LOISEAU : Le chat et Loiseau
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LOISEAU : Le chat et Loiseau
EXO 200808 (Loiseau)
Scénario 2
LE CHAT ET LOISEAU
« L’ombre s’étend
La nuit descend
C’est pas du tout rassurant
Oh là mon Dieu,
Un cri affreux
Vous fait dresser les cheveux
Il y a du crime dans l’air
Il rôde des ombres d’assassin
L’étrangleur n’est sûrement pas loin
Mais c’n’est que le p’tit bout d’la queue du chat
Qui vous électrise
C’n’est qu’le pt’it bout d’la queue du chat
Qui passait par là… »
(R. Marcy, chanté par les Frères Jacques)
1) C’est le Père Loiseau qui a perdu son chat
L’ombre s’étendait, et non seulement ça n’était pas rassurant, mais ça n’était pas normal du tout, avec trois spots à fond, la TV king size allumée comme un sapin de Noël, et dans la cheminée un brasier à éclairer le trou du cul de l’Enfer. C’était comme ça depuis sept jours : Fred Loiseau avait beau inonder son appartement de lumière, dès qu’il se relâchait un peu, ses paupières se mettaient à peser un poids infini, et l’ombre gagnait inexorablement du terrain, comme une flaque de ténèbres.
C’est là que commençait le cauchemar. Toujours le même : il mettait en scène un tribunal d’énormes souris, coiffées de grotesques cagoules de pénitents espagnols qui n’arrivaient pas à dissimuler leurs ridicules oreilles dysnéiennes et leurs museaux en ogive de missile. Cette cour de monstres impitoyables instruisait le procès d’un malheureux chat, solidement ligoté, lequel était invariablement convaincu de perfidie, et condamné au bûcher en dépit de ses miaulements de protestation indignés. Fred Loiseau se réveillait toujours au moment où les abominables créatures s’apprêtaient à bouter le feu au tas de fagots en psalmodiant des versets vengeurs.
Tout avait débuté une semaine auparavant, lorsque son chat Perfide n’était pas rentré après une nuit de débauche féline, pour engloutir comme chaque matin son breakfast. Le spectacle de la soucoupe de lait débordante et de la gamelle de ronron intacte avait de quoi coller le blues aux âmes les mieux trempées, et la sienne était plutôt du genre sensible. En dépit de son nom, c’était pousser la perfidie un peu loin. Il s’était consolé en se disant que l’inconstant animal reviendrait bien lorsqu’il aurait faim, ce qui n’aurait su tarder vu son appétit insatiable, mais le soir, il n’avait toujours pas réapparu, et l’ombre avait commencé à s’étendre.
Au premier coup de fil anonyme, Fred avait tout d’abord raccroché avec colère au nez du mauvais plaisant qui venait lui carboniser sa série US en prime time et son hot-dog moutarde oignons arrosé de Guinness. Seulement, après soixante-douze appels du même type et cent trente-cinq e-mails, force lui fut de constater que si plaisanterie il y avait, elle était aussi interminable que de mauvais goût. Les premiers appels étaient principalement composés de bruits confus, parmi lesquels se détachaient cependant ce qu’on ne pouvait appeler autrement que des miaulements. Puis, petit à petit, des voix stridentes, maquillées jusqu’au grotesque, avaient pris le relais, serinant des menaces de plus en plus précises. Enfin, au déluge de sons succéda l’avalanche de messages électroniques, chaque jour plus comminatoires. Le propos était clair : c’est toi qui craches ou c’est ton chat qui trinque.
Ce n’était naturellement pas la première fois que Loiseau avait affaire à des maîtres-chanteurs. Demande de rançon et enlèvement d’otage sont pour ainsi dire le pain quotidien du détective. Il n’avait pas son pareil pour résoudre ce genre de cas. Un seul conseil : ne rien payer, faire durer le marchandage et tâcher de pousser les ravisseurs à la faute. Bien sûr il y avait parfois des bavures, et c’est ainsi qu’un richissime magnat du corned-beef avait récupéré son épouse chérie en kit dans une brouette, tandis qu’un puissant potentat provincial avait retrouvé son fils adoré étalé au rouleau compresseur sur le court de tennis familial. On ne peut pas gagner à tous les coups, avait-il philosophé. Seulement voilà, c’était la première fois qu’on le faisait chanter lui et que la victime était son propre animal de compagnie.
Depuis, il ne dormait plus, s’alimentait exclusivement de café robusta, de tabac turc et de rouge à 12,5°, et passait ses journées allongé sur son canapé à attendre le prochain appel. Il avait bien songé à demander à sa copine Wanda de lui tenir compagnie dans cette mauvaise passe, mais la volage créature s’était envolée aux Seychelles pour participer à un congrès d’astrologues, de cartomanciens et autres nécromants. Il ne pouvait pas non plus aller se consoler au comptoir du Trompe l’œil, fermé pour cause de congé annuel. Enfin, le temps lui-même s’était mis de la partie ; réchauffement de la planète ou pas, la température ne dépassait pas quinze degrés en plein mois d’août et toute la pluie du monde semblait s’être donné rendez-vous pour arroser la rue du Chat qui pêche…
Le septième jour, Loiseau ouvrit sur le jour blême l’œil jaunasse de la gueule de bois. Il réprima un frisson de dégoût à la vue de l’océan de bouteilles vides encombrant tous les recoins disponibles du plancher poussiéreux, des himayalas de mégots débordant des cendriers et de la cafetière goudronnée de dépôt. Tout proclamait l’urgence d’une reprise en main. D’ailleurs il n’y avait plus rien à boire dans toute la maison. Avant tout une bonne douche pour décaper six jours de laisser-aller, et un solide repas pour compenser la même durée d’alimentation liquide. Après avoir passé son trench mastic qui lui donnait l’air d’un policier déguisé en flic, il claqua la porte au nez des appels anonymes, des e-mails malveillants et de la désolation. Un bon coup de karcher ou quelques pains de dynamite résoudraient le problème. Quant à Perfide, il ne le retrouverait pas plus facilement en ruminant ses cauchemars à l’ombre de quatre murs. En avant, mauvaise troupe, se rassembla-t-il, et direction la mangeoire.
Au retour, ce n’était plus le même Loiseau qui remontait la Rue du Chat-qui-Pêche. Le sourire béat de l’homme repu illuminait ses traits et à ses lèvres fumait un havane de ministre cubain. Pour se recharger les batteries, il possédait par bonheur quelques adresses d’auberges accueillantes dans lesquelles la chimie moléculaire n’avait pas encore remplacé la vraie cuisine dans les assiettes, et où l’on n’avait pas l’impression de manger dans la vitrine d’un décorateur psychopathe. Il avait opté pour le Quincy, Avenue Ledru-Rollin, à deux pas de la Gare de Lyon, l’endroit idéal pour faire la nique aux soucis en tête-à-tête avec un caquelon fumant de cassoulet au confit, précédé d’une terrine fermière au chou à l’ail et suivi d’une crème de riz au raisin onctueuse comme une fesse de chérubin. Sans oublier le panier de crottins de Chavignol et la salade à l’huile de noix, oméga 3 obligent. Le tout accompagné d’un petit Cahors de grande personne et surtout de la fameuse prune flambée maison. Avec modération, naturellement. Dans cet atelier du bonheur des papilles, pas question de laisser ne fût-ce qu’un haricot blanc dans le plat ; d’ailleurs Bobosse, le truculent maître des lieux, passait régulièrement entre les tables les poings sur les hanches, pour veiller au grain et morigéner les chipoteurs au coup de fourchette hésitant. Ce n’était pas le cas de notre détective. Fred Loiseau, comme son nom l’indique assez, avait un appétit de vautour.
Une fois rentré chez lui, une surprise de taille l’attendait. Une main mystérieuse avait effacé toute désolation d’un coup de chiffon magique. L’ordre le plus strict régnait dans son appartement. Même la cafetière brillait de mille feux, le parquet impeccablement ciré luisait comme une patinoire à mouches. Il resta un moment éberlué sur le pas de la porte, se demandant si, le Cahors et la vieille prune aidant, il ne serait pas rentré par inadvertance chez un voisin. Il n’avait pas vu son foyer si bien rangé depuis la dernière fois qu’il y avait reçu sa maman, expérience qu’il ne renouvellerait pas de sitôt, compte tenu de la frénésie ménagère de la chère vieille dame. Non seulement toute trace de désordre avait disparu, mais un parfum délicieux quoique entêtant baignait les lieux et un disque de Nat King Cole ajoutait encore à la suavité de l’atmosphère. Luxe, calme et volupté attendaient le guerrier retour du combat. Ce ne pouvait être qu’un coup de cette agitée de Wanda.
En effet, à peine se fût-il débarrassé de son imperméable que la porte de la salle de bain s’ouvrit sur la susnommée, enveloppée dans son meilleur peignoir blanc, un sèche-cheveux à pile brandi comme une arme dans sa direction.
- Pan, Loiseau, t’es mort.
- Ben c’est toi Wanda ?
- Et qui veux-tu que ce soit, mon petit Loiseau sans tête ? T’as une autre blondasse sur le feu ?
- Je veux dire…c’est toi qui as joué les tornades blanches ?
- Même question : t’as une autre bonniche que moi dans ton staff ?
Loiseau se laissa choir dans son vieux fauteuil chippendale au cuir craquelé, celui qu’il réservait aux cogitations délicates. La dialectique de Wanda était toujours aussi imparable. Détourner la conversation, vite.
- Je te croyais en train de faire tourner des tables aux Seychelles pour quinze jours avec le gratin du Tarot’s buiseness.
- Le colloque a été ajourné. Y a un typhon de format jumbo qui fonce sur l’archipel. Le plus farce, c’est qu’on était plus de deux cent devins, voyants et autres mages, et que pas un n’a été foutu de prédire le schmilblick. Ah pour te fignoler un thème astral ou te ripoliner l’avenir en rose bonbon, c’est tous des pointures, mais quand il s’agit de prévoir le temps qu’il va faire demain, vaut mieux consulter la météo dans le journal ! Tu m’embrasses pas ?
Joignant le geste à, elle s’assit sur l’accoudoir et colla sa bouche à la sienne.
- Dis donc, mon Loiseau de proie, tu t’es rincé les gencives à la gnôle ! Attends, je regoûte…Hmmm, ça c’est la vieille prune flambée du Quincy ! Toi t’as été te refaire un moral chez l’ami Bobosse. Cassoulet, je parie ?
- Tout juste, ma poule.
- Minute ! Les noms de volatiles, c’est pour toi. Vu l’état de ton flat quand je suis revenue, ça doit bien faire une semaine que tu marines dans le schwarz. Je savais mon Loiseau bordélique, mais à ce point, faut vraiment que t’en aies gros sur le bréchet. Tu veux pas tout raconter à ta petite Wanda ?
Et Loiseau raconta tout. La disparition de Perfide. Le harcèlement téléphonique. Le bombardement numérique. Et l’ombre qui s’étendait sur toutes choses comme un manteau de crépuscule.
- Ben dis donc, mon pauvre petit Loiseau sans ailes, je comprends que t’aies eu besoin d’un break féculents et graisses saturées ! Bon, maintenant, tout va s’arranger, hourrah, hourrah, Wanda ist wieder da. Et d’abord, j’ai du nouveau pour toi. Pendant que t’étais en train de te suicider aux lipides, un coursier est venu te livrer un paquet. A remettre en main propre à M’sieur Loiseau, qu’il a dit.
- Et y a quoi, dans ce paquet, bordel ?
- Comment veux-tu que je le sache ? En main propre, il a dit, moi j’ouvre pas le courrier des autres ! C’est sur la table basse.
Il gicla de son fauteuil comme un missile de son silo et se rua sur le paquet, une simple boîte de carton pas plus grosse qu’un paquet de cigarettes, fermée avec du ruban adhésif. Il en étala le contenu sur le verre de la table basse. Une touffe de poils gris liée en fagot avec un fil doré. Une longue griffe recourbée visiblement coupée net avec un instrument tranchant. Et un billet de papier plié en quatre, portant un message aux lettres découpées dans un journal. On connaissait ses classiques. « Dernier avertissement, Loiseau. La prochaine fois, ce n’est pas seulement du poil et de la corne que tu recevras. Si tu tiens à revoir ton greffier en un seul morceau, t’as intérêt à filer droit. A bon entendeur, salut ! »
- Eh bé t’es pas dans la merde, mon zoziau ! Et d’abord qu’est-ce qu’ils veulent, ces connards ? Du pognon ? Ils doivent bien se douter qu’un privé de ta classe – sauf vot’ respect, mon prince – ça roule pas sur l’or !
- Je te remercie…Je sais pas ce qu’ils veulent…tout ce qu’ils répètent, c’est « faut que tu casques, Loiseau » mais ils disent pas combien ni en quelle monnaie.
- D’abord qu’est-ce qui te fait croire que t’as affaire à une bande ? Et s’il n’y avait qu’un seul maître-chanteur ? Quelqu’un qui t’en veux, mais alors beaucoup beaucoup ? T’as pas ça dans tes archives ?
- C’est sûr qu’en vingt ans de filatures et de coups foireux, je me suis pas fait que des potes, mais enfin de là à se venger sur cette pauvre bête, y a de la marge. Je vois personne qui puisse m’en vouloir à ce point là…
- Et pourquoi tu préviens pas les flics ?
- Question de dignité, voyons ! Fred Loiseau résout ses affaires tout seul. Et puis tu me vois me pointer au commissariat pour signaler le kidnapping de mon chat ? Excuse-moi, mais entre les camés en manque, les dépouilleurs de petites vieilles et les braqueurs de supérette, ils en ont d’autres à fouetter, des chats, figure-toi !
- Bon si j’ai bien compris, sur ce coup-là, faudra qu’on va compter que sur nous-même. Comme d’hab. On commence par où ?
- Là je sèche. On a aucun indice.
- Comment ça on a aucun indice ? Dis donc, mon Loiseau mouche, c’est la cuisine du Quincy qui te ramollit les neurones ou bien c’est Altzheimer qui commence à te tutoyer ? Et les coups de fils ? Et les e-mails ? Et ce coursier ?
- Qu’est-ce que ça nous apprend ? Coups de fil anonymes. E-mails postés depuis une hotline. Et le coursier, pareil. T’as relevé son signalement ?
- Ben…il était comme tous les coursiers…pressé, un casque sur la tête et pas très poli.
- Tu vois bien !
- Alors y a qu’une solution. Les cartes. Wanda l’infaillible va te sortir le Grand Jeu. Amour, Travail, Santé ou Bonheur, rien n’échappe à son fluide.
- Au point où on en est…
- Tais-toi, mécréant ! Et rappelle-toi : la Grande Wanda ne travaille pas pour la peau. Va falloir que tu casses ta tirelire, Loiseau : ça va te coûter la totale chez Bobosse, vieille prune incluse. Et au champagne !
Les cartes furent formelles. Il y avait une femme blonde (Wanda ?) une femme brune (ha ha ça se corse !) voire même une rousse (la dame de carreau, mais elle s’était peut-être teinte, la pétasse) Il y avait aussi un ou plusieurs voyages, mais sans aucune indication de durée ni de destination (l’aventure, c’est l’aventure) de l’argent (le trèfle, mais va savoir s’il était à quatre feuilles ou pas ) et puis la Mort, comme toujours si l’on va au bout des choses. Bref on n’était pas plus avancé.
- Eh ben on est vachement avancés !
Fred Loiseau n’avait qu’une confiance limitée dans les talents divinatoires de sa copine. Il n’était pas contre le surnaturel, mais avec modération.
- La ferme, incrédule, je médite…
- Bon, t’arrête pas de méditer, moi je vais me faire glisser un ouiski.
- Loiseau, t’es un incrédule et un ivrogne. Et un égoïste, en plus : tu m’as même pas proposé un verre. Mais par-dessus tout, t’es con comme un balai sans poils. Tu te souviens plus que t’as aspiré tout ce qu’il y avait de buvable dans la maison ? T’as même vidé les topettes de kirsch fantaisie et fini le porto de cuisine. Ca m’étonne qu’il reste quelque chose dans la bouteille d’eau de Cologne.
- Je l’aurai oubliée.
- Je m’en doutais. Ceci étant, j’ai rien contre l’idée de s’en jeter un. Ca donne soif, la divination. Je te raconterait le résultat de ma méditation devant un Martini dry chez Hassan.
- Au Trompe l’œil ? Il est fermé.
- C’est son jour de réouverture.
(...)
Scénario 2
LE CHAT ET LOISEAU
« L’ombre s’étend
La nuit descend
C’est pas du tout rassurant
Oh là mon Dieu,
Un cri affreux
Vous fait dresser les cheveux
Il y a du crime dans l’air
Il rôde des ombres d’assassin
L’étrangleur n’est sûrement pas loin
Mais c’n’est que le p’tit bout d’la queue du chat
Qui vous électrise
C’n’est qu’le pt’it bout d’la queue du chat
Qui passait par là… »
(R. Marcy, chanté par les Frères Jacques)
1) C’est le Père Loiseau qui a perdu son chat
L’ombre s’étendait, et non seulement ça n’était pas rassurant, mais ça n’était pas normal du tout, avec trois spots à fond, la TV king size allumée comme un sapin de Noël, et dans la cheminée un brasier à éclairer le trou du cul de l’Enfer. C’était comme ça depuis sept jours : Fred Loiseau avait beau inonder son appartement de lumière, dès qu’il se relâchait un peu, ses paupières se mettaient à peser un poids infini, et l’ombre gagnait inexorablement du terrain, comme une flaque de ténèbres.
C’est là que commençait le cauchemar. Toujours le même : il mettait en scène un tribunal d’énormes souris, coiffées de grotesques cagoules de pénitents espagnols qui n’arrivaient pas à dissimuler leurs ridicules oreilles dysnéiennes et leurs museaux en ogive de missile. Cette cour de monstres impitoyables instruisait le procès d’un malheureux chat, solidement ligoté, lequel était invariablement convaincu de perfidie, et condamné au bûcher en dépit de ses miaulements de protestation indignés. Fred Loiseau se réveillait toujours au moment où les abominables créatures s’apprêtaient à bouter le feu au tas de fagots en psalmodiant des versets vengeurs.
Tout avait débuté une semaine auparavant, lorsque son chat Perfide n’était pas rentré après une nuit de débauche féline, pour engloutir comme chaque matin son breakfast. Le spectacle de la soucoupe de lait débordante et de la gamelle de ronron intacte avait de quoi coller le blues aux âmes les mieux trempées, et la sienne était plutôt du genre sensible. En dépit de son nom, c’était pousser la perfidie un peu loin. Il s’était consolé en se disant que l’inconstant animal reviendrait bien lorsqu’il aurait faim, ce qui n’aurait su tarder vu son appétit insatiable, mais le soir, il n’avait toujours pas réapparu, et l’ombre avait commencé à s’étendre.
Au premier coup de fil anonyme, Fred avait tout d’abord raccroché avec colère au nez du mauvais plaisant qui venait lui carboniser sa série US en prime time et son hot-dog moutarde oignons arrosé de Guinness. Seulement, après soixante-douze appels du même type et cent trente-cinq e-mails, force lui fut de constater que si plaisanterie il y avait, elle était aussi interminable que de mauvais goût. Les premiers appels étaient principalement composés de bruits confus, parmi lesquels se détachaient cependant ce qu’on ne pouvait appeler autrement que des miaulements. Puis, petit à petit, des voix stridentes, maquillées jusqu’au grotesque, avaient pris le relais, serinant des menaces de plus en plus précises. Enfin, au déluge de sons succéda l’avalanche de messages électroniques, chaque jour plus comminatoires. Le propos était clair : c’est toi qui craches ou c’est ton chat qui trinque.
Ce n’était naturellement pas la première fois que Loiseau avait affaire à des maîtres-chanteurs. Demande de rançon et enlèvement d’otage sont pour ainsi dire le pain quotidien du détective. Il n’avait pas son pareil pour résoudre ce genre de cas. Un seul conseil : ne rien payer, faire durer le marchandage et tâcher de pousser les ravisseurs à la faute. Bien sûr il y avait parfois des bavures, et c’est ainsi qu’un richissime magnat du corned-beef avait récupéré son épouse chérie en kit dans une brouette, tandis qu’un puissant potentat provincial avait retrouvé son fils adoré étalé au rouleau compresseur sur le court de tennis familial. On ne peut pas gagner à tous les coups, avait-il philosophé. Seulement voilà, c’était la première fois qu’on le faisait chanter lui et que la victime était son propre animal de compagnie.
Depuis, il ne dormait plus, s’alimentait exclusivement de café robusta, de tabac turc et de rouge à 12,5°, et passait ses journées allongé sur son canapé à attendre le prochain appel. Il avait bien songé à demander à sa copine Wanda de lui tenir compagnie dans cette mauvaise passe, mais la volage créature s’était envolée aux Seychelles pour participer à un congrès d’astrologues, de cartomanciens et autres nécromants. Il ne pouvait pas non plus aller se consoler au comptoir du Trompe l’œil, fermé pour cause de congé annuel. Enfin, le temps lui-même s’était mis de la partie ; réchauffement de la planète ou pas, la température ne dépassait pas quinze degrés en plein mois d’août et toute la pluie du monde semblait s’être donné rendez-vous pour arroser la rue du Chat qui pêche…
Le septième jour, Loiseau ouvrit sur le jour blême l’œil jaunasse de la gueule de bois. Il réprima un frisson de dégoût à la vue de l’océan de bouteilles vides encombrant tous les recoins disponibles du plancher poussiéreux, des himayalas de mégots débordant des cendriers et de la cafetière goudronnée de dépôt. Tout proclamait l’urgence d’une reprise en main. D’ailleurs il n’y avait plus rien à boire dans toute la maison. Avant tout une bonne douche pour décaper six jours de laisser-aller, et un solide repas pour compenser la même durée d’alimentation liquide. Après avoir passé son trench mastic qui lui donnait l’air d’un policier déguisé en flic, il claqua la porte au nez des appels anonymes, des e-mails malveillants et de la désolation. Un bon coup de karcher ou quelques pains de dynamite résoudraient le problème. Quant à Perfide, il ne le retrouverait pas plus facilement en ruminant ses cauchemars à l’ombre de quatre murs. En avant, mauvaise troupe, se rassembla-t-il, et direction la mangeoire.
Au retour, ce n’était plus le même Loiseau qui remontait la Rue du Chat-qui-Pêche. Le sourire béat de l’homme repu illuminait ses traits et à ses lèvres fumait un havane de ministre cubain. Pour se recharger les batteries, il possédait par bonheur quelques adresses d’auberges accueillantes dans lesquelles la chimie moléculaire n’avait pas encore remplacé la vraie cuisine dans les assiettes, et où l’on n’avait pas l’impression de manger dans la vitrine d’un décorateur psychopathe. Il avait opté pour le Quincy, Avenue Ledru-Rollin, à deux pas de la Gare de Lyon, l’endroit idéal pour faire la nique aux soucis en tête-à-tête avec un caquelon fumant de cassoulet au confit, précédé d’une terrine fermière au chou à l’ail et suivi d’une crème de riz au raisin onctueuse comme une fesse de chérubin. Sans oublier le panier de crottins de Chavignol et la salade à l’huile de noix, oméga 3 obligent. Le tout accompagné d’un petit Cahors de grande personne et surtout de la fameuse prune flambée maison. Avec modération, naturellement. Dans cet atelier du bonheur des papilles, pas question de laisser ne fût-ce qu’un haricot blanc dans le plat ; d’ailleurs Bobosse, le truculent maître des lieux, passait régulièrement entre les tables les poings sur les hanches, pour veiller au grain et morigéner les chipoteurs au coup de fourchette hésitant. Ce n’était pas le cas de notre détective. Fred Loiseau, comme son nom l’indique assez, avait un appétit de vautour.
Une fois rentré chez lui, une surprise de taille l’attendait. Une main mystérieuse avait effacé toute désolation d’un coup de chiffon magique. L’ordre le plus strict régnait dans son appartement. Même la cafetière brillait de mille feux, le parquet impeccablement ciré luisait comme une patinoire à mouches. Il resta un moment éberlué sur le pas de la porte, se demandant si, le Cahors et la vieille prune aidant, il ne serait pas rentré par inadvertance chez un voisin. Il n’avait pas vu son foyer si bien rangé depuis la dernière fois qu’il y avait reçu sa maman, expérience qu’il ne renouvellerait pas de sitôt, compte tenu de la frénésie ménagère de la chère vieille dame. Non seulement toute trace de désordre avait disparu, mais un parfum délicieux quoique entêtant baignait les lieux et un disque de Nat King Cole ajoutait encore à la suavité de l’atmosphère. Luxe, calme et volupté attendaient le guerrier retour du combat. Ce ne pouvait être qu’un coup de cette agitée de Wanda.
En effet, à peine se fût-il débarrassé de son imperméable que la porte de la salle de bain s’ouvrit sur la susnommée, enveloppée dans son meilleur peignoir blanc, un sèche-cheveux à pile brandi comme une arme dans sa direction.
- Pan, Loiseau, t’es mort.
- Ben c’est toi Wanda ?
- Et qui veux-tu que ce soit, mon petit Loiseau sans tête ? T’as une autre blondasse sur le feu ?
- Je veux dire…c’est toi qui as joué les tornades blanches ?
- Même question : t’as une autre bonniche que moi dans ton staff ?
Loiseau se laissa choir dans son vieux fauteuil chippendale au cuir craquelé, celui qu’il réservait aux cogitations délicates. La dialectique de Wanda était toujours aussi imparable. Détourner la conversation, vite.
- Je te croyais en train de faire tourner des tables aux Seychelles pour quinze jours avec le gratin du Tarot’s buiseness.
- Le colloque a été ajourné. Y a un typhon de format jumbo qui fonce sur l’archipel. Le plus farce, c’est qu’on était plus de deux cent devins, voyants et autres mages, et que pas un n’a été foutu de prédire le schmilblick. Ah pour te fignoler un thème astral ou te ripoliner l’avenir en rose bonbon, c’est tous des pointures, mais quand il s’agit de prévoir le temps qu’il va faire demain, vaut mieux consulter la météo dans le journal ! Tu m’embrasses pas ?
Joignant le geste à, elle s’assit sur l’accoudoir et colla sa bouche à la sienne.
- Dis donc, mon Loiseau de proie, tu t’es rincé les gencives à la gnôle ! Attends, je regoûte…Hmmm, ça c’est la vieille prune flambée du Quincy ! Toi t’as été te refaire un moral chez l’ami Bobosse. Cassoulet, je parie ?
- Tout juste, ma poule.
- Minute ! Les noms de volatiles, c’est pour toi. Vu l’état de ton flat quand je suis revenue, ça doit bien faire une semaine que tu marines dans le schwarz. Je savais mon Loiseau bordélique, mais à ce point, faut vraiment que t’en aies gros sur le bréchet. Tu veux pas tout raconter à ta petite Wanda ?
Et Loiseau raconta tout. La disparition de Perfide. Le harcèlement téléphonique. Le bombardement numérique. Et l’ombre qui s’étendait sur toutes choses comme un manteau de crépuscule.
- Ben dis donc, mon pauvre petit Loiseau sans ailes, je comprends que t’aies eu besoin d’un break féculents et graisses saturées ! Bon, maintenant, tout va s’arranger, hourrah, hourrah, Wanda ist wieder da. Et d’abord, j’ai du nouveau pour toi. Pendant que t’étais en train de te suicider aux lipides, un coursier est venu te livrer un paquet. A remettre en main propre à M’sieur Loiseau, qu’il a dit.
- Et y a quoi, dans ce paquet, bordel ?
- Comment veux-tu que je le sache ? En main propre, il a dit, moi j’ouvre pas le courrier des autres ! C’est sur la table basse.
Il gicla de son fauteuil comme un missile de son silo et se rua sur le paquet, une simple boîte de carton pas plus grosse qu’un paquet de cigarettes, fermée avec du ruban adhésif. Il en étala le contenu sur le verre de la table basse. Une touffe de poils gris liée en fagot avec un fil doré. Une longue griffe recourbée visiblement coupée net avec un instrument tranchant. Et un billet de papier plié en quatre, portant un message aux lettres découpées dans un journal. On connaissait ses classiques. « Dernier avertissement, Loiseau. La prochaine fois, ce n’est pas seulement du poil et de la corne que tu recevras. Si tu tiens à revoir ton greffier en un seul morceau, t’as intérêt à filer droit. A bon entendeur, salut ! »
- Eh bé t’es pas dans la merde, mon zoziau ! Et d’abord qu’est-ce qu’ils veulent, ces connards ? Du pognon ? Ils doivent bien se douter qu’un privé de ta classe – sauf vot’ respect, mon prince – ça roule pas sur l’or !
- Je te remercie…Je sais pas ce qu’ils veulent…tout ce qu’ils répètent, c’est « faut que tu casques, Loiseau » mais ils disent pas combien ni en quelle monnaie.
- D’abord qu’est-ce qui te fait croire que t’as affaire à une bande ? Et s’il n’y avait qu’un seul maître-chanteur ? Quelqu’un qui t’en veux, mais alors beaucoup beaucoup ? T’as pas ça dans tes archives ?
- C’est sûr qu’en vingt ans de filatures et de coups foireux, je me suis pas fait que des potes, mais enfin de là à se venger sur cette pauvre bête, y a de la marge. Je vois personne qui puisse m’en vouloir à ce point là…
- Et pourquoi tu préviens pas les flics ?
- Question de dignité, voyons ! Fred Loiseau résout ses affaires tout seul. Et puis tu me vois me pointer au commissariat pour signaler le kidnapping de mon chat ? Excuse-moi, mais entre les camés en manque, les dépouilleurs de petites vieilles et les braqueurs de supérette, ils en ont d’autres à fouetter, des chats, figure-toi !
- Bon si j’ai bien compris, sur ce coup-là, faudra qu’on va compter que sur nous-même. Comme d’hab. On commence par où ?
- Là je sèche. On a aucun indice.
- Comment ça on a aucun indice ? Dis donc, mon Loiseau mouche, c’est la cuisine du Quincy qui te ramollit les neurones ou bien c’est Altzheimer qui commence à te tutoyer ? Et les coups de fils ? Et les e-mails ? Et ce coursier ?
- Qu’est-ce que ça nous apprend ? Coups de fil anonymes. E-mails postés depuis une hotline. Et le coursier, pareil. T’as relevé son signalement ?
- Ben…il était comme tous les coursiers…pressé, un casque sur la tête et pas très poli.
- Tu vois bien !
- Alors y a qu’une solution. Les cartes. Wanda l’infaillible va te sortir le Grand Jeu. Amour, Travail, Santé ou Bonheur, rien n’échappe à son fluide.
- Au point où on en est…
- Tais-toi, mécréant ! Et rappelle-toi : la Grande Wanda ne travaille pas pour la peau. Va falloir que tu casses ta tirelire, Loiseau : ça va te coûter la totale chez Bobosse, vieille prune incluse. Et au champagne !
Les cartes furent formelles. Il y avait une femme blonde (Wanda ?) une femme brune (ha ha ça se corse !) voire même une rousse (la dame de carreau, mais elle s’était peut-être teinte, la pétasse) Il y avait aussi un ou plusieurs voyages, mais sans aucune indication de durée ni de destination (l’aventure, c’est l’aventure) de l’argent (le trèfle, mais va savoir s’il était à quatre feuilles ou pas ) et puis la Mort, comme toujours si l’on va au bout des choses. Bref on n’était pas plus avancé.
- Eh ben on est vachement avancés !
Fred Loiseau n’avait qu’une confiance limitée dans les talents divinatoires de sa copine. Il n’était pas contre le surnaturel, mais avec modération.
- La ferme, incrédule, je médite…
- Bon, t’arrête pas de méditer, moi je vais me faire glisser un ouiski.
- Loiseau, t’es un incrédule et un ivrogne. Et un égoïste, en plus : tu m’as même pas proposé un verre. Mais par-dessus tout, t’es con comme un balai sans poils. Tu te souviens plus que t’as aspiré tout ce qu’il y avait de buvable dans la maison ? T’as même vidé les topettes de kirsch fantaisie et fini le porto de cuisine. Ca m’étonne qu’il reste quelque chose dans la bouteille d’eau de Cologne.
- Je l’aurai oubliée.
- Je m’en doutais. Ceci étant, j’ai rien contre l’idée de s’en jeter un. Ca donne soif, la divination. Je te raconterait le résultat de ma méditation devant un Martini dry chez Hassan.
- Au Trompe l’œil ? Il est fermé.
- C’est son jour de réouverture.
(...)
Gobu- Nombre de messages : 2400
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Date d'inscription : 18/06/2007
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
2) C’est le Père Loiseau qui va chercher son chat
Avec Wanda, on n’avait jamais raison. Quelques minutes plus tard, ils étaient accoudés au comptoir de leur troquet favori. De zinc, le comptoir, un des derniers de Paris. Comme l’est aussi ce bistro hors du temps, au décor insensé de moleskine usée, de formica délavé, et de lino jauni. Bien que situé dans un quartier qui faisait saliver les agents immobiliers, le Trompe l’œil résistait victorieusement à l’inexorable ringardisation en cours. Le vieux cordonnier de la boutique d’à côté avait cédé sa place à un marchand de cosmétiques bio, et la triperie d’en face avait été transformée en salle de fitness. On avait même reconverti la vénérable académie de billard qui faisait l’angle de la rue en salle de jeux numériques à l’usage des mongoliens de tous âges. Enfin, dans toute la rue, à l’exception du Trompe l’œil, pour manger et boire, on avait le choix entre un bar à sushis, un snack végétarien et un salon de thé bio. Inutile de dire que tous les assoiffés sérieux du quartier se retrouvaient chez Hassan, où le ballon de rouge correct coûtait encore un Euro cinquante, et où l’on pouvait l’accompagner d’un honnête casse-dalle calendos-beurre cousu main avec de la baguette bien croustillante.
Au café, il y a les « salle » et les « comptoir ». Deux populations bien distinctes. Les couples d’amoureux, les touristes de passage, les messieurs occupés, les dames irréprochables et quelques étudiants étaient « salle ». Au comptoir se pressait le reste. Les vrais de vrai. Ceux qui attaquent l’apéro à onze heures et ne le finissent pas avant six heures. Fred et Wanda étaient arrivés à quatre heures, autant dire que l’apéro battait son plein. Ce n’étaient que Ricard-tomates, carafons d’eau glacée et soucoupes de saucisse sèche ou d’olives. On connaissait les amoureux, on leur perçait une petite trouée entre deux costauds, qu’ils puissent s’accouder aussi. Derrière le bar, en lieu et place d’Hassan, s’affairait une impressionnante matrone méditerranéenne en robe noire brodée, monolithique et forte en gueule. Un jeune étudiante en jupe très courte se plaignait à ses amis.
- J’ai froid, moi !
- T’as qu’à remettre ta culotte, tiens !
lâcha l’ogresse, déchaînant une bordée de rires grasseyants côté bar. On nageait dans la brève de comptoir. Loiseau interpella la personne.
- Bonjour, Madame. Il est pas là, Hassan ?
- Toi, fils, je sais qui tu es. Tu es le fouille-merde. Le privé. Hassan m’ as souvent parlé de toi : « Tu peux pas le louper, Monsieur Loiseau. Il est plus très jeune, pas très grand, pas très beau, et pas très futé non plus mais il est toujours accompagné d’une blonde canon. » Embrasse-moi, Monsieur Loiseau : il t’aime bien, mon fils Hassan.
- Il est malade ?
- Malade comme moi, in’ch Allah ! Il a joué au poker avec mes frères jusqu’à six heures du matin. Il s’est couché, la vérité, il était saoul comme une mule. Il reconnaissait même plus sa mère ! Sa propre mère !
Loiseau, lui, reconnaissait très bien Hassan. Derrière son comptoir, le bistrotier mettait la pédale douce question bascule, que sinon t’as bu la boutique en deux saisons. Mais en dehors des heures de bureau, il était pas feignant de la chopine. Sacré Hassan !
- Bon ma petite Madame Soleil à moi, maintenant qu’on est solidement amarrés au rade et qu’on a nos verres bien en main, si tu me disais ce que t’as médité tout à l’heure.
- On peut pas appeler ça une méditation. C’était comme un flash. Les cartes ne me disaient rien, et puis soudain elles m’ont parlé.
- Et on peut savoir ce qu’elles disaient, les petites bavardes ?
- Elles disaient que t’es qu’un pauvre mec, Loiseau ! Non, sérieusement, j’ai vu tout le schéma de l’affaire, les trois dames, le trèfle, l’as de pique, toi, tout trouvait sa place. Y a une femme là-dessous, mon petit Fred.
- C’est pas un scoop : c’est comme ça dans quatre-vingt-dix pour cent des cas !
- Oui mais celle-là, tu ne la connais pas. Elle est pourtant proche de toi, et, elle, te connaît.
- Tu parles d’un rébus !
- Attends, ça n’est pas tout. Il y a aussi une victime. C’est pas toi, c’est pas Perfide, c’est pas elle, mais il y a un lien entre tous ces personnages. Et puis j’ai vu autre chose, un élément matériel. Un lieu. Un endroit sombre et malodorant. Ne me demande pas où c’est et ce qui s’y trouve. Tout ce que je sais, c’est que ça a un rapport avec ton affaire. Fais travailler tes méninges, cervelle de Loiseau ! Je t’ai quand même connu plus performant, sur certaines affaires !
- Oui, mais en général, on me paye pour m’occuper des soucis des autres. Là, personne me paye, et les soucis, c’est moi qui les ai !
- Moins que ton chat, quand même. Je croyais qu’entre vous, c’était plutôt conflictuel, la cohabitation.
- Oui, mais je m’y étais habitué, moi, à ses petites perfidies. T’as raison : faut que je me recolle les morceaux. Assez glandé.
- Tu les recolle au scotch, les morceaux ! T’es sûr que ça va tenir ?
- T’en fais pas : la machine est pas de première main, mais le moulin est increvable. On va retourner au point de départ.
- C’est où ?
- Chez moi, pardi. C’est là que tout a commencé.
Retour à la case départ, non sans avoir chaleureusement salué l’ombrageuse matrone. Fallait voire à pas manquer de respect à la chère maman d’Hassan. Un coup à se retrouver triquard au Trompe l’œil, sans compter le massage facial. L’oranais a le sang chaud, surtout s’agissant de l’honneur de sa famille. Loiseau avait de grandes aptitudes à l’obséquiosité ; il n’avait pas son pareil pour amadouer les mégères et attendrir les ogresses. Une aptitude plutôt utile pour qui passe sa vie à farfouiller dans celle des autres. Il n’eut pas de mal à faire fondre la chère maman : sous des allures de pit-bull, elle dissimulait un cœur de midinette. Avant de les laisser partir, elle les réquisitionna pour le pot au champagne qu’Hassan, dès qu’il aurait repris ses esprits, offrirait aux potes pour fêter la réouverture de son établissement.
- A partir de huit heures et demie ? Ca nous laisse trois bonnes heures pour résoudre l’affaire ! Une broutille…
ironisait Wanda. Ils venaient de rentrer chez Fred, et piétinaient dans l’entrée, ne sachant trop que faire.
- Si tu t’emmerdes, Loiseau, j’ai du boulot pour toi.
- Quoi ?
- Se débarrasser des cadavres. Y a trois grands cabas pleins de bouteilles vides dans la cuisine. Qu’est-ce qu’en fais, généralement ?
- Je les descends dans le local aux poubelles. La concierge s’occupe du reste.
- T’as bien de la chance.
- C’est pas de la chance, c’est du savoir-faire.
Wanda, plutôt sportive, s’était chargée de deux sacs, tandis que Fred ahanait durement sous le poids d’un seul, le dos endolori et les jambes en feu.
- Tu morfles, Loiseau ? On dirait que tu marches sur des œufs. T’as mal aux pieds ?
- Tais-toi…manquerait plus que je me tape des crises de goutte !
- Ah, avec ce que tu siffles et ton régime hautes calories, ça te pend au nez.
Heureusement, Loiseau nichait au premier étage. Une dernière volée de marches de pierre menait au sous-sol. Ils entrèrent dans le local où se trouvaient les poubelles, une pièce aux murs de chaux nue, chichement éclairée, où régnait une douceâtre odeur de renfermé et de pourriture.
- Bon, on remonte, j’ai besoin d’air. Ca sent la mort, ici.
- Attends, qu’est-ce que tu dis, Fred ?
- Je dis que ça schlingue.
- Ca te rappelle rien ? Un endroit sombre et malodorant ?
- Ah ouais…tes visions…
- Ricane pas, Loiseau de mauvais augure ! Je te dis que c’est là. Je sais pas encore ce qui s’est passé, mais c’est ici que ça a eu lieu. Farfouille comme moi, on finira bien par trouver un indice.
Ils déplaçaient les poubelles et les sacs de bouteilles, les piles de cartons aplatis et les tas de journaux grossièrement ficelés. Le débarras était un vrai dépotoir. Ils scrutaient chaque centimètre carré de mur et de sol. Le détective était monté chercher des lampe-torches et ils inspectaient aussi le moindre recoin de tuyauterie rouillée. Soudain Loiseau s’accroupit, les yeux rivés au sol, sifflant entre ses dents.
- Je crois que j’ai touché le jackpot, Wanda.
Le faisceau de sa torche éclairait un petit bout du sol qu’il venait de débarrasser d’un amas de chiffons sales. Il rétrécit le faisceau pour intensifier l’éclairement. Dans le béton lisse, une main inconnue avait gravé une petite croix et cette inscription « M.S. 20/08/07 – 20/08/08. Requiescat in pace. Vengeance ! »
- Eh ben tu vois, Loiseau, on tient la victime. Elle a pour initiales M.S. et elle est morte à un an.
- A quoi tu penses ? Infanticide ? Qu’on a abandonné le cadavre d’un gosse dans ce gourbi, et que quelqu’un le sait ? Et que Perfide est dans le coup ?
- T’es vraiment pas dans ton bon jour, mon pauvre Fred. Qu’est-ce qui te fais croire qu’il s’agit d’un enfant ?
- Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre, à un an ?
- Un animal. Un animal de compagnie, par exemple. Une petite bête que ton affreux chat aurait peut-être pu molester. Ou même croquer. Un petit oiseau…ou une souris. Il fréquente ce palace, ton matou ?
- Ca se pourrait. Il rentre où il veut comme il veut.
- Imagine qu’il ait agressé ici une malheureuse bestiole et que sa maîtresse l’ait vu. Ca expliquerait le harcèlement.
- Pourquoi t’as dit une maîtresse, et pas un maître ?
- Les cartes parlaient d’une femme qui t’en veut. Et puis c’est plutôt un truc de gonzesse, d’aller graver une épitaphe à l’endroit où son canari ou son hamster a passé l’arme à gauche. Chercher la femme, voilà ce qui nous reste à faire. Et dans ton voisinage.
- Pourquoi ?
- T’es ballot, Loiseau. D’abord, si son animal de compagnie s’est fait dessouder ici, c’est qu’elle habite pas loin. Probablement dans la maison. Y a qui, comme bonnes femmes ?
- Tu sais…y a que six appartements. Un par étage. T’as vu comme la maison est étroite. Au rez-de-chaussée, à part la loge de la concierge, c’est un militaire à la retraite qui crèche. Peut pas être foncièrement mauvais : il déteste les animaux et les enfants. Au premier, c’est moi. Au second, c’est un couple de jeunes avec deux mômes. Ils ont un doberman. Ca m’étonnerait que Perfide s’y frotte. Au troisième, c’est aussi un couple. Sans enfants. Ils ont sûrement pas d’animaux : sont jamais là. Au quatrième on a un autre célibataire, un jeune, celui-là, qui monte chaque soir avec une copine différente. Au cinquième, un couple d’homos. Tu les connais, ceux-là, ils viennent souvent s’en jeter un chez Hassan. Ils ont aussi un chat.
- Et au sixième ?
- Le sixième, c’est sous les combles. C’est vrai qu’y a une veuve, qui habite là…mais bon, c’est impossible que ça soit elle !
- Et pourquoi ?
- Ca fait trois ans qu’elle sort plus de son gourbi. Elle vit dans un fauteuil roulant. Je la vois mal descendre du sixième sur ses roulettes, graver ce machin et remonter après toute seule comme une grande ! Et je la vois encore moins enlever Perfide. Il est pas du genre liant.
- Peut-être qu’on l’a aidée. Ou qu’on l’a fait pour elle. Comment elle fait pour bouffer, le ménage, sa toilette ?
- Y a tous les jours une infirmière qui vient la voir. Et sans arrêt des coursiers qui lui montent des paquets. Rien que de l’épicerie fine et de la pâtisserie griffée. Elle a l’air de se soigner aux petits oignons, la rombière.
- Des coursiers, tu vois ! Comme pour le petit colis qu’elle t’as envoyé. Ca mon pote, c’est signé. Moi, j’irais bien dire deux mots à cette dame, fauteuil à roulettes ou pas. Elle s’appelle comment ?
- Je sais plus…un nom un peu cul-cul…bordel de merde…tu sais comment elle s’appelle, la vieille chouette ? Elle s’appelle Souriceau ! La veuve Souriceau !
- Quand je te le disais, que c’était signé !
- Bon, d’accord, ça fait pas mal de coïncidences. Mais tu nous vois débarquer chez la vioque, la braquer et gueuler « Rends le greffier, vieille taupe, ou on va droit à l’ouragan sur l’hospice. Y aura dégelée de pruneaux au menu du jour » On est pas chez les tontons flingueurs, dis !
- On peut la jouer plus fine. J’ai mon idée.
Avec Wanda, on n’avait jamais raison. Quelques minutes plus tard, ils étaient accoudés au comptoir de leur troquet favori. De zinc, le comptoir, un des derniers de Paris. Comme l’est aussi ce bistro hors du temps, au décor insensé de moleskine usée, de formica délavé, et de lino jauni. Bien que situé dans un quartier qui faisait saliver les agents immobiliers, le Trompe l’œil résistait victorieusement à l’inexorable ringardisation en cours. Le vieux cordonnier de la boutique d’à côté avait cédé sa place à un marchand de cosmétiques bio, et la triperie d’en face avait été transformée en salle de fitness. On avait même reconverti la vénérable académie de billard qui faisait l’angle de la rue en salle de jeux numériques à l’usage des mongoliens de tous âges. Enfin, dans toute la rue, à l’exception du Trompe l’œil, pour manger et boire, on avait le choix entre un bar à sushis, un snack végétarien et un salon de thé bio. Inutile de dire que tous les assoiffés sérieux du quartier se retrouvaient chez Hassan, où le ballon de rouge correct coûtait encore un Euro cinquante, et où l’on pouvait l’accompagner d’un honnête casse-dalle calendos-beurre cousu main avec de la baguette bien croustillante.
Au café, il y a les « salle » et les « comptoir ». Deux populations bien distinctes. Les couples d’amoureux, les touristes de passage, les messieurs occupés, les dames irréprochables et quelques étudiants étaient « salle ». Au comptoir se pressait le reste. Les vrais de vrai. Ceux qui attaquent l’apéro à onze heures et ne le finissent pas avant six heures. Fred et Wanda étaient arrivés à quatre heures, autant dire que l’apéro battait son plein. Ce n’étaient que Ricard-tomates, carafons d’eau glacée et soucoupes de saucisse sèche ou d’olives. On connaissait les amoureux, on leur perçait une petite trouée entre deux costauds, qu’ils puissent s’accouder aussi. Derrière le bar, en lieu et place d’Hassan, s’affairait une impressionnante matrone méditerranéenne en robe noire brodée, monolithique et forte en gueule. Un jeune étudiante en jupe très courte se plaignait à ses amis.
- J’ai froid, moi !
- T’as qu’à remettre ta culotte, tiens !
lâcha l’ogresse, déchaînant une bordée de rires grasseyants côté bar. On nageait dans la brève de comptoir. Loiseau interpella la personne.
- Bonjour, Madame. Il est pas là, Hassan ?
- Toi, fils, je sais qui tu es. Tu es le fouille-merde. Le privé. Hassan m’ as souvent parlé de toi : « Tu peux pas le louper, Monsieur Loiseau. Il est plus très jeune, pas très grand, pas très beau, et pas très futé non plus mais il est toujours accompagné d’une blonde canon. » Embrasse-moi, Monsieur Loiseau : il t’aime bien, mon fils Hassan.
- Il est malade ?
- Malade comme moi, in’ch Allah ! Il a joué au poker avec mes frères jusqu’à six heures du matin. Il s’est couché, la vérité, il était saoul comme une mule. Il reconnaissait même plus sa mère ! Sa propre mère !
Loiseau, lui, reconnaissait très bien Hassan. Derrière son comptoir, le bistrotier mettait la pédale douce question bascule, que sinon t’as bu la boutique en deux saisons. Mais en dehors des heures de bureau, il était pas feignant de la chopine. Sacré Hassan !
- Bon ma petite Madame Soleil à moi, maintenant qu’on est solidement amarrés au rade et qu’on a nos verres bien en main, si tu me disais ce que t’as médité tout à l’heure.
- On peut pas appeler ça une méditation. C’était comme un flash. Les cartes ne me disaient rien, et puis soudain elles m’ont parlé.
- Et on peut savoir ce qu’elles disaient, les petites bavardes ?
- Elles disaient que t’es qu’un pauvre mec, Loiseau ! Non, sérieusement, j’ai vu tout le schéma de l’affaire, les trois dames, le trèfle, l’as de pique, toi, tout trouvait sa place. Y a une femme là-dessous, mon petit Fred.
- C’est pas un scoop : c’est comme ça dans quatre-vingt-dix pour cent des cas !
- Oui mais celle-là, tu ne la connais pas. Elle est pourtant proche de toi, et, elle, te connaît.
- Tu parles d’un rébus !
- Attends, ça n’est pas tout. Il y a aussi une victime. C’est pas toi, c’est pas Perfide, c’est pas elle, mais il y a un lien entre tous ces personnages. Et puis j’ai vu autre chose, un élément matériel. Un lieu. Un endroit sombre et malodorant. Ne me demande pas où c’est et ce qui s’y trouve. Tout ce que je sais, c’est que ça a un rapport avec ton affaire. Fais travailler tes méninges, cervelle de Loiseau ! Je t’ai quand même connu plus performant, sur certaines affaires !
- Oui, mais en général, on me paye pour m’occuper des soucis des autres. Là, personne me paye, et les soucis, c’est moi qui les ai !
- Moins que ton chat, quand même. Je croyais qu’entre vous, c’était plutôt conflictuel, la cohabitation.
- Oui, mais je m’y étais habitué, moi, à ses petites perfidies. T’as raison : faut que je me recolle les morceaux. Assez glandé.
- Tu les recolle au scotch, les morceaux ! T’es sûr que ça va tenir ?
- T’en fais pas : la machine est pas de première main, mais le moulin est increvable. On va retourner au point de départ.
- C’est où ?
- Chez moi, pardi. C’est là que tout a commencé.
Retour à la case départ, non sans avoir chaleureusement salué l’ombrageuse matrone. Fallait voire à pas manquer de respect à la chère maman d’Hassan. Un coup à se retrouver triquard au Trompe l’œil, sans compter le massage facial. L’oranais a le sang chaud, surtout s’agissant de l’honneur de sa famille. Loiseau avait de grandes aptitudes à l’obséquiosité ; il n’avait pas son pareil pour amadouer les mégères et attendrir les ogresses. Une aptitude plutôt utile pour qui passe sa vie à farfouiller dans celle des autres. Il n’eut pas de mal à faire fondre la chère maman : sous des allures de pit-bull, elle dissimulait un cœur de midinette. Avant de les laisser partir, elle les réquisitionna pour le pot au champagne qu’Hassan, dès qu’il aurait repris ses esprits, offrirait aux potes pour fêter la réouverture de son établissement.
- A partir de huit heures et demie ? Ca nous laisse trois bonnes heures pour résoudre l’affaire ! Une broutille…
ironisait Wanda. Ils venaient de rentrer chez Fred, et piétinaient dans l’entrée, ne sachant trop que faire.
- Si tu t’emmerdes, Loiseau, j’ai du boulot pour toi.
- Quoi ?
- Se débarrasser des cadavres. Y a trois grands cabas pleins de bouteilles vides dans la cuisine. Qu’est-ce qu’en fais, généralement ?
- Je les descends dans le local aux poubelles. La concierge s’occupe du reste.
- T’as bien de la chance.
- C’est pas de la chance, c’est du savoir-faire.
Wanda, plutôt sportive, s’était chargée de deux sacs, tandis que Fred ahanait durement sous le poids d’un seul, le dos endolori et les jambes en feu.
- Tu morfles, Loiseau ? On dirait que tu marches sur des œufs. T’as mal aux pieds ?
- Tais-toi…manquerait plus que je me tape des crises de goutte !
- Ah, avec ce que tu siffles et ton régime hautes calories, ça te pend au nez.
Heureusement, Loiseau nichait au premier étage. Une dernière volée de marches de pierre menait au sous-sol. Ils entrèrent dans le local où se trouvaient les poubelles, une pièce aux murs de chaux nue, chichement éclairée, où régnait une douceâtre odeur de renfermé et de pourriture.
- Bon, on remonte, j’ai besoin d’air. Ca sent la mort, ici.
- Attends, qu’est-ce que tu dis, Fred ?
- Je dis que ça schlingue.
- Ca te rappelle rien ? Un endroit sombre et malodorant ?
- Ah ouais…tes visions…
- Ricane pas, Loiseau de mauvais augure ! Je te dis que c’est là. Je sais pas encore ce qui s’est passé, mais c’est ici que ça a eu lieu. Farfouille comme moi, on finira bien par trouver un indice.
Ils déplaçaient les poubelles et les sacs de bouteilles, les piles de cartons aplatis et les tas de journaux grossièrement ficelés. Le débarras était un vrai dépotoir. Ils scrutaient chaque centimètre carré de mur et de sol. Le détective était monté chercher des lampe-torches et ils inspectaient aussi le moindre recoin de tuyauterie rouillée. Soudain Loiseau s’accroupit, les yeux rivés au sol, sifflant entre ses dents.
- Je crois que j’ai touché le jackpot, Wanda.
Le faisceau de sa torche éclairait un petit bout du sol qu’il venait de débarrasser d’un amas de chiffons sales. Il rétrécit le faisceau pour intensifier l’éclairement. Dans le béton lisse, une main inconnue avait gravé une petite croix et cette inscription « M.S. 20/08/07 – 20/08/08. Requiescat in pace. Vengeance ! »
- Eh ben tu vois, Loiseau, on tient la victime. Elle a pour initiales M.S. et elle est morte à un an.
- A quoi tu penses ? Infanticide ? Qu’on a abandonné le cadavre d’un gosse dans ce gourbi, et que quelqu’un le sait ? Et que Perfide est dans le coup ?
- T’es vraiment pas dans ton bon jour, mon pauvre Fred. Qu’est-ce qui te fais croire qu’il s’agit d’un enfant ?
- Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre, à un an ?
- Un animal. Un animal de compagnie, par exemple. Une petite bête que ton affreux chat aurait peut-être pu molester. Ou même croquer. Un petit oiseau…ou une souris. Il fréquente ce palace, ton matou ?
- Ca se pourrait. Il rentre où il veut comme il veut.
- Imagine qu’il ait agressé ici une malheureuse bestiole et que sa maîtresse l’ait vu. Ca expliquerait le harcèlement.
- Pourquoi t’as dit une maîtresse, et pas un maître ?
- Les cartes parlaient d’une femme qui t’en veut. Et puis c’est plutôt un truc de gonzesse, d’aller graver une épitaphe à l’endroit où son canari ou son hamster a passé l’arme à gauche. Chercher la femme, voilà ce qui nous reste à faire. Et dans ton voisinage.
- Pourquoi ?
- T’es ballot, Loiseau. D’abord, si son animal de compagnie s’est fait dessouder ici, c’est qu’elle habite pas loin. Probablement dans la maison. Y a qui, comme bonnes femmes ?
- Tu sais…y a que six appartements. Un par étage. T’as vu comme la maison est étroite. Au rez-de-chaussée, à part la loge de la concierge, c’est un militaire à la retraite qui crèche. Peut pas être foncièrement mauvais : il déteste les animaux et les enfants. Au premier, c’est moi. Au second, c’est un couple de jeunes avec deux mômes. Ils ont un doberman. Ca m’étonnerait que Perfide s’y frotte. Au troisième, c’est aussi un couple. Sans enfants. Ils ont sûrement pas d’animaux : sont jamais là. Au quatrième on a un autre célibataire, un jeune, celui-là, qui monte chaque soir avec une copine différente. Au cinquième, un couple d’homos. Tu les connais, ceux-là, ils viennent souvent s’en jeter un chez Hassan. Ils ont aussi un chat.
- Et au sixième ?
- Le sixième, c’est sous les combles. C’est vrai qu’y a une veuve, qui habite là…mais bon, c’est impossible que ça soit elle !
- Et pourquoi ?
- Ca fait trois ans qu’elle sort plus de son gourbi. Elle vit dans un fauteuil roulant. Je la vois mal descendre du sixième sur ses roulettes, graver ce machin et remonter après toute seule comme une grande ! Et je la vois encore moins enlever Perfide. Il est pas du genre liant.
- Peut-être qu’on l’a aidée. Ou qu’on l’a fait pour elle. Comment elle fait pour bouffer, le ménage, sa toilette ?
- Y a tous les jours une infirmière qui vient la voir. Et sans arrêt des coursiers qui lui montent des paquets. Rien que de l’épicerie fine et de la pâtisserie griffée. Elle a l’air de se soigner aux petits oignons, la rombière.
- Des coursiers, tu vois ! Comme pour le petit colis qu’elle t’as envoyé. Ca mon pote, c’est signé. Moi, j’irais bien dire deux mots à cette dame, fauteuil à roulettes ou pas. Elle s’appelle comment ?
- Je sais plus…un nom un peu cul-cul…bordel de merde…tu sais comment elle s’appelle, la vieille chouette ? Elle s’appelle Souriceau ! La veuve Souriceau !
- Quand je te le disais, que c’était signé !
- Bon, d’accord, ça fait pas mal de coïncidences. Mais tu nous vois débarquer chez la vioque, la braquer et gueuler « Rends le greffier, vieille taupe, ou on va droit à l’ouragan sur l’hospice. Y aura dégelée de pruneaux au menu du jour » On est pas chez les tontons flingueurs, dis !
- On peut la jouer plus fine. J’ai mon idée.
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Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
3) C’est le Père Loiseau qui a retrouvé son chat
Peu de temps plus tard, Wanda sonnait à la porte de la vieille dame, un paquet à la main. Loiseau était resté en retrait dans l’escalier, pour qu’on ne puisse l’apercevoir par le judas. Au troisième coup de sonnette, la porte s’entrouvrit, retenue par une forte chaînette.
- Vous êtes qui ?
- Bonjour madame, Je suis une de vos voisines.
- Je vous connais pas.
- J’habite au premier.
- Ah oui, chez Monsieur Loiseau…Vous voulez quoi ?
- Je suis venue vous apporter un petit cadeau.
- J’ai besoin de rien. Allez vous-en.
- Allons, madame, ce ne sont que quelques macarons. De chez Ladurée.
- Hmm…et pourquoi vous m’offrez ça ?
- C’est mon anniversaire, aujourd’hui. J’ai envie de dorloter tout le monde. On m’a dit que vous viviez seule, j’ai pensé que ça vous ferait plaisir qu’on vienne vous rendre visite.
- Hmmm… attendez, je vous ouvre. Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, vaut mieux se barricader.
Dès qu’elle eut ouvert la porte, Loiseau s’avança. L’appartement sentait le vieux confessionnal de province, avec une forte dominante d’encens.
- Bonjour, Madame Souriceau.
- Mais c’est Monsieur Loiseau ! Vous m’aviez pas dit qu’il était avec vous…
Elle recula précipitamment son fauteuil jusque dans le salon. C’était une petite femme aux mains sèches et au visage pointu, vêtue d’une robe grise à col de dentelle. Un plaid écossais dissimulait ses jambes. Ses petits yeux noirs comme de l’obsidienne roulaient de l’affolement dans leurs orbites décharnés. Un moment, Loiseau eut honte d’être venu importuner cette pauvre vieille infirme. Il s’apprêtait déjà à battre en retraite en lui présentant des excuses, lorsque Wanda, qui furetait dans tous les coins après avoir prudemment refermé la porte, l’appela.
- Regarde voir, Loiseau, c’est intéressant.
La décoration du salon flirtait avec la démence pure. Partout trônaient Mickey et Minnie, sous toutes les formes et dans toutes les matières. Peluches et statuettes, tableautins et posters, mais aussi cendriers, napperons, pots de fleurs et tasses à café. Même le tapis et le papier mural étaient parsemés de farandoles de Mickey et de Minnie. Loiseau se crut revenu dans son cauchemar, quand d’effrayants clones de la souris au sourire crétin entendait réduire Perfide en cendres.
- Etonnant, non ? Vous avez une très belle collection de Mickey.
- De Mickey et de Minnie, Mademoiselle. Une des plus belles collections de France. J’ai des pièces rarissimes, de vrais collectors. C’est pas un crime de collectionner les Mickey, non ?
- Non non…bien sûr que non…c’est même charmant.
Wanda tirait Loiseau par la manche pour l’attirer dans un coin du salon, près de la fenêtre mansardée. Sur un guéridon, se trouvait une cage vide, endeuillée d’un crêpe noir. Une cage équipée d’une roue et d’un petit bassin. Sur la porte de la cage, une plaque gravée indiquait « Minnie Souriceau, née le 20 août 2007, lâchement assassinée le 20 août 2008 » Loiseau siffla.
- Alors c’était bien vous, l’inscription dans la cave !
- Je…je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler…
- Et les lettres anonymes…les e-mails…le petit colis avec une griffe et des poils…c’est vous aussi, hein…
- Mais vous êtes fous !
- C’est ce qu’on va voir. Wanda, on fouille un peu. Si Perfide est dans cet appartement, on va le trouver.
Au bout de quelques minutes, ils durent se rendre à l’évidence. Perfide ne se trouvait nul part. Ni dans la chambre à coucher, ni dans la cuisine, ni dans la salle de bains, ni même dans le cabinet de toilette.
- Qu’est-ce que vous cherchez, à la fin ?
- Je crois que vous le savez très bien, madame. Mon Loiseau cherche son chat.
- Cette sale bête griffue ? Si elle montre le bout de son vilain museau, je lui balance une casserole d’eau bouillante, moi !
- Ose dire que ça n’est pas mon chat qui a becqueté ta souris, vieille guenille !
- Comment voulez-vous que je le sache ? L’infirmière l’a retrouvée à moitié dévorée dans le réduit à poubelles. C’est elle qui a gravé la petite épitaphe. Elle est très gentille avec moi.
- Vous avez un ordinateur, aussi…
- Et après ? C’est pas parce qu’on est vieille et impotente qu’on crache sur le progrès ! Je suis insomniaque, alors je passe mes nuits à surfer sur Facebook.
On n’en tirerait rien comme ça. Loiseau se préparait à sonner piteusement la retraite lorsque son attention fut attirée par un rideau dont les plis dissimulaient un angle du salon. Le rideau cachait une porte. Loiseau essaya de l’ouvrir, elle était fermée à clef.
- Et là derrière, vieille cachottière, qu’est-ce qu’il y a ? L’armoire aux cadavres de Barbe-Bleue ? Le butin du Capitaine Crochet ?
- C’est rien. Juste une porte qui s’ouvrait sur les combles. On l’a condamnée, pour la sécurité.
- Ouais ouais…vous avez la clef ?
- Naturellement non !
- No souci : Loiseau sait parler aux serrures.
Tout détective qui se respecte possède un passe-partout ; la porte fut crocheté en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.
- Non non, ne rentrez pas là-dedans ! Je vous l’interdis. Je vous préviens je vais appeler la police.
Mais Wanda et Loiseau s’étaient déjà précipités dans l’ouverture obscure. La porte était bien plus épaisse qu’elle n’en avait l’air, et capitonnée de l’intérieur. Il furent accueillis par une insoutenable odeur de fauve. Au moment où Loiseau posa son doigt sur l’interrupteur, une voix aigrelette retentit derrière eux.
- Ah vous l’aurez cherché ! Haut les mains, assassins !
Dans l’encadrement de la porte, se tenait la veuve Souriceau, debout et braquant sur eux un redoutable fusil de chasse aux canons et à la crosse sciés. La terrible luparra des siciliens. Une arme capable de faire le ménage à une terrasse de café d’une seule décharge de ses deux tubes.
- Allez, reculez contre le mur. Et pas de faux mouvements : j’ai la gâchette facile et cette arme a la détente chatouilleuse. C’était celle de mon pauvre mari. Ah vous avez voulu voir ? Et ben elle va vous en faire voir, la vieille Souriceau.
Elle alluma la lumière.
- Ouvre grand tes yeux, Loiseau. Le spectacle en vaut la peine.
Plusieurs spots s’allumèrent, fixés à la poutre centrale de la pièce. Elle ne comportait aucun mobilier, à l’exception d’une solide table de ferme, sur laquelle reposait une grande cage de fer. Mais celle-ci était d’une conception surprenante. Elle se composait de deux compartiments séparés par une grille coulissant verticalement. Dans l’un des deux compartiments se trouvait Perfide, la fourrure en bataille, la moustache énervée et la lippe cracheuse, mais apparemment en un seul morceau. Il fixait de son oeil jaune l’autre compartiment. Quant il reconnut Loiseau, il laissa fuser un miaulement de colère, semblant lui reprocher de ne l’avoir pas secouru plus tôt. Dans la seconde partie de la cage frétillait un rat, mais pas un mignon rat de laboratoire tout blanc ou un adorable mulot si craintif, non, un énorme gaspard jailli du tréfonds de l’égout, un véritable monstre au poil de ténèbres, à l’œil incandescent et aux incisives comme des couteaux.
- Je vous présente Mickey. Mon nouveau compagnon. Ah il a l’air moins inoffensif que la pauvrette que ce monstre a massacrée, hein ? Ne bougez pas, Mademoiselle, vous croyez que je vous vois pas venir ? Non seulement elle est pas impotente, la vieille Souriceau, mais elle a l’œil, et elle est pas encore gaga non plus. Alors pas un geste ou je vous truffe de plomb. Je raconterai aux flics que vous avez pénétré chez moi par effraction. Une pauvre vieille infirme agressée par deux vauriens. Ils me donneront une médaille, tiens !
- Pourquoi vous vous faites passez pour infirme ?
- Ca ma petite, ça me regarde !
- Et on fait quoi, maintenant ?
- On la boucle et on regarde. J’aurais voulu faire durer ça plus longtemps, et vous envoyer votre abominable félin petit bout par petit bout avant d’en finir, que vous la sentiez passer aussi ! Mais bon, vous avez découvert le pot aux roses, alors autant en finir tout de suite.
- Qu’est-ce que vous allez faire ?
- Vous voyez la grille qui sépare les deux compartiments ? Elle s’actionne avec cette télécommande. Quand j’appuierai sur le bouton, elle coulissera vers le haut, et Mickey pourra rentrer dans celui de votre sale cannibale. Cette fois-ci, je l’ai bien choisi, mon champion. Rattus Norvegicus, le surmulot, le rat d’égout si vous préférez. Vingt-quatre centimètres de long, deux kilos et des dents capables de déchirer de la tôle. D’accord, votre sale bête est plus grosse, mais je donne pas cher de sa peau : les rats sont beaucoup plus malins que les chats. Et plus féroces, aussi ! Ah, tu vas être enfin vengée, ma pauvre petite Minnie.
La vieille était complètement zinzin, mais elle avait de la suite dans les idées, et c’est elle qui tenait le pouchka. Ca sentait furieusement l’impasse. Loiseau avait cependant remarqué que pour attraper la télécommande, elle avait été contrainte de tenir son arme avec une seule main. Wanda échangea avec lui un aller-retour de prunelle qui voulait dire « C’est le moment. Je me charge du flingue et tu t’occupes de la télécommande. Banzaï ! » Wanda avait toujours été une tête brûlée. Elle se jeta au sol et effectua un impeccable roulé-boulé qui prit la vieille complètement de court. Avant qu’elle ait pu ajuster l’un de ses deux adversaires Wanda avait déjà empoigné l’arme, qu’elle lui arracha sans difficulté. Loiseau de son côté, avait réussi à emprisonner l’autre poignet de la forcenée, mais elle avait malheureusement eu le temps d’enfoncer le bouton fatal. Immédiatement, le rat, sans aucun doute affamé par sa maîtresse pour la circonstance, fonça en couinant sur Perfide qui soufflait comme une chaudière.
- Vas-y Mickey, tranche-lui le kiki, à cette sale bête
hurlait la vieille, ceinturée par Wanda,. Impossible de se servir de l’arme pour abattre le rongeur sans risquer de réduire Perfide en bouillie lui aussi. Ca fait pas le détail, la chevrotine. Les yeux exorbités, les trois spectateurs retenaient leur souffle face à la danse de mort qui se déroulait dans le huis clos de la cage. Les deux adversaires s’observaient en montrant les dents, chacun tentant d’impressionner l’autre. Soudain, le rat s’aplatit et bondit comme une flèche en direction de la gorge du chat. Il n’eut pas même le temps d’achever sa trajectoire : une énorme patte griffue l’avait cueilli en plein vol et plaqué au sol de la cage. Moins d’une seconde plus tard, ses vertèbres cervicale craquaient entre les redoutables mâchoires du félin. Il se redressa, sa victime sanglante entre les dents et fit un tour d’honneur entre les barreaux avant de la laisser dédaigneusement choir. La vieille, effondrée, sanglotait.
- Mickey, Mickey, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
- Dites-donc, Madame Souriceau, vous avez oublié une chose : ce sont les chats qui mangent les souris, et pas l’inverse ! Bon, on récupère le chat, on confisque l’arme et on vous dit adieu : on a une soirée champagne sur le feu. Vous n’avez pas intérêt à prévenir les flics : on a suffisamment de preuves pour vous faire interner chez les dingues. Et la prochaine fois que vous vous choisirez un compagnon, prenez un poisson rouge. Ca risque moins de faire des fugues, ces petites bêtes-là…
Epilogue : Où tout finit par des chansons
Au Trompe-L’œil l’atmosphère était à couper au couteau. En plus du roteux, Hassan distribuait par poignées des cigarillos canariens dont l’arôme n’était pas sans rappeler celui d’un incendie dans une fabrique de pneus. Sa mère, impériale dans une djellaba de brocard rouge et or, coltinait des plateaux de cuivre grands comme des roues de poids lourds, chargés de pâtisseries arabes luisantes de miel, sur fond de musique orientale dégoulinante de sirop. Pas à dire, l’hospitalité berbère n’est pas un vain mot.
- Alors les tourtereaux ? C’est à c’t’heure qu’on arrive ? Vous avez de la chance que je vous aie gardé un peu de champagne au frais, que sinon ces poivrots, ils auraient déjà tout sifflé !
- Faut nous excuser Hassan, on a pas vu passer le temps : on a joué au chat et à la souris !
Gobu
Peu de temps plus tard, Wanda sonnait à la porte de la vieille dame, un paquet à la main. Loiseau était resté en retrait dans l’escalier, pour qu’on ne puisse l’apercevoir par le judas. Au troisième coup de sonnette, la porte s’entrouvrit, retenue par une forte chaînette.
- Vous êtes qui ?
- Bonjour madame, Je suis une de vos voisines.
- Je vous connais pas.
- J’habite au premier.
- Ah oui, chez Monsieur Loiseau…Vous voulez quoi ?
- Je suis venue vous apporter un petit cadeau.
- J’ai besoin de rien. Allez vous-en.
- Allons, madame, ce ne sont que quelques macarons. De chez Ladurée.
- Hmm…et pourquoi vous m’offrez ça ?
- C’est mon anniversaire, aujourd’hui. J’ai envie de dorloter tout le monde. On m’a dit que vous viviez seule, j’ai pensé que ça vous ferait plaisir qu’on vienne vous rendre visite.
- Hmmm… attendez, je vous ouvre. Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, vaut mieux se barricader.
Dès qu’elle eut ouvert la porte, Loiseau s’avança. L’appartement sentait le vieux confessionnal de province, avec une forte dominante d’encens.
- Bonjour, Madame Souriceau.
- Mais c’est Monsieur Loiseau ! Vous m’aviez pas dit qu’il était avec vous…
Elle recula précipitamment son fauteuil jusque dans le salon. C’était une petite femme aux mains sèches et au visage pointu, vêtue d’une robe grise à col de dentelle. Un plaid écossais dissimulait ses jambes. Ses petits yeux noirs comme de l’obsidienne roulaient de l’affolement dans leurs orbites décharnés. Un moment, Loiseau eut honte d’être venu importuner cette pauvre vieille infirme. Il s’apprêtait déjà à battre en retraite en lui présentant des excuses, lorsque Wanda, qui furetait dans tous les coins après avoir prudemment refermé la porte, l’appela.
- Regarde voir, Loiseau, c’est intéressant.
La décoration du salon flirtait avec la démence pure. Partout trônaient Mickey et Minnie, sous toutes les formes et dans toutes les matières. Peluches et statuettes, tableautins et posters, mais aussi cendriers, napperons, pots de fleurs et tasses à café. Même le tapis et le papier mural étaient parsemés de farandoles de Mickey et de Minnie. Loiseau se crut revenu dans son cauchemar, quand d’effrayants clones de la souris au sourire crétin entendait réduire Perfide en cendres.
- Etonnant, non ? Vous avez une très belle collection de Mickey.
- De Mickey et de Minnie, Mademoiselle. Une des plus belles collections de France. J’ai des pièces rarissimes, de vrais collectors. C’est pas un crime de collectionner les Mickey, non ?
- Non non…bien sûr que non…c’est même charmant.
Wanda tirait Loiseau par la manche pour l’attirer dans un coin du salon, près de la fenêtre mansardée. Sur un guéridon, se trouvait une cage vide, endeuillée d’un crêpe noir. Une cage équipée d’une roue et d’un petit bassin. Sur la porte de la cage, une plaque gravée indiquait « Minnie Souriceau, née le 20 août 2007, lâchement assassinée le 20 août 2008 » Loiseau siffla.
- Alors c’était bien vous, l’inscription dans la cave !
- Je…je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler…
- Et les lettres anonymes…les e-mails…le petit colis avec une griffe et des poils…c’est vous aussi, hein…
- Mais vous êtes fous !
- C’est ce qu’on va voir. Wanda, on fouille un peu. Si Perfide est dans cet appartement, on va le trouver.
Au bout de quelques minutes, ils durent se rendre à l’évidence. Perfide ne se trouvait nul part. Ni dans la chambre à coucher, ni dans la cuisine, ni dans la salle de bains, ni même dans le cabinet de toilette.
- Qu’est-ce que vous cherchez, à la fin ?
- Je crois que vous le savez très bien, madame. Mon Loiseau cherche son chat.
- Cette sale bête griffue ? Si elle montre le bout de son vilain museau, je lui balance une casserole d’eau bouillante, moi !
- Ose dire que ça n’est pas mon chat qui a becqueté ta souris, vieille guenille !
- Comment voulez-vous que je le sache ? L’infirmière l’a retrouvée à moitié dévorée dans le réduit à poubelles. C’est elle qui a gravé la petite épitaphe. Elle est très gentille avec moi.
- Vous avez un ordinateur, aussi…
- Et après ? C’est pas parce qu’on est vieille et impotente qu’on crache sur le progrès ! Je suis insomniaque, alors je passe mes nuits à surfer sur Facebook.
On n’en tirerait rien comme ça. Loiseau se préparait à sonner piteusement la retraite lorsque son attention fut attirée par un rideau dont les plis dissimulaient un angle du salon. Le rideau cachait une porte. Loiseau essaya de l’ouvrir, elle était fermée à clef.
- Et là derrière, vieille cachottière, qu’est-ce qu’il y a ? L’armoire aux cadavres de Barbe-Bleue ? Le butin du Capitaine Crochet ?
- C’est rien. Juste une porte qui s’ouvrait sur les combles. On l’a condamnée, pour la sécurité.
- Ouais ouais…vous avez la clef ?
- Naturellement non !
- No souci : Loiseau sait parler aux serrures.
Tout détective qui se respecte possède un passe-partout ; la porte fut crocheté en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.
- Non non, ne rentrez pas là-dedans ! Je vous l’interdis. Je vous préviens je vais appeler la police.
Mais Wanda et Loiseau s’étaient déjà précipités dans l’ouverture obscure. La porte était bien plus épaisse qu’elle n’en avait l’air, et capitonnée de l’intérieur. Il furent accueillis par une insoutenable odeur de fauve. Au moment où Loiseau posa son doigt sur l’interrupteur, une voix aigrelette retentit derrière eux.
- Ah vous l’aurez cherché ! Haut les mains, assassins !
Dans l’encadrement de la porte, se tenait la veuve Souriceau, debout et braquant sur eux un redoutable fusil de chasse aux canons et à la crosse sciés. La terrible luparra des siciliens. Une arme capable de faire le ménage à une terrasse de café d’une seule décharge de ses deux tubes.
- Allez, reculez contre le mur. Et pas de faux mouvements : j’ai la gâchette facile et cette arme a la détente chatouilleuse. C’était celle de mon pauvre mari. Ah vous avez voulu voir ? Et ben elle va vous en faire voir, la vieille Souriceau.
Elle alluma la lumière.
- Ouvre grand tes yeux, Loiseau. Le spectacle en vaut la peine.
Plusieurs spots s’allumèrent, fixés à la poutre centrale de la pièce. Elle ne comportait aucun mobilier, à l’exception d’une solide table de ferme, sur laquelle reposait une grande cage de fer. Mais celle-ci était d’une conception surprenante. Elle se composait de deux compartiments séparés par une grille coulissant verticalement. Dans l’un des deux compartiments se trouvait Perfide, la fourrure en bataille, la moustache énervée et la lippe cracheuse, mais apparemment en un seul morceau. Il fixait de son oeil jaune l’autre compartiment. Quant il reconnut Loiseau, il laissa fuser un miaulement de colère, semblant lui reprocher de ne l’avoir pas secouru plus tôt. Dans la seconde partie de la cage frétillait un rat, mais pas un mignon rat de laboratoire tout blanc ou un adorable mulot si craintif, non, un énorme gaspard jailli du tréfonds de l’égout, un véritable monstre au poil de ténèbres, à l’œil incandescent et aux incisives comme des couteaux.
- Je vous présente Mickey. Mon nouveau compagnon. Ah il a l’air moins inoffensif que la pauvrette que ce monstre a massacrée, hein ? Ne bougez pas, Mademoiselle, vous croyez que je vous vois pas venir ? Non seulement elle est pas impotente, la vieille Souriceau, mais elle a l’œil, et elle est pas encore gaga non plus. Alors pas un geste ou je vous truffe de plomb. Je raconterai aux flics que vous avez pénétré chez moi par effraction. Une pauvre vieille infirme agressée par deux vauriens. Ils me donneront une médaille, tiens !
- Pourquoi vous vous faites passez pour infirme ?
- Ca ma petite, ça me regarde !
- Et on fait quoi, maintenant ?
- On la boucle et on regarde. J’aurais voulu faire durer ça plus longtemps, et vous envoyer votre abominable félin petit bout par petit bout avant d’en finir, que vous la sentiez passer aussi ! Mais bon, vous avez découvert le pot aux roses, alors autant en finir tout de suite.
- Qu’est-ce que vous allez faire ?
- Vous voyez la grille qui sépare les deux compartiments ? Elle s’actionne avec cette télécommande. Quand j’appuierai sur le bouton, elle coulissera vers le haut, et Mickey pourra rentrer dans celui de votre sale cannibale. Cette fois-ci, je l’ai bien choisi, mon champion. Rattus Norvegicus, le surmulot, le rat d’égout si vous préférez. Vingt-quatre centimètres de long, deux kilos et des dents capables de déchirer de la tôle. D’accord, votre sale bête est plus grosse, mais je donne pas cher de sa peau : les rats sont beaucoup plus malins que les chats. Et plus féroces, aussi ! Ah, tu vas être enfin vengée, ma pauvre petite Minnie.
La vieille était complètement zinzin, mais elle avait de la suite dans les idées, et c’est elle qui tenait le pouchka. Ca sentait furieusement l’impasse. Loiseau avait cependant remarqué que pour attraper la télécommande, elle avait été contrainte de tenir son arme avec une seule main. Wanda échangea avec lui un aller-retour de prunelle qui voulait dire « C’est le moment. Je me charge du flingue et tu t’occupes de la télécommande. Banzaï ! » Wanda avait toujours été une tête brûlée. Elle se jeta au sol et effectua un impeccable roulé-boulé qui prit la vieille complètement de court. Avant qu’elle ait pu ajuster l’un de ses deux adversaires Wanda avait déjà empoigné l’arme, qu’elle lui arracha sans difficulté. Loiseau de son côté, avait réussi à emprisonner l’autre poignet de la forcenée, mais elle avait malheureusement eu le temps d’enfoncer le bouton fatal. Immédiatement, le rat, sans aucun doute affamé par sa maîtresse pour la circonstance, fonça en couinant sur Perfide qui soufflait comme une chaudière.
- Vas-y Mickey, tranche-lui le kiki, à cette sale bête
hurlait la vieille, ceinturée par Wanda,. Impossible de se servir de l’arme pour abattre le rongeur sans risquer de réduire Perfide en bouillie lui aussi. Ca fait pas le détail, la chevrotine. Les yeux exorbités, les trois spectateurs retenaient leur souffle face à la danse de mort qui se déroulait dans le huis clos de la cage. Les deux adversaires s’observaient en montrant les dents, chacun tentant d’impressionner l’autre. Soudain, le rat s’aplatit et bondit comme une flèche en direction de la gorge du chat. Il n’eut pas même le temps d’achever sa trajectoire : une énorme patte griffue l’avait cueilli en plein vol et plaqué au sol de la cage. Moins d’une seconde plus tard, ses vertèbres cervicale craquaient entre les redoutables mâchoires du félin. Il se redressa, sa victime sanglante entre les dents et fit un tour d’honneur entre les barreaux avant de la laisser dédaigneusement choir. La vieille, effondrée, sanglotait.
- Mickey, Mickey, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
- Dites-donc, Madame Souriceau, vous avez oublié une chose : ce sont les chats qui mangent les souris, et pas l’inverse ! Bon, on récupère le chat, on confisque l’arme et on vous dit adieu : on a une soirée champagne sur le feu. Vous n’avez pas intérêt à prévenir les flics : on a suffisamment de preuves pour vous faire interner chez les dingues. Et la prochaine fois que vous vous choisirez un compagnon, prenez un poisson rouge. Ca risque moins de faire des fugues, ces petites bêtes-là…
Epilogue : Où tout finit par des chansons
Au Trompe-L’œil l’atmosphère était à couper au couteau. En plus du roteux, Hassan distribuait par poignées des cigarillos canariens dont l’arôme n’était pas sans rappeler celui d’un incendie dans une fabrique de pneus. Sa mère, impériale dans une djellaba de brocard rouge et or, coltinait des plateaux de cuivre grands comme des roues de poids lourds, chargés de pâtisseries arabes luisantes de miel, sur fond de musique orientale dégoulinante de sirop. Pas à dire, l’hospitalité berbère n’est pas un vain mot.
- Alors les tourtereaux ? C’est à c’t’heure qu’on arrive ? Vous avez de la chance que je vous aie gardé un peu de champagne au frais, que sinon ces poivrots, ils auraient déjà tout sifflé !
- Faut nous excuser Hassan, on a pas vu passer le temps : on a joué au chat et à la souris !
Gobu
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
savoureux, Gobu, excellent, tout en finesse, mouarf !!
tu as respecté notre couple fétiche et l'aventure est plaisante, même si Perfide en a perdu une griffe
j'aime beaucoup ta phrase, je sais plus laquelle exactement mais un truc du genre : quand on voit ce qu'on voit, quand on entend ce qu'on entend, on a raison de penser ce qu'on pense :-)))
j'ai aimé aussi l'hilamaya de mégots ;-)
bref, c'est du Gobu pur Cahors 13° et fayots flatuliques ;-)
bravo pour cet épisode
tu as respecté notre couple fétiche et l'aventure est plaisante, même si Perfide en a perdu une griffe
j'aime beaucoup ta phrase, je sais plus laquelle exactement mais un truc du genre : quand on voit ce qu'on voit, quand on entend ce qu'on entend, on a raison de penser ce qu'on pense :-)))
j'ai aimé aussi l'hilamaya de mégots ;-)
bref, c'est du Gobu pur Cahors 13° et fayots flatuliques ;-)
bravo pour cet épisode
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
Un régal ! on est servi copieusement et pourtant on en redemande de cette langue truffée d'humour.
En guise de cerise sur le gâteau, un médaillon de foie gras frais sur un tournedos : la structure du texte est parfaitement équilibrée.
Très nourrissant !
En guise de cerise sur le gâteau, un médaillon de foie gras frais sur un tournedos : la structure du texte est parfaitement équilibrée.
Très nourrissant !
claude- Nombre de messages : 142
Age : 64
Localisation : Drôme
Date d'inscription : 06/05/2008
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
.
Bien fendard, en particulier les répliques de Wanda et le passage chez la vieille. Un délice, oui, comme un savoureux loukoum farci... à la mort-aux-rats. ☺☺☺☺
.
Bien fendard, en particulier les répliques de Wanda et le passage chez la vieille. Un délice, oui, comme un savoureux loukoum farci... à la mort-aux-rats. ☺☺☺☺
.
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
Excellent ce texte : un pur moment de bonheur !
J'ai adoré l'imper mastic qui transforme le policier en flic. De belles trouvailles ! Du bon Gobu !
J'ai adoré l'imper mastic qui transforme le policier en flic. De belles trouvailles ! Du bon Gobu !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
de la gouaille, de l'éclat, des trouvailles, des personnages hauts en couleur et d'excellents dialogues (standing ovation pour les répliques de wanda).
Bravo
un bon moment.
J'irai bien me taper une petite prune au quincy
Bravo
un bon moment.
J'irai bien me taper une petite prune au quincy
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
Hello Gobu, c'est le deuxième texte que je lis de toi (après une histoire d'épicerie, de k-way jaune et de fusil à pompe...ou à canon scié...ou les deux) mais le premier que je cpmmente :-)
J'ai trouvé le début long, avec des phrases chargées, et peut-être un peu trop d'adjectifs (je pense en particulier à la description des souris-juges).
Le premier chapitre est d'une manière générale un peu long.
Le deuxième, lui, démarre très bien avec cette description très réussie du Trompe-L'oeil.
Et le final est original.
L'histoire est bien absurde comme il faut, dans la lignée des contraintes.
Mis à part, donc, le premier chapitre (que je trouve toussotant), ton écriture est agréable, parfois un peu trop fournie, mais pleine d'humour et de gouaille qui va si bien à nos deux gus.
Très sympathique :-)
J'ai trouvé le début long, avec des phrases chargées, et peut-être un peu trop d'adjectifs (je pense en particulier à la description des souris-juges).
Le premier chapitre est d'une manière générale un peu long.
Le deuxième, lui, démarre très bien avec cette description très réussie du Trompe-L'oeil.
Et le final est original.
L'histoire est bien absurde comme il faut, dans la lignée des contraintes.
Mis à part, donc, le premier chapitre (que je trouve toussotant), ton écriture est agréable, parfois un peu trop fournie, mais pleine d'humour et de gouaille qui va si bien à nos deux gus.
Très sympathique :-)
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
Un épisode Loiseau vraiment bien tourné. Les contraintes (proposées par moi) sont habilement utilisées.
Les personnages sont parfaitement brossés : la mère d'Hassan, la vieille infirme déboussolée. Les lieux font plus vrais que vrais. D'ailleurs certains le sont comme Le Quincy et ça donne envie. Et puis les dialogues, et puis l'humour et autres finesses.
Bref, j'ai passé à te lire un très bon moment.
Les personnages sont parfaitement brossés : la mère d'Hassan, la vieille infirme déboussolée. Les lieux font plus vrais que vrais. D'ailleurs certains le sont comme Le Quincy et ça donne envie. Et puis les dialogues, et puis l'humour et autres finesses.
Bref, j'ai passé à te lire un très bon moment.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
J'ai particulièrement apprécié la débauche de vocabulaire, les phrases longues et détaillées, le tout n'alourdissant pourtant pas le texte (à mes yeux en tout cas) et au contraire, lui donnant un rythme presque musical. C'est plutôt bien vu et pas évident à mener.
J'ai également aimé le rapport Loiseau-Wanda, direct et incisif tout en étant teinté d'affection, mais sans en faire trop.
Gobu ou l'une des plumes que je préfère... je ne suis pas déçue, une fois de plus! Ton texte est un véritable régal, consistant et agréable. De chouettes personnages, une intrigue bien ficelée et une écriture plus qu'agréable. Bravo et merci à toi!
J'ai également aimé le rapport Loiseau-Wanda, direct et incisif tout en étant teinté d'affection, mais sans en faire trop.
Gobu ou l'une des plumes que je préfère... je ne suis pas déçue, une fois de plus! Ton texte est un véritable régal, consistant et agréable. De chouettes personnages, une intrigue bien ficelée et une écriture plus qu'agréable. Bravo et merci à toi!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
la porte fut crochetéE en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.
Bahalors ?
Lu et amitiés de passage.
Bahalors ?
Lu et amitiés de passage.
Invité- Invité
Re: LOISEAU : Le chat et Loiseau
- mail envoyés depuis une hotline ?? depuis un cybercafé plutôt, non ? depuis la hotline, je vois pas ...
- "rends le greffier, vieille taupe, ou on va droit à l'ouragan sur l'hospice ..." J'adore ton vocabulaire imagé :-)))))
- "la vieille : Ah oui, chez Monsieur Loiseau." Elle dirait peut être pas Monsieur, non ?
déjanté, improbable et salement bien mené. un vrai court métrage, imagé, rempli, sans temps mort, des dialogues vivants et justes ...
A coup sûr, un des meilleurs Loiseau.
- "rends le greffier, vieille taupe, ou on va droit à l'ouragan sur l'hospice ..." J'adore ton vocabulaire imagé :-)))))
- "la vieille : Ah oui, chez Monsieur Loiseau." Elle dirait peut être pas Monsieur, non ?
déjanté, improbable et salement bien mené. un vrai court métrage, imagé, rempli, sans temps mort, des dialogues vivants et justes ...
A coup sûr, un des meilleurs Loiseau.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
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