeux.

…

Nous n’avons pas eu à nous inquiéter d’une éventuelle déclaration de Marek à un quelconque officier. Il a sauté sur une mine quatre jours seulement après cette opération. Pour la plupart d’entre nous ça n’a pas été une grande perte. Il y en a même qui ont rigolé en disant qu’il était mort comme un con sans avoir trouvé ce qu’il était venu chercher.

Drogan est mort lui aussi. Quelques mois plus tard… En héros.

Quant à Nikoliz,… je lui ai planté une baïonnette dans les tripes un soir de beuverie, dans une sombre ruelle de Zdangar. Il n’a pas compris, je l’ai lu dans ses yeux, et ça ne m’a pas soulagé.

Simplement je m’étais promis de le faire.

Peut-être que Marek aurait compris, lui ?


FIN.

Ayant parcouru ce qui précède j'ai d'abord eu l'impression que tout en restant dans la même veine, ce dernier morceau était peut-être plus clinique, moins "humain", moins fort en fait. Mais ce n'est qu'une impression, dont je doute moi-même...
Voir les autres avis.
En tout cas, l'écriture est toujours aussi efficace, prenante.

Hop je remonte ! Marek avait des fans dans le temps !!

C'est fini, je peux la dire, depuis le début ça me fait furieusement penser à voyage au bout de la nuit.
Ce n'est pas une critique, mais un compliment...

VA FALLOIR RELIRE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT JE PENSE , COMPARE CA A CE ROMAN RESSORT DE LA SCIENCE FICTION

Merci Easter d'avoir lu jusqu'au bout et d'avoir remonté le texte.

Slave1802, je n'ai pas lu Voyage au bout de la nuit, va peut-être falloir que je le fasse. Merci en tous cas d'avoir lu et commenté.

moolek, slave ne compare rien du tout mais dit simplement que ça lui rappelle Voyage au bout de la nuit, ça aurait pu être Oui-oui et le cerf-volant, c'est perso je pense...

Dans tous les cas, je trouve malsain de commenter les commentaires.

Moolek, je t'adore !

ptipimous a écrit:Moolek, je t'adore !

tu es bien la seule :-)

J'ai bien aimé ce début de nouvelle, étant encore un novice dans ce domaine, je ne pourrai pas avoir un avis objectif, mais je me permet quand même de dire que ça me fait penser à ce film de kubrick, "full metal jacket", et plus particulièrement à la phase de formation. T'en es-tu inspiré ?

ça y est j'ai fait un tour pour savoir pourquoi j'étais la seule !
C'est une réaction juste à partir de CE commentaire, pas les autres ! Mais il faut reconnaitre que comparer Marek au Voyage... C'est osé !

Durdenstreet, Full Metal Jacket je l'ai vu il y a longtemps et ça ne m'a pas laissé un souvenir impérissable. Si j'ai été influencé par ce film c'est complètement inconscient parce que je ne me souviens même plus de l'histoire. Mais c'est possible. On garde toujours des images...

Ptipimous, personne ne compare quoi que ce soit, Slave dit simplement que ça lui rappelle Voyage au bout de la nuit sans préciser pourquoi. C'est très différent non ?

Content d'apprendre que tu adores Moolek... Mais bon,... Si tu lui faisais un MP ?