Joyeux Noël mon ange

Nine rêve secrètement depuis trois ans. Le même rêve revient en décembre.
Revêtir la robe blanche en plumetis, ceindre son front de la couronne d'étoiles dorées et surtout porter cette paire d'ailes tant convoitée....ces ailes qui c'est sûr, feront d'elle un ange, un vrai, comme ceux des vitraux.
Pour cela, il faut convaincre Mademoiselle Alphonsine, la dame du catéchisme, c'est elle et elle seule qui choisit les enfants qui se nicheront dans la paille de la crèche vivante le grand soir de la messe de minuit et feront l'admiration des villageois venus se recueillir pour fêter la naissance de l'enfant Jésus.
C'est étrange, ce petit enfant qui en une seule année devient un homme persécuté qui meurt assassiné par les siens sur cette croix de bois ; Nine est très effrayée par ces étapes terribles qui vont crescendo jusqu'à cette montée terrible au mont Golgotha, les jets de pierre, la couronne d'épines, les crachats, les cris. Mademoiselle Alphonsine se délecte, les yeux dans le vague, lorsqu'elle décrit cette longue agonie.
Par quelle miracle ce bébé dans sa crèche est-il devenu un homme de trente-trois ans en quelques mois ?
Tu es stupide ma pauvre Nine.....répond Mademoiselle Alphonsine à ces interrogations, mais elle n'explique rien.

- Ce soir, nous répétons les chants de Noël, ce soir j'aurai le courage de demander, ce soir je vais m'endormir en rêvant que je vais être un ange...
- La vierge Marie, non, je n'ose même pas y penser.....c'est toujours Garance la fille du maire qui incarne la sainte Mère. Un ange... pas Gabriel, non, un ange anonyme.

Un dernier rayon de soleil perce le vitrail préféré de Nine, l'annonciation....C'est le moment.

- Hum...Mademoiselle Alphonsine.....est-ce que je peux vous demander ?....j'aimerais être un ange cette année !

Silence glacial.

- Rappelle-moi Nine... que fais ta mère dans la vie ? Des ménages si je ne me trompes ? Crois-tu qu'en faisant des ménages ta mère peut acheter des plumes de cygne blanc pour des ailes d'ange ?
- Mais Mademoiselle, des plumes d'oies blanches ? Mon oncle possède des oies...
- Jamais de la vie ! Les plumes d'ange sont en cygne, un point....c'est tout.

Mademoiselle Alphonsine tourne la tête avec dédain....pfeuuu....cette Nine, pour qui se prend-elle ? Fille de rien....enfin de rien de connu dans la ville. Si Madame la Mairesse savait ça.... la fille de sa femme de ménage.....non mais, le monde ne tourne plus rond.

Nine sera un ange ce 24 décembre.....ou jamais plus.

Nine a disparu.
On retrouve Nine le 25 décembre au matin.
Son corps flotte dans le bassin du jardin du maire.
Sa main serrée tient une plume de cygne blanc.....trois cygnes noirs lui font escorte.

Joyeux noël mon ange !

Ah quel superbe texte. Court , percutant, désespérant. Le conte de Noël dans toute sa splendeur, comme je les aime !
(Je ne me suis jamais remise de "La petite marchande d'allumette "qui reste une sorte de référence dans le genre souffrance, grandeur et sacrifice du personnage, une petite fille of course)
Sinon j'adore cette Alphonsine en personnage récurrent qui fait des apparitions de ci de là dans de nombreux textes.

Petite erreur :si je ne me trompe

Je n'ai jamais, jusqu'ici, lu jusqu'au bout un de vos textes, CROISIC, parce que j'ai du mal avec les histoires où les enfants souffrent. Je me suis dit que cette fois j'allais faire un effort, non que je croie une seconde que vous attendiez mes commentaires comme le Messie (si j'ose dire en cette période), mais pour avoir bonne conscience. Je n'ai pas ressenti un grand malaise en lisant ce récit, parce que tout dans le texte m'a paru franchement caricatural et porté au pathos facile, la petite fille pauvre, la Demoiselle Lelongbec infecte, la mort de la malheureuse, carrément, avec les cygnes noirs qui escortent l'ange...

On se croirait, effectivement, dans un conte de Noël pour faire pleurer Margot ; c'est réussi dans le genre, je l'admets, si on n'a rien lu de ce qui se fait depuis deux siècles.

Mes remarques :
« Par quel (et non « quelle ») miracle ce bébé dans sa crèche »
« que fait ta mère dans la vie »
« Des ménages si je ne me trompe (et non « trompes ») »

Je ne vous étonnerai pas Socque, si je vous dis que votre silence assourdissant sur mes pauvres textes ne m'a pas échappé.
Je me suis interrogée, j'en ai conclu que le sujet récurrent qui m'obsède en ai la raison. Puis, il y a eu Dusha....n'en parlons plus.
Noël est justement un moment de concorde. Je vous sais gré de ce commentaire et des corrections dont j'ai grand besoin. (même si j'utilise le correcteur de Vista, qui visiblement n'est pas efficace)
N'aurais-je rien lu depuis deux cent ans ? Serais-je si vieille ? Je crois que c'est le premier essai de conte de ma vie !!!
Je n'aime pas cette période de l'année, vous l'aurez deviné. J'aime lire vos poèmes.

Conte de Noël certes, mais surtout conte "social". En lisant cette histoire, j'ai senti remonter en moi des relents d'envies et de rancoeurs enfantines que je croyais bien enfouies. Sans doute tout le monde ne peut être ému de la même façon... Merci Croisic. Très beau texte.

Il faut se méfier des " Alphonsine " plus assassines qu'elles se veulent dans la grâce des " anges".

Alors, c'est décidé, maintenant il ne faut parler de Noël qu'en négatif. Ce qui était une originalité au départ devient maintenant affreusement convenu.
Là je suis d'accord avec Socque on peut difficilement faire mieux dans le genre !
J'aurais dû proposer cet exo : à qui fera le conte de Noël le plus larmoyant.

J'ai beaucoup aimé le texte, concis et triste, sans larmoiements ni pathos, pour moi. Des constats plutôt, et ils ne sont pas drôles.
Je sens aussi la fibre d'Andersen là-dedans, c'est un rêve qui tente de prendre son envol et est cruellement cloué à terre, d'une manière impitoyable et pleine de méchanceté.
C'est, à mon goût, un très joli conte de Noël. Qui pince.

Peut-être que les cygnes noirs sont un peu en trop, caricaturaux. Mais pour le reste, je dirais plutôt oui ! D'abord parce que la narration exprime bien cette espèce de confusion que nous avons tous dû ressentir enfants à la vie de Jésus telle qu'elle nous a été obscurément relatée pendant les cours de caté ; ensuite, parce qu'en filigrane se dessine tout un univers provincial, villageois d'il y a quelques décennies : rejet social, favoritisme, jalousie ... je te suis complètement CROISIC sur ce coup-là. Et si le trait est en effet parfois forcé, le texte passe bien je trouve.

Pour le titre, CROISIC, il annonce vite la couleur, surtout quand on connaît tes récits antérieurs. Pas une seconde je n'ai imaginé que ce Joyeux Noël mon ange allait être porteur de légèreté et autres réjouissances :-)

Rebecca et Siléne : merci pour votre flatteuse référence à Andersen et autres gentillesses.
Ba : vos interventions sont toujours un régal .
Easter(Island) : l'acuité de vos lectures me laisse toujours pantoise, la qualité de vos commentaires idem, alors quand c'est sur un de mes textes...c'est Noël !

embellie a écrit:Conte de Noël certes, mais surtout conte "social". En lisant cette histoire, j'ai senti remonter en moi des relents d'envies et de rancoeurs enfantines que je croyais bien enfouies. Sans doute tout le monde ne peut être ému de la même façon... Merci Croisic. Très beau texte.

Je suis très touchée, vous le savez, par l'ensemble des vos écrits, poèmes ou nouvelles. Merci Embellie d'avoir aimé et compris la motivation de ce petit conte.

C'est en haut. CROISIC, j'ai du mal avec le "vous". Apprécierais le "tu" en retour si cela ne vous/te gêne pas.

Avec joie, Easter (island), tutoyons-nous ! Cette proposition me fait plaisir.

silene82 a écrit:Je sens aussi la fibre d'Andersen là-dedans, c'est un rêve qui tente de prendre son envol et est cruellement cloué à terre, d'une manière impitoyable et pleine de méchanceté.

On ne change pas l'affection pour les contes : Andersen ou Croisic, j'aimerai toujours cette petite fille, avec des allumettes ou une plume de cygne.

Il est joli, ton conte. Tu m'as foutu le bourdon et, ça, c'est pas drôle.

Deux contes lus, deux univers différents, j'y retourne. ^^

Noël si décevant ! Il devrait être une joie, il y a toux ceux qui promettent un Noël joyeux, mais, et ce sont souvent les mêmes, il y a toutes les demoiselles Alphonsine qui font de la joie espérée une dure réalité. Il y a cette déception de Noël, si souvent. Les rêves déçus, les espoirs brisés, les illusions perdues : faux bonheurs d’espérance. Symbolique noël saccagé.
Le rêve de Nine se confronte à la réalité sociale, si dure.
Mais son rêve est si grand qu’elle le préfère à la vie. Son rêve réalisé plutôt que la vie. Grand rêve de Noël, auquel il est si difficile de renoncer. Puissance de l’illusion telle que Nine, en une seule journée, grandit, connaît son calvaire, « persécutée par les siens », et périt. Trois jours plus tard, on la retrouve, ange aux ailes de cygne, mais sans vie. Un ange, oui, pas Jésus.
Elle avait rêvé leur vie douce, la vie des anges, leur légèreté, leur vol au-dessus de la réalité ; elle avait idéalisé son corps, l’avait sublimé, aimait une image magnifiée, angélique, d’elle-même et de la vie, comme Narcisse, et comme Narcisse elle meurt, se noie dans un bassin, d’avoir voulu coïncider avec une image embellie et illusoire.
C’est un beau conte, Croisic, qui met en garde contre les puissances de l’illusion.

Allez hop, c'est Noël, je l'ai dit :-)

Que de moments (et d'émotions) si bien décrits en quelques mots, Croisic, comme la dame du catéchisme, c'est elle et elle seule qui choisit les enfants qui se nicheront dans la paille de la crèche vivanteou La vierge Marie, non, je n'ose même pas y penser.....c'est toujours Garance la fille du maire.
Tu réussis à rendre tout cela réaliste, palpable et très vrai, proche du lecteur. Sans parler de la fin, déchirante en quelque sorte, parce que inéluctable quand on lit le déroulement du récit.
A travers ce conte de Noël qui pourrait sonner académique se dessine en réalité la trame de nombreuses existences, qui ne correspondent peut-être pas en tous points à celle de Nine mais vivent les mêmes drames enfantins. Des drames plutôt affreux.

J'aime ta manière de raconter Croisic; c'est à chaque fois un plaisir de te lire.