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Annabelle

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Message  Rebecca Ven 16 Avr 2010 - 19:17

Anna. Anna belle. Oui l’appeler Annabelle.

La désigner puis la dessiner.
La ciseler puis l’inciser. Savoir de quoi elle est faite. Pourquoi elle est défaite. Lui faire sa fête.

Calculer la circonférence exacte de son inanité, la masse de ses cellules adipeuses, la surface de sa prison mentale, décrire ses errements existentiels, ses airs d’inessentielle, son suicidaire appétit de vivre, ses rancœurs, ses rancunes, ses lacunes, entrevoir ces lagunes où pâmée, paumée parfois elle rêve. Où souvent elle crève. Percer sa peau, ses oripeaux.

Regarder froidement son tour de taille, aux poignets ses entailles, estimer son tour de hanche, son goût de la revanche et puis tailler dans le gras. Vous en prendrez bien une tranche ?

Elle mange son septième croissant au beurre. Quoique cela n’ait aucune incidence sur son activité masticatoire, cette fois elle s’accorde le droit de réaliser que ces croissants sont vraiment délicieux. Cela lui donne un coup de nostalgie aussi violent qu’imprévu. Comme un coup de poing dans le ventre. Cela réussit presqu’à suspendre son cinquantième aller retour main-bouche et son quarante neuvième aller-simple bouche œsophage. Mais elle est déjà trop atteinte. Elle le sait et cesse. Ruminer des pensées n’est pas nourrissant est tout ce qu’elle se permet de penser en attaquant le huitième et déjà dernier croissant.

Ensuite, méthodiquement, elle colle les miettes de croissant éparpillées sur son index et les porte à sa bouche vorace, qui happe le doigt, le suce et l’expulse rythmiquement.
Quand tout est nettoyé alentour, quand il n’y a plus rien à happer, gober, avaler, ingérer, elle se lève et va à la cuisine.
Elle défaille en ouvrant la porte du réfrigérateur : il n’y a plus rien qu’une énorme motte de beurre !

La crise de manque menace. Elle referme la porte, va à la fenêtre, monte ses stores, les redescend, revient sur ses pas, rouvre le frigo et observe le beurre. Rien ne transpire de son agitation intérieure sur son visage qui semble froid, inerte, seule une étrange fixité des yeux pourrait paraître inquiétante. Ce beurre la nargue, il commence même à l’horripiler. Elle y plonge un doigt puis deux puis goûte…

Quand elle a achevé le beurre, un arrière goût d’amer lui monte à la gorge et l’écœure légèrement. Elle sait y remédier. Il faut pour cela l’intensifier, le faire parvenir à son niveau maximal, le transformer en summum du dégoût, il faut le faire remonter à la bouche et puis l’expulser enfin. Comme il y a longtemps qu’elle ne connait plus le vrai dégoût sauf celui de sa personne, elle s’aide de ses mains. Comme dans le beurre tout à l’heure, elle plonge un doigt puis deux dans sa gorge tout en se dirigeant vers la cuvette des toilettes devant laquelle, agenouillée, elle se rend tout entière, tripes et âme mêlées, yeux révulsés et corps tétanique en une prière fervente qui à défaut de monter au ciel déferle en cataractes vers les égouts et autres sombres soubassements.

Ensuite, elle ne va pas mieux. Elle ne va jamais mieux. Mais pour ne pas aller plus mal, il lui faut en passer par là. Du moins c’est ce qu’elle croit. C’est une question de foi.

Mourir peut-être, mais grossir jamais .Savoir maigrir sans s’aigrir malgré sa faim sans fin. Dans le lexique d’ Annabelle, être pro et rester Anna belle c’est être pro-ana. Considérer que la barbarie n’est pas toxique tant qu’elle a la silhouette d’une Barbie anorexique.


Alors, en fin de conte, quitter Anna. Entendre juste la chasse d’eau déferler sur son destin et emporter le pourquoi et le comment, ses desseins obscurs et mon dessin à peine esquissé. L’apercevoir encore monter sur sa balance.

Et puis décider que je m’en balance.
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Message  mentor Ven 16 Avr 2010 - 19:42

on ne sait pas qui est le narrateur par rapport à Anabelle, mais ce récit est costaud, les jeux de mots qui l'émaillent ne suffisent pas à faire sourire
c'est trop grave
une excellente et implacable description des affres de l'anorexisme
bravo

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Message  Kash Prex Ven 16 Avr 2010 - 20:53

Je n'aurais pas compris qu'il s'agissait d'un narrateur cherchant un personnage sans l'explication que tu donnes dans Réponses aux commentaires.
Et puis au-delà de ça, je ne sais pas, je n'arrive pas à être réceptif. L'idée est pourtant originale, mais j'ai l'impression qu'elle n'est pas exploitée au mieux : ça sonne avant tout comme un exercice de style. Les jeux de mots ne me semblent pas assez naturels, on dirait qu'ils sont l'objet de toute ton attention lorsque tu les écris, au point qu'on peut parfois croire que ce sont eux qui guident le texte ; que tu trouves d'abord le jeu de mots et qu'ensuite tu orientes le texte de sorte à ce qu'il y trouve sa place. Du coup, rien de très passionnant dans ce qui est raconté, car trop peu d'attention au fond au profit de la forme... qui n'est rien sans fond.
Je précise que je n'essaie pas de deviner comment tu as procédé, je n'en sais évidemment rien, simplement je donne mon impression, ce que me fait penser ce texte.

Voilà, pas réceptif pour cette fois... En espérant ne pas trop te bousculer quand même =)
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Message  Invité Ven 16 Avr 2010 - 21:01

J'ai l'impression que les passages où il s'agit vraiment d'elle sont plus forts que ceux du narrateur, ce qui donne évidemment un déséquilibre dans l'importance des personnages : du coup, le narrateur a moins de réalité que sa création !
je suis pas sûre d'être très claire, Reb !

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Message  Reginelle Ven 16 Avr 2010 - 21:21

Bon, j'ai lu le texte dès posté. Pris un temps de recul. Et j'ai aussi lu ce qui précède.

Pour moi, il a été très clair, à la lecture, qu'il s'agissait d'un personnage imaginaire. La progression vers l'anorexie est impitoyablement bien décrite. Douloureuse (et plus encore quand on a connu quelqu'un qui en souffrait - et le portrait est très juste).

La chute est brutale. Ce désintérêt du narrateur. même si pour le jeu de mots "balance". Le créateur qui jette son personnage. Duquel il tiré tout ce qu'il voulait ? Par rejet de ce qu'il en a fait ?

Marrant, parce que j'ai eu aussi la fugitive vision de l'anorexie du narrateur. Qui se gave de son personnage, pour le vomir (s'en balancer) ensuite.

Pas un texte facile, pour moi.

Mais un très très beau texte.

Bravo Rébecca.
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Message  Rebecca Ven 16 Avr 2010 - 22:01

Nouvelle version suite à vos commentaires


Annabelle mange son septième croissant au beurre. Quoique cela n’ait aucune incidence sur son activité masticatoire, cette fois elle s’accorde le droit de réaliser que ces croissants sont vraiment délicieux. Cela lui donne un coup de nostalgie aussi violent qu’imprévu. Comme un coup de poing dans le ventre. Cela réussit presqu’à suspendre son cinquantième aller retour main-bouche et son quarante neuvième aller-simple bouche œsophage. Mais elle est déjà trop atteinte. Elle le sait et cesse. Ruminer des pensées n’est pas nourrissant est tout ce qu’elle se permet de penser en attaquant le huitième et déjà dernier croissant.

Ensuite, méthodiquement, elle colle les miettes de croissant éparpillées sur son index et les porte à sa bouche vorace, qui happe le doigt, le suce et l’expulse rythmiquement.

Quand tout est nettoyé alentour, quand il n’y a plus rien à happer, gober, avaler, ingérer, elle se lève et va à la cuisine.
Elle défaille en ouvrant la porte du réfrigérateur : il n’y a plus rien qu’une énorme motte de beurre !

La crise de manque menace. Elle referme la porte, va à la fenêtre, monte ses stores, les redescend, revient sur ses pas, rouvre le frigo et observe le beurre. Rien ne transpire de son agitation intérieure sur son visage qui semble froid, inerte, seule une étrange fixité des yeux pourrait paraître inquiétante. Ce beurre la nargue, il commence même à l’horripiler. Elle y plonge un doigt puis deux puis goûte…

Quand elle a achevé le beurre, un arrière goût d’amer lui monte à la gorge et l’écœure légèrement. Elle sait y remédier. Il faut pour cela l’intensifier, le faire parvenir à son niveau maximal, le transformer en summum du dégoût, il faut le faire remonter à la bouche et puis l’expulser enfin. Comme il y a longtemps qu’elle ne connait plus le vrai dégoût sauf celui de sa personne, elle s’aide de ses mains. Comme dans le beurre tout à l’heure, elle plonge un doigt puis deux dans sa gorge tout en se dirigeant vers la cuvette des toilettes devant laquelle, agenouillée, elle se rend tout entière, tripes et âme mêlées, yeux révulsés et corps tétanique en une prière fervente qui à défaut de monter au ciel déferle en cataractes vers les égouts et autres sombres soubassements.

Ensuite, elle ne va pas mieux. Elle ne va jamais mieux. Mais pour ne pas aller plus mal, il lui faut en passer par là. Du moins c’est ce qu’elle croit. C’est une question de foi.

Mourir peut-être, mais grossir jamais . Malgré sa faim sans fin. Dans le lexique d’ Annabelle, la barbarie n’est pas toxique tant qu’elle a la silhouette d’une Barbie anorexique.

La chasse d’eau déferle sur le contenu de son estomac , sur ses rancœurs, ses rancunes, ses lacunes et emporte le pourquoi et le comment, ses desseins obscurs et ses regrets secrets .

Ensuite, elle monte sur la balance. Pèse le pour et le contre. Envie de voyages, de foudres et de tempêtes, envie de ferveur mystique.

Elle prend son sac, redescend à la boulangerie-pâtisserie. Faire le plein de Paris Brest, d’éclairs et de religieuses.
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Message  Kash Prex Ven 16 Avr 2010 - 22:08

Oui, ça me semble bien plus fluide comme ça. Après, je ne suis personnellement pas particulièrement touché par ce thème, mais ça c'est autre chose...
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Message  Reginelle Ven 16 Avr 2010 - 22:22

Ce n'est plus du tout la même approche, et ça en fait un texte "nouveau". Un portrait uniquement. (ce n'est pas restrictif, hein. juste que le narrateur-créateur de personnage disparaît)

J'ai quand même ressenti le premier avec plus de force. Pas de la même manière. J'avais aimé cette image. parce que nous créeons et créons des tas de personnages. Qui nous dévorent, mais que nous dévorons aussi. Bon... c'est pas facile à expliquer.
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Message  Invité Sam 17 Avr 2010 - 7:21

C'est vrai ce que dit Réginelle. Mais ce texte-ci est plus " centré". Le premier , avec ce rapport du narrateur et de son personnage, aurait besoin d'un développement plus important pour atteindre sa plénitude. Mais l'idée d'exploiter ce miroir de la dévoration et du rejet est vraiment intéressante.

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Message  Kilis Sam 17 Avr 2010 - 10:02

Je préfère nettement le premier texte. Sa superstructure nous aide à aborder l’horreur sans crainte. C’est une fiction, n’est-ce pas ? Puis, peu à peu, on ne sait plus. Est-ce une fiction ?
Mais il est déjà trop tard, le texte est lu, les images sont entrées. Et les images renvoient à une réalité. Quelque part, une fille ouvre son frigo, se remplit désespérément puis se vide. Une fille quelque part, deux, trois… mille ? Combien ?
Un texte d’une grande habilité donc et qui nous fait nous interroger sur la gravité et l’ampleur de ce phénomène de société.
Notre société. Vacuité. Un monde creux. Ghost World.
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Message  Jérémie Dim 18 Avr 2010 - 1:57

Votre premier texte me semble également plus élégant. Tout en vertige réflexif^^ Il entraine le lecteur dans une spirale prandiale qui très rapidement submerge les sens. Un véritable télescopage, les cris vains, anorexiques... un gouffre passe.

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Message  Invité Dim 18 Avr 2010 - 12:57

Je n'ai pas lu les commentaires, mais lu le deuxième texte. Je lui préfère la première mouture, bien plus percutante ! Ce et décider que je m'en balance est autrement troublant et choquant que cette seconde version, plus apprêtée, trop conventionnelle même.
Je trouve la structure du texte particulièrement originale. Cette espèce de mise en abyme, ce narrateur qui vomit son personnage à la fin, à l'instar de sa création. C'est bien vu.
Sinon, le thème de l'anorexie me semble bien décliné et m'intéresse plutôt. Quant aux jeux de mots, ils allègent un peu l'horreur de la situation, ce qui permet d'éviter de tomber dans du mauvais pathos. Certes, c'est ta marque de fabrique, mais contrairement à d'autres, chez qui le jeu de mots ne sert qu'à ornementer, je trouve qu'ici il est habile.
Au total, j'ai adoré, tout simplement.

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Message  midnightrambler Lun 19 Avr 2010 - 23:02

Bonsoir,

Premier texte ou second texte ?
J'ai lu le premier : excellent ... ça m'a suffit ...
De toute façon, il y a - j'ai vérifié - la même phrase dans les deux : ... il n'y a plus rien qu'une énorme motte de beurre ! C'est là que je me suis dit non ! Mais, si, elle l'a mangée !
Très loin de ce que je suis, très loin de ce que je peux comprendre ... et encore plus loin de ce que je peux excuser ! Mais très bien décrit ...

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Message  silene82 Mar 20 Avr 2010 - 11:15

Un beau travail de torera. Des piques, des banderilles, des véroniques.
L'estocade.
L'éventail masquant la bouche, tu alignes des jeux de maux. Comme les toubibs avec les enfants leucémiques.
Tout le corps du texte me laisse de glace, boulimie vomitive, so what ?
Le reste m'étreint, et me glace.
Beau boulot.
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Message  Polixène Mer 21 Avr 2010 - 19:37

Pour ma part cette mise en abîme ne relève pas du subterfuge mais de la subtilité .
Ce texte est simplement splendide (le premier) .

Rebecca, tu es la "Cartier-Bresson" du texte court!
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Message  bertrand-môgendre Jeu 22 Avr 2010 - 5:03

Sans vouloir être déplaisant, à te lire j'ai toujours l'impression d'écouter Vincent Roca, que j'aime bien.
Le texte est terrible dans sa description, puissant dans ses images induites. J'ai tout gobé, sans vomir.
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Message  Louis Jeu 22 Avr 2010 - 23:42

J’ai aussi préféré, Rebecca, la première version, plus riche, plus complexe, moins banale que la seconde.
Le personnage, Annabelle, y apparaît comme une métaphore de l’acte créateur d’un auteur, acte à la fois manqué et réussi.
Il faut représenter un personnage, le créer, le croquer, pour nourrir la fiction à développer, et pour le nourrir, lui, de mille détails. De façon boulimique. Une boulimie de traits caractéristiques.
Le personnage sera féminin, une femme. D’abord la nommer pour la faire exister. La nommer Anna. Et dans son nom même, la nourrir d’un qualificatif. Elle sera Annabelle. Forcément belle.
L’alimenter ensuite de mets géométriques et physiques : circonférence, masse, surface. A la fois, une géométrie du corps et une géométrie de l’âme. Croquer le mental autant que le corps, avec pénétration, jusqu’à « percer sa peau, ses oripeaux ». Ne pas effleurer simplement son sujet. Se montrer incisif.
Etoffer ensuite sa taille, ses hanches, ses poignets. Mais sans grossir le trait.

Et puis constater. Que le personnage prend une autonomie par rapport à son créateur. Il vit de sa propre vie, comme un enfant qui s’émancipe de la tutelle de ses parents et géniteurs qui l’ont élevé et nourri. Il se repaît de sa propre vie. Annabelle semble bien, en effet, se libérer de son auteur. Indépendante, elle poursuit son existence dans la grande bouffe. Elle fait son beurre des croissants qu’elle avale en nombre. Dévore les croissants et le beurre. Elle prend tout, et ne laisse rien pour la suite.

Mais, boulimique et anorexique, elle rend tout ce qu’elle prend. Elle rejette tout. Rejette sa vie. Métaphore de l’auteur qui rejette son personnage.

Trop maigre, trop mince, le personnage ne fait pas le poids. Tout mot à son sujet est trop lourd.
Finalement, Anna ne peut rester belle que dans un idéal ineffable, le poids des mots l’enlaidit.
Elle finit par gonfler son auteur, qui balance son sujet. S’en balance : pas de quoi en faire toute une histoire. L’auteur qui, gros de son personnage, ne réussit pas à l’accoucher dans l’écrit pour qu’il reste beau.

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Message  Aire__Azul Sam 24 Avr 2010 - 18:57

Bonsoir, Rebecca.

J’ai bien apprécié ces deux textes qui ont des perspectives très différentes. J’ai été particulièrement sensible au rythme de tes phrases, rapides, efficaces, qui font sentir l’urgence du personnage.
Dans le premier, l’idée du narrateur en pleine création m’a bien plu. Cela permet de saisir le personnage dans son fonctionnement, ou plutôt, dans son dysfonctionnement. Les jeux de mots, que tu maîtrises de façon prodigieuse, sont peut-être parfois un peu trop nombreux ou quelquefois mal venus,cependant, car certains font perdre de la consistance au récit : « Lui faire sa fête », « Percer sa peau, ses oripeaux », « son tour de hanche, son goût de la revanche ».
À mon goût, ce narrateur en dit là trop ou pas assez. Il semble parfois juger le personnage, parfois il se contente de l’observer et cela m’a un peu déstabilisée, mais peut-être était-ce le but.
D’autres jeux sur les sonorités, au contraire, font planer un ombre inquiétante qui mériterait sans doute d’être développée : « La crise de manque menace », « ses rancœurs, ses rancunes », que vous répétez judicieusement.

Comme l’ont dit d’autres commentateurs, le deuxième texte est assurément plus « efficace », plus « fluide ». Mais j’ai vraiment apprécié l’effet de recul du premier texte.

Merci de nous avoir donné à lire cela.
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Message  Sahkti Jeu 27 Mai 2010 - 14:35

Jusqu'à la nausée volontaire, j'ai complètement accroché au texte. J'ai trouvé cela dmirablement bien rendu, restitué avec justesse. Mais arrive l'après-vomissement et là, quand je réalise que nous sommes dans un registre anorexie/boulimie, ça me plaît moins. Simple question de ressenti perso, bien entendu. J'aurais préféré que cela se poursuive avec une fille toute en rondeurs qui mangerait pour se faire du bien et se dégoûter en même temps, se ferait vomir puis recommencerait parce que manger fait du bien, avant de faire du mal et puis tout recommence. Bref, sans doute ai-je eu tendance à mettre un peu de personnel dans mes attentes et du coup, elles ne trouvent pas pleinement satisfaction.

Un manque qui ne s'applique qu'à l'histoire et pas du tout à ta manière de la raconter, efficace et réussie.
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Message  Sahkti Jeu 27 Mai 2010 - 14:37

Ha, il y a une seconde version...
Dans laquelle je retrouve cette idée d'aller-retour incessant vers la nourriture (en même temps que vers les toilettes, certes...).
Pourtant, ça fonctionne toujours moyennement à mes yeux dans la mesure où l'étiquette anorexique cloisonne le texte dans quelque chose de précis, thématiquement ciblé et ne colle pas vraiment à ma manière de l'interpréter.
Mais ça ne change rien au plaisir de te lire, de toutes façons.
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