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Le Dégoût

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Le Dégoût Empty Le Dégoût

Message  Jean Jeu 13 Mai 2010 - 3:28

Prologue

Si je dis : stop, point barre, fini pour moi la fiction de croire que. Je vais dormir de bonne heure, m’éveille tôt le matin, mettons j’enfile un vieux jogging, cours une heure ou deux histoire de me défouler, prends une bonne douche, rase parfaitement la fine barbe que je traîne depuis des lustres – en fait, depuis le commencement ; ensuite mettons je parcours l’appart’, rassemble tout ce que j’ai pu écrire : cahiers, blocs-notes, feuilles traînantes, avec tout ce qui me sert à composer : bics, stylos, feutres, auxquels j’ajoute tous les mots et les images sans utilité qui traînent encore dans ma tête ; je rassemble le tout dans un sac plastique et pars le jeter loin loin dans la première décharge venue, sans oublier de supprimer tous les fichiers sur l’ordinateur.

Bien, très bien même ; je dois dire que l’idée est très tentante. Mais ensuite ?

Ensuite, rien. Ensuite, deux mois, trois mois de lâche monotonie « à faire semblant que », à sourire, sortir, faire des rencontres, chercher du travail, jouer l’homme actif, celui qui est réaliste, responsable, faire l’homme « sérieux » comme je me souviens l’avoir lu dans un texte de Sartre… en un mot, passer trois mois à oublier l’échec. Puis, mettons trois autres mois à hésiter, à se rappeler des idées hautes, des ambitions anciennes, des rêves d’« être quelqu’un » comme on dit aujourd’hui sans pouvoir s’empêcher d’afficher un sourire ironique et entendu, ou non, que dis-je ? mieux ! des rêves d’être plus que quelqu’un, mais un concept, une idée, un monde, son monde, bref : via l’écriture, d’être les rêves mêmes.

Alors, doucement, avec le temps, ceux-là refont surface, et les mauvais rêves avec, et les questions, les « si je n’avais pas », les « j’aurais peut-être dû », le mal-être de s’être arrêté par crainte de viser trop haut, que le monde soit trop grand pour moi, ou bien le mien trop petit pour lui, et que l’inspiration ne vienne plus, et que le désespoir la remplace peu à peu, l’égratigne, la dévore, l’anéantisse jusqu’à ce qu’il n’en reste rien.

Bien sûr, ça ne dure pas bien longtemps. Trois mois au plus, je l’ai dit. Puis on se dit que pourquoi pas ; on rachète un cahier, des blocs-notes, de quoi écrire, on réouvre le fichier word en le laissant sur la page blanche, pas pour écrire – encore trop tôt – mais pour se rappeler qu’on va bientôt le faire, que cette page nous attend, que s’asseoir à nouveau sur la chaise devant l’ordinateur et recommencer les tentatives littéraires – poésies, essais, nouvelles, romans peut-être - n’est plus pour dans bien longtemps. Combien de temps exactement ? On ne peut prévoir. Le temps que les idées se remettent en place, qu’on retrouve la méthode et la confiance en soi, qu’on prenne le temps aussi pour les laisser infuser, patiemment, à leur rythme, puis tout à coup éclater et emplir une page, deux pages, trois pages d’idées, de « pourquoi pas », de « ce serait peut-être intéressant à développer. » De plus, en parallèle à ces ébauches est à l’œuvre un autre type d’idées : celles qui viennent « comme ça », d’elles mêmes, et qui paraissent si évidentes, sont si spontanées, glissent tellement bien sur la page qu’elles relèvent presque du miracle de création que seul l’écrivain peut connaître et qui conditionne sa vie. Mais ces idées ont leur prix, hélas ! Elles le consument, le dévorent ainsi que peu de temps avant le dévorait son manque d’inspiration. Et l’écrivain sait que chaque miracle de sa part réduit le nombre de miracles encore disponibles avant que son stock ne s’assèche à nouveau, avant que son inspiration peu à peu s’estompe, inspirée dans les mots mêmes qui lui donnèrent réalité. Alors, deux choix s’offrent à moi, deux choix s’imposent à l’écrivain : ne rien écrire qui procèderait du miracle et bâtir, sans cesse bâtir à partir de fondations mesurées, pesées et réfléchies ; rejeter aux confins de son âme les miracles de son expression, ou les travailler, encore et encore, les travailler de manière à les vider de leur substance, et ne garder que la chair, les restes, pour la modeler à sa guise. Le poète quant à lui préfère toujours l’éclat, le miracle et la vision ; il n’est plus à proprement parler écrivain, mais translateur de ses idées vers la réalité, pur passeur d’âme remontant le Léthé sur sa barque solide et passant ses potentialités de l’Ombre vers la Lumière. Jusqu’à ce que la barque, trop pleine, arrive à saturation, qu’elle se fracture, se brise et coule, et que le poète, solitaire, dépourvu de toute attache, pris entre les torrents du fleuve, dans une tempête noire, descende toujours plus en aval jusqu’à l’embouchure de sa mélancolie, et finisse rejeté dans un territoire du Temps que Rimbaud après Dante nomma une Saison en Enfer, et qui, en d’autres termes, correspond à celui du Dégoût.

Ce Dégoût, je l’ai suggéré au début du prologue, mon histoire commencera avec lui.

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Message  Invité Jeu 13 Mai 2010 - 7:56

Le sujet m'indiffère, et la, comment dire ? pompe de la fin avec l'écrivain comme passeur d'âmes (funérailles, tiens, c'est le cas d'y dire !) aurait tendance à franchement m'exaspérer, mais la sincérité que je crois discerner dans le propos m'emporte malgré moi ; je trouve que le texte sonne très vrai, et, pour moi, cela le sauve. Belle écriture, ce qui ne nuit pas.

Remarque :
« romans peut-être - (typographie : le trait d’union « - » n’est pas suffisant pour introduire une incise, il faut « – » ou « — ») n’est plus pour dans bien longtemps » (pour les autres incises, impec)

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Message  Invité Jeu 13 Mai 2010 - 11:34

Parfaitement écrit mais dieu que ce nombrilisme est ennuyeux. Tu devrais briser tous les miroirs, tu n'en serais que plus productif. Je dis ça pour la suite.

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Message  Invité Ven 14 Mai 2010 - 8:15

En partant du principe que les prologues sont à lire vite, celui-ci s'en tire bien, je n'ai pas l'impression de m'être ennuyé avec ce personnage.

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Le Dégoût Empty Re: Le Dégoût

Message  Jean Sam 15 Mai 2010 - 0:52

Chapitre I



Nous sommes le lendemain à l’aube. La nuit passée fut très mauvaise ; j’avais chaud, mon corps contre les draps collait et s’y retournait sans cesse pour trouver une position plus confortable. L’air était lourd et son humidité mêlée à ma transpiration me montait désagréablement au nez. Le matin avait du mal à arriver ; une lumière grisailleuse de fin d’hiver pénétrait lentement dans la chambre par l’interstice des rideaux et s’y accumulait comme un brouillard épais. Me recroquevillant dans ce qui me restait d’ombre, je me promettais une bonne douche mais n’avais la force de me sortir des draps qui me serraient et s’enroulaient autour de moi. Une heure, peut-être deux passèrent. Le brouillard avait depuis longtemps empli la pièce. Je me levai enfin non sans douleur et me dirigeai d’un pas lourd vers la cabine de douche, incorporée dans la chambre même.

L’appartement que j’habitais avait très fort l’allure d’un deux-pièces miteux, coin cuisine et coin chambre, choisi pour son bas loyer au premier étage d’un immeuble situé plein cœur de Liège. Je me lavai longtemps, m’habillai, ouvris les rideaux et jetai un regard mauvais sur le bureau au fond de la pièce. Des feuilles blanches y étaient éparpillées en plusieurs tas, s’y trouvaient également une bouteille de Martini rouge mal refermée posée à côté du clavier de l’ordinateur, ainsi qu’un cendrier à côté duquel traînait un paquet de cigarettes consommé. Ouvrant la fenêtre pour aérer la chambre, j’en sortis une de ma poche et l’allumai en contemplant le dehors.

Mélancolie. Puanteur. Langueur grasse de l’hiver. Les nuages étaient très bas sur la ville, gris et orageux. Les immeubles faisaient front, se bousculaient, s’amassaient, se marchaient dessus à qui s’élèverait le plus haut au-dessus des autres. En dessous, une fine pluie tombait averse sur les rues délavées, petites et dédaléennes. Quelques personnes ici où là se pressaient, ombres indistinctes sur les trottoirs. Je pris une bouffée, la sonnerie de la porte d’entrée retentit.

J’allai actionner l’ouverture de la porte de l’immeuble, ouvrit celle de mon deux-pièces et attendis dans son entrebâillement. D’un pas précipité, je vis en bas la silhouette de ma mère apparaître et pénétrer dans le corridor. Je laissai la porte entrouverte, allai préparer une chaise et rejoignis mon ancienne position près de la fenêtre. L’air frais commençait à se propager. Je refermai la fenêtre, laissant juste une mince ouverture pour continuer à aérer. Quelques instants plus tard, et ma mère entra dans le studio.

« Quel temps de chien il fait depuis la semaine dernière… tu as remarqué ? Vivement que l’hiver se termine. Mais sinon, dis-moi, comment vas-tu, toi ? T’as pas l’air d’avoir bonne mine encore… Tu es tout pâle… Et puis, toujours cette barbe à ce que je vois… et ces cheveux… Combien de fois je ne t’ai pas dit de te les couper. Regarde-moi ça… » Elle enleva son manteau, s’assit sur la chaise que je lui avais installée et me contempla longuement, silencieuse. Puis : « On dirait que tu n’es pas très content de me voir… Combien de temps ça fait qu’on ne se voit plus déjà… un mois ? deux mois peut-être ? Tu pourrais téléphoner de temps en temps, au moins donner de tes nouvelles, tu ne penses pas ? On s’inquiète, tu sais, avec tes sœurs. On parle souvent de toi quand on se téléphone toutes les trois. A elles aussi tu devrais sonner de temps en temps. » C’est alors que je tournai pour la première fois mes yeux vers elle depuis qu’elle s’était installée, et ce que je vis sur son visage me rendit plus maussade encore. Oui, deux mois en effet qu’on ne s’était plus vu ; deux mois, et je me refusais de penser qu’on pût à ce point changer en si peu de temps. Elle souriait faiblement, prenait l’air enjouée comme elle l’a toujours fait avec tout le monde, sans doute parce que pensait-elle que cet air aurait une quelconque influence sur lui le monde, et qu’elle réussirait avec le temps à le transmettre aux gens son sourire, et que ce masque dont elle était porteuse leur irait si bien aux gens, que le monde le trouverait si élégant et coloré son masque, si joyeux enfin qu’alors peut-être il s’en recouvrirait lui aussi le visage pour toujours et le guérirait-il.

Tragique carnaval. Car ce masque donc qu’elle portait en permanence, j’ai toujours su qu’il en cachait un autre, infiniment plus laid et plus réel et qui tôt ou tard prendrait le dessus sur le premier. Deux mois oui, et voici qu’en deux mois tout son rêve de guérisseuse du monde s’était tout à coup mis à s’écrouler sous les effets de la vieillesse ; son visage s’était creusé, ses rides accentués, ses yeux délavés, sa peau et ses cheveux grisés, son esprit à jamais assombri. Tout ça en seulement deux mois ; comme si la vieillesse la garce prenait plaisir à s’abattre à n’importe quel âge, mais toujours quand on s’y attend le moins et sans qu’il soit possible de faire la moindre chose contre elle. Et ce nouveau masque qu’elle portait maintenant et que son sourire toujours si beau pourtant, si doux et apaisant ne parvenait plus à maîtriser, ce masque-là était celui du Temps et de la Vérité.

« Ne t’inquiète pas, maman. Je vais très bien. Je t’ai toujours dit que tu n’avais pas à t’inquiéter pour moi. Mais oui, tu as raison sans doute, la prochaine fois j’essayerai de téléphoner. » J’esquissai alors moi aussi un sourire comme pour appuyer mes paroles et lui montrer ma bonne foi, et elle me répondit en accentuant le sien. Elle regardait la pièce, promenait furtivement ses yeux sur la bouteille et le cendrier posés sur le bureau. La laissant faire, je respirai quelques bouffées de la cigarette, la tapai ensuite contre la façade à l’extérieur de la fenêtre par la fente encore accessible pour en faire tomber les cendres, puis je me tournai à nouveau vers elle.

« Et la petite, maman, dis-moi, comment va-t-elle ? » Ses yeux alors se mirent à pétiller : « Oh, la petite, si tu savais ! Ça fait combien de temps que tu ne la vois plus ? Longtemps, non ? Elle vient juste de se remettre d’un gros rhume, avec le temps qui fait c’est normal qu’elle attrape des choses, elle est encore si fragile la pauvre. Mais elle va mieux maintenant, tout le monde était si inquiets. Surtout ta sœur, tu sais comment elle est. Elle est si mignonne, si tu la voyais ! Et tu devrais voir comme elle grandit vite et elle est éveillée pour son âge ! Une petite principessa c’est tout ça, même si je râle beaucoup de ne pas pouvoir la voir autant que je le veux. Mais bon, tu connais comment ça se passe avec ton père, tes sœurs et lui c’est pas possible ça, j’aimerais tellement que ça s’arrange, vous êtes tous si têtus dans la famille. Mais bon, je ne désespère pas, peut-être qu’un jour… En tout cas, je pense vraiment que tu devrais aller la voir plus souvent la petite. Même si c’est que pour elle. Il faut qu’elle apprenne à le connaître son zio. Il faut pas qu’il soit un étranger pour elle, j’ai pas raison ? Et puis, je suis sûr que ça plairait à ta sœur qu’elle voie que tu t’intéresses à sa fille. » Ma mère se mit à sourire plus encore. « D’ailleurs, en fait, voilà, c’est pour ça que je t’ai fait la surprise de venir te voir aujourd’hui. Tu sais qu’elle va sur sa première année, la petite. Eh bien ta sœur avec son mari ont finalement décidé de la faire baptiser. Ils me l’ont caché le temps qu’ils voient ça avec le prêtre, tu sais celui de Jemeppe que tu avais pour ta petite communion et que tes sœurs ont eu aussi. Eh bien, comme ils ont beaucoup parlé entre eux avec le prêtre et qu’il a décidé que c’était d’accord, ils nous ont annoncé hier par téléphone que la date était fixée pour le mois prochain. Il y aura tout le monde, à part ton père bien sûr. Alors j’ai pensé tout de suite à toi et je suis venue te l’annoncer, comme je me doute que ta sœur ne l’aurait sans doute pas fait. Tellement têtus vous êtes. Donc, ça aura lieu à dix heures, le dimanche vingt-huit mars, à l’église Notre-Dame. Tu retiens bien la date, hein dis ! Et ne sois pas en retard comme d’habitude, surtout. Et puis t’essayeras aussi de te faire beau et tu raseras cette barbe pour l’occasion. J’ai tellement hâte d’y être, si tu savais… »

Oui, je savais. J’hochai la tête, souriant pour lui faire plaisir. Voilà donc la raison de sa visite, me suis-je dit. Nous parlâmes encore un peu ma mère et moi ; elle me demanda si ça se passait bien avec ma recherche d’emploi et si ça allait pour la nourriture et le loyer. Ensuite elle se leva pour me dire au revoir, parce qu’il fallait qu’elle rentre elle me dit, parce qu’elle avait beaucoup de ménage à faire à la maison et que mon père se demanderait sans doute où elle était passée si elle s’attardait de trop. Avant de partir, elle me dit encore une dernière chose :

« Au fait, me fit-elle, je ne t’ai pas encore dit. Je ne sais pas trop comment tu vas le prendre, mais ta sœur a invité Sarah également. Tu sais comme elles sont proches toutes les deux. Et puis, Sarah s’entend tellement bien avec la petite... Voilà, c’était juste pour que tu le saches. Quand j’y repense, vous étiez tellement bien tous les deux… » Je souris. Je la raccompagnai jusqu’en bas de l’immeuble puis on se dit au revoir. Revenu dans mon studio, je retournai près de la fenêtre. Je remarquai alors que je tenais toujours la cigarette qui s’était éteinte à moitié consumée pendant la conversation et que je n’avais pas lâchée depuis lors. Je la jetai par la fenêtre avant de refermer celle-ci. Dehors, l’averse redoublait d’intensité.

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Message  Invité Sam 15 Mai 2010 - 5:42

Un excellent début, pour moi, qui campe d'emblée une situation ! Très bonne description de la mère et, en creux, du narrateur. Là, je suis accrochée, j'attends la suite...

« Langueur grasse de l’hiver. » j’adore !

Mes remarques :
« D’un pas précipité, je vis en bas la silhouette de ma mère » : bizarre, on a l’impression que le narrateur voit les choses d’un pas précipité, non que la silhouette de la mère avance d’un pas précipité
« deux mois en effet qu’on ne s’était plus vus (on accorde le participe passé selon la véritable personne représentée par « on », ici un pluriel) »
« sans doute parce qu’elle pensait (style indirect, pas d’inversion sujet-verbe) que cet air aurait une quelconque influence sur lui le monde »
« qu’alors peut-être il s’en recouvrirait lui aussi le visage pour toujours et le guérirait-il » : si c’est le monde, comme je comprends, qui se recouvrirait peut-ête le visage du sourire de la mère, il faut écrire « et guérirait », ou « et se guérirait-il », puisque le monde se guérirait lui-même, sinon qui serait ce « le » que le monde, s’étant recouvert d’un sourire, guérirait ?
« ses rides accentuées »
« tout le monde était si inquiet (et non « inquiets ») »
« Je (« h » aspiré) hochai la tête »

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Message  Invité Sam 15 Mai 2010 - 7:49

Il y a un je ne sais quoi ( tout personnel) qui me fait horreur dans ce texte, ce qui prouve qu'il est réussi !

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Message  abstract Sam 15 Mai 2010 - 8:53

J’aime beaucoup ce début. J’avais lu le prologue, mais pas commenté, j’attendais dans savoir un peu plus, car je le trouvais très centré sur la personne de l’auteur. J’avais pensé, pas mal mais ne va t’il pas tourner très vite en rond ? Eh bien non, le texte s’ouvre sur de nouveaux personnages habilement amenés. Tout me plait, le portrait de la mère, la description du studio, les liens familiaux que l’on devine. Que dire de plus si ce n’est que j’attends la suite.
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Message  Jean Lun 17 Mai 2010 - 22:25

Chapitre 2



Se contenir. Enfuir en soi l’intolérable. Ne rien dire, faire ou même penser devant quiconque qui pût éveiller quelques soupçons. Simplement sourire à tout, à rien, et ne surtout pas sortir du rôle que confère le monde hypocrite à ceux qui veulent en prendre part et qui, pour la plupart sous mine d’angélique innocence et de foi, contribuent à son aliénation. Lorsque, dans la semaine infecte qui suivît, une éclaircie tout aussi sale et visqueuse transperça les nuages pour aller se coller partout dans la ville et sur la peau des passants plus nombreux, j’en profitai également pour sortir de chez moi, espérant peut-être évacuer mon ennui et cette odeur nauséeuse de transpiration qui ne me quittait pas.

Les gens autour de moi se pressaient, parlaient, riaient aux éclats d’un rire qui sonnait faux, découvraient leurs dents déjà jaunies et rongées par la vie. Les commerces s’animaient, les cafés ouvraient leur terrasse, les travailleurs vaquaient à leur tâche, sourire figé aux lèvres et l’air sérieux, pleinement concentrés sur le rôle qui leur était dévolu. Ma promenade me conduisit en peu de temps Place Cathédrale, grand carré entouré de commerces et de cafés, au centre duquel était disposée une petite pelouse de fleurs décorée et très jolie à partir du printemps, mais qui à cette époque était encore désherbée et affreusement boueuse. A la face Nord de la place trônait une vieille église gothique en éternel état de rénovation. M’asseyant devant l’église sur un banc public qui lui tournait le dos, je promenai mon regard alentour.

Une animation particulière attira mon attention. On était dimanche, et comme chaque dimanche à Liège peintres et artistes disposaient du côté Est de la place pour afficher leurs œuvres et les faire admirer aux passants intrigués et qui n’hésiteraient pas à faire le beau pendant une heure afin d’obtenir un tableau représentant un visage qu’ils afficheraient ensuite dans leur salon aux regards de tous les proches ; visage pourtant qu’ils pouvaient chaque jour voir et revoir à loisir dans un miroir qui le montrerait bien mieux que le ferait aucun tableau, c’est-à-dire avec son rude regard cerné et toute son animalité contenue. C’est ce regard-là le seul vrai qu’ils devraient peindre ces artistes et que ces gens devraient afficher dans leur salon pour que quiconque y pénétrant sache à qui il aura affaire dorénavant.

D’autres tableaux, je me souviens, ou encore des photographies haut format représentaient en noir et blanc une même femme nue et alanguie, assise dos légèrement tourné, corps recroquevillé sur lui-même et mains masquant les seins qu’on pouvait entrevoir tout de même aux formes stéréotypées. Je m’amusai longtemps à comparer cette femme à une autre qu’un panneau publicitaire affichait légèrement vêtue et ventant quelque produit à la mode, et je me demandai finalement lequel du panneau ou du tableau de l’artiste faisait preuve de plus d’art. Dans un même temps, je ne pouvais m’empêcher de penser que cette masse monotone de passants et d’artistes qui allaient et venaient sur la place possédait un je ne sais quoi de faux et d’inhumain et qu’il ne pouvait s’agir au fond que d’un étrange amas d’automates réglés pour répéter sans cesse les mêmes mouvements dans un décor aux allures de théâtre grotesque.

J’en étais là à ma méditation lorsqu’une voix me surprit toute proche de moi. C’était celle d’un type vieux et ridé et bigleux et mal vêtu qui puait la misère du monde. « Bonjour, jeune homme ! Comment allez-vous, brave garçon ! Quel regard sympathique et affecté, permettez-moi de vous le dire ! Permettez aussi que je m’asseye à vos côtés, je n’ai cessé de me promener toute la journée par le beau temps qui fait et j’ai bien besoin d’un peu de repos. Je ne vous dérange pas tout au moins ? Vous me paraissez bien songeur… C’est que je connais ce regard, moi, et ça m’ennuierait de vous déranger si vous ne le permettez pas… » Tout en disant, l’homme s’asseyait à mon côté et me regardait d’un air curieux. Je souris sans lui répondre. « Vous aussi vous êtes promené par cette journée ? Êtes-vous allé plus loin, vers la place Saint-Lambert ? J’y reviens justement. Il se donne là-bas un cortège improvisé tout à fait charmant ! D’ailleurs, on entendrait presque d’ici le son de la musique en train de jouer, l’entendez-vous ? Oh, et je parle, je parle et j’en oublie mes bonnes manières, désolé. Je dois dire que je n’ai pas fort l’habitude de parler aux inconnus ainsi, mais vous, vous je sais pas vous m’avez l’air bien sympathique. Permettez que je fume une cigarette, la fumée ne vous gêne pas ? Mais où donc ai-je mis mon briquet ?... » Je lui signifiai que la fumée ne dérangeait pas et lui passai mon briquet dans un même mouvement. « Oh, Merci ! Charmant ! J’étais sûr que vous seriez sympathique, voyez que je n’avais pas tort. Pour vous dire, je suis à Liège depuis quelques temps et je m’y sens assez bien. Les gens sont très charmants par ici. Et les jeunes filles savez-vous y sont bien plus jolies qu’ailleurs, je vous l’assure. Regardez-moi ces poupées qui passent là juste devant nous, si blanches et souriantes, si pures, ça fait de la joie au cœur de voir ça, n’est-ce pas ? Quoique je ne vous cache pas que d’autres femmes quant à elles sont très… faciles, dirons-nous. Par exemple, dit entre nous, je connais un certain café pas plus loin qu’à deux rues d’ici – vous connaissez ? – où certaines femmes sont prêtes à tout faire… et gratuitement, s’il en est ! Et elles viennent à deux et elles me touchent et elles se laissent toucher et elles proposent de ces choses-là, qu’on pourrait faire directement dans les toilettes et que les hommes ne refusent pas, n’ai-je pas raison ? Ce n’est pas très moral, j’en conviens, mais ça ne se refuse pas, non… nous sommes des hommes, vous devez comprendre ces choses-là. » Et il me souriait le salaud, et je lui souriais aussi. « Tenez ! me dit-il, j’habite plus au-dessus vers la rue Saint-Gilles, vous connaissez sûrement… C’est tout à fait minuscule certes, mais ça me suffit, ne vous cachant pas que j’ai longtemps vécu dans la rue et que c’est mieux d’avoir un chez soi. J’ai bien sûr quelques problèmes pour le loyer mais la fleuriste du quartier m’offre parfois un peu d’argent pour dépanner. En échange, je l’aide volontiers pour transporter des marchandises et d’autres choses encore si besoin est… Quoiqu’hier, je me suis disputé avec elle quand elle m’a ordonné de le faire comme si je lui devais une dette, que j’y étais obligé, que c’était mon travail en somme. Du coup, j’ai décidé pas plus tard qu’aujourd’hui que c’était mieux que je ne reçoive plus rien d’elle, parce que d’une je n’aime pas qu’on ait pitié de moi, et de deux je la préfère encore que d’avoir une dette à payer envers quelqu’un. Je ne sais pas encore comment je vais faire pour retrouver de quoi payer mon loyer, me je suis comme ça, moi. J’ai mes principes tout de même et je les applique, vous comprenez bien sûr ? » Je lui signifiai que je comprenais. « En vérité jeune homme, me dit-il, j’ai arrêté l’alcool il y a peu, quand j’ai commencé à avoir trop souvent des trous de mémoire et à devenir violent. Or, je ne suis pas d’un naturel violent, savez-vous, mais l’alcool fait faire des choses… Ce type, là-bas, par exemple, je le connais très bien. On était souvent appelés tous les deux par la police parce que ça nous arrivait de picoler ensemble. Aussi, on ne dirait pas mais c’est un mendiant et un sacré soiffard. Alors, depuis, je préfère l’éviter, même si parfois je ne vous cache pas que l’envie me prend de boire un ou deux verres… » Il paraissait sincère, presque désolé. Il me conta alors son enfance dans un village près de Paris, dans un milieu de bonne famille et dont je garde encore aujourd’hui pleinement dans ma mémoire ce « salaud de père, tout ça de sa faute… » qu’il ne murmura pourtant qu’une fois dans la conversation et comme à part, à lui-même et sans qu’il sût que je l’avais entendu. Il me raconta encore le plus beau jour de sa vie un peu plus tard dans son adolescence lorsqu’il marqua un but à la finale d’un tournoi de football qui se jouait dans le grand stade de la ville dont il rêvait de rejoindre le club, et comme les supporters hurlaient quand il avait marqué son but et comme ses coéquipiers s’étaient pressés autour de lui pour le féliciter. Il me résuma brièvement sa rupture avec la famille, ses voyages en France, en Angleterre, en Espagne avant de finalement rejoindre la Belgique et de s’installer à Liège qui était disait-il la ville où il se sentait le mieux. Il me parla enfin d’une amie d’enfance qu’il savait être venue s’installer en Belgique et dont il avait par hasard retrouvé l’adresse un soir dans un bottin. Il me raconta qu’il était passé, un jour, chez elle et que par chance son mari et ses enfants ne s’y trouvaient pas ; qu’ils avaient alors beaucoup discuté tous les deux, qu’ils s’étaient remémoré le passé et même avaient fait l’amour comme au bon vieux temps très éloigné où ils sortaient ensemble. Il me dit qu’après ça ils avaient décidé de se revoir de temps en temps dans un hôtel quand le mari de son amie s’absenterait pour le travail. Il me demanda mon avis à savoir si ça se faisait de lui demander, à elle, un peu d’argent pour le loyer, puis il me quitta en me serrant très fort la main et en me souhaitant le meilleur dans la vie, et je lui souhaitai une bonne chance en retour pour sa quête d’argent.

Le jour passa, l’éclaircie se dissipa très vite et les nuages revinrent s’amasser au-dessus de la ville, prêts à éclater. Je restai longtemps ce jour-là à me promener pour n’aller nulle part, fumant l’entièreté du paquet de cigarettes que j’avais ouvert ce même jour. Je revins enfin chez moi, jetai un rapide coup d’œil à la bouteille et sur les feuilles vierges en passant devant le bureau, et sans même dîner allai me déshabiller entièrement et m’enfuir sous les draps.

Alors que je m’étais couché ce soir-là assez tôt, je parvins à gagner le sommeil seulement très tard dans la nuit, tandis que sous les draps mon corps transpirait abondamment et que l’orage riait autour de moi.

Jean

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Message  Invité Mar 18 Mai 2010 - 5:18

J'ai trouvé ce passage-ci moints intéressant que le précédent, un peu brouillon, et surtout lourd, mal fagoté avant le monologue du vieux, qui lui n'est vraiment pas mal.

Mes remarques :
« Ne rien dire, faire ou même penser devant quiconque qui pût éveiller quelques soupçons » : le subjonctif imparfait me paraît ici 1) fautif (les infinits étant présents) 2) inutilement maniéré
« Lorsque, dans la semaine infecte qui suivit (et non « suivît » qui est la forme du subjonctif imparfait) »
« au centre duquel était disposée une petite pelouse de fleurs décorée et très jolie à partir du printemps, mais qui à cette époque était encore désherbée et affreusement boueuse » : lourd, je trouve, notamment à cause des deux « était » à la file
« légèrement vêtue et vantant quelque produit à la mode »
« J’en étais là de ma méditation »
« toute la journée par le beau temps qui fait » : « qu’il fait », non ?
« vers la place Saint-Lambert ? J’en (« y », c’est quand on va vers un lieu) reviens justement »
« je suis à Liège depuis quelque (et non « quelques », le temps n’est pas dénombrable ici) temps »
« de deux je la (que représente « la » ici ? je n’ai pas compris) préfère encore que d’avoir une dette à payer envers quelqu’un »

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Le Dégoût Empty Re: Le Dégoût

Message  silene82 Mar 18 Mai 2010 - 7:09

Si le narrateur nous détaille un par un tous les Liégeois de café qu'il rencontre, on en a pour un bout.
Autre remarque, elle n'est pas dégoûtée l'ex-copine, de coucher avec un clodo décrit comme puant. Bonne fille, décidément. Ou sans cellules olfactives.
Cela dit, et dans l'espérance que ce monologue ne soit pas gratuit et se mette en place dans l'économie du récit, je trouve que le texte inocule bien une certaine tristesse pesante, une atmosphère de brume mouillée, un désabusement, ce qui me semble une réussite.
A vous lire davantage.
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Message  Jean Mar 18 Mai 2010 - 18:14

socque a écrit:« de deux je la (que représente « la » ici ? je n’ai pas compris) préfère encore que d’avoir une dette à payer envers quelqu’un »

Il s'agit de la pitié des gens de la phrase précédente.

Dans ma tête, le texte je dois dire défilait naturellement, sans trop d'accrocs ou de lourdeur, mais sans doute que pour d'autres personnes la lecture peut être différente. Comme ce que j'ai écrit jusqu'à présent fait légèrement premier jet, je reprendrai bien le temps de corriger le tout quand je serai plus avancé. En tout cas, je note toutes les remarques, corrige les fautes au fur et à mesure et garde dans la tête les lourdeurs éventuelles à corriger.


Si le narrateur nous détaille un par un tous les Liégeois de café qu'il rencontre, on en a pour un bout.

Non non, ce ne sera pas le cas je vous l'assure. On sent bien, du moins j'espère, que mon intention en écrivant cette rencontre n'était pas purement gratuite. Je ne sais pas encore si ce personnage va réapparaitre par la suite, mais il a en tout cas une valeur symbolique pour le narrateur que je compte approfondir dans les prochains chapitres.

Et pour répondre à ceci

Autre remarque, elle n'est pas dégoûtée l'ex-copine, de coucher avec un clodo décrit comme puant. Bonne fille, décidément. Ou sans cellules olfactives.

je dirais simplement que si le narrateur est en partie une fiction et possède un odorat quelque peu particulier - on ne sait pas trop après tout à quelle odeur correspond (si elle correspond à une odeur) la puanteur de la misère - certains personnages et leurs discours qu'on peut rencontrer par exemple à Liège quant à eux n'ont pas besoin de s'inventer... Ceci dit sans aucun jugement moral de ma part.

Et puis, bien sûr, merci vraiment à vous deux et aux autres pour les commentaires, surtout quand on sait que les lectures trop longues et fragmentées en épisodes sur écran sont plus que rebutantes en soi. Ça m'aide vraiment de me rendre compte si le récit suit la trajectoire désirée, est assez intrigante pour que vous alliez au bout du chapitre et si l'atmosphère rendue est bien celle que je voulais suggérer.

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Message  Invité Jeu 27 Mai 2010 - 13:44

J'aime bien... peut-être faut-il épurer un peu, mais c'est bien observé, bien écrit.
La suite ?

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