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Quand j'étais fou : cahier N°1

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wald
Rebecca
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Ven 5 Nov 2010 - 9:26

< Texte supprimé à la demande de l'auteur.
La Modération. >

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Ven 5 Nov 2010 - 11:06

Pas compris ceci : J’ai pris la tête du gros PNListe l’autre soir. Tant pis !
Et objecté à cela : Si je bois, alors c’est pire. Je suis capable de parler de façon terrible.
Parce que ce "terrible" veut tout et rien dire.

Sinon, eh bien je me demande où va mener la suite. Le narrateur a quelque chose d'intrigant.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Ven 5 Nov 2010 - 13:09

Easter(Island) a écrit:Pas compris ceci : J’ai pris la tête du gros PNListe l’autre soir. Tant pis !
Et objecté à cela : Si je bois, alors c’est pire. Je suis capable de parler de façon terrible.
Parce que ce "terrible" veut tout et rien dire.

Sinon, eh bien je me demande où va mener la suite. Le narrateur a quelque chose d'intrigant.
Bonjour Easter.
Je ne t'ai pas envoyé ce texte avant pour l'orthographe car j'avais besoin de publier quelque chose de façon compulsive. Mais je suis toujours preneur (en privé si tu veux).
Je suis déjà très loin dans ce texte qui doit devenir un grand roman très sérieux (en tout cas pour moi). Je ne tiens pas à m'expliquer spécialement sur tel ou tel point car c'est vraiment un texte de folie qui se profile. Je veux que mon narrateur reste intrigant car il est angoissant et angoissé. Je suis loin de la rigolade, plus au cœur de ma propre folie.
Que tout ne soit pas compréhensible me semble normal, et même souhaitable.
Pour "terrible", remplaçons le par "horrible", ce sera plus précis en effet.
Amitié.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Rebecca Ven 5 Nov 2010 - 17:59

Je suis prête à suivre ce personnage dans sa folie et dans sa douleur. Une lectrice, une !

Easter, La PNL , celle dont j'ai entendu parler ( programmation neuro linguistique) , est une sorte de psychothérapie de groupe visant à analyser des modèles afin d'établir des connections avec ses propres expériences , le tout dans un but d'épanouissement personnel, un truc comme ça .
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  wald Ven 5 Nov 2010 - 18:14

Je demande à voir la suite avant de juger, mais je vois un rique ici à nous faire suivre les pensées de cet homme à la première personne et donc sans prendre de recul. Parce que si je résume ce qu'il pense c'est qu'il est différent, il est intelligent, il est drole et son défaut c'est qu'il a trop d'esprit critique. Il n'est bien sûr pas interdit d'avoir un personnage qui a une telle image de lui, mais je sens pour ma part que je vais vite me lasser de suivre les pensées de cet homme. Peut être que même à la première personne il y aurait possibilité d'intoduire un peu d'ironie.
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  elea Sam 6 Nov 2010 - 22:40

Moi aussi j'attends la suite, à la fois par curiosité, envie et pour voir vers quoi elle va emmener.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  silene82 Dim 7 Nov 2010 - 9:29

Narbah ayant fréquemment démontré un appréciable talent comique dans les sketchs, même si cet intro ne me dit pas grand chose, j'attends la suite avec grand intérêt, quand bien même le registre en serait différent.
A te lire.
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Dim 7 Nov 2010 - 16:22

Quand j'étais fou : cahier N°1 - 8 et 9 août -


Lundi 8 août

12h30
Hier, j'étais trop mal et je n'ai rien écrit.

16h 00
Je suis seul avec les enfants pour toute la semaine.
A. doit venir me voir jeudi. Je ne sais pas pourquoi il vient, mais j'en suis très content.
Samedi soir, j'ai écrit pendant la fête. C'était une fête calme avec beaucoup de monde. Je ne connaissais presque personne. Mais j'ai écrit sur un petit carnet et j'ai un peu eu l'impression d'être le seul à ne pas m'être ennuyé.
Je n'ai plus que deux cents euros sur mon compte : “pour finir ma vie”. Je me sens perdu dans un univers trop grand pour moi.
Je regarde les sept pages d'écriture sur mon petit carnet. Je voudrais les mettre ici, mais comment faire ?
Je résume : je constate que je ne danse pas dans les fêtes. J'aimerais en avoir envie, ce qui est une pensée idiote. Moi je ne danse pas, je parle. Et dans cette fête, je n'ai rien à dire et tout le monde danse. Personne n'écoute.
Ceux qui sont dehors - nous sommes dans une grande ferme rénovée par un architecte et c'est la pendaison de crémaillère - mangent et parlent entre eux. Personne ne s'intéresse à moi sauf mon ancien associé qui est devenu tellement bête que je l'évite.
C'est pourtant lui qui m'a invité.
Il y a quelques jolies femmes ; pas beaucoup. J'attends je ne sais quoi. Qu'on me drague. Je suis déprogrammé.
Un type m'a demandé ce que j'étais en train d'écrire. J'ai dit : «des choses qui me passent par la tête». Je lui ai fait peur, je l'ai vu. Quelque chose, ma bouche déformée par un rictus, mon regard. Il m'a abandonné tout de suite.
J'aurais voulu qu'il soit une femme. C'est pour cela que j'ai été désagréable avec lui.
J'ai peut-être dû m'assoupir sur un fauteuil à un moment car j'ai eu une vision. Je dansais furieusement le rock avec une créature gainée de cuir noir. Je dansais tellement bien que tout le monde s'était arrêté pour nous regarder.
Je devenais ensuite le D.J.. La musique était très mauvaise et j'avais pris sa place. Mais tous les disques étaient nuls et je n'ai rien pu faire.
J'ai tiré sur un joint qu'on m'a fait passer à un moment.
Je me suis assis dans le couloir. On m'enjambe. Je regarde mon stylo qui court tout seul sur le papier. Dans ce corridor, il y a un néon de lumière noire qui rend la page du petit carnet ultra-blanche.
Une fille noire (pas saoule, noire de peau) vient me voir et veut me parler. Elle porte de grosses lunettes d'écaille. Elle me dit qu'elle s'en va. Je la regarde et je vois que je lui fais peur à elle aussi. Elle se dépêche de partir.
J'ai une idée : je vais me suicider en tenant mon revolver de la main gauche (je suis droitier) pour faire croire qu'on m'a assassiné. Mais tout de suite c'est trop compliqué : comment éviter les traces de poudre ? Comment enlever ses gants quand on est mort ? etc.
De toute façon, je n'ai pas de revolver et je me vois mal en emprunter un.
Je suis rentré très tard avec mon réservoir d'essence presque vide et (j'étais) paniqué à l'idée de tomber en panne en rase campagne.
Je ne suis pas arrivé à m'endormir et je suis resté comme ça sur le dos, les yeux grands ouverts, de quatre à six heures du matin.
Hier, dimanche, je n'ai fait que lire.
C. ne me parle pas. Elle écoute de la musique au casque. J'ai envie d'apprendre (d'acheter ?) un instrument. Un accordéon chromatique me plairait bien. Je jouerais des airs comme un marin d'Odessa.
Je fais de la cuisine et les enfants aiment ça. J'y trouve grand plaisir.
Vu “Les Tontons Flingueurs” à la télé, en version colorisée.
C. m'a appris que nos voisins sont en train de divorcer. Puis elle a essayé de m'embrasser. Mais j'étais tellement surpris que je n'ai pas réagi.
C'est alors qu'elle est partie pour la semaine.
Ce matin, je me suis levé tard.
J'ai promis aux enfants de les emmener à la piscine. Il fait toujours aussi chaud.

17h00
Il est difficile d'écrire avec de l'eau sur la peau et en plein soleil. Mais j'aime exhiber mon cahier au milieu de cette foule indifférente.
Je regarde les filles en maillot de bain. Elles ne sont vraiment pas terribles ! Mais je dois être en manque car je sens du désir ici et là : une forme spéciale d'un fragment de corps, la courbe d'un sein, comme des photographies en gros plan. On voit beaucoup de choses à la piscine ! Les corps avachis, fatigués, mal entretenus, victimes de la mauvaise nourriture.

19h00
Après la piscine, le plan d'eau, pour manger une glace. La serveuse a un visage de madone fatiguée et timide. Elle est belle. Je m'éloigne pour m'installer à l'ombre dans l'herbe pendant que les enfants jouent gentiment. J'ai presque une petite impression de sérénité et de bonheur. Ce soir finissant d'été est une trêve. Il y a des gens qui font de la gymnastique chinoise là-bas, plus loin.

20h10
On mange des pâtes. Mais que veut dire le “hugh” des Indiens. Je ne sais pas : “bof “ peut-être, ou « bonjour » ?
Coup de fil de Monsieur A. l'homonyme. Il ne comprend rien car il entend mal et n'écoute pas. Qu'importe ; il me conseille d'aller visiter une maison décorée dans un style thaïlandais par un Arabe. C'est proche de chez moi, en face d'une porcherie. Pourquoi pas ? Je n'y comprends rien, mais pourquoi pas ?

21h 00
Les enfants sont couchés. Je me souviens avec plaisir de la serveuse de tout à l'heure. Elle ressemble à Dominique qui était comme elle serveuse et avait également cette mine fatiguée des fins de saison.
Par un enchaînement absurde, je vois la silhouette de la psychiatre que je suis allé consulter à l'hôpital des fous. Elle marchait devant moi avec la grâce de sa robe à fleurs, ondulant ses formes très bon chic bon genre dans cet environnement de corps hébétés et bavants, le long du grand couloir verdâtre. Elle porte des longs cheveux tirés en catogan et des lunettes à monture rouge.
Je suis en manque, je suis un misérable animal humain.
Avant de dormir je relis “Les Chants de la Nuit” de Zarathoustra :
“Il est en moi quelque chose d'inassouvi, d'inassouvissable ; et qui plus haut prétend parler.
(…) Lumière suis. Ah ! que ne suis-je nuit ? »


------------------------------------------------------------

Mardi 9 août

9h30
Ces notes deviennent dangereuses.
Hier, terminé le bouquin sur Rabelais. Pas terrible. J'ai la manie de lire plusieurs livres en même temps. Commencer un livre n'est rien. Terminer un ouvrage, c'est terminer un cycle. C'est un acte important. Ce ne sont pas tous les livres qui se laissent lire jusqu'au bout. Je chante à tue tête en faisant la vaisselle.
(…)
Un Chinois est sorti de l'ombre
Un Chinois a regardé Londres
Sa casquette était de marine
Ornée d'une ancre coraline
Devant la porte de Charly
À Penny Fields, j'lui ai souri,
Dans le silence de la nuit
En chuchotant je lui ai dit :

Je voudrais, je voudrais, je n'sais trop quoi
Je voudrais ne plus entendre ma voix
J'ai peur, j'ai peur de toi j'ai peur de moi

(…)
J'enchaîne…
Le printemps vient,
debout Chrétien.
La neige fond,
sur tous les morts,
et ceux qui se traînent encore,
repartent en guerre…

Puis :
Si je n'étais pas devenu, tellement lâche,
à force d'avoir sans relâche,
frôlé mon corps à ton sein nu,
je te tuerais comme une chienne,
gueuse qui m'a perfidement,
trompé pour un nouvel amant,
sans même qu'un remords te vienne.

Et hop :
Mon oncle à tout repeint, tout repeint, tout repeint… .
Puis :
Monsieur William, vous manquez de tenue : qu'alliez-vous faire, dans la cinquième avenue ?
On va aller pique-niquer au plan d'eau : tiens, tiens, au plan d'eau !

13h 00
Nous sommes au plan d'eau. Je surveille les enfants avec leurs brassards.
J'écris avec un stylo noir dont la trace me fascine, plus que le bleu que j'utilisais jusqu'ici. Il y a peu de monde à la plage. Le Ventilo (c'est le nom du bar) est comme un tableau de David Hockney, la serveuse reste immobile à l'ombre, puis elle s'en va. Les enfants se sont fait des copains. Je plonge un coup dans l'eau, un coup dans Le Camp Domino. Qui lit ça à part moi de nos jours ?
J'ai mon cahier aussi. Il se révèle être un objet complexe, libérateur et captivant.
Je suis dans la banalité d'un soleil de midi, aujourd'hui, et la réalité est plus réelle que d'habitude. Je relis ce que j'ai écrit hier et je ne me comprends plus. Mais je trouvais plus amusant d'écrire hier qu'aujourd'hui. J'étais dans le désir, je suis dans le doute.
La banalité, c'est une sorte de mort. Mais le trouble qui s'empare de moi de plus en plus souvent est une souffrance telle !
Comment me mettre en état de médium sur cette plage ?
Reluquer les slips et les nichons ? Comment dire ? C'est un acte primaire et fourbe. Ce qui serait fou, c'est de le faire ouvertement. Se conduire comme un chien joyeux qui remue la queue.
Une phrase traverse le ciel comme un petit nuage noir de mauvais goût : c'était un homme qui avait pour passion d'aller renifler les selles de vélos de femmes dans les garages d'usines… Le fond de la désespérance.
On passe la journée à la plage. Je pose le stylo, je le reprends, je change la cartouche d'encre, etc., j'écris par petits bouts.
On va manger un bout au Ventilo. La serveuse n'est toujours pas revenue. Le patron, short blanc et maillot à larges bandes alternées vertes et blanches, me questionne. Il a une classe d'un genre un peu british. Il se demande sans oser me le demander ce que j'écris. Je sens qu'émane de moi une étrangeté d'être ainsi le seul à couvrir sans cesse des pages d'écriture-. Il me plaît en tout cas de croire que cela fait de moi une sorte de curiosité. Il se renseigne gentiment pour savoir si je suis en vacances, ce que je fais comme boulot, etc.
S'ils savaient tous que je ne fais que tenter de débrouiller l'écheveau emmêlé de mes phantasmes sexuels refoulés ! Je suis un peu réducteur. J'essaie d'écrire tout de même. Non, je me vide.
Je me lève et contemple le cahier au sol. Mystérieuse mécanique. Boîte de Pandore où j'enferme les monstres, espace clos où je me suis donné l'obligation d'être franc, où il est possible d'abandonner la pudeur. Être reporter de ma vie comme d'une guerre. Entrer en se bouchant le nez dans la fosse grouillante de mes sentiments, serpents.
Au-dehors, le soleil et ce petit nuage blanc comme une trace d'innocence sur le front de l'été.
La candeur des enfants. La blancheur des pages qui sont le lieu de tous les possibles, avec la couverture du cahier comme la porte du monde en devenir.
Je lève la tête et présente un visage au front serein, un masque d'innocence et de certitude, celle, en tout cas, de ne pas avoir de comptes à rendre sur ce qui s'écrit là.
Le fond commun de l'humanité se situe en dessous : sous le bronzage pour ces mères de famille qui m'environnent, dans ce cahier pour moi.
Qu'est-ce que je fais de ces jours ? Je suis en vacances ? Je travaille ? J'écris ? Je garde les enfants ? Je change de vie ?
J'ai peur pour l'argent en tout cas. La période est incertaine. Pourtant, au lieu de me contraindre, je me laisse aller à la souffrance. Et c'est bon. En tout cas, c'est bien ce que je veux faire.
Écrire là-dedans, c'est l'occupation la plus improbable possible, et c'est juste ce qui me plaît. Je ne suis pas un type rentable.
Quoique …Qui peut se vanter de produire quoi que ce soit au milieu des baigneurs, des paniers de pique-nique, des tubes de crème solaire, des bouées à cols de cygne surmontés de têtes de canard, des serviettes de bain bigarrées de motifs vulgaires ?
Qui se sent, comme moi, brusquement envahi par la poésie de la banalité, de la magie hyperréaliste du regard ; qui le décrit, qui le vit ?
Qui voit et apprécie cet étalage de peaux nécrosées par la morsure du soleil, de chairs rissolées à l'huile de bronzage gluante ?

17h30
Elle (la serveuse) est revenue. Je la trouve moche. C'est une gamine au corps lourd et sans charme.
Nous-nous sommes rapprochés. Son visage est cependant charmant.
Je fume un cigare puant en terrasse.
Il y a beaucoup de jeunes boutonneux ce soir.
À la table en face de moi, une femme brune, grosse trentaine un peu grasse, avec un maillot de bain très vulgaire, très mauvais genre. Toutefois elle représente une sorte d'icône érotique de type gitane de magazine de rock. Son maillot de bain est formé de couches superposées de lycra fausse peau de chamois, soigneusement déchirées aux endroits stratégiques et assemblées par des lacets noirs et dorés. Ça doit valoir une fortune ce truc-là ! La poitrine est littéralement ficelée comme deux rôtis de porc et elle jaillit à la fois par-dessus et par-dessous les lambeaux d'étoffe qui sont censés la contenir et la masquer. Elle mange une glace, comme tout le monde.
À la table de gauche, il y a du son. Une femme qui parle très fort d'un ton d'évidence désabusée. Elle critique ses proches, ses amis. Je ne la vois pas. Je ne vois qu'un homme à qui elle s'adresse et qui doit être son mari ; un néo baba cool reconverti dans la petite entreprise de commerce (je le vois comme ça). Il a un tatouage sur le bras.
Elle est très, très désagréable sa bonne femme. Peut-être une institutrice car elle a un avis sur le comportement de tous les enfants qui nous environnent. Les psychologues scolaires ne viennent pas à bout de ses enfants à elle. Ce qui la désespère ce sont : « ces incapables ». Elle s'est aussi fait retirer un grain de beauté. Sa fille s'appelle Muriel. Elle monopolise l'espace acoustique.

20h 00
À la radio, on parle de Salt Lake City, des généalogistes, des couloirs à registres. Je pense à la métempsychose. Je songe à « La Chimère », le roman que je ne suis pas en train d'écrire.

20h 45
Je suis fatigué, tendu, nerveux. Tout se stérilise à nouveau et mon énergie se réduit en compote. Je commence à détester cette manie d'écrire en serrant contre moi partout ce petit cahier.
Je me sens ridicule.
Je le cache dans mon pantalon car il est trop gros pour tenir dans mes poches.
Pourtant, j'espère secrètement découvrir la source définitive du génie éternel.
Il y a une petite lumière qui brûle en moi et qui doit bien être quelque chose. Même si jusqu'ici, et à plus forte raison ces temps derniers, tout n'a été que désastre et médiocrité.
Quant à cette serveuse à visage de madone, comment ai-je pu ne pas me voir en satyre émergeant de la boue de mon âme lorsque je suis tombé amoureux d'elle hier ?
Comment ai-je pu être aussi bête ?
Comment, d'autre part, puis-je être aujourd'hui aussi inconstant et rejeter jusqu'à l'image de son doux visage, de son sourire las. Secret inavouable, ici avoué pour y être enterré !
Mes prétentions de philosophe se partagent entre des sujets calamiteux : voir pousser les fleurs de l'intelligence sur le fumier des âmes inquiètes, réinventer la poésie en contemplant le trouble qui se saisit de lui lorsqu'il entrevoit une petite culotte sous la jupe d'une fille qui croise ou décroise les jambes.
Il n'est que fragilité et faiblesse. Il sort de lui-même et marche soudain en rond autour de lui-même. Il veut faire de ses enfants des êtres capables de vivre du côté transparent du miroir, celui où la vie n'est que noblesse et intelligence.
Mais il est de l'autre bord, il le sait bien. Il, il, IL… Qui est-il ?
Je stoppe. Je relis. Ce que je viens d'écrire ne restitue pas du tout ce que je crois avoir écrit. En bref, je ne le comprends pas. Cela exprime des choses que j'aimerais avoir pensées. Étrangement, je ne les ai pas pensées, mais je les ai écrites !
Il est l'heure d'aller se coucher.

22h 00
Je ne dors pas. Je regarde une image où Marlène Dietrich est en plein fou rire car Groucho Marx la scrute avec un regard de séducteur machiste très sûr de lui.
J'ai envie d'écrire une lettre érotique à ma psychiatre. C'est classique, il paraît. Mais je fantasme gravement. J'ai l'impression que cette fille BCBG et très froide est en fait un brasero au charme étrange et insolent. « …J'espère chère Madame ne pas avoir été ambigu et que vous aurez à cœur, en tant que soignante et par plaisir bestial, de calmer le feu de mon hamour, (pardon umour) un peu désabusé. Bien vôtre…

------------------------------------------------------------

< Vous avez déjà posté CECI le 5 novembre.
Le présent texte sera donc déverrouillé demain lundi 8 novembre.
Merci de votre compréhension.
La Modération >

.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  elea Lun 8 Nov 2010 - 23:56

Ca part un peu en tous sens et pourtant s’esquisse un fil conducteur qui tient l’ensemble. Le style, le rythme, nerveux, retranscrivent bien les pensées qui s’éparpillent, l’une amenant à l’autre sans que l’on sache toujours soi-même comment, le tout rattaché à ce personnage dont la psychologie commence à se dessiner.
Je ne sais pas si sur la longueur il n’y a pas un risque d’essoufflement (je parle du mien) il est certes tard et je fatigue un peu mais j’ai dû faire une pause entre les deux journées pour pouvoir finir la lecture.

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Message  Rebecca Mer 10 Nov 2010 - 6:08

Un journal donc où le narrateur tente de saisir tout ce qu'il vit moment après moment : description du décor où il se meut, des personnages qui l'environnent, et des pensées qui le taraudent .
Ce travail et cette folie qui consiste à croire qu'en accumulant ainsi du matériel va surgir quelque étincelle est interessant. Toute la problématique dont je viens de parler à Croisic sur le rapport fiction/ réalité, auteur/narrateur.Ecrire et décrire (le néant de nos existences, le trop plein ?) ou écrire et inventer...Témoignage et/ou fiction ?
Un sujet qui m'intéresse, même si mes idées à ce sujet sont trés floues.
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Message  Sahkti Ven 12 Nov 2010 - 11:25

Je suis plutôt partagée.
Evidemment, avec un cahier, il fallait s'attendre à ce que le JE soit très présent mais ici, je trouve qu'il mange tout de même beaucoup de place. C'est un peu trop pour moi et ça n'amène pas vraiment très loin, car l'ensemble me paraît trop rapidement esquissé. C'est trop travaillé pour ressembler à de la pensée spontanée et pas assez pour imiter une réflexion aboutie. C'est un entre-deux qui ne me convainc pas totalement, même si l'idée de départ me plaît.
Je suivrai malgré tout l'aventure, ça m'intrigue un peu.
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Sahkti Ven 12 Nov 2010 - 11:33

Un peu la même remarque que pour le précédent fragment et pourtant, je trouve que c'est plus abouti ici, plus mûr dans la réflexion menée par le narrateur qui prend le temps de s'interroger, de poser les éléments et de les contempler, même si il ne sais pas (encore) quoi en faire. Du coup, ça atténue pas mal cette hésitation que j'avais ressentie dans le premier morceau. Si j'ajoute à cela un côté assez décousu qui ressemble plutôt bien à l'état de nos pensées quand elles jaillissent de nulle part, ça colle bien.
Il me semble que tu tiens le bout d'un truc potentiellement bon mais sur un long format, je ne sais pas si le procédé du journal ne risque pas de s'essouffler de la sorte. A voir.
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Quand j'étais fou : cahier N°1 – 10 au 12 août

Message  Invité Lun 15 Nov 2010 - 11:18

Quand j'étais fou : cahier N°1 – 10 au 12 août –

Mercredi 10 août

9h00
J'ai bien dormi. Ce matin, je me sens fragile, en équilibre entre la forme et la déprime.
Je ne sais pas ce que je vais faire aujourd'hui. Je sais seulement que je n'ai rien à faire.

9h15
Je pense qu'il faudrait ranger les greniers et les granges, mettre un peu d'ordre dans le capharnaüm qui y règne.
Faire des courses aussi.
Je voudrais tout juguler. Je n'y parviens jamais. Tout pousse trop vite : les orties dans le tas de bois, le lierre sur la façade, les cartons dans le grenier, les ongles, les cheveux, les idées dans la tête.
Et puis il pleut, il fait froid souvent.
En attendant c'est la canicule qui semble irréductible. Selon la météo, des orages se préparent. Et puis la radio distille des guerres, des conflits sociaux, la confusion règne partout. Je ne maîtrise rien.
Et il faudrait en plus que je sois raisonnable, charitable. Ce qui me touche vraiment, c'est que mon gosse se soit fait piquer par une guêpe.
Il y a un spectacle à la mode en ce moment : les massacres.
Tout le monde met sa capote pour sortir. Il n'est plus question que de se protéger. Il faudrait mettre des lunettes noires anti-misère pour regarder la télé.
Je me sens indécent d'être malheureux. Alors que dans les rivières autour de chez moi il n'y a aucun cadavre qui descend, ballonné, au fil de l'eau.

10h12
Au courrier « Urgence » : « nous avons besoin de vous pour gagner la guerre contre l'horreur… ». Me voici mal tout d'un coup. Je ne veux gagner aucune guerre.
Faut-il acheter des indulgences ? Je ne sais pas.
A. me téléphone. Il arrive demain. Il doit faire ci et ça. Il repartira dimanche.
Je suis content.
C. me téléphone. Elle me dit : «Ceux qui n'ont pas réussi sont des génies brisés ». Elle veut me faire mal.

11h45
Le temps se couvre.

13h00
Le vide vient d'envahir l'esprit. Un signe indéniable de confusion mentale, comme d'écrire à l'envers. Il faut se calmer. Il veut écrire quelque chose. Il a oublié. Il renonce Il va faire un somme nauséeux. Il, il, il…
Il doit se concentrer sur le fait de noircir des pages et non d'écrire quelque chose. Ces « quelque chose » sont des leurres, des mirages. Noircir des pages, un point c'est tout. Chaque mot écrit est un mot de gagné.

16h30
J'ai dû m'arrêter sous une pluie battante pour écrire. Trop urgent.
J'ai fait des courses en ville dans une ambiance de kermesse tropicale. L'orage excite les touristes pire que des guêpes. Tohu-bohu de parapluies agressifs, embouteillages. J'ai doublé le Cirque Bouglione qui va s'installer pour trois jours à R.
Une file de camions rouges et jaunes qui roulent lentement pour ne pas bousculer la girafe (j'ai doublé la girafe).
Ce soir, ils vont monter le chapiteau sous la pluie.
Je me suis arrêté sous la pluie battante car il m'a semblé urgent d'écrire ça.
Il y a une affiche du cirque avec ses étoiles et ses lettres western attachée contre un poteau électrique juste à côté de moi : « Nouveau spectacle, visitez la ménagerie. » Urgent.

16h50
Trois kilomètres plus loin, je me suis arrêté de nouveau.
Il pense que le collectionneur, ou la Chimère, ou le fou qui rêve de dominer le monde grâce à sa machine actionnée par un marionnettiste s'appelle Demon Nomed. Il faut bien le noter ça !
Un vertige comme celui des encyclopédistes qui voulaient réunir tous les savoirs de l'humanité dans un seul livre. Lui, c'est la même chose ce Démon : il veut réunir toutes les possibilités, la somme des possibles que lui offre sa vie. La machine (qui reste à dessiner et à construire) les contiendra toutes, et les distribuera avec l'intelligence aveugle qui la caractérisera. Cette clairvoyante stupidité fera du sens. Un mécanisme jubilatoire.
En attendant, j'ai mal au ventre de nervosité.

21h15
Les enfants dorment ; enfin ; ils font semblant ; ils pouffent dans le noir. J'ai invité deux petits copains et pris l'apéro avec leurs parents qui sont venus les conduire. J'ai trop parlé. Les enfants veulent toujours écouter le grand cante flamenco de Manolo Caracol. En entendant ça, les parents avaient l'air consternés et un sourire crispé. Je commence à relire Le Maître et Marguerite . J'avais oublié ce livre. Je l'ai croisé tout à l'heure à la Fnac et je n'ai pas résisté au plaisir de l'acheter. C'est Nicole qui me l'avait fait lire à Paris.
Il songe que ce cahier, c'est comme les cabinets : un endroit où l'on peut s'enfermer à clef et faire et dire des choses sans être vu. Le cabinet précieux, de curiosités molles. Portnoy et son complexe, version deux.

22h10
Vague tentative de regarder la télé : ça ne va pas.
J'ai l'impression de ne rien écrire d'intéressant, et pourtant c'est urgent.
Le principal s'échappe cependant.
Une fois écrit, ce que je pense est bien pâle. Je suis en train de perdre le fil, voilà ce qui s'écoule, se liquéfie. Il y a le cri étrange de chouette hulotte dans le grenier de la maison. Il vient de retentir.
C'est terrible la campagne.
Dès que j'aurai terminé ce cahier, il deviendra un objet mort. Il faudra le détruire.
Je suis lâche, j'ai peur qu'on me lise. Mais si je n'écris rien, même moi j'oublierai que je les ai pensées ces choses qui se mettent sous mes yeux en forme de pattes de mouches.

23 h 02
Je ne parviens pas à m'endormir ; je lis.

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Jeudi 11 août

7 h 30
Cette nuit, j'ai rêvé.

Il avait oublié une valise dans le métro. Il lui fallait attendre sur le quai, avec un groupe de voyageurs, que la rame revienne. Il devait récupérer cette valise, mais également un très joli sac de maroquin pour quelqu'un d'autre.
Sur le quai régnait une ambiance très particulière. Le groupe était réuni pour une circonstance exceptionnelle.
Tout le monde parlait avec tout le monde. Comme un jour d'inondation ou de tremblement de terre.
Puis, il était dans le bureau d'une scierie avec, visibles par la fenêtre, des tas de planches et de grumes en vrac à sécher dans un vaste champ de boue creusé d'ornières profondes. Il téléphonait avec un vieux combiné en bakélite noire à cadran placé beaucoup trop bas.

Je me suis réveillé parce que j'avais soif. Je sens un vague malaise lié à ce rêve. C’est lui ou moi ?

Ce matin, il fait un temps particulier. Brouillard. La campagne est silencieuse.
J'entends peu d'oiseaux, comparé à d'habitude.
Tout semble gorgé d'eau.
La température est tombée, mais subsiste quelque chose de tropical dans l'air.
Les enfants décident de faire un orchestre.

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Vendredi 12 août

1h50
Encore la nuit.
C'est la première fois que je vois une araignée dans sa toile, en plein travail.
Je l'observe un bon moment.
Les enfants sont des lutins : lune et soleil.
A. est arrivé hier. J'ai eu bien d'autres choses à faire qu'écrire.
Il y a des plages de liberté dans la nuit.
En plus j'ai du boulot qui me tombe sur la tête.
A. m'a parlé de sa nièce qui est nymphomane (à 16 ans). Nous étions sur le quai de la gare et c'était nouveau. Je veux dire par là que c'était la première fois que nous étions ensemble sur le quai d'une gare, A. et moi.
Ce qui, avec le phénomène de l'attente du train, provoque des conversations d'une qualité différente.
Donc, elle, sa nièce, se trouve des mecs pour la partouser au camp de Taizé, un truc où se réunissent les jeunes cathos. Et puis elle se défonce.
C'est drôle comme il est lui : il revient sur les lieux de son passé et ce qui l'intéresse, c'est ce qu'il n'avait pas vu à l'époque.
Il me dit ça : « cette petite gare par exemple ».
Car c'était sur le quai avant qu'il ne prenne le train pour se rendre d 'une petite bourgade à l'autre. Il a toujours des emplois du temps surchargés et complexes.
Il revient à sa nièce qui s'est mise à la colle avec le fils d'un milliardaire. Ils se shootent tous les deux à la dure et vivent dans le luxe dans un appartement face aux jardins du Luxembourg à Paris.
Ils ont des tableaux de maître (Soutine, Braque, etc.) chez eux. Seize ans ! La conversation se termine sur une histoire de piano à queue à laquelle je ne pige rien. Le train est là.
Je suis dans l'urgence d'écrire.
C'est comme si cette activité stérile était devenue le moteur de mes désirs. Je me dépêche de le faire car ce week-end, la maison va être pleine de monde et ce sera difficile.
J'ai monté une tente de camping dans le jardin pour que les enfants jouent et j'ai encore dans les narines l'odeur caractéristique de la toile, cette odeur un peu rance qu'elles ont toutes.
Une odeur liée aux vacances, à l'enfance et à l'inconfort honteux de devoir aller en short, encore tout fripé de sommeil, faire la queue aux toilettes puantes avec un rouleau de PQ rose tordu à la main.
C'est aussi l'escalade, les weekends à Freÿr avec Isabelle, ses grandes jambes bronzées, son short en toile de coton vert ajusté, ses petits seins déformés par la corde, les ronds de sueur sous les bras de son tee-shirt ; l'adolescence.
Ils vont arriver. Ma lune, mon soleil, avec leurs bouilles de rêveurs distraits.
Mon soleil qui va bientôt envahir la maison de sa joie communicative.
Il faut que je leur prépare à manger.

13h10
On a mangé du poulet sous le parasol.
On a parlé des poulets qui sont déjà gros et qui peuvent exploser.
Enfin, les enfants voulaient savoir s'il est possible que je mente.
Ils me demandent ça à moi !
Ainsi passent les minutes parfois.
Je conclus en leur répétant ce que m'a expliqué mon ancien voisin, l'inspecteur de police : « Quand tu es dans un commissariat, commence toujours par nier. Ça te laisse le temps de réfléchir et ce n'est pas considéré comme un délit. De plus, c'est à nous de démontrer ta culpabilité.».
Il faut bien apprendre la vie à ses enfants.
C'est quand on entend ce genre de raisonnement chez les professionnels que l'on se demande si les principes éthiques qui gouvernent nos actes de chaque jour ne sont pas autre chose qu'une vaste foutaise.
Mais comment y échapper ?
Ce flic me disait : « Il faut nier même l'évidence ; car l'évidence n'est pas toujours démontrable ». Un philosophe. Non, plutôt une sorte de scientifique.

13h42
Il y a toujours moyen de profiter d'une situation. Il y a aussi toujours moyen de ne pas en profiter. Si l'on est allongé dans l'herbe au soleil du printemps, on a coutume de dire qu'on est « parfaitement bien ».

Hors.

Il y a une mouche qui se pose obstinément sur la main. Il y a un brin d'herbe qui chatouille le lobe de l'oreille ; une petite soif peut-être.
Mais vu d'ici, du stylo de celui qui est parfaitement mal, c'est comme un miroir inversé.

il y a ces petits bonheurs qui agacent le mal : un beau visage croisé dans la rue, une mélodie qui pénètre au fond du cœur par surprise, un brutal apaisement, deux ou trois secondes de vide zen qui se glissent dans la boîte crânienne, silencieuses et paisibles. La radio me fait pleurer.

Il y a du terrorisme verbal là-dedans. On y parle de (la) guerre, des moyens de destruction massive, du tranchant des machettes, des intérêts économiques, du commerce international.

On coupe des bras, des jambes et des têtes, et on envoie des boîtes de sparadrap.

Sujet d'une aimable comédie, dans le style de Molière : L' Altruiste
Un mercenaire, tortionnaire professionnel sans états d'âme, mais vieillissant, doit se reconvertir.
Il fait un bilan de compétences. Après une formation, Il devient spécialiste du soutien psychologique aux victimes ayant subi ou assisté à des violences (torture, viol, meurtre, agression, attentat, incendie, inondation, tremblement de terre, guerre, pillage, accident, etc.) au sein de la Gendarmerie Nationale.
Un brave type au fond. Une comédie, quoi !

14h38
Je suis dans mon bureau qui pue la clope de machin à côté. Mon client est en retard. C'est pourquoi j'écris. Sinon, je serais trop mal.
Si je regarde par la fenêtre, j'ai l'impression que le paysage n'est pas vrai.
J'ai déjeuné avec A. au restaurant hier, invité par Monsieur A.
On a parlé du couvent de la rue Picpus à Paris où sont enterrés tous les guillotinés de la Révolution, de Malraux qui était un fieffé menteur et une sorte de maquereau vivant des femmes et dont les deux fils se sont tués en voiture, et dont, en plus, la fille a été décapitée en tombant sous une rame de métro ; des statues en bronze que l'on a fondues pour en faire des boulets de canon (plus spécifiquement les effigies des libertaires) ; du Musée Gustave Moreau du temps où il fallait sonner pour entrer - et l'on avait toujours l'impression de déranger l'étrange gardien en uniforme qui vous suivait partout de peur de vous voir voler un dessin ; et c'était bien tentant - ; d' Ella Maillart qui est encore en vie à Genève, belle voix rauque à la radio.
On est passés par le Musée de l'Art Brut à Lausanne et la Via Appia à Rome avec ses putes, ses villas étrusques occupées par des squatters, ses tombes romaines taggées, ses champs de spaghetti (blague)…
Monsieur A. débute l'Arabe à 86 ans et tente d'apprendre par cœur le Coran.
Il n'a qu'un regret dans son univers de catholique de droite aux principes bien établis : n'avoir couché qu'avec une seule femme dans sa vie, la sienne, et de ne pas en avoir eu d'enfant.
Il aurait tant voulu coucher avec une négresse !
Nous sommes un peu ses enfants. Il nous paye des restaurants gastronomiques.
Il veut savoir si nous, qui sommes des « libertins », comme il dit, nous avons déjà couché avec une ou des négresses ? Nous évitons soigneusement le sujet.

On a raccompagné Monsieur A. chez lui et l'on s'est promenés.

A., qui est célèbre, semble parfaitement indifférent aux gens qui se retournent sur lui. Pendant la promenade, on l'aborde. Il répond gentiment, prend son temps, s'intéresse. J'attends, planté à côté de lui, comme un con. Il refuse les autographes.

Du coup la conversation roule sur la notoriété et l'on se souvient du jour où nous étions tous les deux avec Gérard de Nerval et Eugène Sue à la Closerie des Lilas. Jean-Jacques Rousseau (antipathique) était venu nous rejoindre et tout le monde buvait des pastis.
J'étais très impressionné.
A. m'avait alors dit : « ce sont des gens comme les autres. Sollers est un vrai con . ». J'avais oublié qu'il y avait Sollers aussi.
C'est drôle avec A. Depuis qu'on se connaît, c'est comme une longue conversation ininterrompue. Elle reprend inéluctablement où on l'avait laissée, même lorsque qu'il y a un an ou deux qu'on ne s'est pas vus.
C'est comme ça, en discutant, qu'on finit toujours par se coucher tard.
Voici mon client, clope au bec.
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Lun 15 Nov 2010 - 16:03

Lu le cahier 1 (enfin, le premier post) et je lirai le second avec attention.

J'aime beaucoup cette écriture presqu'au automatique, ces "tropismes" à ta manière. Le fond va bien avec la forme, et du coup on a envie de savoir où ça mène. J'ai lu ensuite tes premières remarques, il faut avouer qu'un texte comme ça doit être dur à remanier.

Je repasse pour un second commentaire.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  Invité Lun 22 Nov 2010 - 14:14

Quand j'étais fou : cahier N°1 - 13 au 15 août –


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Samedi 13 août

8h30
Hier soir, je suis allé voir le cirque Bouglione.
Ce matin, je suis levé le premier et, dans l’odeur du café qui se fait en glougloutant, je vois par la fenêtre le soleil qui glisse lentement et dissipe la fraîcheur du goudron.
J’aime quand tout le monde dort : ça me rassure, ça m’apaise. J’écris un peu.
De micros phantasmes sexuels m’assaillent comme des guerriers. Mais ils sont si fugaces et impalpables, presque invisibles dans la savane — aussitôt chassés par la lionne culpabilité — que je suis incapable de m’en souvenir une seconde après.

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Dimanche 14 août

9h15
J’ai raccompagné A. au train de Paris.
J’ai subi un choc hier. Je me suis fait insulter à cause d’un carrelage blanc. J’ai joué ensuite avec un livre en braille pour enfant, pour reconnaître les formes. Je ne me souviens pas très bien. Un choc. Je me sens tout mou.

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Lundi 15 août

8h45
Je n’ai pas encore bu le café et je me demande déjà ce que je vais faire avec tous ces livres, ces objets, ces casseroles, ces disques, ces vieilles paires de chaussures ?

14h00
Je suis allé jouer au cerf-volant avec les enfants. Moment magique de transparence matinale. Maintenant c’est le répondeur - détourneur téléphonique qui me cause des ennuis. Plus rien ne sonne jamais. Il y a des messages qui semblent arriver sans sonner : « Tu ne m’as jamais aimée », « Tu me fais une scène devant tout le monde », etc. Et j’écoute mes messages devant tout le monde. « Hello, it’s your Mammy… »
Chaque fois que j’entends un bruit, je sursaute et ferme précipitamment mon cahier. J’ai peur qu’on me surprenne dans cette honteuse occupation qu’est l’écriture. Tout vibre autour de moi. Du café pur coule dans mes veines. Je suis comme paralysé par des ondes nerveuses et de souffrance physique ; les épaules, le ventre, les poignets. Écrire soulage un peu : je me vide comme un abcès. Ça fait un mal de chien.

17h41
Je crois aux vertus simples de la vie. Je suis capable de beaucoup de logique et de discernement. Je vais organiser mon chantier de démolition avec toute la méthode possible. Je vais partir, mais où ? Dès que je décide quelque chose , ça change. Le contexte évolue tellement vite que j’ai du mal à me suivre. Il y a toujours un imprévu qui bouleverse tout. J’ai besoin d’un peu plus de rectitude en ce moment. Et c’est juste le moment où il y en a le moins. Jamais je n’aurais cru qu’un monde aussi biscornu puisse exister !
Je dois sortir, aller faire un tour seul. Je vais chez F. Il est d’une conversation parfaitement creuse. Il est occupé depuis des jours à établir la liste des gens qu’il a connus et qui sont morts. Des listes de noms que je ne connais pas pour la plupart. Mais au milieu, il y a Jean-Edern Hallier. Étrange. Je ne savais pas qu’il le connaissait. En vérité, je ne savais pas non plus qu’il était mort. En fait je ne sais pas vraiment qui est ce Jean-Edern Hallier. Une sorte d’écrivain à scandale, je crois.
F. passe son temps depuis des mois à faire des listes : toutes les filles avec qui il a couché, toutes les dates d’anniversaire de son carnet d’adresses, tout le contenu de son armoire en commençant par l’étagère la plus haute et en allant de gauche à droite, « comme on lirait un livre ». Il se prétend dans une période Perec et appelle son entreprise « tentative d’épuisement de moi-m ».

16h05
Je me suis arrêté au bord de la route pour écrire. Je suis à l’ombre. Toujours aussi mal. Ma tête bourdonne et je veux noircir du papier pour tenter de la vider un peu, pour chasser les mouches. Je ne me sens pas malade, seulement mal. Je veux décrire la Chimère qui me hante : me vider de tout ce qui tourbillonne en moi. Un projet monstrueux. Les notes et les idées se bousculent et la Chimère n’avance que très peu. J’écris mal, mais cela me gêne de moins en moins. Parvenir à mes fins me semble désormais plus important qu’être élégant.
Le Maître et Marguerite de Boulgakov que je suis en train de lire en Folio me regarde ironiquement, posé sur le siège du passager à côté de moi.
Pourquoi écrire si l’on est heureux ? C’est dans « J’ai tué », je crois.
Je me sens perclus de culpabilité, sans toutefois savoir de quoi je suis coupable.
La Chimère, c’est un jeune type (moi ?) qui tombe amoureux d’un vieil homme déjà mort. Cet amour éperdu survient au cours de l’exploration des formidables collections abandonnées dans son appartement par ce vieil homme. On ne sait pas comment il s’appelle le vieil homme. L’appartement vient d’être vendu et les héritiers ont tout laissé sur place : les meubles, les objets, et la magistrale collection de vieux papiers sur des kilomètres d’étagères.
Ce ne sont que des notes, des idées, des coupures de journaux, des registres.
Le tout est soigneusement classé, rangé, répertorié, selon une logique labyrinthique.
On sent derrière tout cela un formidable et gigantesque projet. Mais lequel ?
Le vieil homme à été assassiné par erreur, un tueur à gages s’étant trompé de porte en remplissant un contrat. Grotesque.
Ainsi, tout est resté à l’abandon.
Mais le jeune homme (moi ?) comprends intuitivement que l’ensemble est en fait une mécanique, que tout cela est une sorte de machine en cours d’élaboration. Il se sent actionné comme une marionnette par des fils qui le poussent à poursuivre l’œuvre.
Il sent peser sur lui la volonté externe d’un deus ex machina.
Le jeune homme (moi ?) cherche des explications. Donc il en trouve : trop.

16h45
Ce qui est difficile, c’est de mettre en ordre ce fatras : le thème de son projet rejoint sa réelle difficulté à juguler le débordement du monde sur ce qu’il écrit. Il voudrait tout cadrer, avoir un plan impeccable et rigoureux, des titres de chapitres, une quantification des pages avec le listage implacable des sujets traités, une trame générale simple et offrant des capacités de digression, de rêve…Stop.
Il faut revenir à la quantification, seule technique capable de produire des mots, des lignes ; abandonner toute velléité de maîtriser quoi que ce soit ; accepter l’improbable, le flou, l’inavouable, le stupide…Oui, le stupide avant tout. C’est par peur de paraître stupide que la majorité des gens se retiennent d’écrire ; comme ils se retiennent de faire de la musique par peur des fausses notes !

19h00
Je crois avoir bu un peu trop de vin en solitaire. C’est la fête de la Vierge.
J’entends les rires d’une bande de gamines mal élevées qui gloussent sous ma fenêtre : « le vin sait revêtir les plus sordides bouges de luxes miraculeux ».
Deux vieilles dames arrivent à pied, en robes roses. Témoins de Jéhovah ? Je reste caché à l’intérieur.

3h30 du matin
Insomnie est passée me voir. On a couché ensemble. Et puis, elle s’est mise à crier, elle se fâche tout le temps après moi. Pauvre monde, misérable où je fais tout de travers ! Toutes et tous sont agressifs avec moi pour une raison que je ne capte pas.
Je lis Nietzsche : « …Car foncièrement, on n’aime que ses enfants et son œuvre… Vivre dangereusement ! ... sans luxe ni artifice ». Mes yeux se ferment. Je trais l’angoisse.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Quand j’étais fou : cahier N°1 (fin) - Du 16 au 28 août -

Message  Invité Lun 14 Mar 2011 - 18:52

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Mardi 16 août

11h10
Ce matin, ni bien, ni mal ; juste un sourd malaise. Quelques souvenirs constipés veulent se faire un chemin vers la surface. Je me bouche les oreilles et ouvre grand la bouche. Je préférerais qu’il sortent par là. Mais rien ne vient.

Mercredi 17 août

6h00

Gros orage.
Hier soir j’ai lu un album de Tintin, ce qui un est signe de grande lassitude, de grand besoin de me replonger dans l’univers de l’enfance.
Au réveil, il pleut des hallebardes.
Je devine les premières lueurs de l’aube à travers les persiennes. Je vois la lune dans son premier quartier par une déchirure des nuages.
Les roulements de tonnerre n’en finissent plus de rebondir sur le paysage. La pluie fouette la fenêtre.
Je regarde la reproduction d’Auguste Macke. C’est un Maroc qui ressemble à Bétheny. L’image danse : cette végétation à droite représente le profil de Voltaire (vieux avec un bandeau dans les cheveux), puis un visage de femme triste…
Je cligne des yeux et c’est le retour d’un arbre, une silhouette, la vraie image, ce Maroc ordinaire, cactus flous et lumière transparente, abstrait et réaliste à la fois.
J’ai envie de me lever pour faire de la photographie.
Tout de suite des projets vaguement grandioses me traversent l’esprit. Agrandissement géants, rétrospective de mon œuvre au Centre Georges Pompidou, et du coup c’est vite fatiguant : je ferais mieux de me rendormir.
Mais je veux aussi faire un livre, avec des photos ordinaires, prise presque au hasard et commentées : le contexte, ce qui est hors cadre et dont je me souviens, des milliers d’images, des milliards de lignes. Mais ça aussi c’est fatiguant .
Toutefois, je me sens dans un état d’esprit « art » ce matin. Le doute rôde, évidemment, mais pas trop près. Je parviens à préserver une petite bulle d’art autour de moi, une petite zone sans vulgarité, avec de la confiance en moi, des idées classieuses ; c’est comme ça que je voudrais être. Tout est imprégné d’une fantaisie sérieuse. Lumière grise, café qui passe, famille qui dort. Rond jaune et chaleureux de la lampe de chevet, idées qui coulent paresseusement, voluptueusement, gratuitement, luxueusement…

7h20
Me voici rattrapé par la haine, la terreur, la méchanceté. Je ne sais quel réel m’a mis un coup de poing dans l’estomac en traître. Son corps entier tremble. Il est abasourdi, malade à vomir. Il va à l’atelier pour poser quelques vis, furieusement. Il se méfie encore de lui : il pourrait se blesser. La lumière du monde est là, proche. Il n’a pas perdu encore totalement le contact. Il fait attention de ne pas se blesser. C’est le principal dans ce petit instant.

13h20
L’orage fait toujours rage : une sorte de tempête. Le chien à peur. Que vais-je faire, bon sang, que vais-je faire ?
Je mange du requin en regardant Woodstock à la télé. Les enfants adorent ça. Moi ça me répugne légèrement : ce sang de viande qui coule du poisson, cette idéologie baba cool qui côtoie l’abîme et qui aime ça.
Il pleut toujours.
Dans Le Camps Domino, je lis « lubricité secrète », celle qui pousse les militaires à aller voir le putes. Il se sent plein de « lubricité secrète ». B est partie pour les USA tout à l’heure. On ne la reverra pas avant un an. C’est comme un arrêt de mort. Quelle triste fête !

Jeudi 18 août

4h00
B est partie pour les USA à l’instant. On ne la reverra pas avant un an. C’est comme un arrêt de mort. Quelle triste fête !

8h45
Il fait un soleil radieux. Tout est limpide et transparent, comme toujours après la pluie.
Ah ! Il ne faut pas siffloter, ça l’énerve, il ne faut pas mordiller sa serviette à table, ça lui donne envie de vomir, il ne faut pas mettre de classique le matin, ça la rendort, il ne faut pas se toucher le nez, se ronger les ongles, s’arracher les sourcils, ça l’horripile.

10h50
Je stoppe sur un parking. J’ai besoin de penser.

11h10
Je suis sur un autre parking. J’écoute la radio.
Est-il un « raté » ou bien un « réussi » ?
Toute sa vie se sont enchaînés les cycles : rêve, mise en œuvre, réalisation, aventure, échec. La plupart de ses projets ne dépassent même pas le stade du rêve. Écrire en dormant, construire une réplique exacte d’un navire avec pour seul outil un Opinel, dormir sans trêve pendant un mois… des projets. Gestations longues, avortements, fausses couches. Mort, renaissance, comme un phénix, une flamme qui ressuscite dans une spirale. Il lui revient qu’il possède une personnalité de bourreau, pas de victime. Ça le rassure.

17h00
Il y a un jeune aveugle maigre et pas très grand qui attend le bus devant la grande librairie. Il est posé comme en danger, très près du trottoir, la tête baissée, la canne blanche longue et tordue. Quand il relève son visage vers la lumière, il a le masque grimaçant de ceux qui ne savent pas juger l’effet que fait l’expression de leur visage sur les autres.
Il le regarde et se sent le regard riche et étrange. Du côté de l’art à nouveau.

17h25
Son expo photos va-t-être géniale. Il le sait. Son client est d’ailleurs bien de cet avis. Il faudrait peut-être ajouter une pointe de discours théorique, faire un beau dossier en couleur.
Et puis merde, ça ira bien comme ça. Un gros album de famille sans explications. Photos ratées, photos trouvées, photos jetées, photos volées, instants perdus, hasards de la vraie vie, vrais gens. Ces photos ordinaires sont inimaginables. Elles explosent littéralement de vie. Il aime surtout le petit chien blanc sur le napperon de dentelle, posé sur un canapé.

Minuit
Il collectionne les photographies anonymes. Il n’arrive presque jamais qu’en fouillant dans une boite de photographie, il n’y ai pas un coup de cœur. Il classe, note. Il connaît chaque image par cœur.

Vendredi 19 août

13h45
Il est son propre ennemi. Il le sait. Il attends l’heure du rendez-vous avec la trouille au ventre. Le parking est presque vide.

14h34
La galériste est une drôle de fille. Avec sa robe de gaze presque transparente elle rit comme une vendeuse de chaussures de luxe. Il a bafouillé en parlant de son projet. Elle disait « vos créations ». Il était mal à l’aise.
Il pense s’être rendu ridicule.
Elle n’a pas dit oui, ce qui revient à dire non.
Il a envie d’y retourner pour lui dire : « Je sais, je ne vous ai pas écoutée. Vos idées sur la création sont certainement très intéressantes. Mais il ne faut pas m’en vouloir de n’y avoir rien compris car je n’y ai pas prêté attention. Voudriez-vous exposer à nouveau votre idée ? Cette fois je serai sage et réceptif, je le promets ». Si elle refuse de le recevoir, il est capable de l’étrangler car il est très en colère. Il vaut mieux qu’il se tienne tranquille.
Il sait (moi ?) que la brute dans l’homme est détestée par la femme.
La Chimère est là. Elle est perchée au bord de la route, sur un poteau de clôture. Elle rit.
Il contemple l’enfer. La Chimère écarte les cuisses. Je jouis de l’écrire. Je suis fasciné.
Il faut que j’en parle, c’est nécessaire. Mais je suis trop loin. Trop aérien et trop léger.
Il a écrit quinze pages d’un seul coup. Je les retire. Il me reste ce pouvoir : celui de retrancher de la matière .

18h02
Cette Chimère qui rôde un peu partout, ça me fait peur et ça me plait.

18h30
Je suis avec les enfants. Mes tensions s’estompent. Le ciel bleu est parsemé de séries de petites nuageosités blanches, disposées bien en ligne au-dessus de nos têtes. On a vu un lapin féroce. J’ai mis un blues luxueux (Billie Holliday) en fond sonore. Le monde rentre alors en harmonie. Demain, je rangerai tout.

22h15
Je dessine un peu. Est-il plus agréable de regarder un dessin ou de dessiner ? C’est la question que je me pose en dessinant.
Je n’ai pas vu mes chats ce soir. Très vague inquiétude.

23h54
Est-ce créatif de s’imaginer la Chimère les cuisses ouvertes ?

Samedi 20 août

8h10
Les enfants jouent sur le plancher blanc. Il fait un temps superbe. Le soleil inonde le jardin. Je suis un artiste : à bas la vie grise !

9h00
Me voici cloué dans mon fauteuil. Tout allait si bien il y a quelques minutes pourtant.
J’ai pensé à l’argent, au fric. Et me voilà plombé. Si je reste immobile, je sens encore planer la magie de l’instant. Mais la moindre velléité me fauche et je retombe.
D’ailleurs, c’est le mois d’août, et de surcroît le week-end. Deux obligations de paresse superposées.

10h10
Les enfants s’ennuient, moi aussi. Que faut-il faire ? Je vais faire un couscous. Ensuite on ira faire la visite de la maison magique en face de la porcherie.

21h35
C’est la plaine lune ce soir. Cela me donne envie d’écrire autrement.Je voudrais parler de mes croyances au lieu de toujours raisonner.
Je crois a la métempsychose. Je crois que la lune veille dans son cycle implacable comme la lanterne sourde qui sert à nous rappeler à l’ordre, à nous dire que le monde des rêves existe et que dans ce monde là au moins, nous sommes libre de nous aimer, de tuer nos monstres.
Ce point jaune qui nous domine, je le regarde comme un enfant.
Satellite de la terre, foutaise ; Déesse de l’Amour. Elle me parle alors avec des tourbillonnements dans les nuages : « Cesse d’être stupide » me dit-elle, « crois à la métempsychose ».
Ce genre de chose donne à réfléchir, même Jeanne d’Arc s’y est laissée prendre.
Il sait que toute mort, tout deuil, sont suivis d’une résurrection. Il croit que le Phoénix qui brûle renaît toujours plus beau.
Ce soir, la lune le guide. Il a envie de jeter au loin ces misérables haines ; ces auto flagellations.
Il veut écrire pour avouer son amour, sa détresse. Non pour sauver le monde. Non, pour se sauver lui-même, égoïstement. Il a besoin, il a envie de dire. Des choses qu’il croit vraies, encore qu’il sait qu’elles sont fausses. Et alors ?
N’est-ce pas la permission qu’’il est tenu de s’offrir dans l’écriture ? Il se fait peur, enivré par cette liberté vertigineuse. Il a peur. Il tremble. Il ne comprend plus. Il est un animal stupide aveugle, voué à la souffrance sans but.
Il pense à ces autres qui sont vrais, au risque de se tromper si jamais ils n’existent pas. Il ne veut voir d’eux que ce qui rattache à la lune. Il doit a cette lune qu’il aime tant (ce soir lyrique parmi les autres) d’avoir été renversé à grands coups de poings dans le ventre, mis à terre par les coups de la lune, atterré. Une petite mort. Demain, il le sait ce soir parmi tant d’autres, une prochaine résurrection. Ces autres avec il partage cette condition d’animal, d’être humain pourquoi pas. Il est sous emprise de ses lunaires et bavardes rêveries. Un crédo descent du ciel : une image rose. C’est la constance destructive qu’il a développé parfois. Transfigurée en enlisement douceâtre. Sables mouvants. Il doit se sortir de là seul. Il a commis trop d’erreurs. Il a perdu confiance. Ses visions sont des anges étrangers. Quand bien m^me on lui tiendrait la main, il entraînerait qui voudrait l’aider. Il ne doit plus rien tenter. Il veut subir. Seule tâche encore indispensable : conserver un respect pour lui m^me. Mais ne pas y penser sous peine de sentir le maelström infernal du doute s’ouvrir sur la route car c’est une cause déjà presque perdue. Heureusement il y a cette magnifique santé physique qui tient le coup. Il pense à ça et sent la peur de se dissoudre dans l’éther grandir. Il se raccroche à la lune. Il n’ose se dire qu’il n’arrive rien à s’avouer. Il a peur de se répandre, de couler, de partir à l’égout.
Soudain, il est un tout petit renard. Il est affamé. Il est au fond de son trou. Il ne sait plus écrire.
Je suis paresseux, veule et prétentieux. Toujours verbeux. Trop agressif. Psychotique. Incroyant et incrédule. C’est trop tard. Je suis relâché, accablé, dispersé, démotivé. Je dois reprendre la molle route vers la Chimère qui va me dévorer. Elle seule peut réveiller en moi le mâle socialisé, tuer le renard.
Il faut aller en pénitence et se préparer pour toutes les cérémonies rituelles à venir. Faire retraite.
Il doit redevenir un combattant féroce. Un ennemi respectable. Il est au bout de sa diatribe. La réalité déplorable est de nouveau autour de lui. La lune est cachée par le nuage.

23h25
A présent « j’hypothèse ». Je suis un peu sous emprise de l’alcool. Il se sent écrivain favorable. Il doit écrire à l’autre. La psy qui déclenche des phantasmes.
Chère Madame.
Je crois m’être trompé d’adresse en vous téléphonant. Nous devons nous voir bientôt. Un « rendez-vous » comme disent les britanniques. Je me demande si je vais venir. J’effectue sur vous un transfert érotique. Je pense à vous chaque jour. Dois-je vous décrire la chose en détail ? Est-ce symptomatique de mon état de perdition ? Vous êtes très jeune et très jolie. Pour des consultations gratuites, je ne pensais pas avoir autant de chance. Une vierge dans un paysage dévasté. Je vous imagine. Dois-je vraiment vous décrire la chose en détail ? Vous êtes le seule femme depuis longtemps qui ait accepté de me donner un rendez-vous. C’est pour moi d’une importance gigantesque. J’ai d’abord cru que la transparence de votre robe était d’ordre phénoménologique. Et puis vous avez exprimé ces avis sur la création. J’ai découvert que vous deviez, en plus d’être cette machine à fabriquer des images érotiques, une personne sujette à l’émotion. Révélation déstabilisante ! Il faut donc vous séduire ? Vous séduire pour vous avoir je veux dire. En fait, dans ma solitude, non. Je fais ce que je veux chez moi. Pourvu que ça ne dérange pas les voisins. Lorsque je suis face à vous dans le bureau, j’examine chaque signe et chaque instant de manière obsessionnelle, comme une caméra. Je suis la caméra, entendons nous bien. Vous êtes mon actrice. Je vous dirige. Tout en finesse. C’est du Bergman. Je joue-mon-va-tout-trop-vite. Aie ! Je m’embrouille. Je viens vous voir et le temps passe sans que je vois autre chose que moi-même vous regardant. Vous êtes brume en contrejour sur les rideaux, slip ondoyant sous la finesse de la robe sur les carrelage froid du couloir, cheveux en sagesse noués en catogan pendant en soubresauts suggestifs sur la couture centrale de votre dos. Pourquoi votre visage m’est-il si indifférent. Sauf vos lunettes de bonne élève, étranges, décalées. Je crois que je ne viendrai pas la prochaine fois. C’est donc une lettre de rupture. Mais vous ne la recevrez jamais. Vous ne saurez donc jamais la suite de mon devenir. Bien fait pour vous. Que vais-je devenir moi ? Vous savez, le mari de la patiente du Docteur Aimeles qui vous a été adressé au titre de l’aide médicale gratuite.
Il ne sait pas où aller . Il est perdu.

0h05
La journée est passée. Convient-il d’exposer tout ceci à tous les vents ?

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Dimanche 21 août.

0h06
Je risque de passer pour un fou !

0h15
Quel lâche !

0h 25
Après diverses tâches indispensables et hygiéniques, je me couche. J’entends mon sang qui bat dans mes tympans pendant que je vis, toute la journée. Je l’entends comme un frottement incessant. Il faudrait que j’accorde ça comme un violon.
Ça grince. Je m’endors quand même.

9h45
Réveil tardif. Les enfants sont en bas devant la télé. Réveillés avant moi. Mes parents viennent manger. Je dois passer un coup de balai. Je ne balaye que quand mes parents viennent manger. Avant, je comptais sur ma mère. Mais depuis que j’ai des enfants, j’ai changé. Je balaye avant qu’elle arrive. La journée commence plombée avec des conneries pareilles. Je balaie et je repense à ma lettre d’hier soir. Ça me fiche la trouille. Il fait encore très beau aujourd’hui.
J’écoute la campagne en buvant un café. Elle murmure. Très peu d’oiseaux ce matin, et lointains. Pas encore de criquets. Une mouche et une abeille de temps à autre. Dans le lointain, un souffle incessant fait d’un vague ronronnement, mélange de bruits, voitures, avions, trains, tracteurs, machines à traire. Un matelas sonore presque imperceptible qui est comme un acouphène sifflé par la nature.

11h30
Les enfants jouent au cirque sur l’herbe dehors. Je suis un spectateur perdu dans une foule de peluches turbulentes. C’est Sandro Bouglione. Il y a l’hippopotame, un fouet pour les lions, des chevaux qui font des bonds de kangourou. Un truc à la Calder.
« Citi Movements » de Marsalis. Dans cette ruralité, c’est presque surréaliste.

14h30
Commencé une nouvelle qui s’appelle « Les Pieds ». Un type qui doit fuir son pays car il fait partie d’une population chassée par une autre. Il s’enfuit a pieds après avoir appris le massacre de toute sa famille, femme et enfants.
Il n’a même pas eu le temps de passer chez lui se changer. Il est en tenue de ville. Costume et souliers noirs. Il se cache le jour et marche la nuit.
Très vite, ses pieds le font affreusement souffrir. Ils saignent, suent, se transforment en champignonnière. Son deuil se fait par ce biais. Les pieds prennent toute la place dans ses préoccupations.
J’ai idée de faire une série : la bouche, histoire d’un bavard, les doigts, avec l’histoire d’un bricoleur, les genoux avec un enfant couronné, etc.
Mes parents sont là. Stop.
Ils ne doivent rien soupçonner de tout cela.

18h20
Viens de terminer « Les Pieds »… huit grosses pages dactylographiées. Je crois à l’histoire mais je n’aime pas le style : c’est mauvais.
Les enfants sont partis avec mes parents. Je suis à nouveau seul.
Mes parents voulaient m’emmener manger quelque part. je n’ai pas voulu.
Mes parents s’engueulent machinalement et ils me fatiguent trop.

20h30
Tiens, je vais écrire à Nanni Moretti. Va-t-il tourner bientôt un film cochon ? Pourquoi les films cochons sont-ils toujours mauvais ? Qui sera le génie du film cochon ?
Il doit savoir pourquoi il ne tourne pas de film cochon lui !
Il est dans un état tout à fait particulier. Il boit donc du jus de raisin. Il chantonne « Famille nombreuse, famille heureuse, Ah quel bonheur, d’avoir des frères et sœurs »
Arthur, bon chien, est couché par terre. Il a voulu lui donner sa gamelle, puis il a oublié parce qu’il est allé à la cave pour le charbon mais en revenant il a porté les poubelles au bord de la route, et puis Arthur, bon chien, est resté couché sur le carrelage blanc sans rien dire.
Tiens, je vais écrire à Philou. Pour avoir l’adresse de Nanni Moretti. Mais il a oublié ce qu’il avait l’intention de dire.
Il veut écraser tout le monde avec des théories triomphantes. Mais lesquelles ? Les gens sont gentils, mais pas complètement idiots quand même. Il doit absolument profiter de cette capacité toute neuve de couvrir des pages et des pages avec cette petite trace bleue de bille. Il est sourd parce qu’il n’écoute pas, Papa.
Il sent sa crise de la quarantaine virer à la crise d’adolescence. Il se sent isolé au centre de tous ces gens.
Il veut écrire des lettres au monde entier.
Il a peur d’être moqué.
Un orage épouvantablement violent vient de se déclarer. Je suis perdu à nouveau.

22h05
Quand on écrit mal, il ne sert à rien de vouloir corriger. Il est impossible de se mettre à écrire bien simplement parce que l’on a conscience d’écrire mal : c’est un problème insoluble. J’écris bien quand je ne me relis pas. Il faut donc avancer, coûte que coûte. Sans se préoccuper du résultat. Je suis entouré de gens qui écrivent trop bien. Ça ne m’aide pas.

22h30
Je regarde le tableau « L’étudiant en Astrophysique » qui est à côté de la cheminée. Puis « Le Rameur » qui est sur le mur d’en face. Je les connais les gens qui ont peint ça. Deux tableax. Deux regards sur le monde qui se regardent. Qui me regardent et ça ne me regarde pas. Le rameur qui est posé dans une immensité d’eau démontée, l’étudiant qui est immergé dans la grisaille d’un grande rue, dans une grande cité.
Il faut que j’aille voir mon comptable. Ah ! non, pas ici et maintenant. Trêve, trêve !

10h50
L’orage est passé. Pas de pluie. Seulement de grands vents. Je suis allé chercher mes Gitanes sans filtre dans la voiture. Au lointain, du côté de la ville, un feu d’artifice d’éclairs silencieux s’est déchaîné. Certains durent plus de deux ou trois secondes en clignotant comme un néon qui s’allume. D’autres sont rouges. Par dessus, des éclairs de chaleurs se succèdent de façon presque ininterrompue. Cela éclaire des masses compactes de nuages gris très hautes et des silhouettes de montagnes. Le silence est impressionnant.

23h20
Madame Claude 2 à la télé. Elle dit à son psychiatre : « Il m’a prise dans un ascenseur. Il m’a pénétrée doucement, délicatement, profondément. Comme le fait actuellement votre regard doux, délicat et profond ». Le psy soupire en jetant des regards dérobés sur la culotte blanche qui clignote entre ses cuisses gainées de soie rose. Bernard Fresson joue le Président de la République. Il toussote sans cesse et semble mal à son aise. Son bureau ressemble à celui d’un agent d’affaire dans un cabinet immobilier, avec au mur une tapisserie genre copie de Gobelin pour remplacer les Ors de la République. Il téléphone à type qui lui dit : « Il serait maladroit de décevoir le Consortium, Monsieur Barton ». Je n’y comprends rien, mais ça m’amuse presque autant qu’un Strascky & Hutch.

23h58
Seul dans mon lit. Dehors, tout s’est calmé. La nuit est sombre à présent. Nuit d’ennui. Il y a très loin un long roulement étouffé et ininterrompu, souvenir du tonnerre. Pas d’enfants à embrasser ce soir. La nuit va être longue.

Lundi 22 août.

0h30
Que penser de ces amis que j’ai et qui ont organisé leurs vies de façons étranges ? : l’homme à la guitare grise, le facteur économe et alcoolique, le hibou solitaire et gentil, le garçon qui a une bite dans la tête et une grosse moto (il travaille à l’usine), le petit pédé si prisé par les magasins de fringues pour vendre des tee-shirts, le vieux cowboy bidon qui conduit les bateaux de touristes. Tous dans un système économique divergeant. Avec de solides arguments idéologiques. Fous ? pas fous ?
Dormir.

9h00
J’avais mis mon réveil à huit heures. Mais j’avais oublié d’enclencher la sonnerie. Je suis connecté sur France Inter, pas rasé, pas lavé, pas encafeïné, bougon vis à vis de moi même. On annonce la canicule. Vergès accuse Mitterand d’être un assassin.
On parle de pouvoir, d’amour, d’argent. Des bribes d’infos me frêle le front comme des éclats d’obus sifflant dans les tranchées. Je reste immobile et rien ne peut m’atteindre. Je dois aller quelque par et je ne parviens pas à me souvenir où. Je dois avoir noté ça quelque part. J’ai trop de choses à faire pour me décider a entamer ma journée. Je reste immobile au milieu des éclats de radio qui voltigent ici et là dangereusement autour de moi. Je suis dans une merde épouvantable. Le café qui coule dans mes veines éveille la conscience de cette déplorable épouvante. Je tremble de tout mon corps. Je suis anéanti. C’est le désordre.

20h10
Toute la journée sans écrire, pour me consacrer à ce qui reste de mes affaires. Tenter de rassembler les choses pour juguler la peur. Faire au moins semblant d’avoir un plan. TVA, bilan, relevés de banque, formulaires… Incroyable comme ces choses là peuvent faire du bien à l’âme quand on parvient à en venir à bout.
Mangé avec mes parents chez XZ22, au bord de l’eau dans sa villa restaurant. Il est en divorce et prône avec assurance des théories séduisantes concernant les droits masculins. C’est un militant que sa femme est en train de dévorer. Mais il est bien relax dans son fauteuil qui domine la magnifique terrasse de sa villa restaurant. Il se lance en politique aussi. En rentrant, j’ai fais des comptes. C’est compliqué et inutile.
Je réalise seulement que je gagne beaucoup plus que ce que l’on veut me faire croire. Où va l’argent qui manque ? Car il en manque beaucoup. Il y a une fuite.

22h05
Mélo à la télé. J’ai raté le début. J’ai raccroché et c’est superbe . Je l’avais déjà vu mais je ne m’en souvenais pas. M’en souviendrai-je la prochaine fois ? Je suis ému. Il l’aime, elle l’empoisonne et le rate. Puis elle se suicide. Tout à l’heure « La Voce della Lune ». Je me sens peu sincère ce soir, plutôt calculateur et duplice. John Lee Hooker est sur Arte . Je ne parviens pas à l’éteindre. A m ‘a appelé pour prendre de mes nouvelles. Il a embauché une asiate comme domestique. Elle a toujours fini son travail et ne donne jamais l’impression de l’avoir commencé. Mais tout est toujours fait. Il pense à moi. Il y a des noirs qui dansent sur l’écran, tellement fort, tellement bien. Ces gamines qui dansent le boogie-woogie. Incroyable ! Jonh Lee Hooker dit : « j’étais d’accord. C’était trop bien payé ». Des moustiques me bouffent et je bouffe mes pâtes froides. Je me gratte. Je n’essaye pas de les écraser. Je suis fasciné par JLH qui passe à travers les modes sans jamais se départir de sa superbe indifférence. Le skaï du canapé rouge me colle un peu aux cuisses. Il se fait arnaquer, gagne de l’argent, devient une star internationale, sombre dans l’oubli, est repêché par de jeunes musiciens devenus célèbres, et il semble s’en foutre royalement. Il joue et chante imperturbablement, sans se préoccuper de quoi que ce soit, sans dire non à rien, sans changer, jamais. Ce doit être une sorte de chaman.

22h20
Les larmes me montent aux yeux. Je pleure. Cela m’arrive souvent depuis quelques temps lorsque je regarde la télé seul. Je ne parviens pas à m’en empêcher. Je suis plus seul et malheureux lorsque je regarde la télé que partout ailleurs.

0h28
Je me disperse, je me dissous. Je souffre. Je me réveille sur ce canapé et devant « La Voce delle Luna ». J’ai presque froid et je suis en nage. Rien ne m’intéresse. Me revoici dans le monde niai. Sans avoir rien bu je suis ivre. Je descendrai dans la cuisine sans allumer la lumière pour ne pas attirer les moustiques. J’ouvrirai la fenêtre sur la nuit qui s’étoile en écoutant les grillons. Puis je m’endormirai.

0h43
C’est maintenant que j’ai besoin de quelque chose, de quelqu’un : qu’on m’aide à raccommoder mes morceaux. Tendresse. Je voudrais, je voudrais… me lever avec le jour et me coucher avec la nuit. Faire des siestes l’après midi. Je suis mal. Je ne souffre pas ; c’est pire. Mes nerfs me torturent, la fatigue ? La rage ?

Mardi 23 août

8h23
J’ai encore raté mon coup. Mon réveil n’a pas sonné. Il fait un temps étrange. Du vent, un soleil entrecoupé de nuages gris. Il semble faire frais. La lumière est fine et l’ambiance est tendre, loin des lourdeurs de plomb de la canicule. Comme un gant d’eau fraîche posé sur mon visage. L’automne s’approche à pas de loup.

9h00
JP doit venir tout à l’heure. Au téléphone je lui ai dit : « j’écris Palude ». Il a eu un rire nerveux de malaise. Il n’a pas compris. Moi non plus ; mais c’est « pourquoi » je lui ai dit ça que je n’ai pas compris. Je ne suis pas content de moi. C’est comme si je l’avais insulté, un peu, sournoisement. Pudeur de dire. Peur de mal dire. J’écoute Mingus at UM avec Horace Parlan au piano. Arthur dort dans sa niche. Je pense à la Chimère. Il y a aussi le DEM (Deus ex Machina), le Monsieur qui se fait assassiner par erreur. C’est quoi écrire ? Je me trouve bien dans cette cuisine.

10h20
Je suis libre aujourd’hui. Il y a un lecteur invisible qui se penche vers le vide insondable de ce que j’écris, qui plonge au fond de moi. Il y a des algues au fond de moi.

10h43
Un grand vent qui se lève en rafales. Baudelaire. Je lis Baudelaire, quelle idée ! Je viens de tenter de photographier le vent en vain. Je voudrai capter le vent, mais aussi la musique, la lumière, les odeurs, les caresses de la vie…la photographie n’est pas apte à cela. C’est un art surréaliste par exellence. Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse ? …à la paupière creuse ? Ma femme et morte, je suis heureux.

Le Vin de l’Assassin (Baudelaire)
Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu’un roi je suis heureux ;
L’air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j’en devins amoureux !

L’horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s’assouvir
D’autant de vin qu’en peut tenir
Son tombeau ; — ce n’est pas peu dire :

Je l’ai jetée au fond d’un puits,
Et j’ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
— Je l’oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,

J’implorai d’elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! — folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l’aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul ?

Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l’été ni l’hiver,
N’a connu l’amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d’alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d’ossements !

— Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien

Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m’en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !

11h20
JP m’a-t-il oublié ? J’ai la trouille. Je déteste attendre. Sois sage oh ma douleur. Odeur du poulet à l’estragon que je prépare.

17h30
Oh là là ! Ça va mal. JP est venu et ne m’a pas fait de bien. Péroraison, vantardise. J’ai voulu me mettre en avant. J’ai bu trop de rouge. Il est partit et me voici de nouveau isolé comme un chien. J’aurai dû garder les enfants avec moi. Quel travail ! La mort rôde. Je ne me sens plus chez moi. J’ai envie de vomir. Je me sens pauvre. Je vais pleurer. J’ai assommé JP. Que faire ce soir ? Où aller ? Il fait lourd. Le fond du ciel résonne à nouveau de coups de gong sourds et roulants comme le bruit d’un avion. Plus de ressources. Il faut bouger. Je pleure sur ma misère, comme un enfant contrarié, à grosses larmes. Si seulement je pouvais avoir un rêve érotique, comme une épreuve initiatique, comme une aventure. Une abeille.
18h58
Crise. Pourquoi ne savons nous pas vivre ? Je viens de passer un moment violent. A plat ventre sur mon lit j’ai embrassé mon oreiller. Je me suis sentit glisser dans un méchant cauchemar. Mes idées allaient trop vite et étaient trop désordonnées. J’ai essayé de donner un tour consommable à cette dégringolade inattendue. Aucune image ne me venait. Seulement un long cortège de monstres de mes connaissances, de fantômes, corps, tous perdus, tous absents. Beaucoup de femmes et d’hommes aux silhouettes inconnues et cependant familières, comme des cadavres de noyés descendant au fil de ce songe absurde et qui me submergeait. Tous passaient très vite, aussitôt remplacés, tous froids et indifférents. Je me suis finalement passé en boucle un conseil qui se présentait là comme une planche salut branlante : « attends, cela va passer, attends, ne bouge pas ». J’ai vu des cortèges de chattes mortes, des chiens blessé, battus. Impossible de bouger même le petit doigt. Ni de pleurer. « attends, ne bouge pas, cela doit passer ». Et puis soudain j’ai entendu une femme de ménage (celle de A ?) qui disait : « J’ai fini Monsieur ». J’ai commencé à écrire dans ma tête, agrippé aux draps. J’écrivais « il ne s’agit pas cette fois d’un délicat attouchement». Je ne savais plus écrire que cela, en boucle. Dans ma bouche une sensation comme celle que doit ressentir une ventouse en prise sur une vitre. Une odeur de savonnette est apparue comme un apaisement. Et tout cela s’est arrêté aussi brusquement que c’était arrivé. En ouvrant les yeux, j’ai constaté que j’étais resté anéanti pendant plus d’une heure. Dixit mon réveil.

19h42
Je viens de boire un verre d’eau. Les monstres semblaient partis bien loin à présent. Je me sentais vidé, flasque. Mon répondeur clignotait. Je n’avais pas entendu le téléphone sonner. S’entendent toujours de longs roulement lointains du tonnerre. Il pleut doucement. La panique s’est éloignée. Le soir est triste et gris. J’allume une lampe de chevet et le rond jaune est rassurant. J’entends quelques bruits au dehors. Cris de la petite voisine qui joue. La fenêtre est bleu pâle et s’encadre des feuilles de la vigne vierge à peine agitées qui gouttent un peu de larmes. A ce moment, je suis saisi d’une formidable envie d’écrire. Et donc je n’écris rien. Je me sens absurdement aristocrate. Mais la Chimère est là, au pied de mon lit. Elle me regarde comme pour me dire : « Quand t’occuperas-tu enfin de moi ? ». Mais la souffrance à réveillé ma paresse. Et derrière cette paresse se tapi l’ennui. Seul le rond jaune de la lampe est comme une balise sur la mer de la réalité.

21h32
A présent, dehors, il fait nuit noire et il pleut des hallebardes. Par les fenêtres, je vois comme des lumières d’ambulances les éclats presque continus des éclairs de chaleur. Je suis fasciné par moi même comme un serpent à moitié persuadé de son insignifiance. Je mange n’importe quoi qui traîne dans le frigo.

21h40
C’est terrible. Pourtant, il ne m’arrive rien. J’écris ce que je vois. « Vous êtes en train de devenir créatif » m’a affirmé la psy : alors c’est ça ? Comme Jean-Jacques Rousseau, « toute ma machine est dans un désordre inconcevable ». C’est tout à fait ça.

22h37
Je n’ai pas de trouble du comportement. Pourtant tout en moi est trouble. Sous ma totale sincérité sourdent encore mille petits mensonges. Je suis possédé. Ce flot d’écriture véhicule des tumultes. Je n’ordonne plus la vie, je la dompte en une mise en scène de pensées. Pour chaque ligne, je devrais prendre le temps d’un livre. Fantastique surgissement dont je n’envisage pas d’épuiser la veine. Je suis bien loin de l’angoisse de la page blanche. Cela me fait peur.
L’orage se rapproche. Cette fois ça va vraiment péter. Les éclairs deviennent effrayants. Il y a beaucoup d’électricité dans l’air. Je me regarde de dos qui écrit, et qui regarde ma main qui écrit et qui écrit je ne sais pas quoi. Je ne voyais pas ça comme ça l’écriture. J’imaginais une belle page sur laquelle courait paisiblement un beau stylo déversant calmement des pensées apaisantes d’autosatisfaction. Pas cette violence ! Et voilà que je suis saisi par un démon, que j’ai la peur au ventre, et que ça coule comme de la merde liquide. Il se sent malade. Il ne veut pas travailler. Il va descendre en ville et tuer quelqu’un pour lui dérober de l’argent. Comme ça, plus besoin de travailler. Juste besoin de rêver. Il est ce personnage inquiétant qui rôde dans la littérature et qui veut étrangler, violer, voler, corrompre.

0h35
Dort pas. Trop nerveux. Moustiques. Criquet. Plus de pluie. Plus d’éclairs. Criquet, criquet, criquet, criquet.

Mercredi 24 août

8h28
Comment écrire quoi ? Comment m’interdire de penser ? Il me semble me souvenir qu’hier, à un moment, je me suis trouvé génial. Ne plus écrire une ligne, c’est ça qui serait bien.

21h00
Les enfants sont revenus. Je suis allé les chercher. Je me sent vain, puéril, prétentieux. J’ai croisé sur la route un jeune homme en voiture décapotable d’un modèle un peu ancien qui conduisait trop vite, penché en avant comme s’il était sur une mobylette.
Je fais du modelage avec de la pâte à bois. J’ai déjà réalisé une main, avec des doigts réalistes et très réussi. Pour une marionnette. J’étais marionnettiste avant. J’ai du mal à m’en souvenir à présent. Avec Toto, dans son gourbi du moyen âge, sale comme un peigne. Un fourbi inconcevables d’instruments de musiques, d’ustensiles de cuisine et cette odeur persistante de graisse de cheval. Je crois que c’est là que j’ai vu la Chimère pour la première fois, sur une gravure renaissance mal encadrée et jaunie, au dessus du clavecin. Je me suis alors rendu compte qu’il me fallait m’occuper de déchiffrer la grande machinerie du monde. Il faudra un jour que je mette de l’ordre dans ces notes. Tous ces feuillets enfermés qui contiennent des idées pour des milliers de livres. Vertige.

21h20
Il pense que le meurtre a eu lieu. Il faut ménager le suspense. Le cadavre du collectionneur doit avoir été découvert à l’heure qu’il est. Qui sera chargé de l’enquête ? Mieux vaut aller dormir.

Jeudi 25 août

8h30
Nuit agitée. Deux forces étaient en présence qui luttaient. Les enfants dans leur beauté m’enivrent.

9h02
Dans le volume un des œuvres de Nerval, je viens de trouver un papier inconnu qui sert de marque page. Il est ainsi rédigé « En attente du règlement définitif de votre dossier » et c’est signé d’un nom de femme inconnu, chef de service. Impossible de me souvenir ce que c’est. Dans le volume deux, un petit tirage photo reproduisant un dessin de Cafi. J’ai lu le poème qu’il indiquait :

Le point noir
Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !

Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
9h20
Qui s’est perdu ? Qui s’est pendu ? Je ne me souviens plus.
Il est lentement envahi par les choses. Elles s’installent en lui comme des meubles dans un appartement. Elles vibrent comme des souvenirs. Elles sont poétiques. Elles sont l’aboutissement du concret dans l’abstrait. Ce sont des images qui brouillent les sens. Qui fixent l’étranger en lui. Son nom est cité par un ami auteur à la fin, dans les remerciements. Mais de quel livre s’agit il en fait ? Il dérive. Qui sera chargé de l’enquête ?

13h25
Je viens de faire deux photos de nuages. J’ai joué avec ma fille. Nous avons encore trouvé des crottes de hérisson dans la gamelle du chien. On l’entend parfois grogner le soir comme un petit cochon.

20h30
Il va embaucher un apprenti. Un nègre. Il faut qu’il l’admire à fond. Qu’il apprenne à tuer bien proprement. A préparer les choses consciencieusement avant. A tout nettoyer après. Le fils d’une célébrité ayant perdu son père et qui chercherait un substitut. Un jeune aveugle peut-être. Un Chinois. C’est bien les Chinois pour ça !
Tout ce qui est vulgaire, moderne bruyant, laid, ennuyeux, doit être transcendé au bénéfice d’une esthétique supérieure. Ceux qui s’opposent à cette progression vers le sublime seront impitoyablement éliminés. Il prendra comme emblème la Chimère. Un silhouette noire sur un drap rouge et vert.

22h45
Il y a eut un coup de fil de Brighton. Pour les enfants.

22h49
Quand il s’est lavé les mains le robinet lui a parlé avec la voix d’un copain. Mais il ne s’est pas laissé avoir. Une phrase le hante « S’il y avait un peu plus de silence, on comprendrait peut-être quelque chose ». Il a entendu ça récemment. A la télé.

Vendredi 26 août

6h41
Le jour se lève un peu. Moi aussi. Tout le monde dort encore, même les chats.
Je rêvasse. On dirait qu’il va faire gris. Je pense que quand on commence une chose, on croit que ça ne finira jamais. Et puis pendant que ça se construit, on imagine pas de vivre autre chose. Quand c’est fini, il faut recommencer et c’est difficile. C’est le plus difficile.

16h10
Noté cette après midi : « je suis le mendiant du rêve ». Ça peut servir.
A Bamberg en Allemagne, il y a une église où les gens viennent déposer des offrandes pour nourrir les fous. C’est la ville où il y le plus de fous au monde paraît-il. Il faut qu’il aille là bas se rendre compte par lui même. Peut-être que tous les fous du monde se rassemblent à Bamberg pour une mystérieuse et divine raison. Une raison de fou. Peut-être une confusion entre fou et sou. Au moyen age, les deux s’écrivaient pareil. Ah ! il a noté également « se promener dans le paysage, y devenir très pauvre à l‘intérieur». Il décide de tuer tous ceux qui lui donneront l’impression qu’il parle trop. C’est apaisant de penser ça.

16h35
Je fais le malin, mais je suis terrorisé. Serai-je assez fort ? J’ai les épaules crispées, parcourues d’ondes nerveuses, le ventre noué. Je préfère être sourd plutôt que de risquer de croire qu’on me ment. Je suis docile, obéissant. Je ne sais pas si on me cache quelque chose. Je préfère ne pas le savoir. Son père a dit à Avey : « Tu ne seras pas musicien, tu seras boucher, comme moi ». Avey est devenu boucher et sourd. C’est amusant vu de l’extérieur.

17h30
En rageant du linge, j’ai découvert entre deux serviettes un énorme papillon. Je n’en avais jamais vu de comme ça. Mon fils l’a mis dans une boite à chaussures. Deux ailes et gris et saumon. Il s’est envolé brusquement en pissant dans la boîte en carton. On l’avait pourtant cru mort.

20h55
Il est un amateur d’abîmes. Fier et qui marche au bord des corniches au mépris du vertige. Les femmes se damnent pour lui. Il n’est pas un homme facile. Il est un Phoénix. Les lumières mordorées du couchant sont allumées pour accompagner ses états d’âme. L’orage craque comme une vieille fille violée. Ce signe prend sa place, naturellement. Il a bien fait de quitter le Ministère du Budget et ses destins obliques. Huit mille pages à ce jour, écrites dans la cuisine. Il ne veut pas passer sa vie à attendre sa vie. Il est argentique. Qu’on le trempe dans un bain de révélateur et la véritable apparaîtra. Le meurtrier, le faussaire, l’escroc, le pornocrate , le filou… Qu’une porte s’ouvre et ce sera le libre cours de la parole. Il serait bon d’apprendre à jouer d’un de ces accordéons à clavier comme en ont les marins d’Odessa ? Pour animer ces soirées en compagnie de fines lames, les joyeux fous, les suicides-clubs des banquiers et des marchands de vin. Qui tient ses promesses à présent : personne. Sauf lui. Il est un génie débutant. Bast !

21h30
Un fax sur mon fax : « Ami cinglé, bonsoir ! Kestufou ?» C’est F. évidemment.

22h40
Où est passé le fil de ma vibration artistique ? Je fais une quiche lorraine. Ça sent bon. C’est déjà ça. L’ambiance de la maison en est transformée, comme par de la musique. Ces gestes les plus simples, faire à manger, ranger, repasser, le ménage, sont les plus grandes sources de joie de la vie. Ils font rire et chanter.

22h45
Ma vibration artistique… Comme ce soir là à Paris où avec Luis nous avions fait la tournée des Grands Ducs Espagnols. Il y a des strates de villes étrangères à Paris : je connais l’Espagne par Luis, La Grèce par Françoise, les jazzmen noirs américains par Big Black, la Colombie par Armando, l’Afrique par Régis, etc. L’Espagne au Carreau du Temple, et surtout rue des Canettes, chez Jorge, puis à Pigalle. Au petit matin, attablé auprès d’une vieille pocharde, j’ai sentis ma vibration artistique. J’ai su qu’elle était là pour toujours. Le centre du monde alors, c’est une indicible piaule rue de la Corderie. Dans cette ville qui m’apparaissait comme un labyrinthe de possibles vertigineux. Amis contradictoires si dangereux, guides de l’alcool et de la poésie, du mal être et des nuits sans fins. On finissait toujours vers 15 ou 16h à l‘ouverture du Tango, rue des Maires ou des Vertus. On y servait pas d’alcool, mais c’était l’heure des orangeades indispensables. Rue des Archives, rue du Faubourg Poissonnière… Un quartier autour duquel il a toujours tourné ensuite, sans plus jamais véritablement y pénétrer. Le square près le Carreau. Nadja y rodait encore sous le nom de Cafi et les fripes n’avaient pas disparues. Au Tango, il y avait un orchestre et des vieux couples, vieux beaux aux costumes impeccables comme à Buenos-Aires. Mais ils venaient de Meudon ou de Clamart, en fausse, l’après-midi. Pas draguer, danser. Il rêve encore périodiquement de ces rues là, de ces gens là, dont il ne se souvient plus autrement que comme des passagers dont on partage un instant l’intimité dans un train, vites oubliés. Bars, bonneteaux, rue des chaussures qui monte étrangement dans ce quartier plat, fourreurs juifs, arabes crasseux, épiciers aventuriers, tous hors du commun. Pas un poivrot de bar alors qui ne soit un potentiel personnage de Léo Mallet. Il était magique. Tout était magique. Les pendules, les réverbères, les crottes de chien, l’odeur du métro —le pet de Paris— l’odeur des entrailles de Paris, le passage vers les six heures au Pied de Cochon avec à la table à côté un vieux travelo démaquillé qui pleure dans le giron d’une jeune folle : « tu ne peux pas comprendre, tu ne peux pas comprendre… ». Les chauffeurs de taxi qui viennent faire la pause à la brasserie boulevard Vincent Auriol, près du métro Nationale. Tout ça contenu dans une pellicule trente-six pauses 800 ASA. Une planche dans un classeur. Le jour de la découverte de la première nuit à Paris avec Luis. Ce Paris emplis de révolutionnaires espagnols frustrés par la défaite, par la victoire de Franco, la faillite du Che et de Fidel, encore accrochés au partit communiste. Des luttes sans cesse perdues en Amérique du sud, d’Argentine à Cuba. Des intellectuels perdus, désabusés, avec un vague à l’âme détaché, dangereux. Luis a disparu un jour sans prévenir et il ne l’a jamais revu. Il avait laissé une adresse rue Émile Richard qui évidemment n’existait pas : amusant pour ceux qui connaissent. Il travaillait dans la presse communiste, comme iconographe. Vu avec du recul, il fallait être jeune pour gober ça : Luis Irles ! Il est furieux d’un seul coup. C’était un escroc. Révélation. Et dire que c’est là qu’il a ressentit sa vibration artistique pour la première fois. Chez Jorge. Ça pue la mort. La muerte. Dessins, photos, correspondances. Il y croyait alors à la photo faite avec un Leïca. Vendu depuis.

Samedi 27 août

4h50
rêve : A table avec des amis. Il fallait mettre la bouteille de blanc restée dans le sac au frigo. Sourde oreille. Elle l’avait interpellé avec un ton agressif et insolent « alors, tu l’a mise au frigo ? » Puis elle pleure et il tente de la consoler. Absurdement, elle accepte. Il se réveille en nage. Il y a au dessus du souvenir de ce petit rêve un grand rêve plus vaste qui l’englobe. Mais il est plus indistinct, moins net. Un concert en plain air dans une station de sports d’hivers, avec des musiciens noirs. Une ambiance de kermesse triste.
Un oiseau pousse des cris bizarres tout près. Une chouette hulotte ou un grand duc peut-être ? Il doit être dans le grenier. Très loin, j’entends le train qui passe en bas dans la vallée, ce qui est très rare. Le vent doit avoir tourné et la nuit est au plus grand silence. Je songe à Faust. C’est un présentateur de télé qui récolte gloire et argent et qui est en pleine ruine domestique.

11h45
A la radio j’apprends que le Dieu Priape était atteint de deux maux : la bandaison chronique évidemment, mais aussi la logorrhée. Un besoin morbide et irrésistible de parler. Pauvre Dieu, ensemble bourreau et victime !

12h30
Aristocrate. Il ne sent pas aristocrate pour un sous. Il est dévasté par les problèmes d’argent. Tout relatif en fait puisqu’il n’est pas pauvre. L’argent fuit, c’est tout. Il s’écoule par les trous de la vie, sans manquer jamais toutefois. C’est seulement la peur d’en manquer qui le terrorise.

17h40
Promenade avec le chien dans la campagne vide comme un cathédrale abandonnée aux ronces. La chaleur à baissé et je suis allé en ville.

23h33
En ville je me suis ennuyé. Errant dans la volonté de ne pas être chez moi. Oppressé de tout. Membre du Club des Cinglés. Avec aucune autre finalité que d’être en vie. La carte est vendue à la sauvette à la fin des repas arrosés. « Nous voulons exister, c’est tout » est notre devise. Philippe m’a dit : « Tu n’es pas atteint de logorrhée, moi, j’ai une mère atteinte de logorrhée, c’est autre chose ». O m’a dragué un peu, très vaguement. J’ai été fade avec moi même. « Donne à manger à ton cochon, il ne va pas sommeiller longtemps », m’a aussi dit Philippe.

0h22
On doit beaucoup se mentir à soi-même pour sauvegarder son amour propre. Accepter d’être approximatif. Conserver la souplesse qui laisse entrebâiller une ouverture pour faire entrer des événements.

Dimanche 28 août

8h45
J’ai rêvé que je donnais un cours de peinture mystique à des athées. Au réveil, il fait un temps magnifique. Bleu d’azur, transparence et délicatesse.

23h06
Rien écrit. Poupée de chiffon. Étrangement, je suis à la dernière page de ce cahier. Il est remplit. Je ne l’ai pas vu venir. Au suivant.

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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Tintin ... DZ.

Message  midnightrambler Lun 14 Mar 2011 - 23:08

Bonsoir,

Pourquoi ne pas citer le titre de l'album de Tintin . Les Sept Boules de Cristal, l'Etoile Mystérieuse ou Objectif Lune ?

Amicalement,
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Quand j'étais fou : cahier N°1 Empty Re: Quand j'étais fou : cahier N°1

Message  elea Mer 16 Mar 2011 - 14:58

C’est souvent prenant. Et beau. Parfois creux comme un journal intime. Mais l’ensemble est attachant, le narrateur aussi, dans le flot de ses pensées de très belles choses apparaissent, des images, des souvenirs, des rêves, des angoisses, émouvantes et fortes.

J’aime bien que l’écriture soit vécue dans l’urgence, dans le besoin et la nécessité de garder un pied dans la réalité pour ne pas sombrer totalement dans la folie, j’aime aussi le combat avec la chimère, à la fois esclave et rebelle. Certaines émotions sont retranscrites de manière tellement réelle, tellement forte que je les ressens aussi à la lecture.

Et j’aime beaucoup les passages où "je" devient "il", avec cette impression que le personnage sort de lui-même, tente de prendre un recul pas toujours au rendez-vous.

Ce monologue intérieur est parfois étouffant, heureusement que le déroulement de la pensée, non linéaire, introduit d’autres personnages. D’intérêt inégal pour moi. Si j’aime bien la relation avec les enfants, lune et soleil, jolie, moments apaisés, et le personnage de F par exemple avec ses listes, j’aime moins les digressions sur les personnalités, ou le personnage de Monsieur A. Malgré tout, cette galerie de portraits qui s’étoffe au fil des mots et vient conforter ou perturber le narrateur donne de la vie au récit, l’empêche de sombrer dans le linéaire et l’ennui que pourrait être ces pensées et ces impressions personnelles autocentrées.

Sur la réflexion concernant l’écriture enfin, j’ai trouvé de belles choses, le pied de nez à l’angoisse de la page blanche, ici inverse, le fait de garder au moins le contrôle sur le fait d’effacer les écrits, le fait que le carnet rempli devient un objet mort, comme si la vie c’était d’écrire encore et toujours et que ce qui est écrit est déjà mort.

Merci Narbah pour ce carnet passionnant, qui ne m’a pas laissée indifférente, dont j’ai en plus goûté l’écriture et le style.


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Message  Invité Mer 16 Mar 2011 - 17:28

Je dois (par correction envers ceux qui ont le courage de lire ce texte encore hautement imparfait) donner quelques clefs. Contrairement à mes habitudes, le texte n'est ici que très peu travaillé, et très peu maîtrisé. C'est un texte difficile pour moi, et je conçois qu'il doit l'être également pour les autres. je suis en plein travail. Il y a ainsi dix cahiers qui existent bien physiquement et qui ont été écrits voici plus de dix ans déjà, quand j'étais fou (quand il était fou !). Ce que je présente aujourd'hui, c'est un premier jet qui est aussi un deuxième jet (rire) puisque c'est avant tout un travail de coupe, de sélection et d'ordonnancement d'une scriptorrhée qui s'est imposée à moi alors que je n'avais jamais écris une ligne (je veux dire de fiction) et qui ont donné naissance à ces dix cahiers imprévus. Je considère que tout est à reprendre pour travailler—séquence par séquence—l'écriture proprement dite. Merci donc à Elea dont je reçois le message 5 sur 5, a savoir qu'elle a bien lu ce que j'ai cru écrire, ce qui me rassure un peu. Je ne retravaillerai pas ce premier cahier avant d'avoir fini la retranscription des neuf autres (en réalité, la moitié du 2 et les 5, 6 et 7 sont déjà retranscrits). Mais il m'en reste quand même six !
Voilà et merci encore.

PS : Pour le trublion Midnightrambler, je ne me souviens plus, mais il serait en effet bien étonnant que je ne cite pas la totalité des titres des albums de Tintin avant la fin du dixième cahier. C'est une lecture si transparente et lunaire ! Le seul anxiolitique qui n'ait pas d'effet secondaire, mise à part l'addiction.

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Message  Rebecca Mer 16 Mar 2011 - 18:07

Je vais être franche Narbah, je me suis ennuyée. Je me suis dit : à quoi bon lire le tout venant d'un quotidien quand le quotidien en fait me gonfle ?
Bon mais ça c'est mon rapport à la lecture. J'veux qu'on me raconte une histoire, p'tet loufoque, p'tet sinistre, réaliste ou pas mais structurée. J' veux un truc inventé ou réinventé où j'peux faire une part du boulot c'est à dire où je peux m'approprier quelque chose. Comment dire, je suis confuse pour expliquer ça.
J'veux qu'il y ait une passerelle vers mon imaginaire. Là je trouve un univers fermé en quelque sorte, qui s'auto suffit, où je vois pas ce que je peux venir faire, parce que c'est de l'ordre du reportage, de l'autodocumentaire. Comme une petite psychanalyse au quotidien sur ce qui agite le narrateur.Mais c'est un travail entre lui et lui, et sur lui . Le genre de truc où on peut se faire accompagner par un pro. Mais moi je suis pas là pour faire de l'écoute bienveillante. Alors je fais quoi ? Je cherche ce qui m'interpelle auniveaude ?
Les ruminations mentales et des alignements de faits et tout ça c'est pas ce qui me permet de m'évader.

Il y a plein de phrases qui pourraient faire de beaux débuts d'histoire . Trois ou quatre au hasard :
"Il est son propre ennemi. Il le sait. Il attends l’heure du rendez-vous avec la trouille au ventre. Le parking est presque vide."
"Il y a un jeune aveugle maigre et pas très grand qui attend le bus devant la grande librairie"
"Je vois la lune dans son premier quartier par une déchirure des nuages."
"Il lui revient qu’il possède une personnalité de bourreau, pas de victime. Ça le rassure."

Mais elles passent et rien ne se passe. Chacune mériterait d'être développée pour emmener le narrateur , avec son lecteur, loin, beaucoup plus loin.
Bon je sais c'est pas l'objet de ce travail . Dommage je trouve.

Rebecca
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Message  Invité Mer 16 Mar 2011 - 20:28

Je comprends très bien ce que tu dis, mais comme tu le dis également, "ce n'est pas l'objet de ce travail".
Je te dirai seulement que c'est pour moi l'histoire d'une évasion du quotidien précisément. Que cela puisse ennuyer, je le conçois évidemment. Merci de m'avoir commenté. Je dirai que je trouve ton commentaire excellent en fait.

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