In equo veritas
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In equo veritas
Riante campagne du Sud, en retrait du bord de mer.
La frange côtière, le long de cette mer si belle, où les dauphins joueurs apprennent à sourire, de voir le ruissellement irisé des vaguelettes, le miroitement du soleil –soleil joyeux, en ces lieux bénis, et aucunement implacable, différant de celui du désert, mangeur de chair et de vie- n’était pas encore ce qu’elle deviendra dans le cours progressif de l’accès universel aux pétaradants engins motorisés. Une brise légère dissipait aisément, le matin, les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeuré de la nuit, chaude et vivante.
Les pêcheurs étaient encore une corporation, et n’étaient pas devenus des déclassés, réduits par les règlements à mendier leurs revenus car les couloirs, les zones et les quotas ne leur permettaient plus de vivre de ce qui les avaient nourri des siècles durant. Ils partaient toujours à l’aube pour relever les filets, faisant crisser les longs et lourds pointus sur les galets, qu’ils arrivaient à mettre à l’eau et surtout à rehisser au sec par une longue habitude de l’effort bien dosé, et la maîtrise empirique des plans de roulements rustiques, constitués de tronçons de bois dur, acacia principalement.
Ils avaient encore une fonction dans la cité, qu’ils alimentaient chaque jour, sauf le dimanche, évidemment, en sardines ruisselantes, anchois de petite taille, la seule acceptée des connaisseurs, pageots, daurades, maquereaux. De loin en loin un spécimen plus consistant se trouvait dans les filets, entraîné au milieu d’un banc dense, gros merlan, voire, plus rare, congre, ceux-ci ne quittant leurs crevasses qu’à regret. Pêche de cueillette, comme les peuplades nomades depuis que la Terre est foulée par l’homme : écologistes avant que le mot n’existât pour d’autres que les laborantins et les scientifiques, ils n’allaient pas jusqu’à remercier leur frère poisson d’avoir donné sa vie pour les nourrir, mais quelque chose de cette vision du monde transparaissait dans les messes votives à St Pierre, où l’on avait le sentiment que si l’ordre du monde était respecté à travers l’observation correcte des rites, les poissons se reproduiraient en grand nombre et seraient, osons le mot, collaborateurs de leur propre prise.
Le village vivait certes déjà du tourisme, dont les revenus irriguaient toutes les branches de l’économie. Mais il n’était pas encore devenu un parking à retraités de classe moyenne, s’offrant en fin de vie de venir attendre la faucheuse dans un lieu ensoleillé, aux températures clémentes, paraît-il, toute l’année –encore que certaines journées de novembre ou de janvier pussent être parfaitement glaciales-, déculturés, coupés de leur environnement familial, mais garantis d’une prolongation de vie balisée par l’abondance de l’offre médicale en tous genres : plus forte densité du pays en médecins, contraints de s’adapter, par nécessité commerciale, au besoins de cette clientèle. Aussi ceux-ci, pour rembourser les énormes emprunts que représentaient l’achat d’un local à usage de cabinet, étaient -ils réduits à fidéliser une clientèle, l’entretenant savamment sur de petites choses, la dernière saillie de son caniche, lui aussi vieillissant, des conseils diététiques, et des visites quotidiennes pour prendre la tension.
Aux strates successives de populations exogènes déposées par la prospérité économique qui était venue petit à petit, liée entre autre à l’immobilier, et à l’intéressant tour de passe-passe qui permettait de transformer, par la magie de conseils municipaux compréhensifs, des terrains agricoles jusque là dévolus à la culture des œillets et des roses en zones constructibles, génératrices d’excellentes taxes-, était toujours mêlée la race vernaculaire, que les pagnolades ont accoutumé à stéréotyper comme galégeante, peu encline au travail opiniâtre, d’une fiabilité générale hautement suspecte, et d’une manière générale se comportant comme l’oiseau sur la branche, oiseau fortement anisé, de surcroît.
Il y a toujours une part de vérité, si ténue soit-elle, dans les a priori : le monde a changé très vite, et une population composée initialement de paysans, de pêcheurs, de petits commerçants, qui a construit un habitus, une manière de vivre, pendant des siècles, n’en change ni volontiers, ni aisément. A plus forte raison si elle a la conviction que ce qui lui est proposé est infiniment moins satisfaisant que ce qu’elle avait auparavant. La dernière guerre et l’invention de l’Europe en tant qu’échiquier d’échanges complexes a accéléré la mutation d’un monde de traditions et de coutumes, assis sur un socle d’us éprouvés, où l’on pouvait ester en justice dans des cas gravissimes, détournement d’un canal d’irrigation, déplacement d’une borne de champ, mais où les affaires courantes se résolvaient d’ordinaire devant quelques anciens de la cité, reconnus pour leur aptitudes de médiateurs et juges de paix.
Pagnol, auteur de tragédies, comme le lui avait prophétisé son ami Albert Cohen lors qu’ils étaient tous deux lycéens à Marseille, savait, en vrai provençal, la part grecque de l’héritage provençal, cette tenue noire des veuves et des mères amputées d’un enfant, qui rend compte constamment de la main cruelle des dieux et de leur perversité joueuse d’immortels irresponsables.
Il fallait quitter la mer, et, lui tournant le dos, grimper, et grimper encore, par cette ancienne route, qui suivait les terrasses de pierre sèche, édifiées patiemment par les inlassables fourmis des siècles passés, pierre à pierre, arrachée à la terre prospère et ingrate à la fois. Route humaine, qui montait, certes, mais montait comme une route tracée au temps des attelages, et des chevaux. Qui peut crever son attelage simplement pour rentrer chez lui ? Trois bonnes heures à traverser les bourgades somnolantes en plein juillet. L’imbécile combustible fossile contractait le temps, et quelques litres de liquide gaspillé comme s’il était inépuisable permettait le même trajet en un quart d’heure. Les vallons à l’ombre, préservés des canicules, verdoyaient au cours du trajet.
La petite propriété était en contrebas de la route, dans un creux de vallon. Maison simplissime de petit métayer, pierre sèche arrachée aux champs, une salle commune au sol couvert de grands carreaux de terre, posés à même la terre battue, et, l’assise s’étant détrempée et ayant bougé par endroit, ondulant par vagues. Un jour chiche entrant par la petite fenêtre au dessus de la pierre à l’évier : le provençal craint le soleil et ne met d’ouvertures que minuscules. Deux chambres à l’étage. Poutres avec plancher visible en sous-face. Elémentaire, utilitaire, pauvre. Un badigeon de chaux vaguement colorée en jaune de temps à autre . Peu de meubles, nulle prestigieuse commode en noyer sculpté et ajouré : nous sommes bien loin d’Avignon et de Nîmes, ce sont les dernières cités provençales avant l’Italie, qui commençait, il y a bien peu, au Var, le fleuve maigrelet descendant des Préalpes et alimenté par les torrents impétueux qui bondissent depuis les sommets.
Mère, fille, fils. La mère était veuve de métier, l’attelage ayant roulé sur son bonhomme, un soir qu’il était rentré ivre, et avait basculé du charreton. Jamais un cheval ne piétinera un homme tombé à terre ; mais en l’occurrence, il était tombé du véhicule, et c’était une des roues cerclées de fer qui lui avait broyé la nuque. On peut s’étonner, connaissant le sixième sens, souvent carrément télépathique des chevaux, qu’ils ne se soient pas arrêté avant que ce fut irréversible. C’est d’ailleurs ce qui accréditait la thèse, soutenue par certains, qu’il n’était aimé de personne, et encore moins de ses chevaux. Le fils, a contrario, par loyauté filiale, avait élaboré un mythe sur ce père si inopportunément décédé , qui s’était enrichi au fil des années, dans lequel le défunt revêtait à peu de chose près costume de centaure : ses chevaux, affirmait-il, le connaissaient et l’aimaient tant qu’ils refusaient de manger s’il était malade.
Œil vif de paysanne à qui on ne la fait pas, et qui, depuis que ses ancêtres étaient assujettis à la taille, la gabelle, la capitation, et tous les ingénieux expédients que les dominants imposent à leurs dominés, sait que le petit, pour survivre, doit faire le dos rond, et se faire oublier, la mère était un petit tonneau court sur pattes, vêtue en tous temps d’une espèce de caraco, qui avait dû être blouse, dont les fleurs qui l’avaient égayé se distinguaient encore vaguement sous la patine, un bonnet de laine feutré par la crasse sous des cheveux en filasse, des chicots jaunâtres aux surfaces masticatoires noires, quant à elles, barbue avec conviction, de longs poils blancs enroulés, elle se dandinait d’une jambe sur l’autre, oscillant de sa masse imposante sur deux colonnes de chair, tremblotantes et gélatineuses, pour se déplacer.
Les rejetons ne pouvaient dissimuler leur filiation avec leur génitrice, bâtis qu’ils étaient sur ce modèle courtaud et massif, la fille un peu moins dotée pileusement que la mère, désavantagée peut-être par son âge, ou d’hypocrites épilations loin de tout regard.
Depuis des lustres, et à tout le moins deux générations, correspondant au début de la pluie d’or qui commença de ruisseler sur ces contrées lorsque les paysans s’avisèrent que l’œillet et la rose, à travail égal, était achetés par les courtiers et les expéditeurs à des taux sans rapport avec celui du pois chiche et de la courgette, fût-elle de Nice, la famille avait concentré son activité sur la fleur et les chevaux. La fleur pour le rapport, les chevaux par passion.
Le fils, véritable continuateur de l’aspect équestre de la propriété, avait depuis toujours ces comportements pudiques et mensongers des vrais amoureux qui refusent de reconnaître qu’un feu les consument, fût-ce à eux-mêmes. Il inventait de fort ingénieuses justifications perpétuelles de la remarquable adéquation du cheval à l’exploitation de petites parcelles –le plus borné des analystes se fût rendu compte que nourrir un cheval à l’année pour l’utiliser au labour et à la moisson, et guère plus, n’était pas nécessairement très pertinent économiquement. Mais là comme en d’autres domaines, l’amoureux déploie un talent sans limites, et d’une inventivité qui confine à la poésie : allez dire à l’amoureux que l’objet de ses feux bigle. Outre que vous risqueriez une riposte gestuelle immédiate, il vous expliquera, avec des soleils dans la voix, que chacun de ses yeux est une route unique, et que c’est un privilège merveilleux que de les accompagner. La velue aura, dans la même veine, une animalité sensuelle irrésistible.
Aussi le plus clair des revenus de la florale activité passait-il dans la danseuse du gaillard, sous les prétextes les plus variés. Etant bien entendu que l’économie domestique de subsistance était assurée par le petit jardin, les poules et les lapins, tâche immémorialement réservée aux femmes, qui, comme chacun sait, naissent pourvues du gène supplémentaire qui leur réserve de plein droit le privilège de l’entretien domestique.
Pour couper court aux velléités de protestation qui ne s’étaient jamais manifestées, mais dont on ne pouvait garantir qu’elles n’apparaîtraient pas un jour, les écoles contribuant à propager toutes sortes d’idées pernicieuses dans les têtes des filles, par nature moins à même de comprendre la part de propagande des propos, sur la nécessaire égalité entre filles et garçons, monsieur l’écuyer louait à la municipalité plusieurs attelages qu’il conduisait lors des manifestations locales, revenues très en faveur depuis que les badauds de n’importe où s’y pressaient en masses compactes, prestations qui généraient un petit revenu, et surtout justifiaient le maintien de son piquet. Il suffisait de jucher sur le dos des équidés restant quelques cavaliers de confiance, qu’il avait sous la main puisqu’il organisait des promenades dans les bois, et le tour était joué : comment se passer d’un seul cheval ?
La frange côtière, le long de cette mer si belle, où les dauphins joueurs apprennent à sourire, de voir le ruissellement irisé des vaguelettes, le miroitement du soleil –soleil joyeux, en ces lieux bénis, et aucunement implacable, différant de celui du désert, mangeur de chair et de vie- n’était pas encore ce qu’elle deviendra dans le cours progressif de l’accès universel aux pétaradants engins motorisés. Une brise légère dissipait aisément, le matin, les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeuré de la nuit, chaude et vivante.
Les pêcheurs étaient encore une corporation, et n’étaient pas devenus des déclassés, réduits par les règlements à mendier leurs revenus car les couloirs, les zones et les quotas ne leur permettaient plus de vivre de ce qui les avaient nourri des siècles durant. Ils partaient toujours à l’aube pour relever les filets, faisant crisser les longs et lourds pointus sur les galets, qu’ils arrivaient à mettre à l’eau et surtout à rehisser au sec par une longue habitude de l’effort bien dosé, et la maîtrise empirique des plans de roulements rustiques, constitués de tronçons de bois dur, acacia principalement.
Ils avaient encore une fonction dans la cité, qu’ils alimentaient chaque jour, sauf le dimanche, évidemment, en sardines ruisselantes, anchois de petite taille, la seule acceptée des connaisseurs, pageots, daurades, maquereaux. De loin en loin un spécimen plus consistant se trouvait dans les filets, entraîné au milieu d’un banc dense, gros merlan, voire, plus rare, congre, ceux-ci ne quittant leurs crevasses qu’à regret. Pêche de cueillette, comme les peuplades nomades depuis que la Terre est foulée par l’homme : écologistes avant que le mot n’existât pour d’autres que les laborantins et les scientifiques, ils n’allaient pas jusqu’à remercier leur frère poisson d’avoir donné sa vie pour les nourrir, mais quelque chose de cette vision du monde transparaissait dans les messes votives à St Pierre, où l’on avait le sentiment que si l’ordre du monde était respecté à travers l’observation correcte des rites, les poissons se reproduiraient en grand nombre et seraient, osons le mot, collaborateurs de leur propre prise.
Le village vivait certes déjà du tourisme, dont les revenus irriguaient toutes les branches de l’économie. Mais il n’était pas encore devenu un parking à retraités de classe moyenne, s’offrant en fin de vie de venir attendre la faucheuse dans un lieu ensoleillé, aux températures clémentes, paraît-il, toute l’année –encore que certaines journées de novembre ou de janvier pussent être parfaitement glaciales-, déculturés, coupés de leur environnement familial, mais garantis d’une prolongation de vie balisée par l’abondance de l’offre médicale en tous genres : plus forte densité du pays en médecins, contraints de s’adapter, par nécessité commerciale, au besoins de cette clientèle. Aussi ceux-ci, pour rembourser les énormes emprunts que représentaient l’achat d’un local à usage de cabinet, étaient -ils réduits à fidéliser une clientèle, l’entretenant savamment sur de petites choses, la dernière saillie de son caniche, lui aussi vieillissant, des conseils diététiques, et des visites quotidiennes pour prendre la tension.
Aux strates successives de populations exogènes déposées par la prospérité économique qui était venue petit à petit, liée entre autre à l’immobilier, et à l’intéressant tour de passe-passe qui permettait de transformer, par la magie de conseils municipaux compréhensifs, des terrains agricoles jusque là dévolus à la culture des œillets et des roses en zones constructibles, génératrices d’excellentes taxes-, était toujours mêlée la race vernaculaire, que les pagnolades ont accoutumé à stéréotyper comme galégeante, peu encline au travail opiniâtre, d’une fiabilité générale hautement suspecte, et d’une manière générale se comportant comme l’oiseau sur la branche, oiseau fortement anisé, de surcroît.
Il y a toujours une part de vérité, si ténue soit-elle, dans les a priori : le monde a changé très vite, et une population composée initialement de paysans, de pêcheurs, de petits commerçants, qui a construit un habitus, une manière de vivre, pendant des siècles, n’en change ni volontiers, ni aisément. A plus forte raison si elle a la conviction que ce qui lui est proposé est infiniment moins satisfaisant que ce qu’elle avait auparavant. La dernière guerre et l’invention de l’Europe en tant qu’échiquier d’échanges complexes a accéléré la mutation d’un monde de traditions et de coutumes, assis sur un socle d’us éprouvés, où l’on pouvait ester en justice dans des cas gravissimes, détournement d’un canal d’irrigation, déplacement d’une borne de champ, mais où les affaires courantes se résolvaient d’ordinaire devant quelques anciens de la cité, reconnus pour leur aptitudes de médiateurs et juges de paix.
Pagnol, auteur de tragédies, comme le lui avait prophétisé son ami Albert Cohen lors qu’ils étaient tous deux lycéens à Marseille, savait, en vrai provençal, la part grecque de l’héritage provençal, cette tenue noire des veuves et des mères amputées d’un enfant, qui rend compte constamment de la main cruelle des dieux et de leur perversité joueuse d’immortels irresponsables.
Il fallait quitter la mer, et, lui tournant le dos, grimper, et grimper encore, par cette ancienne route, qui suivait les terrasses de pierre sèche, édifiées patiemment par les inlassables fourmis des siècles passés, pierre à pierre, arrachée à la terre prospère et ingrate à la fois. Route humaine, qui montait, certes, mais montait comme une route tracée au temps des attelages, et des chevaux. Qui peut crever son attelage simplement pour rentrer chez lui ? Trois bonnes heures à traverser les bourgades somnolantes en plein juillet. L’imbécile combustible fossile contractait le temps, et quelques litres de liquide gaspillé comme s’il était inépuisable permettait le même trajet en un quart d’heure. Les vallons à l’ombre, préservés des canicules, verdoyaient au cours du trajet.
La petite propriété était en contrebas de la route, dans un creux de vallon. Maison simplissime de petit métayer, pierre sèche arrachée aux champs, une salle commune au sol couvert de grands carreaux de terre, posés à même la terre battue, et, l’assise s’étant détrempée et ayant bougé par endroit, ondulant par vagues. Un jour chiche entrant par la petite fenêtre au dessus de la pierre à l’évier : le provençal craint le soleil et ne met d’ouvertures que minuscules. Deux chambres à l’étage. Poutres avec plancher visible en sous-face. Elémentaire, utilitaire, pauvre. Un badigeon de chaux vaguement colorée en jaune de temps à autre . Peu de meubles, nulle prestigieuse commode en noyer sculpté et ajouré : nous sommes bien loin d’Avignon et de Nîmes, ce sont les dernières cités provençales avant l’Italie, qui commençait, il y a bien peu, au Var, le fleuve maigrelet descendant des Préalpes et alimenté par les torrents impétueux qui bondissent depuis les sommets.
Mère, fille, fils. La mère était veuve de métier, l’attelage ayant roulé sur son bonhomme, un soir qu’il était rentré ivre, et avait basculé du charreton. Jamais un cheval ne piétinera un homme tombé à terre ; mais en l’occurrence, il était tombé du véhicule, et c’était une des roues cerclées de fer qui lui avait broyé la nuque. On peut s’étonner, connaissant le sixième sens, souvent carrément télépathique des chevaux, qu’ils ne se soient pas arrêté avant que ce fut irréversible. C’est d’ailleurs ce qui accréditait la thèse, soutenue par certains, qu’il n’était aimé de personne, et encore moins de ses chevaux. Le fils, a contrario, par loyauté filiale, avait élaboré un mythe sur ce père si inopportunément décédé , qui s’était enrichi au fil des années, dans lequel le défunt revêtait à peu de chose près costume de centaure : ses chevaux, affirmait-il, le connaissaient et l’aimaient tant qu’ils refusaient de manger s’il était malade.
Œil vif de paysanne à qui on ne la fait pas, et qui, depuis que ses ancêtres étaient assujettis à la taille, la gabelle, la capitation, et tous les ingénieux expédients que les dominants imposent à leurs dominés, sait que le petit, pour survivre, doit faire le dos rond, et se faire oublier, la mère était un petit tonneau court sur pattes, vêtue en tous temps d’une espèce de caraco, qui avait dû être blouse, dont les fleurs qui l’avaient égayé se distinguaient encore vaguement sous la patine, un bonnet de laine feutré par la crasse sous des cheveux en filasse, des chicots jaunâtres aux surfaces masticatoires noires, quant à elles, barbue avec conviction, de longs poils blancs enroulés, elle se dandinait d’une jambe sur l’autre, oscillant de sa masse imposante sur deux colonnes de chair, tremblotantes et gélatineuses, pour se déplacer.
Les rejetons ne pouvaient dissimuler leur filiation avec leur génitrice, bâtis qu’ils étaient sur ce modèle courtaud et massif, la fille un peu moins dotée pileusement que la mère, désavantagée peut-être par son âge, ou d’hypocrites épilations loin de tout regard.
Depuis des lustres, et à tout le moins deux générations, correspondant au début de la pluie d’or qui commença de ruisseler sur ces contrées lorsque les paysans s’avisèrent que l’œillet et la rose, à travail égal, était achetés par les courtiers et les expéditeurs à des taux sans rapport avec celui du pois chiche et de la courgette, fût-elle de Nice, la famille avait concentré son activité sur la fleur et les chevaux. La fleur pour le rapport, les chevaux par passion.
Le fils, véritable continuateur de l’aspect équestre de la propriété, avait depuis toujours ces comportements pudiques et mensongers des vrais amoureux qui refusent de reconnaître qu’un feu les consument, fût-ce à eux-mêmes. Il inventait de fort ingénieuses justifications perpétuelles de la remarquable adéquation du cheval à l’exploitation de petites parcelles –le plus borné des analystes se fût rendu compte que nourrir un cheval à l’année pour l’utiliser au labour et à la moisson, et guère plus, n’était pas nécessairement très pertinent économiquement. Mais là comme en d’autres domaines, l’amoureux déploie un talent sans limites, et d’une inventivité qui confine à la poésie : allez dire à l’amoureux que l’objet de ses feux bigle. Outre que vous risqueriez une riposte gestuelle immédiate, il vous expliquera, avec des soleils dans la voix, que chacun de ses yeux est une route unique, et que c’est un privilège merveilleux que de les accompagner. La velue aura, dans la même veine, une animalité sensuelle irrésistible.
Aussi le plus clair des revenus de la florale activité passait-il dans la danseuse du gaillard, sous les prétextes les plus variés. Etant bien entendu que l’économie domestique de subsistance était assurée par le petit jardin, les poules et les lapins, tâche immémorialement réservée aux femmes, qui, comme chacun sait, naissent pourvues du gène supplémentaire qui leur réserve de plein droit le privilège de l’entretien domestique.
Pour couper court aux velléités de protestation qui ne s’étaient jamais manifestées, mais dont on ne pouvait garantir qu’elles n’apparaîtraient pas un jour, les écoles contribuant à propager toutes sortes d’idées pernicieuses dans les têtes des filles, par nature moins à même de comprendre la part de propagande des propos, sur la nécessaire égalité entre filles et garçons, monsieur l’écuyer louait à la municipalité plusieurs attelages qu’il conduisait lors des manifestations locales, revenues très en faveur depuis que les badauds de n’importe où s’y pressaient en masses compactes, prestations qui généraient un petit revenu, et surtout justifiaient le maintien de son piquet. Il suffisait de jucher sur le dos des équidés restant quelques cavaliers de confiance, qu’il avait sous la main puisqu’il organisait des promenades dans les bois, et le tour était joué : comment se passer d’un seul cheval ?
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
In equo veritas /suite et fin
A la différence du collectionneur aguerri, qui apprend, passée la période compulsive, qu’il n’est de collection de quelque intérêt que par l’élagage continuel, et que c’est la montée en qualité qui doit guider tout apport nouveau, à telle enseigne qu’en dernière analyse, on pourrait imaginer le collectionneur au bout de sa quête avec une seule pièce exceptionnelle, qui enferme toutes les beautés de toutes les autres, l’essence même de ce à quoi la collection est consacrée, le fils ne revendait pas ses chevaux moyens pour en acquérir de meilleurs. Amoureux compulsif, il était hors de question pour lui de se dessaisir d’un seul d’entre eux. Il est vrai qu’il les avait choisi avec beaucoup de discernement, et qu’objectivement tous étaient de qualité. Mais on ne peut mettre sur le même pied un fjord placide et un pur-sang arabe : hormis ses performances et la qualité de son modèle, c’est l’adéquation du cheval au travail qui lui est demandé qui doit guider le choix, même si, en vertu du qui peut le plus, un cheval de grande qualité excellera dans quasiment tout ce qui lui est demandé.
Autre difficulté, bien compréhensible pour un amoureux, il était hors de question que le premier quidam venu montât un de ses amis, car c’est ainsi qu’il les considérait.
Aussi tournait-il autour du pot quand des clients potentiels téléphonaient, s’efforçant , par des questions qu’il pensait habiles, et à tout le moins, utiles à éliminer les candidats inappropriés, de se faire une idée sinon des talents précis des postulants, en tous cas de leur inocuité. Dans quel club montaient-ils, qui les avait formés, montaient-ils régulièrement, pourquoi voulaient-ils monter chez lui…Comme on le voit, toutes questions fort propres à générer une noria de postulants suppliants. Il eût fallu, en dernière analyse, qu’il consente à acquérir une quelconque haridelle qui n’aurait servi qu’à le convaincre du niveau réel du cavalier, sans risquer d’endommager ses précieuses montures. Encore que le risque demeurait, non négligeable, qu’il tombât aussi amoureux de la rosse, et qu’il l’adjoignît à son écurie.
Cheval qui travaille peu mange quand même : jamais le dicton n’ a été aussi vrai. Pas question de refuser à ses chéris quoi que ce soit, ni fourrage, ni sellerie de qualité, ni soins coûteux, baumes pour les atteintes, maréchal-ferrant, qui ne ferrait qu’à chaud, bien entendu, pommades, fortifiants, confort dans les box –il les avait équipés de baffles et, prétendant que, à l’instar des humains, les chevaux ont des goûts musicaux bien précis, passait des heures à faire écouter à chacun toutes sortes de musiques, s’efforçant de déterminer ses préférences, pour ensuite lui affecter un lecteur attitré pour lui diffuser SA musique.
Cela prit des années pour que l’affaire battît réellement de l’aile : la famille était frugale, produisait en grande partie ce qu’elle consommait, ne dépensait rien au-dehors, n’effectuait même pas les petits travaux d’entretien basiques sur la maison. Les femmes avaient gardé le souvenir de la fois où sur la requête de sa sœur, qui souhaitait dépenser un peu d’argent pour améliorer le confort de sa chambre, d’abord interloqué, il s’était mis à pleurer à gros sanglots en se tordant les mains, avec des phrases dans lesquelles elles discernaient que ses pauvres chevaux, eux, devaient se contenter de leurs box, alors qu’on avait de telles demandes. Il en était malade, et sincèrement. Tant de désespoir leur avait brisé le cœur, et comme elles étaient bonnes filles, elles se gardaient bien de recommencer.
Mais ce ne sont certes pas les Bataves qui me contrediront, une infime fissure dans une digue finit, à force de temps, par jeter tout à bas, si on ne la colmate pas. L’hémorragie dura longtemps, minime, suintante, peu perceptible : c’étaient des fins d’années où, sur le cahier d’écolier à petits carreaux, on se rendait compte qu’il allait falloir recourir à l’emprunt auprès de la banque, double hérésie pour des paysans. D’abord on se méfie des banques, et si on dépose, c’est à la Caisse d’Epargne, parce qu’elle verse un intérêt. Emprunter constituait donc déjà une violence, emprunter pour reboucher un trou, plus encore.
Il est probable que les femmes, dès ce temps, aient supputé le déroulement inéluctable suivi du dénouement pitoyable : re-emprunt, re-problèmes de remboursement. Mauvaise année, et cela arrive, et le trou se creuse. Vient un jour où l’on engage sa maison par hypothèque, espérant une martingale hasardeuse : on va gagner beaucoup sur le défilé votif, on va bisser sur la fête des mais. Il plut sur le défilé, et la fête des mais n’eut pas le succès escompté, éclipsée par celle du village voisin, qui avait mis le paquet et fait venir un chanteur à succès d’audience nationale.
Vint le jour où, incapable de faire face à ses remboursements, après protêts sur protêts, la propriété fut mise aux enchères. Il se démena comme un diable pour que ses chevaux soient exempts du lot, jurant que s’ils étaient vendus, il les abattrait lui-même, et se pendrait ensuite. Il se voyait partant comme un boumian –le mot provençal pour romanichel-, avec carriole et chevaux, et ma foi, l’idée ne lui déplaisait pas. Des deux femmes perdant leur lieu de vie, surtout la vieille, la pensée ne l’avait même pas effleuré. Elles suivraient, voilà tout.
Le produit de la vente couvrit tout juste les dettes et les frais : il furent mis en demeure de quitter les lieux, et il décida de faire un grand feu pour nettoyer toutes les cochonneries accumulées durant des générations dans les recoins de la grange. Sortant jougs cassés, morceaux de colliers dépareillés, brouettes sans roue, faux sans mancherons, et à la lame en bout d’usure. Un cadre dégoûtant dans le fond, contre la paroi.
-Qu’es aco la mère ? tu sais d’où ça vient ?
-O pauvre, fais voir…ah oui, c’est mon pauvre père. Il l’avait reçu d’un original qu’il avait ramené avec son attelage. Il lui avait porté ses meubles. Un temps il l’avait mis à côté de la fenêtre, mais ma pauvre mère l’aimait pas. Elle l’avait fichu au poulailler, et c’est moi qui l’avait mis dans la grange, parce que quand même…une peinture….
-Il est crassous, té, je l’essuie un peu, oh couillon, il y a quelque chose d’écrit, té je le nettoie, esse, i, esse on dirait, èle, é, i grec, c’est quoi ça, Siselé ?
Autre difficulté, bien compréhensible pour un amoureux, il était hors de question que le premier quidam venu montât un de ses amis, car c’est ainsi qu’il les considérait.
Aussi tournait-il autour du pot quand des clients potentiels téléphonaient, s’efforçant , par des questions qu’il pensait habiles, et à tout le moins, utiles à éliminer les candidats inappropriés, de se faire une idée sinon des talents précis des postulants, en tous cas de leur inocuité. Dans quel club montaient-ils, qui les avait formés, montaient-ils régulièrement, pourquoi voulaient-ils monter chez lui…Comme on le voit, toutes questions fort propres à générer une noria de postulants suppliants. Il eût fallu, en dernière analyse, qu’il consente à acquérir une quelconque haridelle qui n’aurait servi qu’à le convaincre du niveau réel du cavalier, sans risquer d’endommager ses précieuses montures. Encore que le risque demeurait, non négligeable, qu’il tombât aussi amoureux de la rosse, et qu’il l’adjoignît à son écurie.
Cheval qui travaille peu mange quand même : jamais le dicton n’ a été aussi vrai. Pas question de refuser à ses chéris quoi que ce soit, ni fourrage, ni sellerie de qualité, ni soins coûteux, baumes pour les atteintes, maréchal-ferrant, qui ne ferrait qu’à chaud, bien entendu, pommades, fortifiants, confort dans les box –il les avait équipés de baffles et, prétendant que, à l’instar des humains, les chevaux ont des goûts musicaux bien précis, passait des heures à faire écouter à chacun toutes sortes de musiques, s’efforçant de déterminer ses préférences, pour ensuite lui affecter un lecteur attitré pour lui diffuser SA musique.
Cela prit des années pour que l’affaire battît réellement de l’aile : la famille était frugale, produisait en grande partie ce qu’elle consommait, ne dépensait rien au-dehors, n’effectuait même pas les petits travaux d’entretien basiques sur la maison. Les femmes avaient gardé le souvenir de la fois où sur la requête de sa sœur, qui souhaitait dépenser un peu d’argent pour améliorer le confort de sa chambre, d’abord interloqué, il s’était mis à pleurer à gros sanglots en se tordant les mains, avec des phrases dans lesquelles elles discernaient que ses pauvres chevaux, eux, devaient se contenter de leurs box, alors qu’on avait de telles demandes. Il en était malade, et sincèrement. Tant de désespoir leur avait brisé le cœur, et comme elles étaient bonnes filles, elles se gardaient bien de recommencer.
Mais ce ne sont certes pas les Bataves qui me contrediront, une infime fissure dans une digue finit, à force de temps, par jeter tout à bas, si on ne la colmate pas. L’hémorragie dura longtemps, minime, suintante, peu perceptible : c’étaient des fins d’années où, sur le cahier d’écolier à petits carreaux, on se rendait compte qu’il allait falloir recourir à l’emprunt auprès de la banque, double hérésie pour des paysans. D’abord on se méfie des banques, et si on dépose, c’est à la Caisse d’Epargne, parce qu’elle verse un intérêt. Emprunter constituait donc déjà une violence, emprunter pour reboucher un trou, plus encore.
Il est probable que les femmes, dès ce temps, aient supputé le déroulement inéluctable suivi du dénouement pitoyable : re-emprunt, re-problèmes de remboursement. Mauvaise année, et cela arrive, et le trou se creuse. Vient un jour où l’on engage sa maison par hypothèque, espérant une martingale hasardeuse : on va gagner beaucoup sur le défilé votif, on va bisser sur la fête des mais. Il plut sur le défilé, et la fête des mais n’eut pas le succès escompté, éclipsée par celle du village voisin, qui avait mis le paquet et fait venir un chanteur à succès d’audience nationale.
Vint le jour où, incapable de faire face à ses remboursements, après protêts sur protêts, la propriété fut mise aux enchères. Il se démena comme un diable pour que ses chevaux soient exempts du lot, jurant que s’ils étaient vendus, il les abattrait lui-même, et se pendrait ensuite. Il se voyait partant comme un boumian –le mot provençal pour romanichel-, avec carriole et chevaux, et ma foi, l’idée ne lui déplaisait pas. Des deux femmes perdant leur lieu de vie, surtout la vieille, la pensée ne l’avait même pas effleuré. Elles suivraient, voilà tout.
Le produit de la vente couvrit tout juste les dettes et les frais : il furent mis en demeure de quitter les lieux, et il décida de faire un grand feu pour nettoyer toutes les cochonneries accumulées durant des générations dans les recoins de la grange. Sortant jougs cassés, morceaux de colliers dépareillés, brouettes sans roue, faux sans mancherons, et à la lame en bout d’usure. Un cadre dégoûtant dans le fond, contre la paroi.
-Qu’es aco la mère ? tu sais d’où ça vient ?
-O pauvre, fais voir…ah oui, c’est mon pauvre père. Il l’avait reçu d’un original qu’il avait ramené avec son attelage. Il lui avait porté ses meubles. Un temps il l’avait mis à côté de la fenêtre, mais ma pauvre mère l’aimait pas. Elle l’avait fichu au poulailler, et c’est moi qui l’avait mis dans la grange, parce que quand même…une peinture….
-Il est crassous, té, je l’essuie un peu, oh couillon, il y a quelque chose d’écrit, té je le nettoie, esse, i, esse on dirait, èle, é, i grec, c’est quoi ça, Siselé ?
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Je commente déjà la première partie. Le début, je l'avoue, m'a un peu ennuyée, je l'ai trouvé trop généraliste voire, par moments, sentencieux. J'ai persévéré parce que je me doutais que je serais récompensée, et, en effet, cette famille provençale me passionne déjà !
Une remarque d'order général : à mon avis, dans ce bout de texte, vous avez un peu abusé des participes présents ; je ne saurais vous dire où au juste, il s'agit d'une impression générale.
En tout cas, merci d'utiliser désormais le caractère "œ" !
"des terrains agricoles jusque-là dévolus"
"les bourgades somnolentes"
"qu'ils ne se soient pas arrêtés avant que ce fût irréversible"
"la mère était un petit tonneau court sur pattes, vêtue en tous temps d’une espèce de caraco, qui avait dû être blouse, dont les fleurs qui l’avaient égayé se distinguaient encore vaguement sous la patine, un bonnet de laine feutré par la crasse sous des cheveux en filasse, des chicots jaunâtres aux surfaces masticatoires noires, quant à elle ("elle", si c'est la mère ?), barbue avec conviction, de longs poils blancs enroulés, elle se dandinait d’une jambe sur l’autre" : à mon avis, quelque chose ne va pas dans ce membre de phrase, je le trouve déséquilibré. Le bonnet de laine est-il indiqué comme élément de l'habillement ? Si oui, pourquoi n'est-il pas écrit "vêtue (...) d'un bonnet" ? Ensuite, la mention des chicots avec une simple séparation par virgule m'a déroutée, j'aurais vu une rupture plus nette pour marquer qu'on mettait fin à la description des pièces qui vêtaient la mère
"l’œillet et la rose, à travail égal, étaient achetés"
"un feu les consume (et non "consument")"
Une remarque d'order général : à mon avis, dans ce bout de texte, vous avez un peu abusé des participes présents ; je ne saurais vous dire où au juste, il s'agit d'une impression générale.
En tout cas, merci d'utiliser désormais le caractère "œ" !
"des terrains agricoles jusque-là dévolus"
"les bourgades somnolentes"
"qu'ils ne se soient pas arrêtés avant que ce fût irréversible"
"la mère était un petit tonneau court sur pattes, vêtue en tous temps d’une espèce de caraco, qui avait dû être blouse, dont les fleurs qui l’avaient égayé se distinguaient encore vaguement sous la patine, un bonnet de laine feutré par la crasse sous des cheveux en filasse, des chicots jaunâtres aux surfaces masticatoires noires, quant à elle ("elle", si c'est la mère ?), barbue avec conviction, de longs poils blancs enroulés, elle se dandinait d’une jambe sur l’autre" : à mon avis, quelque chose ne va pas dans ce membre de phrase, je le trouve déséquilibré. Le bonnet de laine est-il indiqué comme élément de l'habillement ? Si oui, pourquoi n'est-il pas écrit "vêtue (...) d'un bonnet" ? Ensuite, la mention des chicots avec une simple séparation par virgule m'a déroutée, j'aurais vu une rupture plus nette pour marquer qu'on mettait fin à la description des pièces qui vêtaient la mère
"l’œillet et la rose, à travail égal, étaient achetés"
"un feu les consume (et non "consument")"
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Je dois partir, je commente vite fait la première partie.
J'ai eu peur de la nostalgie à tous crins pour un passé révolu qui est à la mode. Tu as su t'en (et nous) en garder. Modération.
Et puis entrent les personnages, pas beaux, pas propres, avec des détails glissés l'air de rien, comme en aparté, et je sens que cette histoire va me plaire : "la fille un peu moins dotée pileusement que la mère, désavantagée peut-être par son âge, ou d’hypocrites épilations loin de tout regard."
J'ai relevé au passage :
, aux besoins de cette clientèle.
l’assise s’étant détrempée et ayant bougé par endroits
Il suffisait de jucher sur le dos des équidés restants
et je reviens pour la2eme partie + tard.
J'ai eu peur de la nostalgie à tous crins pour un passé révolu qui est à la mode. Tu as su t'en (et nous) en garder. Modération.
Et puis entrent les personnages, pas beaux, pas propres, avec des détails glissés l'air de rien, comme en aparté, et je sens que cette histoire va me plaire : "la fille un peu moins dotée pileusement que la mère, désavantagée peut-être par son âge, ou d’hypocrites épilations loin de tout regard."
J'ai relevé au passage :
, aux besoins de cette clientèle.
l’assise s’étant détrempée et ayant bougé par endroits
Il suffisait de jucher sur le dos des équidés restants
et je reviens pour la2eme partie + tard.
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Deuxième partie : excellente. Tout s'enchaîne à merveille, l'écriture est à la fois très soutenue et alerte, la chute finale donne envie de connaître la suite !
"à telle enseigne qu’en dernière analyse, on pourrait imaginer le collectionneur au bout de sa quête avec une seule pièce exceptionnelle, qui enferme toutes les beautés de toutes les autres, l’essence même de ce à quoi la collection est consacrée" : j'adore cette remarque !
"il les avait choisis avec beaucoup de discernement"
"en tous ("tout" ? Je ne sais jamais) cas de leur innocuité"
"Il eût fallu, en dernière analyse (attention, c'est le deuxième "en dernière analyse" en quelques paragraphes, je trouve que la répétition se voit), qu’il consente (un imparfait du subjonctif n'aurait-il pas été ici de belle venue ?) à acquérir "
"à telle enseigne qu’en dernière analyse, on pourrait imaginer le collectionneur au bout de sa quête avec une seule pièce exceptionnelle, qui enferme toutes les beautés de toutes les autres, l’essence même de ce à quoi la collection est consacrée" : j'adore cette remarque !
"il les avait choisis avec beaucoup de discernement"
"en tous ("tout" ? Je ne sais jamais) cas de leur innocuité"
"Il eût fallu, en dernière analyse (attention, c'est le deuxième "en dernière analyse" en quelques paragraphes, je trouve que la répétition se voit), qu’il consente (un imparfait du subjonctif n'aurait-il pas été ici de belle venue ?) à acquérir "
Invité- Invité
Re: In equo veritas
socque a écrit:Deuxième partie : excellente. Tout s'enchaîne à merveille, l'écriture est à la fois très soutenue et alerte, la chute finale donne envie de connaître la suite !
"à telle enseigne qu’en dernière analyse, on pourrait imaginer le collectionneur au bout de sa quête avec une seule pièce exceptionnelle, qui enferme toutes les beautés de toutes les autres, l’essence même de ce à quoi la collection est consacrée" : j'adore cette remarque !
"il les avait choisis avec beaucoup de discernement"
"en tous ("tout" ? Je ne sais jamais) cas de leur innocuité"
"Il eût fallu, en dernière analyse (attention, c'est le deuxième "en dernière analyse" en quelques paragraphes, je trouve que la répétition se voit), qu’il consente (un imparfait du subjonctif n'aurait-il pas été ici de belle venue ?) à acquérir "
Merci pour vos remarques, toujours de bonne venue et que j'apprécie beaucoup.
Je dois vous confesser que les manipulations que vous me suggérates pour agrémenter mes C de cédilles se sont révélées inopérantes, de même que les oe que je suis tout surpris d'apprendre corrects. Sans doute dû à l'âge canonique de l'ordi, ou à quelque mystérieuse disposition qui m'effraie rien qu'à l'évoquer.
Les lieux communs du début, que voulez-vous, c'est moi, j'aime philosopher ainsi, quitte à trouver cela obsolète plus tard. Mais pour l'instant, ça me va.
Où je suis plus ennuyé, c'est que dans mon esprit, par une élision subtile, c'était bouclé: je laissais le lecteur supputer que quand on trouve pareil trésor, on n'a plus à se soucier de rien. Je vais réfléchir et voir si j'écris une suite.
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Ben, vous savez, au vu du peu d'écho (si j'ose dire) que semble éveiller chez l'équinophile le nom vénérable de Sisley, j'avais l'impression que la toile en question risquait fort de finir au feu ou, au mieux, dans une vague brocante où la famille aurait déposé son superflu contre une menue monnaie avant de partir sur les routes...
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Tiens tiens...nous revoilà en terre pagnolesque. un gimmick, il semblerait. La référence discrète à l'amitié d'enfance entre Albert et Marcel ne m'aura pas échappé, tu penses bien. De la belle ouvrage, ciselée (Sisley ?) à la pointe fine. Peut-être as-tu raison, faudrait-il mettre un point final avec la découverte du cadre et passer à autre chose, mais, vois-tu, nous sommes comme les collectionneurs que tu évoques, textophiles indécrottables quand la qualité y est, et donc tu peux envoyer la suite.
Gobu- Nombre de messages : 2400
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Re: In equo veritas
Vrai que cette découverte pourrait clore le récit, mais franchement j'étais plutôt partie pour une de ces épopées dont tu as le secret.
Pour socque, j'ai recherché pour confirmation : on doit pouvoir orthographier "en tous/en tout cas" indifféremment.
http://www.cnrtl.fr/definition/cas
Pour socque, j'ai recherché pour confirmation : on doit pouvoir orthographier "en tous/en tout cas" indifféremment.
http://www.cnrtl.fr/definition/cas
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Gobu a écrit:Tiens tiens...nous revoilà en terre pagnolesque. un gimmick, il semblerait. La référence discrète à l'amitié d'enfance entre Albert et Marcel ne m'aura pas échappé, tu penses bien. De la belle ouvrage, ciselée (Sisley ?) à la pointe fine. Peut-être as-tu raison, faudrait-il mettre un point final avec la découverte du cadre et passer à autre chose, mais, vois-tu, nous sommes comme les collectionneurs que tu évoques, textophiles indécrottables quand la qualité y est, et donc tu peux envoyer la suite.
Tu sais, les provençaux qui eussent pu être hierosolémitains, leurs nobles parents se fussent-ils rencontrés au détour de la rue David Hamelekh tendent toujours à revenir à leur lieu natal, où évoquer de leurs larmes amères l'exil qui les en a éloigné. Le leitmotiv douloureux de Céphalonie, île grecque en mer Egée dans l'oeuvre de notre cher Albert ne t'aura bien sûr pas échappé, non plus que le fait que le sépharad déraciné se refixe aisément en terre provençale, où tout lui parle.
La part manifestement autobiographique dans ton oeuvre de jeunesse me donne à penser que, outre les points communs que nous connaissons déjà, il se pourrait que nous eussions une même difficulté à ...see what I mean?
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Oui, bien sûr, j'ai pensé tout de suite aux Valeureux de Cohen !
Le style me paraît impeccable ; en fait, je crois que tout baigne.
Le style me paraît impeccable ; en fait, je crois que tout baigne.
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Ben voilà, si tu n'adhères pas à ma prose c'est que j'essaie de faire pile le contraire de ça, sans pour autant dire ou affirmer que j'ai raison même si j'affirme que la littérature se doit d'être dans son présent et non lanciner dans le passé. Je m'explique : "La frange côtière, le long de cette mer si belle, où les dauphins joueurs apprennent à sourire, de voir le ruissellement irisé des vaguelettes…" là je quitte le récit par avalanche de mots, c'est de la composition pleine qui ne laisse au lecteur aucune place à l'imagination, sans parler que lorsque l'on a dit que la mer est si belle c'est un peu comme lorsque l'on dit : cette fille est si belle, voilà c'est dit mais rien d'autre, l'auteur l'affirme adonc vous êtes prié de le croire sans qu'il s'en justifie ni même ne signale qu'il faut en prendre son parti et point, ce qui participerait de la démarche créative au minimum.
"où les dauphins joueurs apprennent à sourire" là, j'ai l'impression d'être dans Martine à la plage.
Ne te méprends pas, je ne fais que laisser un commentaire, tes posts ont éveillés ma curiosité aussi je lis et puis je dis, voilà tout :
"A la différence du collectionneur aguerri, qui apprend, passée la période compulsive, qu’il n’est de collection de quelque intérêt que par l’élagage continuel, et que…" c'est trop de Q dans une seule phrase ce qui curieusement ne la rend pas très sexy.
Je replay question explications : le sujet est traité sans creux, sans ces vides qui feraient que le lecteur y trouverait un espace qu'il s'approprierait, qui feraient qu'il serait à la fois récepteur et émetteur, ce qui à mon sens n'est plus de ce monde (encore une fois c'est un avis contestable)
Pour ce qui est du style, je ne sais quoi dire parce que ce que j'aime chez un auteur c'est lui sentir l'incipit soit à peu près le dessous des bras et me dire :"Ça c'est Machin", et pas : "Ça c'est du tout le monde ou quasi"
Faire simple est si compliqué…
Pour résumer.
Pas d'urgence à répondre je m'absente quelques jours, mais si, j'ai un mail.
Plop
"où les dauphins joueurs apprennent à sourire" là, j'ai l'impression d'être dans Martine à la plage.
Ne te méprends pas, je ne fais que laisser un commentaire, tes posts ont éveillés ma curiosité aussi je lis et puis je dis, voilà tout :
"A la différence du collectionneur aguerri, qui apprend, passée la période compulsive, qu’il n’est de collection de quelque intérêt que par l’élagage continuel, et que…" c'est trop de Q dans une seule phrase ce qui curieusement ne la rend pas très sexy.
Je replay question explications : le sujet est traité sans creux, sans ces vides qui feraient que le lecteur y trouverait un espace qu'il s'approprierait, qui feraient qu'il serait à la fois récepteur et émetteur, ce qui à mon sens n'est plus de ce monde (encore une fois c'est un avis contestable)
Pour ce qui est du style, je ne sais quoi dire parce que ce que j'aime chez un auteur c'est lui sentir l'incipit soit à peu près le dessous des bras et me dire :"Ça c'est Machin", et pas : "Ça c'est du tout le monde ou quasi"
Faire simple est si compliqué…
Pour résumer.
Pas d'urgence à répondre je m'absente quelques jours, mais si, j'ai un mail.
Plop
Yali- Nombre de messages : 8624
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Date d'inscription : 12/12/2005
Re: In equo veritas
A Yali
Je comprends très bien ton commentaire, tout à fait pertinent; évidemment que si je ne goûte pas ta prose, c'est parce que je suis à l'opposé.
Pour faire court, je suis encore dans une phase thérapeutique de l'écrire, où j'ai besoin, pour un temps encore indéterminé, de paralyser mon lecteur en effectuant de savantes contorsions rythmées, pendant que je lui chante une mélopée, et que mes mains, voltigeantes, le détournent de tout ce qui n'est pas MON propos.
Son imagination? Et quoi encore? Mais c'est mon regard que je veux qu'il adopte, je ne lui demande pas d'être critique, je lui demande d'adhérer.
J'ai besoin, pour l'instant, de faire le pitre et le camelot: outre que ça me stimule, car cela sollicite la mémoire y otras cosas, ça me permet de faire le paon et l'intéressant, ce qui n'est pas négligeable.
Le style pêche un peu? Tu m'étonnes, je ne laisse pas assez décanter, j'ai trop besoin qu'on me dise qu'on aime me lire. Je ne suis pas encore au point de différer pour livrer un texte plus succulent et affûté.
Il n'est pas du tout exclu que je te rejoigne dans ta manière de rendre compte, plus tard, quand je serai suffisamment rassuré. Pour l'instant, c'est comme ça.
Je comprends très bien ton commentaire, tout à fait pertinent; évidemment que si je ne goûte pas ta prose, c'est parce que je suis à l'opposé.
Pour faire court, je suis encore dans une phase thérapeutique de l'écrire, où j'ai besoin, pour un temps encore indéterminé, de paralyser mon lecteur en effectuant de savantes contorsions rythmées, pendant que je lui chante une mélopée, et que mes mains, voltigeantes, le détournent de tout ce qui n'est pas MON propos.
Son imagination? Et quoi encore? Mais c'est mon regard que je veux qu'il adopte, je ne lui demande pas d'être critique, je lui demande d'adhérer.
J'ai besoin, pour l'instant, de faire le pitre et le camelot: outre que ça me stimule, car cela sollicite la mémoire y otras cosas, ça me permet de faire le paon et l'intéressant, ce qui n'est pas négligeable.
Le style pêche un peu? Tu m'étonnes, je ne laisse pas assez décanter, j'ai trop besoin qu'on me dise qu'on aime me lire. Je ne suis pas encore au point de différer pour livrer un texte plus succulent et affûté.
Il n'est pas du tout exclu que je te rejoigne dans ta manière de rendre compte, plus tard, quand je serai suffisamment rassuré. Pour l'instant, c'est comme ça.
silene82- Nombre de messages : 3553
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Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
J'aime ! Provençale pour des raisons professionnelles pendant quatre belles années, je déguste vos écrits !
Re: In equo veritas
"les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeuré de la nuit, chaude et vivante."
"qui auraient" pff que, qui, qu'est, qu'on, c'est illisible Pis les accords du participe passé avec l'auxiliaire avoir quand le cod est placé devant, c'est pour les chiens
""les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeurées de la nuit, chaude et vivante"
Tu te fais pas chier toi, a ramener ta grande gueule d'écrivaillon de merde sur les écrits d'un autre... T'es un gros naze en fait !
"qui auraient" pff que, qui, qu'est, qu'on, c'est illisible Pis les accords du participe passé avec l'auxiliaire avoir quand le cod est placé devant, c'est pour les chiens
""les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeurées de la nuit, chaude et vivante"
Tu te fais pas chier toi, a ramener ta grande gueule d'écrivaillon de merde sur les écrits d'un autre... T'es un gros naze en fait !
Athor- Nombre de messages : 76
Age : 69
Date d'inscription : 07/07/2009
Re: In equo veritas
D'ailleurs ce qui convient ici est l'auxiliaire Être, pas Avoir;
Athor- Nombre de messages : 76
Age : 69
Date d'inscription : 07/07/2009
Re: In equo veritas
Au tps pour moi, pour l'accord, comme quoi avec la nuit tt le mde peut s'tromper. Reste l'auxiliaire Avoir, qui n'a rien à faire là et avec t'es qui qui que que, dans ta phrase de 2 tonnes 4 .
Athor- Nombre de messages : 76
Age : 69
Date d'inscription : 07/07/2009
Re: In equo veritas
Athor a écrit:Tu te fais pas chier toi, a ramener ta grande gueule d'écrivaillon de merde sur les écrits d'un autre... T'es un gros naze en fait !
Ce qui éblouit l'écrivaillon, c'est l'ampleur du propos, l'éloquence déployée, et la richesse tant syntaxique que langagière pour étayer l'avis.
Ton talent est bien mal employé, et avec une verve aussi superbe, il ne fait aucun doute que tu aurais été un des rois du barreau, capable peut-être même de tirer la bourre -à défaut d'autre chose- à un Collard ou un Dupont-Moretti:
-toi l'avocaillon de merde, tu vas pas la ramener, avec ton épitoge en torchecul, et tu commences à nous les briser menu. Tu vas le lâcher mon client, dis, bourrique? Et le président, là, avec sa gueule de faux-derche, il nous fait quoi, cet empaffé? J'vais faire descendre les mecs de la téci, t'vas voir ta gueule, eh, connard...
Ton petit ego est chatouilleux, pépère? Pète un coup, tu verras, ça ira mieux.
Quant à mon écriture, elle est, fort heureusement, perfectible: je suis déjà assez puant comme ça, sans y rajouter, de surcroît, l'insolence d'une écriture impeccable au premier jet.
Mais si tu voulais qu'on te bisounoursât, fallait le dire: je ne suis pas si méchant que je n'aie quelques sucres d'orge pour les enfants nécessiteux -et méritants- quand il me sied.
- il a été sage le petit Athor?
- non monsieur, il a athornué...
- athornué? Mais c'est pas un crime
- il dit qu'il allait extréminer les gens avec une bombe athormique
- ah, alors çà, c'est pas des choses à dire, t'as tort, et en plus t'as oublié ton athanor. Au piquet!
silene82- Nombre de messages : 3553
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Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
Athor a écrit:Au tps pour moi, pour l'accord, comme quoi avec la nuit tt le mde peut s'tromper. Reste l'auxiliaire Avoir, qui n'a rien à faire là et avec t'es qui qui que que, dans ta phrase de 2 tonnes 4 .
Le temps ne fait rien à l'affore,
Quand on Athor, on Athor
silene82- Nombre de messages : 3553
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Localisation : par là
Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
Athor a écrit:"les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeuré de la nuit, chaude et vivante."
"qui auraient" pff que, qui, qu'est, qu'on, c'est illisible Pis les accords du participe passé avec l'auxiliaire avoir quand le cod est placé devant, c'est pour les chiens
""les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeurées de la nuit, chaude et vivante"
Tu te fais pas chier toi, a ramener ta grande gueule d'écrivaillon de merde sur les écrits d'un autre... T'es un gros naze en fait !
<-- Dernier avertissement, Athor.
Le principe du site est de donner son avis sur les textes. Celui qui expose ici ces textes est censé accepter recevoir ces avis, qu'ils lui semblent pertinents ou pas. Je comprends la "vexation" possible à la lecture d'un commentaire. Mais pour participer à ce site, il faut savoir passer au delà de ce premier sentiment. Les attaques personnelles ne sont pas tolérées ici. Si cela devait se reproduire, nous serons dans l'obligation de vous sanctionner. Merci de tenir compte de ce message
-->
Modération- Nombre de messages : 1362
Age : 18
Date d'inscription : 08/11/2008
Re: In equo veritas
Un texte très riche, bien documenté et l'on devine que les drames vont se nouer les uns aux autres.
L'écriture est bonne. Le ton est chargé de sous-entendus propices à intéresser le lecteur.
Je suis intéressée et dans l'attente de la suite des aventures.
A bientôt,donc, Silène.
L'écriture est bonne. Le ton est chargé de sous-entendus propices à intéresser le lecteur.
Je suis intéressée et dans l'attente de la suite des aventures.
A bientôt,donc, Silène.
Soliflore- Nombre de messages : 380
Age : 71
Date d'inscription : 17/02/2009
Re: In equo veritas
J'ai décroché très vite... à partir de "Les pêcheurs étaient encore une corporation..."
Il me semble que cela viendrait d'une utilisation abusive d'adjectifs... mais, je ne maîtrise pas encore assez la littérature pour l'affirmer. Désolée de ne pas être plus constructive dans mon commentaire silene82.
Du peu que j'ai lu, j'ai beaucoup aimé ça :
Alors merci.
Il me semble que cela viendrait d'une utilisation abusive d'adjectifs... mais, je ne maîtrise pas encore assez la littérature pour l'affirmer. Désolée de ne pas être plus constructive dans mon commentaire silene82.
Du peu que j'ai lu, j'ai beaucoup aimé ça :
La frange côtière, le long de cette mer si belle, où les dauphins joueurs apprennent à sourire,...
Alors merci.
Mure- Nombre de messages : 1478
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Localisation : Dans vos pensées burlesques.
Date d'inscription : 12/06/2009
in equo/suite
- Elle ressemble à rien cette peinture, s'exclama-t-il, c'est des champs, des arbres, et une rivière. Ça, c'est parce qu'il était même pas capable de faire la figure des gens et qu'ils se reconnaissent. Signature, aqueù de signature, je t'en fais tant que tu veux, moi, des signatures. Marchand de signatures...
Félix -eût-il su le latin que l'espoir lui fût revenu, de ce nom propitiatoire qui avait lui avait été si opportunément donné lors de son baptême, dans une fusion œcuménique des vertus attachées au vocable (celui qui est heureux) et du goupillonnage catholique, l'Eglise, avec son sens politique jamais pris en défaut ayant toujours compris que le meilleur moyen de combattre l'hérésie est de se l'amalgamer. Les saturnales vous gênent, avec la débauche incontrôlable qu'elles suscitent? Faites-en la semaine de fin d'année, entre Noël et Jour de l'An. Les rites de fécondité autour d'autels phalliques marquent un peu mal, et font tiquer les évêques sourcilleux? Repeignez-les en processions de pardon, et déguisez le phallus en croix votive: les villageoises savent bien, elles, ce qu'il y a dessous.
- Tu sais, commença sa mère, Fortunée -comment pouvaient-ils douter? Avec de semblables prénoms?-
moi j'en ai entendu parler de ce Siselé, une fois que je portais des roses au Grand Hôtel, au village.
Il y avait un type, un genre de ceusses qui font des livres, qui demandait au réceptionniste s'il connaissait des personnes qui pourraient lui parler du passage de Siselé sur la côte en 1891-92.
C'est pour ça d'ailleurs que j'avais pas voulu jeter la peinture et que j'avais toujours gardé l'œil dessus
- drôle d'oeil la mère! Dans la grange, avec la cagagne...
- s'il aurait fini au poulailler comme voulait toun payre, figure-toi un peu comme il serait, avec les poules qui auraient cagué dessus
- et tu crois que ça peut valoir quelque chose?
- Pécaïre, tu sais pas que des fois les peintures, ça vaut plus que des maisons? Tu te souviens pas de l'autre, là, à Cagnes, que ses tableaux ils les ont mis dans les musées à Paris, et que y paraît que celui qu'il en trouve un, il peut prendre la retraite?
- qui c'est qui pourrait nous renseigner et qu'on puisse lui faire confiance? César?
César tenait brocante dans un passage de la ville basse, où s 'empilaient dans un capharnaüm invraisemblable une pléiade d'objets remontés des ventres de la cité. La côte méditerranéenne est voie de circulation, et le seul moyen aisé de passage entre France et Italie: il n'y avait qu'un Hannibal pour avoir l'idée pour le moins étrange d'aller faire passer des éléphants par les cols savoyards, lors qu'il eût été si simple et attrayant, compte tenu de la beauté des sites, l'accueil des populations et le charme des filles, de passer par le bas.
Les armées passent et repassent en ces contrées, un jour le petit caporal La Paille au Nez Buonaparte, partant vers Arcole, l'autre le reflux de troupes autrichiennes, puis les libérateurs, puis les envahisseurs...la tactique est éprouvée en ces lieux de circulation, quand les sauterelles sont passées, la vie reprend son cours. Il faut leur laisser quelques bricoles à piller car sinon, frustrés dans leur toute-puissance de matamore, ils pourraient faire du grabuge, mais on sait comment il faut, comme le recouvre admirablement l'expression, faire la part du feu. Le lard certes, mais pas le jambon. Le vin de l'année, ah, messieurs les soldats, la vendange a été médiocre, il a grêlé, tandis que bonissent les bons flacons dans la grange, au frais, derrière les fagots. Tout un art séculaire, subtil et de négociation fine, pour , comme le terme de marine le décrit fort bien, étaler.
Les affreuses images d'Epinal des dragonnades, lorsque le bourreau Louis le Bien-Aimé révoqua, honte à jamais sur son nom, l'édit de Nantes que son aïeul avait promulgué, et qui montrent un soudard appliquant son mousquet sur la tempe d'un huguenot, avec la légende, en bas, avant les phylactères, lui faisant ricaner avec cynisme
Qui peut me résister est bien fort
rendent bien compte de ces temps, toujours et toujours recommencés, division Charlemagne remontant de Montauban et brûlant, pour la bonne bouche, le village d'Oradour sur Glane, Pol Pot et son originale utilisation des bulldozers à écraser les contre-révolutionnaires.
Les ventres des cités du sud sont donc pleins de tout ce que l'on a caché, maquillé, soustrait à la fièvre pillarde des armées en campagne -y compris les armées de libération, largement aussi avides que les autres.
César avait une authentique physionomie de benêt, qui servait magnifiquement ses intérêts; un observateur un peu plus attentif eût cependant perçu l'éclair acéré de son œil unique, qu'il maintenait mi-clos, sachant que tout l'art de la chine repose dans l'apparence anodine du chineur. Bien sûr, les légendes qui circulaient sur son compte rendaient les trouvailles un peu moins fréquentes: n'avait-il pas emporté un cageot de faïences révolutionnaires en Moustiers, huilier , burettes, plats de service, cruche à eau pour le prix d'un paquet de scaferlati qu'il avait échangé à une mémé dont le conjoint fumait la pipe? Lesquelles faïences avaient, disait la légende, été le clou d'une vente parisienne où le gratin des collectionneurs s'était déplacé. Aussi si César tournait autour d'un objet, sa cote s'envolait aussitôt: il avait été obligé d'embaucher des rabatteurs, qui allaient acheter à sa place les objets qu'il avait repérés, sans donner l'éveil. Qu'on se figure les contorsions que cela demandait: quand il demandait à un ambulant, avec son tapis de cochonneries sorties des poubelles, ce qu'il voulait pour telle bricole, c'était l'objet à côté qu'il convoitait, et dont il se gardait bien de faire mention.
Légende peut-être; mythe sans doute. Mais toujours le feu à la base, pour produire la fumée. César était connu pour être honnête, et payer cash: toujours d'énormes liasses dans les poches.
Le provençal est pudique, sa démesure langagière en donne bien le ton: notre bon maître Pagnol, observateur infatigable de la provençale commedia dell'arte, le montre dans ses couleurs vraies quand, après des braiments d'âne égorgé et des cris de butor, des menaces d'assassinat précédé d'émasculation, des serments solennels de reniement éternel, le vieux César, celui de la pièce, parle comme nous parlons en Provence, et répond à son fils, qui vient de lui faire la même déclaration
moi aussi je t'aime bien
ce qui, en terre provençale, signifie qu'on est prêt à donner son sang, ou ses yeux.
La pudeur propre au provençal le fait détester l'étalement des soucis domestiques: la vie publique est un théatre, où l'on se harangue, où l'excès est la norme. On invoque les divinités infernales sur un adversaire politique, ou plus sérieux, à la pétanque; mais passé le carreau, qui lui a assuré la victoire, malgré la funeste invocation, on prend le pastis ensemble en parlant des pitchouns.
Le provençal en mauvaise posture financière ne bat pas le rappel; il essaie de pallier la passe difficile sans que cela se sache. A-t-il quelques biens négociables? Il les réalise, escomptant, avec son optimisme incurable -quoique le fond de son âme soit profondément tragique, et toujours anxieux du prochain coup des cruels et irresponsables olympiens- pouvoir se recaver rapidement, et reconstituer l'hoirie. Ce qui, à l'évidence, n'arrive jamais.
Ces quelques périphrases pour expliciter que les vieilles familles, détentrices de meubles « qu'on avait toujours eu », de faïences rustiques certes, mais parfaites, et anciennes, de cuivres rutilants, d'étains purs et sans plomb, de boutis de coton qui avaient demandé des hivers de couture aux bonne-mamans frileuses, dans le fauteuil paillé, au coin du feu, d'argenterie sobre et de de tableaux divers, ne faisaient pas aisément appel aux gros antiquaires de la grande ville proche, qui eussent peut-être -et ce n'était pas sûr- payé mieux, mais auraient nécessairement ébruité ce qui était tout de même une petite disgrâce. Dont on ne meurt pas certes, mais que l'on n'affiche pas sur le journal.
Force objets de grande qualité transitaient donc par les entrepôts de César, consistant en plusieurs maisons lépreuses reliées par des cours pisseuses où s'ébattaient poules et chiens galeux. Les pandores se fussent-ils aventurés en ce repaire, qu'ils en auraient fui bien vite, convaincus qu'aucun objet de quelque valeur ne pouvait se trouver dans ce débarras. Ce que ne concluaient pas les gros marchands aixois, marseillais, avignonnais et autres, qui engrangeaient de superbes pièces qu'ils payaient, certes, mais à des prix sans rapport avec leur valeur sur le marché.
César avait un vague lien de parenté avec Fortunée, son grand-père ayant été frère de lait de sa grand-mère, l'arrière-grand-mère étant donc la nourrice. Ces liens sont plus forts que l'on pourrait imaginer, et à travers les générations cette alliance, fondée sur une intimité autour de l'alimentation puerpérale, s'était maintenue, sans proximité véritable, mais avec un réciproque sentiment de lien familial, distendu certes, mais existant.
Félix -eût-il su le latin que l'espoir lui fût revenu, de ce nom propitiatoire qui avait lui avait été si opportunément donné lors de son baptême, dans une fusion œcuménique des vertus attachées au vocable (celui qui est heureux) et du goupillonnage catholique, l'Eglise, avec son sens politique jamais pris en défaut ayant toujours compris que le meilleur moyen de combattre l'hérésie est de se l'amalgamer. Les saturnales vous gênent, avec la débauche incontrôlable qu'elles suscitent? Faites-en la semaine de fin d'année, entre Noël et Jour de l'An. Les rites de fécondité autour d'autels phalliques marquent un peu mal, et font tiquer les évêques sourcilleux? Repeignez-les en processions de pardon, et déguisez le phallus en croix votive: les villageoises savent bien, elles, ce qu'il y a dessous.
- Tu sais, commença sa mère, Fortunée -comment pouvaient-ils douter? Avec de semblables prénoms?-
moi j'en ai entendu parler de ce Siselé, une fois que je portais des roses au Grand Hôtel, au village.
Il y avait un type, un genre de ceusses qui font des livres, qui demandait au réceptionniste s'il connaissait des personnes qui pourraient lui parler du passage de Siselé sur la côte en 1891-92.
C'est pour ça d'ailleurs que j'avais pas voulu jeter la peinture et que j'avais toujours gardé l'œil dessus
- drôle d'oeil la mère! Dans la grange, avec la cagagne...
- s'il aurait fini au poulailler comme voulait toun payre, figure-toi un peu comme il serait, avec les poules qui auraient cagué dessus
- et tu crois que ça peut valoir quelque chose?
- Pécaïre, tu sais pas que des fois les peintures, ça vaut plus que des maisons? Tu te souviens pas de l'autre, là, à Cagnes, que ses tableaux ils les ont mis dans les musées à Paris, et que y paraît que celui qu'il en trouve un, il peut prendre la retraite?
- qui c'est qui pourrait nous renseigner et qu'on puisse lui faire confiance? César?
César tenait brocante dans un passage de la ville basse, où s 'empilaient dans un capharnaüm invraisemblable une pléiade d'objets remontés des ventres de la cité. La côte méditerranéenne est voie de circulation, et le seul moyen aisé de passage entre France et Italie: il n'y avait qu'un Hannibal pour avoir l'idée pour le moins étrange d'aller faire passer des éléphants par les cols savoyards, lors qu'il eût été si simple et attrayant, compte tenu de la beauté des sites, l'accueil des populations et le charme des filles, de passer par le bas.
Les armées passent et repassent en ces contrées, un jour le petit caporal La Paille au Nez Buonaparte, partant vers Arcole, l'autre le reflux de troupes autrichiennes, puis les libérateurs, puis les envahisseurs...la tactique est éprouvée en ces lieux de circulation, quand les sauterelles sont passées, la vie reprend son cours. Il faut leur laisser quelques bricoles à piller car sinon, frustrés dans leur toute-puissance de matamore, ils pourraient faire du grabuge, mais on sait comment il faut, comme le recouvre admirablement l'expression, faire la part du feu. Le lard certes, mais pas le jambon. Le vin de l'année, ah, messieurs les soldats, la vendange a été médiocre, il a grêlé, tandis que bonissent les bons flacons dans la grange, au frais, derrière les fagots. Tout un art séculaire, subtil et de négociation fine, pour , comme le terme de marine le décrit fort bien, étaler.
Les affreuses images d'Epinal des dragonnades, lorsque le bourreau Louis le Bien-Aimé révoqua, honte à jamais sur son nom, l'édit de Nantes que son aïeul avait promulgué, et qui montrent un soudard appliquant son mousquet sur la tempe d'un huguenot, avec la légende, en bas, avant les phylactères, lui faisant ricaner avec cynisme
Qui peut me résister est bien fort
rendent bien compte de ces temps, toujours et toujours recommencés, division Charlemagne remontant de Montauban et brûlant, pour la bonne bouche, le village d'Oradour sur Glane, Pol Pot et son originale utilisation des bulldozers à écraser les contre-révolutionnaires.
Les ventres des cités du sud sont donc pleins de tout ce que l'on a caché, maquillé, soustrait à la fièvre pillarde des armées en campagne -y compris les armées de libération, largement aussi avides que les autres.
César avait une authentique physionomie de benêt, qui servait magnifiquement ses intérêts; un observateur un peu plus attentif eût cependant perçu l'éclair acéré de son œil unique, qu'il maintenait mi-clos, sachant que tout l'art de la chine repose dans l'apparence anodine du chineur. Bien sûr, les légendes qui circulaient sur son compte rendaient les trouvailles un peu moins fréquentes: n'avait-il pas emporté un cageot de faïences révolutionnaires en Moustiers, huilier , burettes, plats de service, cruche à eau pour le prix d'un paquet de scaferlati qu'il avait échangé à une mémé dont le conjoint fumait la pipe? Lesquelles faïences avaient, disait la légende, été le clou d'une vente parisienne où le gratin des collectionneurs s'était déplacé. Aussi si César tournait autour d'un objet, sa cote s'envolait aussitôt: il avait été obligé d'embaucher des rabatteurs, qui allaient acheter à sa place les objets qu'il avait repérés, sans donner l'éveil. Qu'on se figure les contorsions que cela demandait: quand il demandait à un ambulant, avec son tapis de cochonneries sorties des poubelles, ce qu'il voulait pour telle bricole, c'était l'objet à côté qu'il convoitait, et dont il se gardait bien de faire mention.
Légende peut-être; mythe sans doute. Mais toujours le feu à la base, pour produire la fumée. César était connu pour être honnête, et payer cash: toujours d'énormes liasses dans les poches.
Le provençal est pudique, sa démesure langagière en donne bien le ton: notre bon maître Pagnol, observateur infatigable de la provençale commedia dell'arte, le montre dans ses couleurs vraies quand, après des braiments d'âne égorgé et des cris de butor, des menaces d'assassinat précédé d'émasculation, des serments solennels de reniement éternel, le vieux César, celui de la pièce, parle comme nous parlons en Provence, et répond à son fils, qui vient de lui faire la même déclaration
moi aussi je t'aime bien
ce qui, en terre provençale, signifie qu'on est prêt à donner son sang, ou ses yeux.
La pudeur propre au provençal le fait détester l'étalement des soucis domestiques: la vie publique est un théatre, où l'on se harangue, où l'excès est la norme. On invoque les divinités infernales sur un adversaire politique, ou plus sérieux, à la pétanque; mais passé le carreau, qui lui a assuré la victoire, malgré la funeste invocation, on prend le pastis ensemble en parlant des pitchouns.
Le provençal en mauvaise posture financière ne bat pas le rappel; il essaie de pallier la passe difficile sans que cela se sache. A-t-il quelques biens négociables? Il les réalise, escomptant, avec son optimisme incurable -quoique le fond de son âme soit profondément tragique, et toujours anxieux du prochain coup des cruels et irresponsables olympiens- pouvoir se recaver rapidement, et reconstituer l'hoirie. Ce qui, à l'évidence, n'arrive jamais.
Ces quelques périphrases pour expliciter que les vieilles familles, détentrices de meubles « qu'on avait toujours eu », de faïences rustiques certes, mais parfaites, et anciennes, de cuivres rutilants, d'étains purs et sans plomb, de boutis de coton qui avaient demandé des hivers de couture aux bonne-mamans frileuses, dans le fauteuil paillé, au coin du feu, d'argenterie sobre et de de tableaux divers, ne faisaient pas aisément appel aux gros antiquaires de la grande ville proche, qui eussent peut-être -et ce n'était pas sûr- payé mieux, mais auraient nécessairement ébruité ce qui était tout de même une petite disgrâce. Dont on ne meurt pas certes, mais que l'on n'affiche pas sur le journal.
Force objets de grande qualité transitaient donc par les entrepôts de César, consistant en plusieurs maisons lépreuses reliées par des cours pisseuses où s'ébattaient poules et chiens galeux. Les pandores se fussent-ils aventurés en ce repaire, qu'ils en auraient fui bien vite, convaincus qu'aucun objet de quelque valeur ne pouvait se trouver dans ce débarras. Ce que ne concluaient pas les gros marchands aixois, marseillais, avignonnais et autres, qui engrangeaient de superbes pièces qu'ils payaient, certes, mais à des prix sans rapport avec leur valeur sur le marché.
César avait un vague lien de parenté avec Fortunée, son grand-père ayant été frère de lait de sa grand-mère, l'arrière-grand-mère étant donc la nourrice. Ces liens sont plus forts que l'on pourrait imaginer, et à travers les générations cette alliance, fondée sur une intimité autour de l'alimentation puerpérale, s'était maintenue, sans proximité véritable, mais avec un réciproque sentiment de lien familial, distendu certes, mais existant.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
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Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
Ah, ben ça valait le coup de vous titiller un peu, silene82 ! J'ai beaucoup aimé ce développement, et ai pensé à la chanson de Brassens :
Lui, la nativité le prit
Du côté des Sainte-Marie :
C'est un modeste.
(citation de mémoire, pardon pour les éventuelles inexactitudes), que votre description affectueuse de la mentalité provençale m'a rappelée.
"qui avait lui avait été si opportunément donné"
Lui, la nativité le prit
Du côté des Sainte-Marie :
C'est un modeste.
(citation de mémoire, pardon pour les éventuelles inexactitudes), que votre description affectueuse de la mentalité provençale m'a rappelée.
"qui avait lui avait été si opportunément donné"
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Modération a écrit:Athor a écrit:"les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeuré de la nuit, chaude et vivante."
"qui auraient" pff que, qui, qu'est, qu'on, c'est illisible Pis les accords du participe passé avec l'auxiliaire avoir quand le cod est placé devant, c'est pour les chiens
""les odeurs déplaisantes émanant des pots d’échappement, qui auraient demeurées de la nuit, chaude et vivante"
Tu te fais pas chier toi, a ramener ta grande gueule d'écrivaillon de merde sur les écrits d'un autre... T'es un gros naze en fait !
<-- Dernier avertissement, Athor.
Le principe du site est de donner son avis sur les textes. Celui qui expose ici ces textes est censé accepter recevoir ces avis, qu'ils lui semblent pertinents ou pas. Je comprends la "vexation" possible à la lecture d'un commentaire. Mais pour participer à ce site, il faut savoir passer au delà de ce premier sentiment. Les attaques personnelles ne sont pas tolérées ici. Si cela devait se reproduire, nous serons dans l'obligation de vous sanctionner. Merci de tenir compte de ce message
-->
Personnellement, je ne prends pas ombrage des excès d'Athor, tout en déplorant qu'il ne décolle pas d'invectives assez rase-mottes et sans grand intérêt. La perfidie fielleuse me serait infiniment plus dommageable, si de surcroît il faisait montre d'esprit.
Cela dit, il est sain que la modération montre son existence, et rappelle le cadre: pour ce qui est de moi, mon vieux cuir en a vu d'autres, mais il sera dommage que des attaques persos décourageassent de jeunes plumes qui nous rassurent sur la pérennité de notre langue.
J'espère simplement qu'Athor n'en prendra pas prétexte pour jouer les martyrs incompris, non plus que les génies brimés.
silene82- Nombre de messages : 3553
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Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
socque a écrit:Ah, ben ça valait le coup de vous titiller un peu, silene82 ! J'ai beaucoup aimé ce développement, et ai pensé à la chanson de Brassens :
Lui, la nativité le prit
Du côté des Sainte-Marie :
C'est un modeste.
(citation de mémoire, pardon pour les éventuelles inexactitudes), que votre description affectueuse de la mentalité provençale m'a rappelée.
"qui avait lui avait été si opportunément donné"
Votre mémoire est parfaite, socque. J'ai hésité à dédier cette suite à vous et à Easter, mais vous le méritiez amplement, car je n'avais aucune intention de continuer, et c'est votre amicale insistance qui m'y a poussé.
Pour citer l'évangile, ce qui a l'avantage de donner un certain lustre aux propos,
"c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle" même, et peut-être surtout, en exil.
silene82- Nombre de messages : 3553
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Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
Oh, MODERATION, je vous en supplie : on n'a pas tant que ça l'occasion de rigoler dans cette putain de vie, quand on a la chance d'avoir des escarmouches aussi drôles, ne cochez pas !
Invité- Invité
Re: In equo veritas
coline Dé a écrit:Oh, MODERATION, je vous en supplie : on n'a pas tant que ça l'occasion de rigoler dans cette putain de vie, quand on a la chance d'avoir des escarmouches aussi drôles, ne cochez pas !
J'en suis bien d'accord, mais il ne dit plus rien; à tous les coups, il écrit à Amnesty pour me cafter, en disant que j'arrête pas de l'Athor-turer.
A moins que, cornes ceintes d'un disque éblouissant, il ne déambule entre ses disciples, prosternés, et mugissant -c'est bien le moins-
-(H)athor, t'as pas tort. (H)athor, tue. Sois implacable, extermine, (H)athor
avec le choeur des génisses en contrepoint.
silene82- Nombre de messages : 3553
Age : 67
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Date d'inscription : 30/05/2009
Re: In equo veritas
Je ne viens pas beaucoup pour le moment, puisque je ne suis pas chez moi, mais en vacances et sans vraiment internet. Bon ! Donc, pour en revenir à nos moutons, on s'en fout de tout c'bazard et d'ton nombril démesuré, que t’attribues aux autres … T'écris très bien mon grand, c'est toi le plus beau, et l’plus ce que tu veux... Moi j'me contente de rester sur ma position et ne donne jamais d'avis négatif sur les textes des autres, sans doute pour mieux me regarder dans la glace le matin... Ceci dit, ton texte, je ne l'ai pas lu du tout, sauf les deux ou trois premières phrases;; T'es pas Céline, ni même Michel Houellbecq c'est sûr, ou ça s’saurait, et moi non plus, d’ailleurs je m'en voudrais quand on a lu ses mirlitons poétiques...(j’parle de Houellebecq) Un bon auteur pour ses romans de psychotique obsédé, sans aucun doute, mais pour sa poésie qu'il prétend même quelle égale celle d’un certain Charles Baudelaire (véridique, dans une vidéo) … Tout ça pour dire que les cons sont parmi nous, et qu’il faut se méfier de ne pas en rencontrer UN d’entre eux trop souvent, comme à chaque fois que l’on croise un miroir …
Athor- Nombre de messages : 76
Age : 69
Date d'inscription : 07/07/2009
in equo/suite et fin
Je suis ennuyé, car je crains que dame socque ne fasse la fine bouche, et ne trouve mon histoire cul-cul la praline. Mais tant pis, j'en prends le risque, j'aurais bien le temps de faire du gore après
César fur averti de ce qu'on sollicitait son avis, et vint. Il avait eu vent des désagréments, comme on pouvait le dire par euphémisme, de la petite famille, et, sans le mettre en avant car il détestait les envolées irrémédiables, et les promesses délirantes, s'était dit que s'il pouvait donner un brave petit coup de main à celle qui ne lui était en fait rien sur le plan strictement familial, mais qu'il considérait comme une petite cousine, ça lui ferai plaisir.
40 ans de commerce avec les objets, qu'il aimait comme des personnes, avaient rendu César plus compétent que la plupart des experts; ayant peu pratiqué l'école, le cerveau non déformé par de laborieux apprentissages inutiles, il avait une de ces mémoires visuelles infaillibles, qui utilise le potentiel cérébral à la conservation de données autres que les victoires de l'équipe de Nice en première division, ou la liste des vainqueurs du Grand Prix de l'Arc de Triomphe depuis les origines, avec entraîneur, écurie, et jockey. Il est d'ailleurs fascinant, dans le premier troquet venu, de trouver des individus qui ont un talent singulier de ce type, qui ne leur sert à peu près à rien, sauf à départager les querelles d'aficionados. Ce sont des savoirs peu rémunérateurs, malgré le potentiel de mémorisation qu'ils requièrent. Au moins le griot africain est-il reconnu dans son univers, et la même performance appliquée à des généalogies fonde-t-elle sa place dans la tribu, et son rang.
César était donc un griot d'objets, et quelque peu sorcier de surcroît: les grands antiquaires qui avaient réussi à entrer dans ses bonnes grâces, car son envergure lui permettait, en dépit de son allure crasseuse, d'être courtisé par eux, compte tenu de la moisson exceptionnelle qu'il ramenait constamment, avaient tous vérifié à un moment ou un autre l'excellence et l'acuité de son œil. Les plus intelligents s'en remettaient même tout à fait à son avis, considérant qu'il avait ce qui est le plus rare, et que les études d'histoire de l'art, et même la fréquentation quotidienne des objets ne peuvent donner, ce sixième sens qui détecte, sous le fauteuil crevé, la patte du maître. Il avait ainsi sorti -terme de marchand- un salon assez piteux au premier examen, dont il avait réclamé un prix fort élevé au spécialiste en sièges qu'il avait fait venir, pour le lui proposer en première. Le spécialiste voyait certes la patte, mais l'absence d'estampille l'ennuyait. César n'argumentait jamais, à la différence des antiquaires de boutiques, contraints, pour séduire les rombières, à de gracieuses cabrioles, virevoltes et baisemains. Il tenait ordinairement ses poings enfoncés dans les poches de sa veste informe, qui avait pu être à carreaux, ne disait rien une fois qu'il avait émis son avis, laconique et bref comme un coup de mousquet
18ème; un grand bonhomme; c'est toi qui vois...
L'antiquaire s'était lancé, respirant un grand coup, payant à fortes liasses que César tassait dans ses poches. Bien lui en avait pris: les fauteuils à peine dégarnis, étaient apparue l'estampille, sur la face haute des traverses avant, Vertoulet, le menuisier en sièges le plus recherché du haut-pays aixois, celui qu'on avait essayé d'attirer à la capitale en lui offrant des ponts d'or. Le salon, regarni de soie jaune, qui faisait chanter le vert d'eau du hêtre rechampi, avait été acquis à un prix inconnu, mais vertigineux, par un armateur, et avait quitté le pays dans le yacht de l'acheteur, les Musées Nationaux, s'ils avaient eu vent de la transaction, ayant vraisemblablement fait jouer leur droit de préemption.
De semblables martingales étaient tout à fait fréquentes et banales chez César, qui déjeunait sur un coin de table avec les paysans, buvait sans façons le coup de rouge, et disposait ainsi, outre ses connaissances personnelles, d'un réseau inouï de rabatteurs, journaliers, hommes de peine, bonniches, maçons, qui, entrant dans les maisons à l'occasion de travaux, ou d'extras, pour les personnels de service, lui faisaient part des objets qui s'y trouvaient, et, souvent, de l'état des affaires de la famille. Tant il est vrai qu'une opinion sur la bonne santé économique est aisée à formuler pour le domestique à qui l'on signifie qu'il fera désormais les vitres au vinaigre, et plus au produit. Ou qu'il faut qu'il se calmer un peu sur la cire, qui ne pousse pas sur les aloès. Pas question donc, comme le formule joliment le sud, d' attacher les chiens avec des saucisses. Il payait aussi une ribambelle de minots -en bonbons, ce qui en faisait une activité très prisée- pour mettre dans les boîtes aux lettres de petits papiers imprimés, frustes et sans grâce, qui expliquaient qu'il achetait tout, dans la plus grande discrétion. Son adresse, un n° de téléphone, que personne n'utilisait, les gens préférant venir le rencontrer. La confluence de toutes ces sources, son œil infaillible, faisaient qu'il brassait beaucoup d'argent, dont nul ne savait très bien ce qu'il pouvait en faire.
César monta donc, dans sa 403 cabossée, couleur de terre, avec ses ridelles en mauvais état et sa bâche verte qui avait connu des jours meilleurs.
- tu as quelque chose à me montrer, Fortunée, à ce qu'il paraît...
- qué voulés beïre? Oun balloun?(tu bois quoi? Un coup de rouge?)
- vaï, si voulès; douna-mé oun balloun (allez, si tu veux; donne-moi un rouge)
On parla peu, et de manière laconique. Le provençal, si prolixe en temps ordinaire, se tait lors des coups du destin, quand la mort fauche dans une maisonnée, ou quand le malheur frappe. Bien loin de se répandre en commentaires sur les vertus du défunt, ou en explications sur la malchance ou le guignon qui ont frappé, il garde le silence, comme si les paroles faisait insulte à la douleur. Si mots il y a, ils seront sobres et mesurés, sans emphase. Ils se complairont dans la litote, l'understatement, le sous-entendu. D'un enfant tragiquement arraché à l'affection des siens, on dira que c'était un bon petit, ce qui, pour le locuteur et l'auditeur, signifie qu'il était paré de toutes les grâces de l'esprit et du corps, et que sa perte est irréparable.
- tu sais que nous avons eu des soucis...
- j'ai su...
- je n'ai pas voulu t'en parler...
- tu aurais dû...
- sabès ben coumo sian nostri paure -(tu sais bien comme nous fonctionnons, pauvres de nous); regarde César; c'est mon pauvre père qui l'avait eu du bonhomme
- il est bon...
- tu l'as à peine regardé, César; que voulès diré, qu'es boun?(qu'est ce que tu veux dire, qu'il
est bon?)
- que c'est quelque chose qui va vous tirer d'affaire...
- de tout vrai, César? Ne te moque pas, ce serait pas bien...
- Fortunée, sian cousin. Je te respecte...
- nous n'y connaissons rien , nous autres...
- je vais vous envoyer à qui il faut
- où ça, BouDiou?
- À Paris. Je connais un commissaire...
Fortunée se signa rapidement plusieurs fois.
- qu'est ce qu'on va aller faire chez le commissaire?
- c'est un commissaire-priseur, un type bien; il va vous faire vendre au mieux...
-et on va y aller comme ça? Pauvres de nous...
-je vais l'appeler; en attendant, je vais vous avancer de quoi stopper les procédures
-Bou Diou! Sies oun ange...(Bon Dieu! Tu es un ange)
César fur averti de ce qu'on sollicitait son avis, et vint. Il avait eu vent des désagréments, comme on pouvait le dire par euphémisme, de la petite famille, et, sans le mettre en avant car il détestait les envolées irrémédiables, et les promesses délirantes, s'était dit que s'il pouvait donner un brave petit coup de main à celle qui ne lui était en fait rien sur le plan strictement familial, mais qu'il considérait comme une petite cousine, ça lui ferai plaisir.
40 ans de commerce avec les objets, qu'il aimait comme des personnes, avaient rendu César plus compétent que la plupart des experts; ayant peu pratiqué l'école, le cerveau non déformé par de laborieux apprentissages inutiles, il avait une de ces mémoires visuelles infaillibles, qui utilise le potentiel cérébral à la conservation de données autres que les victoires de l'équipe de Nice en première division, ou la liste des vainqueurs du Grand Prix de l'Arc de Triomphe depuis les origines, avec entraîneur, écurie, et jockey. Il est d'ailleurs fascinant, dans le premier troquet venu, de trouver des individus qui ont un talent singulier de ce type, qui ne leur sert à peu près à rien, sauf à départager les querelles d'aficionados. Ce sont des savoirs peu rémunérateurs, malgré le potentiel de mémorisation qu'ils requièrent. Au moins le griot africain est-il reconnu dans son univers, et la même performance appliquée à des généalogies fonde-t-elle sa place dans la tribu, et son rang.
César était donc un griot d'objets, et quelque peu sorcier de surcroît: les grands antiquaires qui avaient réussi à entrer dans ses bonnes grâces, car son envergure lui permettait, en dépit de son allure crasseuse, d'être courtisé par eux, compte tenu de la moisson exceptionnelle qu'il ramenait constamment, avaient tous vérifié à un moment ou un autre l'excellence et l'acuité de son œil. Les plus intelligents s'en remettaient même tout à fait à son avis, considérant qu'il avait ce qui est le plus rare, et que les études d'histoire de l'art, et même la fréquentation quotidienne des objets ne peuvent donner, ce sixième sens qui détecte, sous le fauteuil crevé, la patte du maître. Il avait ainsi sorti -terme de marchand- un salon assez piteux au premier examen, dont il avait réclamé un prix fort élevé au spécialiste en sièges qu'il avait fait venir, pour le lui proposer en première. Le spécialiste voyait certes la patte, mais l'absence d'estampille l'ennuyait. César n'argumentait jamais, à la différence des antiquaires de boutiques, contraints, pour séduire les rombières, à de gracieuses cabrioles, virevoltes et baisemains. Il tenait ordinairement ses poings enfoncés dans les poches de sa veste informe, qui avait pu être à carreaux, ne disait rien une fois qu'il avait émis son avis, laconique et bref comme un coup de mousquet
18ème; un grand bonhomme; c'est toi qui vois...
L'antiquaire s'était lancé, respirant un grand coup, payant à fortes liasses que César tassait dans ses poches. Bien lui en avait pris: les fauteuils à peine dégarnis, étaient apparue l'estampille, sur la face haute des traverses avant, Vertoulet, le menuisier en sièges le plus recherché du haut-pays aixois, celui qu'on avait essayé d'attirer à la capitale en lui offrant des ponts d'or. Le salon, regarni de soie jaune, qui faisait chanter le vert d'eau du hêtre rechampi, avait été acquis à un prix inconnu, mais vertigineux, par un armateur, et avait quitté le pays dans le yacht de l'acheteur, les Musées Nationaux, s'ils avaient eu vent de la transaction, ayant vraisemblablement fait jouer leur droit de préemption.
De semblables martingales étaient tout à fait fréquentes et banales chez César, qui déjeunait sur un coin de table avec les paysans, buvait sans façons le coup de rouge, et disposait ainsi, outre ses connaissances personnelles, d'un réseau inouï de rabatteurs, journaliers, hommes de peine, bonniches, maçons, qui, entrant dans les maisons à l'occasion de travaux, ou d'extras, pour les personnels de service, lui faisaient part des objets qui s'y trouvaient, et, souvent, de l'état des affaires de la famille. Tant il est vrai qu'une opinion sur la bonne santé économique est aisée à formuler pour le domestique à qui l'on signifie qu'il fera désormais les vitres au vinaigre, et plus au produit. Ou qu'il faut qu'il se calmer un peu sur la cire, qui ne pousse pas sur les aloès. Pas question donc, comme le formule joliment le sud, d' attacher les chiens avec des saucisses. Il payait aussi une ribambelle de minots -en bonbons, ce qui en faisait une activité très prisée- pour mettre dans les boîtes aux lettres de petits papiers imprimés, frustes et sans grâce, qui expliquaient qu'il achetait tout, dans la plus grande discrétion. Son adresse, un n° de téléphone, que personne n'utilisait, les gens préférant venir le rencontrer. La confluence de toutes ces sources, son œil infaillible, faisaient qu'il brassait beaucoup d'argent, dont nul ne savait très bien ce qu'il pouvait en faire.
César monta donc, dans sa 403 cabossée, couleur de terre, avec ses ridelles en mauvais état et sa bâche verte qui avait connu des jours meilleurs.
- tu as quelque chose à me montrer, Fortunée, à ce qu'il paraît...
- qué voulés beïre? Oun balloun?(tu bois quoi? Un coup de rouge?)
- vaï, si voulès; douna-mé oun balloun (allez, si tu veux; donne-moi un rouge)
On parla peu, et de manière laconique. Le provençal, si prolixe en temps ordinaire, se tait lors des coups du destin, quand la mort fauche dans une maisonnée, ou quand le malheur frappe. Bien loin de se répandre en commentaires sur les vertus du défunt, ou en explications sur la malchance ou le guignon qui ont frappé, il garde le silence, comme si les paroles faisait insulte à la douleur. Si mots il y a, ils seront sobres et mesurés, sans emphase. Ils se complairont dans la litote, l'understatement, le sous-entendu. D'un enfant tragiquement arraché à l'affection des siens, on dira que c'était un bon petit, ce qui, pour le locuteur et l'auditeur, signifie qu'il était paré de toutes les grâces de l'esprit et du corps, et que sa perte est irréparable.
- tu sais que nous avons eu des soucis...
- j'ai su...
- je n'ai pas voulu t'en parler...
- tu aurais dû...
- sabès ben coumo sian nostri paure -(tu sais bien comme nous fonctionnons, pauvres de nous); regarde César; c'est mon pauvre père qui l'avait eu du bonhomme
- il est bon...
- tu l'as à peine regardé, César; que voulès diré, qu'es boun?(qu'est ce que tu veux dire, qu'il
est bon?)
- que c'est quelque chose qui va vous tirer d'affaire...
- de tout vrai, César? Ne te moque pas, ce serait pas bien...
- Fortunée, sian cousin. Je te respecte...
- nous n'y connaissons rien , nous autres...
- je vais vous envoyer à qui il faut
- où ça, BouDiou?
- À Paris. Je connais un commissaire...
Fortunée se signa rapidement plusieurs fois.
- qu'est ce qu'on va aller faire chez le commissaire?
- c'est un commissaire-priseur, un type bien; il va vous faire vendre au mieux...
-et on va y aller comme ça? Pauvres de nous...
-je vais l'appeler; en attendant, je vais vous avancer de quoi stopper les procédures
-Bou Diou! Sies oun ange...(Bon Dieu! Tu es un ange)
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Boh, non, ça se goupille bien, mais on ne nage pas dans le sirop... C'est une transition, pour moi, avant la conclusion.
"ça lui ferait plaisir."
"les fauteuils à peine dégarnis, était (et non "étaient") apparue l'estampille"
"comme si les paroles faisaient insulte à la douleur"
"ça lui ferait plaisir."
"les fauteuils à peine dégarnis, était (et non "étaient") apparue l'estampille"
"comme si les paroles faisaient insulte à la douleur"
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Athor a écrit:Moi j'me contente de rester sur ma position et ne donne jamais d'avis négatif sur les textes des autres, sans doute pour mieux me regarder dans la glace le matin... Ceci dit, ton texte, je ne l'ai pas lu du tout, sauf les deux ou trois premières phrases
Je suis content de te voir calmé.
A quoi sert de commenter si ce n'est à formuler un avis de lecteur/auteur? Tout l'intérêt du site est précisément ce regard très riche. Ne mélangeons pas tout: on a des coups d'humeur de temps en temps, et alors? Quand on sort ses textes, on s'expose, point barre. Si onveut pas se mettre en danger, on les lit à sa mamie, le soir, et elle trouvera que le petit il est drôlement doué, plus que ceusses qui écrivent dans les livres.
De surcroît, tu es de mauvaise foi: j'ai pris la peine de lire tes textes et de les commenter, c'est facile à vérifier. Tu ne te donnes même pas ce mal. Ne t'inquiètes pas pour moi, je me fiche pas mal d'être Tartempion ou autre, je suis moi et ça me va très bien. Je suis très conscient de la qualité de mon travail, sans m'illusionner dessus non plus. J'ai des lecteurs, moins que ce que je voudrais, mais j'ai choisi un style qui peut être rebutant: c'est mon choix.
Ne te force pas à me lire, ce serait stupide, surtout pour traquer les erreurs: j'écris vite et d'un jet, et le forum me sert de gueuloir.
Bisous bisous
silene82- Nombre de messages : 3553
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in equo/suite
Passons sur les modalités du voyage: il fut convenu que seule Fortunée irait à Paris, Félix n'ayant aucune envie de laisser ses chevaux pour quelque prétexte que ce soit, et sa soeur, Julie, surnommée Poupette, étant effrayée rien qu'à l'idée d'une grande ville.
Embarquement à Antibes, dans une tenue de combat justifiée par les circonstances: la robe noire, un peu ajustée certes, mais seyante, qu'elle avait achetée pour le mariage d'une cousine, rehaussée d'une veste pimpante d'organdi jaune pâle, avec un joli petit chapeau de paille garni d'un ruban. Train par Marseille et Lyon, avec les attentes interminables dont la SNCF avait le secret, fort heureusement meublées par des moments masticatoires intenses, la brave femme s'étant équipé du nécessaire quant à la sustentation, et tirant de son cabas, dans lequel elle transportait le tableau, emmaillotté d'une triple couche de journaux, la ratatouille froide qu'elle avait préparée la veille, et mise dans un caquelon de terre, le demi-poulet, le fromage de chèvre qu'ils échangeaient au marché contre des fleurs, les fruits de son verger, avec le petit vin qu'ils tiraient de la vigne qui poussait tout le long de la maison, et les quelques ceps épars sur le terrain. Pain bis pour pousser.
A Paris, César avait dépêché un autre de ses contacts, sudiste originaire de leur même ville, qui occupait un grand appartement dans un quartier tranquille , avec sa mère. C'était, quoiqu'il fut provençal, un des savoyards de l'Hôtel-Drouot, preuve qu'en matière d'art et de beaux objets il n'y a jamais de règles, et que l'individu entreprenant et capable arrive à faire son trou malgré les obstacles.
Honoré n'avait jamais caché son origine, et les autres commissionnaires, grands gaillards sanglés dans une veste de drap bleu ajustée, qui révélait de fortes carrures et des os puissants de montagnards -quoique le savoyard, en son habitat, soit plus fréquemment menu et de petite taille; aussi étaient ils peut-être des transfuges suisses- avaient appris à l'apprécier comme s'il fût pays, et disaient qu'il était un pur alpin, mais du sud. Les savoyards, on l'aura compris, ayant le quasi monopole de la profession de porteur-commissionnaire à Drouot, où ils se cooptaient de père en fils, comme les aveyronnais dans la limonade et le charbon.
La mère d'Honoré fut bien contente de voir arriver une femme de son âge, qui parlait le même provençal qu'elle, avait connu des gens de sa famille, et lui apportait un air du pays qui lui faisait du bien, tout en réveillant une certaine nostalgie. Fortunée était arrivée en gare de Lyon à 8h03; à 10h, les mémés blaguaient comme si elles s'étaient toujours connues en préparant les farcis et le lapin à la provençale, pour lequel elles étaient sorties chercher le thym et le pèbre d'ai au petit marché du quartier, chez un marchand de primeurs qui, nul n'étant parfait, n'était que de Nice. Mais même si son nissarte sentait un peu trop l'italien, c'était bien agréable d'avoir le sentiment d'être en pays de connaissance.
Honoré rentra manger le lapin, qui attira ses compliments extasiés, et dont il déclara qu'il était, si c'était possible, « encore plus bon que celui de sa mère », à quoi les deux femmes se récrièrent, puisque leurs recettes étaient quasiment identiques, à cette nuance près que l'une mettait les lardons à revenir avant le lapin, et l'autre après. Café, marc du pays, la vie était parfaite et tout allait pour le mieux. Le rendez-vous avec Maître Bergsmann était pour l'après-midi, Honoré qui était de vente, l'accompagnerait jusqu'à son bureau, où il préférait recevoir, plutôt qu'en son étude, d'autant que son expert, Maurice Ledru, était sur place ce jour-là.
Le trajet en métro la charma, mais dès qu'ils mirent le nez hors de la bouche, elle fut épouvantée
du trafic, du bruit, et des hordes de gens galopant comme des dératés sur les trottoirs. Fort heureusement, l'Hôtel-Drouot était à deux pas, et son épreuve ne dura guère; la fourmilière qu'était l'Hôtel-Drouot fut une autre découverte, des salles et des salles, immenses, pleines d'objets, d'autres avec des ventes en cours, l'officier tentant de faire démarrer les enchères sur une salle poussive, où ça ne mordait pas. Un océan d'objets, de meubles, partout, dans les couloirs, les salles, les escaliers.
- c'est comme ça tous les jours?
- oh, c'est rien là, d'habitude, il y a beaucoup plus. On est un peu calme en ce moment.
- c'est vrai?
- bien sûr que c'est vrai
-et les objets, ils viennent d'où?
- ouh là Fortunée, de partout: ventes volontaires, saisies, ventes après succession...ça n'arrête jamais, on est à Paris, tous les jours il y a des faillites, des décès, des gens qui veulent se séparer d'objets
- mais on vend quoi?
- tout et rien; tout ce que voyez là, c'est ce que nous appelons la drouille, la marchandise de peu de valeur. Salles à manger Henri II, buffets post art-Déco, chaises dépareillées, petits objets...
- mais pour ma peinture...
- là c'est différent...mais maître Bergsmann va vous expliquer. Vous verrez comme il est brave....
Embarquement à Antibes, dans une tenue de combat justifiée par les circonstances: la robe noire, un peu ajustée certes, mais seyante, qu'elle avait achetée pour le mariage d'une cousine, rehaussée d'une veste pimpante d'organdi jaune pâle, avec un joli petit chapeau de paille garni d'un ruban. Train par Marseille et Lyon, avec les attentes interminables dont la SNCF avait le secret, fort heureusement meublées par des moments masticatoires intenses, la brave femme s'étant équipé du nécessaire quant à la sustentation, et tirant de son cabas, dans lequel elle transportait le tableau, emmaillotté d'une triple couche de journaux, la ratatouille froide qu'elle avait préparée la veille, et mise dans un caquelon de terre, le demi-poulet, le fromage de chèvre qu'ils échangeaient au marché contre des fleurs, les fruits de son verger, avec le petit vin qu'ils tiraient de la vigne qui poussait tout le long de la maison, et les quelques ceps épars sur le terrain. Pain bis pour pousser.
A Paris, César avait dépêché un autre de ses contacts, sudiste originaire de leur même ville, qui occupait un grand appartement dans un quartier tranquille , avec sa mère. C'était, quoiqu'il fut provençal, un des savoyards de l'Hôtel-Drouot, preuve qu'en matière d'art et de beaux objets il n'y a jamais de règles, et que l'individu entreprenant et capable arrive à faire son trou malgré les obstacles.
Honoré n'avait jamais caché son origine, et les autres commissionnaires, grands gaillards sanglés dans une veste de drap bleu ajustée, qui révélait de fortes carrures et des os puissants de montagnards -quoique le savoyard, en son habitat, soit plus fréquemment menu et de petite taille; aussi étaient ils peut-être des transfuges suisses- avaient appris à l'apprécier comme s'il fût pays, et disaient qu'il était un pur alpin, mais du sud. Les savoyards, on l'aura compris, ayant le quasi monopole de la profession de porteur-commissionnaire à Drouot, où ils se cooptaient de père en fils, comme les aveyronnais dans la limonade et le charbon.
La mère d'Honoré fut bien contente de voir arriver une femme de son âge, qui parlait le même provençal qu'elle, avait connu des gens de sa famille, et lui apportait un air du pays qui lui faisait du bien, tout en réveillant une certaine nostalgie. Fortunée était arrivée en gare de Lyon à 8h03; à 10h, les mémés blaguaient comme si elles s'étaient toujours connues en préparant les farcis et le lapin à la provençale, pour lequel elles étaient sorties chercher le thym et le pèbre d'ai au petit marché du quartier, chez un marchand de primeurs qui, nul n'étant parfait, n'était que de Nice. Mais même si son nissarte sentait un peu trop l'italien, c'était bien agréable d'avoir le sentiment d'être en pays de connaissance.
Honoré rentra manger le lapin, qui attira ses compliments extasiés, et dont il déclara qu'il était, si c'était possible, « encore plus bon que celui de sa mère », à quoi les deux femmes se récrièrent, puisque leurs recettes étaient quasiment identiques, à cette nuance près que l'une mettait les lardons à revenir avant le lapin, et l'autre après. Café, marc du pays, la vie était parfaite et tout allait pour le mieux. Le rendez-vous avec Maître Bergsmann était pour l'après-midi, Honoré qui était de vente, l'accompagnerait jusqu'à son bureau, où il préférait recevoir, plutôt qu'en son étude, d'autant que son expert, Maurice Ledru, était sur place ce jour-là.
Le trajet en métro la charma, mais dès qu'ils mirent le nez hors de la bouche, elle fut épouvantée
du trafic, du bruit, et des hordes de gens galopant comme des dératés sur les trottoirs. Fort heureusement, l'Hôtel-Drouot était à deux pas, et son épreuve ne dura guère; la fourmilière qu'était l'Hôtel-Drouot fut une autre découverte, des salles et des salles, immenses, pleines d'objets, d'autres avec des ventes en cours, l'officier tentant de faire démarrer les enchères sur une salle poussive, où ça ne mordait pas. Un océan d'objets, de meubles, partout, dans les couloirs, les salles, les escaliers.
- c'est comme ça tous les jours?
- oh, c'est rien là, d'habitude, il y a beaucoup plus. On est un peu calme en ce moment.
- c'est vrai?
- bien sûr que c'est vrai
-et les objets, ils viennent d'où?
- ouh là Fortunée, de partout: ventes volontaires, saisies, ventes après succession...ça n'arrête jamais, on est à Paris, tous les jours il y a des faillites, des décès, des gens qui veulent se séparer d'objets
- mais on vend quoi?
- tout et rien; tout ce que voyez là, c'est ce que nous appelons la drouille, la marchandise de peu de valeur. Salles à manger Henri II, buffets post art-Déco, chaises dépareillées, petits objets...
- mais pour ma peinture...
- là c'est différent...mais maître Bergsmann va vous expliquer. Vous verrez comme il est brave....
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Bureau de maître Bergsmann. Une petite plaque de rien du tout. Heureusement que c'est César qui m'envoie, sinon, c'est pas lui que j'aurais été voir. Un homme d'assez grande taille, physionomie fermée, allure de croque-mort, costume à l'avenant. Ça doit être le métier qui veut ça. Entrez madame, je vous en prie, merci beaucoup Honoré d'avoir conduit madame, asseyez vous je vous prie, alors mon cher César me dit que vous êtes sa cousine...
- même pas, maître Bergsmann...
- je vous en prie, appelez-moi Maurice
- je n'oserais jamais maître Maurice...
- Maurice tout court, je vous dirai pourquoi ensuite
- bien Maurice
- vous me disiez que vous n'étiez pas la cousine de César...
- nous nous disons cousins, mais c'est son grand-père qui était frère de lait de ma grand-mère, et mon arrière-grand-mère qui les a élevés
- chez nous, vous savez, ce serait presque des frères...
Fortunée n'osait demander ce que ce chez nous signifiait
- chez nous, je disais, nous sommes israélites, juifs si vous préférez...
- il n'y a pas de mal, maî...Maurice, pardon
- vous avez entendu parler du pasteur Bernardou, de la rue Vernier?
- bien sûr, l'oncle de César...
- il nous a caché toute la durée de la guerre, mon père, ma mère, ma soeur et moi; c'est César qui amenait le ravitaillement, et il était extraordinaire. Il trouvait des choses introuvables, des médicaments pour ma mère, des habits chauds...
- il ne m'en a jamais parlé...
- c'est César; il ne parle pas beaucoup, et encore moins de ce qu'il fait de bien. Alors vous pensez bien que quand je vous parle de mon cher César, ce ne sont pas des mots en l'air. En plus, il était déjà extraordinaire pendant la guerre: il avait appris que ma mère raffolait des pivoines. Pour son anniversaire, il a trouvé moyen d'en cacher une gerbe dans la salle de prière où nous mangions; maman en pleurait de joie. Elle disait qu'elle avait trouvé un deuxième fils...
- quel cachottier celui-là...
- non Fortunée, un homme de cœur, comme son oncle. Vous savez que le pasteur commençait à bien se débrouiller en hébreu, à la fin de la guerre? Il insistait pour lire les psaumes en h ébreu d'abord, puis en français: il disait, les fils aînés d'abord. Il nous aimait...
- et César?
- César? C'était comme le frère que je n'ai pas eu: nous étions du même âge. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour adoucir cette captivité; il me trouvait des livres...Nous sommes toujours restés en contact depuis: c'est un découvreur exceptionnel, il n'a pas changé. Je lui dois parmi les plus belles ventes que j'ai faites. Alors, pensez...Laissez-moi regarder cette petite chose
Il siffla longuement
- Fortunée- vous me permettez de vous appeler Fortunée, n'est-ce-pas, je n'ai pas vu beaucoup de « Cessli » qui lui arrivent à la cheville...
- c'est pas un Siselé?
- bien sûr, mais en anglais -il était anglais- ça ressemble plutôt à Cessli. Mais vous avez raison, il fait partie du patrimoine, il faut dire Siselé. De famille, me disait César?
- mon pauvre père le tenait du peintre, à qui il avait donné la main...
- vous y êtes abonnés dans cette famille, on dirait, à donner la main. Voilà comment je vois la chose: vous avez une pièce exceptionnelle, qui va faire un malheur. Je vais l'inclure dans une vente à Monaco cet été où je disperserai une partie des collections de l'Aga Khan. Il va crever des plafonds, déjà parce que c'est un des plus beaux connus, ensuite parce que la vente va attirer le gratin des collectionneurs de la planète. Voilà ce que je vous propose: à mon avis, il n'est pas pensable qu'il parte à moins de 5 millions....
- 5 millions pour une peinture! Le prix de plusieurs voitures...
- Fortunée, 5 millions de francs. 500 millions, si vous préférez...
c- e n'est pas gentil de vous moquer de moi, maître...
- Fortunée, je ne me permettrais jamais; vous avez bien entendu. Le dernier à passer en vente a fait 397 millions il y a 2 ans, et il ne lui arrivait pas à la cheville...
- Madouna! Sian sauvat (Sainte Vierge! Nous sommes sauvés)
- taisa-ti leou (tais-toi vite)
- vous parlez patois en plus Maurice...
- je me mélange avec le nissart. Mais je ne l'ai pas oublié, vaï. Écoutez Fortunée, je vais prendre le tableau en dépôt, et vous donner un chèque de 500 000 francs à titre d'acompte sur votre vente, si cela vous convient. Nous sommes en mars, la vente sera en juillet. Si vous avez besoin de plus, dites-le moi...
- vous voulez me faire mourir...50 millions, que notre propriété s'est vendue pour 42, moins les frais...
- qui l'a vendue? Delmas?
- Pardi, bien sûr
- je le connais bien, c'est un copain de fac; je vais l'appeler pour lui faire annuler la vente, et je lui demanderai de ne pas réclamer sa commission; je lui renverrai l'ascenseur plus tard...
- es oun pantaï.. (c'est un rêve)
- qu'es pas, Fortunée...(mais non, Fortunée)
- moun paure paire...(mon pauvre père)
- il a attiré la bénédiction sur vous, comme César et son oncle
- même pas, maître Bergsmann...
- je vous en prie, appelez-moi Maurice
- je n'oserais jamais maître Maurice...
- Maurice tout court, je vous dirai pourquoi ensuite
- bien Maurice
- vous me disiez que vous n'étiez pas la cousine de César...
- nous nous disons cousins, mais c'est son grand-père qui était frère de lait de ma grand-mère, et mon arrière-grand-mère qui les a élevés
- chez nous, vous savez, ce serait presque des frères...
Fortunée n'osait demander ce que ce chez nous signifiait
- chez nous, je disais, nous sommes israélites, juifs si vous préférez...
- il n'y a pas de mal, maî...Maurice, pardon
- vous avez entendu parler du pasteur Bernardou, de la rue Vernier?
- bien sûr, l'oncle de César...
- il nous a caché toute la durée de la guerre, mon père, ma mère, ma soeur et moi; c'est César qui amenait le ravitaillement, et il était extraordinaire. Il trouvait des choses introuvables, des médicaments pour ma mère, des habits chauds...
- il ne m'en a jamais parlé...
- c'est César; il ne parle pas beaucoup, et encore moins de ce qu'il fait de bien. Alors vous pensez bien que quand je vous parle de mon cher César, ce ne sont pas des mots en l'air. En plus, il était déjà extraordinaire pendant la guerre: il avait appris que ma mère raffolait des pivoines. Pour son anniversaire, il a trouvé moyen d'en cacher une gerbe dans la salle de prière où nous mangions; maman en pleurait de joie. Elle disait qu'elle avait trouvé un deuxième fils...
- quel cachottier celui-là...
- non Fortunée, un homme de cœur, comme son oncle. Vous savez que le pasteur commençait à bien se débrouiller en hébreu, à la fin de la guerre? Il insistait pour lire les psaumes en h ébreu d'abord, puis en français: il disait, les fils aînés d'abord. Il nous aimait...
- et César?
- César? C'était comme le frère que je n'ai pas eu: nous étions du même âge. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour adoucir cette captivité; il me trouvait des livres...Nous sommes toujours restés en contact depuis: c'est un découvreur exceptionnel, il n'a pas changé. Je lui dois parmi les plus belles ventes que j'ai faites. Alors, pensez...Laissez-moi regarder cette petite chose
Il siffla longuement
- Fortunée- vous me permettez de vous appeler Fortunée, n'est-ce-pas, je n'ai pas vu beaucoup de « Cessli » qui lui arrivent à la cheville...
- c'est pas un Siselé?
- bien sûr, mais en anglais -il était anglais- ça ressemble plutôt à Cessli. Mais vous avez raison, il fait partie du patrimoine, il faut dire Siselé. De famille, me disait César?
- mon pauvre père le tenait du peintre, à qui il avait donné la main...
- vous y êtes abonnés dans cette famille, on dirait, à donner la main. Voilà comment je vois la chose: vous avez une pièce exceptionnelle, qui va faire un malheur. Je vais l'inclure dans une vente à Monaco cet été où je disperserai une partie des collections de l'Aga Khan. Il va crever des plafonds, déjà parce que c'est un des plus beaux connus, ensuite parce que la vente va attirer le gratin des collectionneurs de la planète. Voilà ce que je vous propose: à mon avis, il n'est pas pensable qu'il parte à moins de 5 millions....
- 5 millions pour une peinture! Le prix de plusieurs voitures...
- Fortunée, 5 millions de francs. 500 millions, si vous préférez...
c- e n'est pas gentil de vous moquer de moi, maître...
- Fortunée, je ne me permettrais jamais; vous avez bien entendu. Le dernier à passer en vente a fait 397 millions il y a 2 ans, et il ne lui arrivait pas à la cheville...
- Madouna! Sian sauvat (Sainte Vierge! Nous sommes sauvés)
- taisa-ti leou (tais-toi vite)
- vous parlez patois en plus Maurice...
- je me mélange avec le nissart. Mais je ne l'ai pas oublié, vaï. Écoutez Fortunée, je vais prendre le tableau en dépôt, et vous donner un chèque de 500 000 francs à titre d'acompte sur votre vente, si cela vous convient. Nous sommes en mars, la vente sera en juillet. Si vous avez besoin de plus, dites-le moi...
- vous voulez me faire mourir...50 millions, que notre propriété s'est vendue pour 42, moins les frais...
- qui l'a vendue? Delmas?
- Pardi, bien sûr
- je le connais bien, c'est un copain de fac; je vais l'appeler pour lui faire annuler la vente, et je lui demanderai de ne pas réclamer sa commission; je lui renverrai l'ascenseur plus tard...
- es oun pantaï.. (c'est un rêve)
- qu'es pas, Fortunée...(mais non, Fortunée)
- moun paure paire...(mon pauvre père)
- il a attiré la bénédiction sur vous, comme César et son oncle
silene82- Nombre de messages : 3553
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Re: In equo veritas
Bonne ambiance, bien décrite ! On s'y croit.
"quoiqu'il fût provençal"
"avaient appris à l'apprécier comme s'il fût (j'ai la flemme de vérifier, mais à mon avis il faut mettre un indicatif ici et non un subjonctif) pays"
"quoiqu'il fût provençal"
"avaient appris à l'apprécier comme s'il fût (j'ai la flemme de vérifier, mais à mon avis il faut mettre un indicatif ici et non un subjonctif) pays"
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Ouh là, oui ! Je viens de lire cette dernière étape, on est dans la bisounourserie la plus complète... Bon, pourquoi pas, hein, parfois la vie est harmonieuse. Mais, c'est vrai, pour moi tout cela est trop gentil.
Invité- Invité
Re: In equo veritas
Par ailleurs, la fin me paraît presque escamotée, comme si vous aviez eu hâte d'en finir...
Invité- Invité
Re: In equo veritas
socque a écrit:Ouh là, oui ! Je viens de lire cette dernière étape, on est dans la bisounourserie la plus complète... Bon, pourquoi pas, hein, parfois la vie est harmonieuse. Mais, c'est vrai, pour moi tout cela est trop gentil.
Je le savais, je le savais.
silene82- Nombre de messages : 3553
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in equo/suite et fin
Le retour à l'appartement d'Honoré fut triomphal. La brave femme avait évoqué pudiquement les difficultés qu'il avaient traversées, en éludant la part active qu'y avait joué Félix, avec son délire équin. La mère d'Honoré, fine mouche, devinait à demi-mot:
- maintenant que vous êtes tirés d'affaire, et même aisés, j'espère bien que vous allez organiser les choses de manière à ne plus risquer d'être en souci...
- je ne sais pas trop comment je vais pouvoir faire....
- Fortunée, je vous connais pas beaucoup, mais je crois que si vous prenez pas de précautions, la même histoire va recommencer: les chevaux, c'est comme les femmes. On peut injecter de l'argent tant qu'on veut, on n'en voit jamais la fin. Un jour c'est les fers, l'autre c'est le vétérinaire. Et les crèmes, et renouveler ci et çà,
- comment faire? Conseillez-moi, moi, ça m'est difficile de voir clai
- il vous faudrait peut-être trouver une aide; si j'ai bien compris, le tableau, c'est à vous qu'il était?
- bien sûr, puisque je le tenais de mon pauvre père
- dans ce cas, il va vous falloir gouverner, et imposer une manière sensée de faire tourner la boutique..
- vous avez raison...
La soirée fut très gaie: Fortunée tint à inviter ses nouveaux amis dans une brasserie, et en sortit ahurie, quant à elle du bruit, des lumières, de l'élégance des gens, du mouvement inlassable si avant dans la soirée, et, bien sûr, de la note qu'on lui présenta. Honoré la conduisit le lendemain à la gare pour reprendre son train, la mère lui ayant préparé un solide en-cas qu'elle emmenait dans son cabas.
De retour en ses terres, que de choses à raconter! Paris, la foule, l'agitation; mais aussi la gentillesse d'Honoré et de sa mère, et, plus encore, le coup de théatre de maître Bergsmann, et le rôle que césar avait joué dans cette histoire, sans jamais paraître y être mêlé en quoi que ce soit. Fortunée s'était bien gardée de révéler la totalité de l'affaire, et que le tableau allait être le clou d'une vente prestigieuse; évasive, elle éluda les montants dont Maurice avait parlé pour ne mentionner que l'annulation de la vente forcée
- formidable, s'exclamait Félix, je vais pouvoir voir les choses en grand, construire un manège...
- nous verrons, Félix, nous verrons: tu as la mémoire courte...
Ils sont tous couchés. Hennissements affolés. Bruit de portes frappées à coups de pieds, par des animaux affolés. Madountesian! Qu'es aco? Levés en sursaut, ils galopent dans la cour; des flammes lèchent déjà la maison; la grange est en flamme, des flammes hautes comme des arbres. Les chevaux hurlent, fous de peur et de douleur. Félix tente de foncer dans le brasier; impossible d'approcher; les deux selles français, qui étaient à l'angle du bâtiment, sortent au galop par la porte qu'ils ont fracassée à coups de sabots; les autres, prisonniers à l'intérieur, hurlent comme des humains, avec des cris suraigus, empreints de folie. Félix est comme fou, il court en tous sens, lance de dérisoires seaux d'eau sur le brasier, envoie un jet ridicule avec la manche d'arrosage, les pompiers arrivent enfin, alertés par les voisins, ils déversent des geysers. Félix court d'un homme à l'autre
- plus vite, sauvez mes chevaux, pitié, arrosez, arrosez...
L'incendie a fini par être circonscrit. La grange est calcinée, le toit est presque entièrement consumé, des parties pendent comme des guenilles. Le fenil, où Félix entreposait le fourrage, a été entièrement dévasté. Les boxes des chevaux, en dessous, ont été la proie des flammes: sur les six chevaux de Félix, deux ont réussi à s'échapper, les autres, prisonniers, avaient défoncé les portes de leurs boxes, mais, affolés par la fumée, les craquements, l'atroce chaleur, et les brandons enflammés qui leur tombaient dessus, s'étaient piégés eux-mêmes dans l'autre partie du bâtiment. Deux ont été trouvés morts, d'arrêt cardiaque selon le vétérinaire, qui a dû abattre les deux autres, compte tenu de leur terribles brûlures qui laissent des pans entiers de leurs flancs à nu.
Félix est inconsolable; il pleure comme il n'a jamais pleuré de sa vie; il part des journées entières dans les bois, seul, à pied. Des passants qui l'ont croisé disent qu'il parle seul, sans cesse, et se met à hurler par moment. Il donne des coups de pieds aux arbres. Il ne veut plus manger.
Il fait venir, sans en avoir parlé à quiconque, un maquignon qu'il connaît, à qui il vend ses deux chevaux pour un prix symbolique.
Quand sa mère, inquiète de rien entendre depuis la veille, dans sa chambre où il s'est enfermé, sans dire un mot, absent, le regard vide, après le départ de ses chevaux, essaie de pousser la porte, elle n'y parvient pas; Poupette montée, elles arrivent à ouvrir. Le corps de Félix pend, strangulé, par un licol qu'il a attaché à la solive au dessus de la porte. Sur la table, un mot
En allant dire le bonsoir à mes petits, j'ai oublié la lanterne en sortant. C'est ce qui a mis le feu à la grange. Adieu.
Les femmes n'ont pas de larmes. Elles se regardent, dures, froides.
- quand il te vient un bonheur, c'est que le malheur n'est pas loin
- je sais pas s'il y a un Bon Dieu, mais on dirait qu'il y a un autre qui essaie de tout défaire
- et si c'étaient les anciens qui avaient raison? Ils disaient que les dieux anciens sont jamais partis, et qu'ils continuent à jouer avec nous
- comment savoir?
- maintenant que vous êtes tirés d'affaire, et même aisés, j'espère bien que vous allez organiser les choses de manière à ne plus risquer d'être en souci...
- je ne sais pas trop comment je vais pouvoir faire....
- Fortunée, je vous connais pas beaucoup, mais je crois que si vous prenez pas de précautions, la même histoire va recommencer: les chevaux, c'est comme les femmes. On peut injecter de l'argent tant qu'on veut, on n'en voit jamais la fin. Un jour c'est les fers, l'autre c'est le vétérinaire. Et les crèmes, et renouveler ci et çà,
- comment faire? Conseillez-moi, moi, ça m'est difficile de voir clai
- il vous faudrait peut-être trouver une aide; si j'ai bien compris, le tableau, c'est à vous qu'il était?
- bien sûr, puisque je le tenais de mon pauvre père
- dans ce cas, il va vous falloir gouverner, et imposer une manière sensée de faire tourner la boutique..
- vous avez raison...
La soirée fut très gaie: Fortunée tint à inviter ses nouveaux amis dans une brasserie, et en sortit ahurie, quant à elle du bruit, des lumières, de l'élégance des gens, du mouvement inlassable si avant dans la soirée, et, bien sûr, de la note qu'on lui présenta. Honoré la conduisit le lendemain à la gare pour reprendre son train, la mère lui ayant préparé un solide en-cas qu'elle emmenait dans son cabas.
De retour en ses terres, que de choses à raconter! Paris, la foule, l'agitation; mais aussi la gentillesse d'Honoré et de sa mère, et, plus encore, le coup de théatre de maître Bergsmann, et le rôle que césar avait joué dans cette histoire, sans jamais paraître y être mêlé en quoi que ce soit. Fortunée s'était bien gardée de révéler la totalité de l'affaire, et que le tableau allait être le clou d'une vente prestigieuse; évasive, elle éluda les montants dont Maurice avait parlé pour ne mentionner que l'annulation de la vente forcée
- formidable, s'exclamait Félix, je vais pouvoir voir les choses en grand, construire un manège...
- nous verrons, Félix, nous verrons: tu as la mémoire courte...
Ils sont tous couchés. Hennissements affolés. Bruit de portes frappées à coups de pieds, par des animaux affolés. Madountesian! Qu'es aco? Levés en sursaut, ils galopent dans la cour; des flammes lèchent déjà la maison; la grange est en flamme, des flammes hautes comme des arbres. Les chevaux hurlent, fous de peur et de douleur. Félix tente de foncer dans le brasier; impossible d'approcher; les deux selles français, qui étaient à l'angle du bâtiment, sortent au galop par la porte qu'ils ont fracassée à coups de sabots; les autres, prisonniers à l'intérieur, hurlent comme des humains, avec des cris suraigus, empreints de folie. Félix est comme fou, il court en tous sens, lance de dérisoires seaux d'eau sur le brasier, envoie un jet ridicule avec la manche d'arrosage, les pompiers arrivent enfin, alertés par les voisins, ils déversent des geysers. Félix court d'un homme à l'autre
- plus vite, sauvez mes chevaux, pitié, arrosez, arrosez...
L'incendie a fini par être circonscrit. La grange est calcinée, le toit est presque entièrement consumé, des parties pendent comme des guenilles. Le fenil, où Félix entreposait le fourrage, a été entièrement dévasté. Les boxes des chevaux, en dessous, ont été la proie des flammes: sur les six chevaux de Félix, deux ont réussi à s'échapper, les autres, prisonniers, avaient défoncé les portes de leurs boxes, mais, affolés par la fumée, les craquements, l'atroce chaleur, et les brandons enflammés qui leur tombaient dessus, s'étaient piégés eux-mêmes dans l'autre partie du bâtiment. Deux ont été trouvés morts, d'arrêt cardiaque selon le vétérinaire, qui a dû abattre les deux autres, compte tenu de leur terribles brûlures qui laissent des pans entiers de leurs flancs à nu.
Félix est inconsolable; il pleure comme il n'a jamais pleuré de sa vie; il part des journées entières dans les bois, seul, à pied. Des passants qui l'ont croisé disent qu'il parle seul, sans cesse, et se met à hurler par moment. Il donne des coups de pieds aux arbres. Il ne veut plus manger.
Il fait venir, sans en avoir parlé à quiconque, un maquignon qu'il connaît, à qui il vend ses deux chevaux pour un prix symbolique.
Quand sa mère, inquiète de rien entendre depuis la veille, dans sa chambre où il s'est enfermé, sans dire un mot, absent, le regard vide, après le départ de ses chevaux, essaie de pousser la porte, elle n'y parvient pas; Poupette montée, elles arrivent à ouvrir. Le corps de Félix pend, strangulé, par un licol qu'il a attaché à la solive au dessus de la porte. Sur la table, un mot
En allant dire le bonsoir à mes petits, j'ai oublié la lanterne en sortant. C'est ce qui a mis le feu à la grange. Adieu.
Les femmes n'ont pas de larmes. Elles se regardent, dures, froides.
- quand il te vient un bonheur, c'est que le malheur n'est pas loin
- je sais pas s'il y a un Bon Dieu, mais on dirait qu'il y a un autre qui essaie de tout défaire
- et si c'étaient les anciens qui avaient raison? Ils disaient que les dieux anciens sont jamais partis, et qu'ils continuent à jouer avec nous
- comment savoir?
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