Méchant savoir
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Méchant savoir
Amigos,
En discutant avec un ami, j'ai réalisé que ça fait quatre ans déjà que je travaille sur mon roman.
Je viens seulement de boucler ma première partie, dont voici un extrait. Je n'ose plus poster ici, car à présent, les choses se précisent beaucoup trop, dans leur dimension historique, mais aussi au niveau des ressorts dramatiques que je mets en œuvre. Si je rajoute un petit bout ce soir, c'est juste pour le prétexte de vous donner des nouvelles, vous dire que, non, je n'ai pas renoncé. Je m'accroche.
Une autre raison à la rareté de mes extraits : ces derniers temps, ce travail m'a pris une telle énergie que je n'ai eu le courage de rien faire d'autre. Ni la capacité à me décentrer suffisamment pour lire des textes extérieurs, malgré l'excellence des vôtres. Les seuls livres que je m'autorise à ouvrir sont ceux qui me servent de documentation. Bref, je suis immergé jusqu'au cou, concentré à l'extrême. Je me voyais donc mal poster régulièrement, recueillir d'éventuels commentaires, sans rendre la politesse.
Ne voyez donc ici, dans ce petit coucou, qu'une seule volonté : celle de vous saluer. Si, pour toutes ces raisons, ce texte était rejeté, je ne m'en formaliserais pas, comprenant que votre site a son fonctionnement et ses règles. Paix à tous.
Ubik.
*************************************************
... Mes leçons avec Bruno se passaient le mieux possible. J’avais d’excellents rapports avec le garçon, qui m’avait pris en affection.
A travers les mathématiques, je me rendais compte de l’influence du pouvoir National-socialiste. Peu à peu, les contenus avaient changé, le corps enseignant ayant sans doute reçu de nouvelles directives. Par exemple, c’en était fini des exercices assommants sur les histoires de baignoires qui fuyaient, de trains qui se croisaient, tout ce fatras qui ne voulait rien dire et n’était d’aucune utilité. Bruno ramenait souvent des problèmes plus concrets, pragmatiques : « Sachant qu’un bombardier vole à la vitesse de 240 kms par heure, qu’il doit larguer ses bombes à une distance de 210 kms, quand reviendra-t-il si le pilonnage de la zone ennemie prend sept minutes et trente secondes » ? Ou encore : « Un aliéné coûte quotidiennement 4 marks, un invalide 5,5 marks, un criminel 3,5 marks. Dans beaucoup de cas, un fonctionnaire ne touche que 4 marks, un employé 3,5 marks. Faites un graphique avec ces chiffres. D’après les estimations prudentes, il y a en Allemagne environ 300 000 aliénés, épileptiques, etc. Calculez combien coutent annuellement ces aliénés et épileptiques. Combien de prêts aux jeunes ménages à 1000 marks pourrait-on faire si cet argent était économisé » ? Je devais également l’aider pour ses exercices de sciences, physique, chimie : on lui demandait d’estimer la hausse d’un canon pour qu’il puisse toucher son objectif avec le maximum de précision. Je me pris de curiosité pour ces nouveaux cours, regrettant de ne pas en avoir bénéficié. Il me raconta qu’on l’instruisait sur le mode d’action des principaux gaz de combat : lacrymogènes, asphyxiants, vésicants, suffocants… Lors de travaux pratiques, il manipulait des explosifs et il fallait reconstituer, sous forme expérimentale, la réaction qui provoquait l’ignition des matières inflammables. A cette occasion, un des ses camarades fut brûlé au second degré et on dut l’évacuer. Il manqua la classe pendant plusieurs semaines.
La théorie raciale prenait une importance certaine. Bruno consacrait beaucoup de temps à étudier l’anatomie et la morphologie, établir les critères qui permettaient de distinguer les Aryens de ceux qui ne l’étaient pas. Il y avait peu d’élèves Juifs mais ils étaient régulièrement convoqués au tableau afin de servir d’exemple, pour que leurs camarades pussent les examiner. Les professeurs montraient alors comment leur faciès disgracieux était si caractéristique. Ils mesuraient des angles, des proportions, et Bruno devait tout noter scrupuleusement, l’apprendre par cœur. On congédiait ensuite l’intéressé, qui regagnait sa place sous les lazzis. Il me montra dans ses cahiers : dûment commentées, des photographies y figuraient. Bruno devait s’appliquer à reconnaitre les Juifs, d’après la forme de leur nez, de leur bouche, de l’inclinaison de leurs lobes d’oreilles. On en discutait souvent, moi aussi j’avais appris à les repérer.
Il me raconta que l’entraînement physique était prépondérant : boxe, tir, natation, utilisation de grenades et de fumigènes, sans compter les longues marches et les excursions, qui duraient parfois des journées entières.
J’aimais bien l’assister dans la résolution de problèmes. Voilà que ça devenait intéressant !
( ... )
En discutant avec un ami, j'ai réalisé que ça fait quatre ans déjà que je travaille sur mon roman.
Je viens seulement de boucler ma première partie, dont voici un extrait. Je n'ose plus poster ici, car à présent, les choses se précisent beaucoup trop, dans leur dimension historique, mais aussi au niveau des ressorts dramatiques que je mets en œuvre. Si je rajoute un petit bout ce soir, c'est juste pour le prétexte de vous donner des nouvelles, vous dire que, non, je n'ai pas renoncé. Je m'accroche.
Une autre raison à la rareté de mes extraits : ces derniers temps, ce travail m'a pris une telle énergie que je n'ai eu le courage de rien faire d'autre. Ni la capacité à me décentrer suffisamment pour lire des textes extérieurs, malgré l'excellence des vôtres. Les seuls livres que je m'autorise à ouvrir sont ceux qui me servent de documentation. Bref, je suis immergé jusqu'au cou, concentré à l'extrême. Je me voyais donc mal poster régulièrement, recueillir d'éventuels commentaires, sans rendre la politesse.
Ne voyez donc ici, dans ce petit coucou, qu'une seule volonté : celle de vous saluer. Si, pour toutes ces raisons, ce texte était rejeté, je ne m'en formaliserais pas, comprenant que votre site a son fonctionnement et ses règles. Paix à tous.
Ubik.
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... Mes leçons avec Bruno se passaient le mieux possible. J’avais d’excellents rapports avec le garçon, qui m’avait pris en affection.
A travers les mathématiques, je me rendais compte de l’influence du pouvoir National-socialiste. Peu à peu, les contenus avaient changé, le corps enseignant ayant sans doute reçu de nouvelles directives. Par exemple, c’en était fini des exercices assommants sur les histoires de baignoires qui fuyaient, de trains qui se croisaient, tout ce fatras qui ne voulait rien dire et n’était d’aucune utilité. Bruno ramenait souvent des problèmes plus concrets, pragmatiques : « Sachant qu’un bombardier vole à la vitesse de 240 kms par heure, qu’il doit larguer ses bombes à une distance de 210 kms, quand reviendra-t-il si le pilonnage de la zone ennemie prend sept minutes et trente secondes » ? Ou encore : « Un aliéné coûte quotidiennement 4 marks, un invalide 5,5 marks, un criminel 3,5 marks. Dans beaucoup de cas, un fonctionnaire ne touche que 4 marks, un employé 3,5 marks. Faites un graphique avec ces chiffres. D’après les estimations prudentes, il y a en Allemagne environ 300 000 aliénés, épileptiques, etc. Calculez combien coutent annuellement ces aliénés et épileptiques. Combien de prêts aux jeunes ménages à 1000 marks pourrait-on faire si cet argent était économisé » ? Je devais également l’aider pour ses exercices de sciences, physique, chimie : on lui demandait d’estimer la hausse d’un canon pour qu’il puisse toucher son objectif avec le maximum de précision. Je me pris de curiosité pour ces nouveaux cours, regrettant de ne pas en avoir bénéficié. Il me raconta qu’on l’instruisait sur le mode d’action des principaux gaz de combat : lacrymogènes, asphyxiants, vésicants, suffocants… Lors de travaux pratiques, il manipulait des explosifs et il fallait reconstituer, sous forme expérimentale, la réaction qui provoquait l’ignition des matières inflammables. A cette occasion, un des ses camarades fut brûlé au second degré et on dut l’évacuer. Il manqua la classe pendant plusieurs semaines.
La théorie raciale prenait une importance certaine. Bruno consacrait beaucoup de temps à étudier l’anatomie et la morphologie, établir les critères qui permettaient de distinguer les Aryens de ceux qui ne l’étaient pas. Il y avait peu d’élèves Juifs mais ils étaient régulièrement convoqués au tableau afin de servir d’exemple, pour que leurs camarades pussent les examiner. Les professeurs montraient alors comment leur faciès disgracieux était si caractéristique. Ils mesuraient des angles, des proportions, et Bruno devait tout noter scrupuleusement, l’apprendre par cœur. On congédiait ensuite l’intéressé, qui regagnait sa place sous les lazzis. Il me montra dans ses cahiers : dûment commentées, des photographies y figuraient. Bruno devait s’appliquer à reconnaitre les Juifs, d’après la forme de leur nez, de leur bouche, de l’inclinaison de leurs lobes d’oreilles. On en discutait souvent, moi aussi j’avais appris à les repérer.
Il me raconta que l’entraînement physique était prépondérant : boxe, tir, natation, utilisation de grenades et de fumigènes, sans compter les longues marches et les excursions, qui duraient parfois des journées entières.
J’aimais bien l’assister dans la résolution de problèmes. Voilà que ça devenait intéressant !
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Re: Méchant savoir
Bonjour Ubik. Contente de te revoir par ici, et de savoir que le roman prend forme. Bon courage pour la suite.
Concernant l'extrait ci-dessus, je ne me rappelle pas avoir rencontré Bruno auparavant.
La deuxième partie est saisissante de réalisme et de cruauté.
En revanche, dans la première partie, j'ai été très légèrement dérangée par la facilité, le raccourci vers le cliché sur les problèmes de trains et de baignoires ; comme si cette mention était une formalité vite expédiée pour en venir à ce qui suit. Simple impression personnelle.
Concernant l'extrait ci-dessus, je ne me rappelle pas avoir rencontré Bruno auparavant.
La deuxième partie est saisissante de réalisme et de cruauté.
En revanche, dans la première partie, j'ai été très légèrement dérangée par la facilité, le raccourci vers le cliché sur les problèmes de trains et de baignoires ; comme si cette mention était une formalité vite expédiée pour en venir à ce qui suit. Simple impression personnelle.
Invité- Invité
Re: Méchant savoir
C’est fascinant la manière dont tu montres la montée de l’idéologie à travers les changements d’éducation, les modifications du programme et de ses exemples, avec notamment le coût des aliénés et invalides, à la lumière de ce qui a suivi cela fait encore plus froid dans le dos.
C’est aussi par ces « détails » que j’aime ton roman, bon courage pour le terminer, j’espère bien pouvoir le lire en entier un de ces jours.
C’est aussi par ces « détails » que j’aime ton roman, bon courage pour le terminer, j’espère bien pouvoir le lire en entier un de ces jours.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Du vrai de vrai...
Hello,
En fait, tout ce que j'ai écrit ici est rigoureusement vrai, basé sur des documents comme, par exemple, le "Dix millions d'enfants nazis", d'Erika Mann ( la fille de l'écrivain Thomas Mann, qui avec son frère, faisaient partie des opposants au régime ). Elle décrit précisément comment le nazisme va se nicher jusque dans les détails les plus insignifiants. Et évidemment, l'histoire du "coût" des handicapés préfigure l'Aktion T4, euthanasie à l'échelle massive, planifiée à l'époque par Philip Bouhler, de la chancellerie du Reich. Bouhler et Goebbels tenaient expressément à "préparer" le peuple à la politique de pureté raciale qui va être mise en place par la suite, dans des proportions drastiques. Plusieurs centres de mise à mort seront rendus opérationnels : Bernburg, Brandenburg, Grafeneck, Hadamar, Hartheim et Sonnenstein. On y gazera des malades mentaux, au départ avec des bouteilles de CO2, puis des camions diesel reliés à des chambres hermétiques.
Idem, l'évolution des programmes dans le gymnasium. Je me suis borné à en imaginer les conséquences : un élève brûlé vif, ce qui semble aller de soi et ne fait réagir personne.
Je ne me suis pas débarrassé de tel passage, j'ai traité ça de façon clinique, factuelle, comme si je me situais dans cette idéologie et que ça me paraissait normal - et ça l'est, puisque c'est Wolfgang qui raconte, et qu'il approuve. Dans sa façon de présenter le processus, il semble ravi qu'enfin les programmes et les contenus deviennent "enfin intéressants" ! Il trouve les choses normales et en est content, et en retranscrivant tel quel son sentiment, je ne le rends que plus inquiétant et odieux. Je montre que Wolfgang, incapable d'imaginer concrètement ce que signifie tout cela, est trompé, comme l'ensemble du peuple Allemand, qui a commencé à glisser sur la mauvaise pente. Et qui dira ensuite : "nous ne savions pas"...
... et notamment, en fermant les yeux sur les "départ" de tous ces Juifs, dont on ne sait ce qu'ils deviendront, et qui pourtant, disparaissent par centaines de milliers. Dont on récupère les appartements, les meubles, les objets personnels, sans états d'âme et sans révolte. Qui aurait songé à se révolter, dans un tel système ?
Sujet épineux, douloureux, difficile, dans lequel je me suis lancé. Chacun, en ce monde, doit porter sa croix. Moi, j'ai choisi ( ou j'ai été choisi, plutôt ) pour peindre de l'intérieur l'évolution d'une personne qui au départ est assez tranquille, et qui s'embourbe inexorablement, comme prise dans des sables mouvants, dans l'idéologie marécageuse du nazisme, qui y croit, qui le revendique, qui espère ainsi devenir quelqu'un "d'important"...
... A suivre...
Ubik.
< Une nouvelle fois, prière d'éviter de répondre trop systématiquement à tous les commentaires mais plutôt de grouper vos réponses.
Merci de votre compréhension.
La Modération >
.
En fait, tout ce que j'ai écrit ici est rigoureusement vrai, basé sur des documents comme, par exemple, le "Dix millions d'enfants nazis", d'Erika Mann ( la fille de l'écrivain Thomas Mann, qui avec son frère, faisaient partie des opposants au régime ). Elle décrit précisément comment le nazisme va se nicher jusque dans les détails les plus insignifiants. Et évidemment, l'histoire du "coût" des handicapés préfigure l'Aktion T4, euthanasie à l'échelle massive, planifiée à l'époque par Philip Bouhler, de la chancellerie du Reich. Bouhler et Goebbels tenaient expressément à "préparer" le peuple à la politique de pureté raciale qui va être mise en place par la suite, dans des proportions drastiques. Plusieurs centres de mise à mort seront rendus opérationnels : Bernburg, Brandenburg, Grafeneck, Hadamar, Hartheim et Sonnenstein. On y gazera des malades mentaux, au départ avec des bouteilles de CO2, puis des camions diesel reliés à des chambres hermétiques.
Idem, l'évolution des programmes dans le gymnasium. Je me suis borné à en imaginer les conséquences : un élève brûlé vif, ce qui semble aller de soi et ne fait réagir personne.
Je ne me suis pas débarrassé de tel passage, j'ai traité ça de façon clinique, factuelle, comme si je me situais dans cette idéologie et que ça me paraissait normal - et ça l'est, puisque c'est Wolfgang qui raconte, et qu'il approuve. Dans sa façon de présenter le processus, il semble ravi qu'enfin les programmes et les contenus deviennent "enfin intéressants" ! Il trouve les choses normales et en est content, et en retranscrivant tel quel son sentiment, je ne le rends que plus inquiétant et odieux. Je montre que Wolfgang, incapable d'imaginer concrètement ce que signifie tout cela, est trompé, comme l'ensemble du peuple Allemand, qui a commencé à glisser sur la mauvaise pente. Et qui dira ensuite : "nous ne savions pas"...
... et notamment, en fermant les yeux sur les "départ" de tous ces Juifs, dont on ne sait ce qu'ils deviendront, et qui pourtant, disparaissent par centaines de milliers. Dont on récupère les appartements, les meubles, les objets personnels, sans états d'âme et sans révolte. Qui aurait songé à se révolter, dans un tel système ?
Sujet épineux, douloureux, difficile, dans lequel je me suis lancé. Chacun, en ce monde, doit porter sa croix. Moi, j'ai choisi ( ou j'ai été choisi, plutôt ) pour peindre de l'intérieur l'évolution d'une personne qui au départ est assez tranquille, et qui s'embourbe inexorablement, comme prise dans des sables mouvants, dans l'idéologie marécageuse du nazisme, qui y croit, qui le revendique, qui espère ainsi devenir quelqu'un "d'important"...
... A suivre...
Ubik.
< Une nouvelle fois, prière d'éviter de répondre trop systématiquement à tous les commentaires mais plutôt de grouper vos réponses.
Merci de votre compréhension.
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