Montaniens

Montanien XLI

Le spécialiste

Ce qu’il préfère c’est celles des bars, celles qui se terminent les chaises cassées, le miroir brisé, la nuit au poste. Les petits lendemains pâteux à attendre la caution en se palpant le bleu.

Son affection c’est le craquement des articulations, la rencontre du poing et du menton. Quand après la force l’animal d’en face s’effondre.

Ne jamais tuer personne.

La bagarre c’est pour la rigole. Les meilleures embrassades se font à souffle court, carcasse contre carcasse, éprouvé jusqu’au bout.

C’est un massif de peau, de poils et d’os, spécialiste de biodiversité animale, diplômé de latin, agrégé de philo qui dit vous aimer bien.

Vous le sentez bien déçu par votre manque d’aptitude. Vous, ce serait plutôt le couteau et dans le dos seulement : vous êtes du genre sensible au niveau des jointures.

Et la nuit se poursuit, elle-même, et ses mains vous fascinent par leur cuir, de leur plomb.

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Ton petit dernier, sur les bords, il fait un peu "apologie du male, cuir tanne, enduit de force et peu etre,un peu aussi, de ballerines et d'huile de coco". On dirait une nouvelle d'un magazine gay. (je n'ai rien contre les gays, bien entendu).

Viril... et séduisant, contre mon gré.

Montanien XLIX

De la suprématie de la carpe

C’est allongé près de l’ondée, un petit ruisseau vif à chanson vivifiante, à côté d’un chinois décapsulant les bières que vous avez pris conscience de la suprématie de la carpe.

La truite multicolore et vive qui saute devant vous gobant les insectes, prédateur parfait, ne vaut pas poiscaille. C’est du moins ce qu’affirme la sagesse asiatique.

Loin de la pollution, dans l’eau la plus pure, à la condition certaine d’une alimentation parfaite, la truite est proche de la perfection. Mais le moindre changement, une seule variation, et l’animal disparaît sans une hésitation.

La carpe elle vit dans l’eau la plus épaisse comme dans le bocal le plus clair ; se nourrit de tout même de ses frères, mutant tant qu’il faut par delà les millénaires.

De ses yeux globuleux - un troisième pourquoi pas ? - aveugles et brûlés, sans pigmentation, elle regardera le monde vide, avalant et filtrant sans un seul regret, sans la moindre panique.

Avalant vos gorgées votre gorge se serre. La bière, une mouche, vous vous sentez ferré, happé hors de l’air, jeté hors de l’Histoire. Vous cherchiez quelque chose où il suffisait d’attendre : frétillant en dedans, le chinois vous encule.

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Montanien L

Tour d’horizon à Poisson Blanc

Ici, à cet endroit, vous n’y alliez pas. Vous n’alliez nulle part, d’ailleurs. Vous alliez, c’est tout. Pas de départ, pas de retour, pas de sens sauf l’état de grâce de la suspension due au mouvement.

L’essence la moins chère, les chevaux les plus puissants aucune limitation de vitesse. Tant de détails délicieusement indécents que pour un peu vous en seriez venu à croire !

Vous enfoncez la pédale et le monde s’accélère, votre immobilité voyageuse entre en déplacement. Au-dessous de la Grande Montagne un lac lisse à vos pieds, dans une salle de bar, de la musique vive à danser, vous faites une pause.

Ici, à Poisson Blanc, le monde est blanc mais pas seulement de neige. 5000 âmes au compteur moins de 4% de couleurs : tout est nuances de roses. Ici, à Poisson Blanc, on se méfie de vous comme du gouvernement.

Mais sur l’estrade le pompiste, le menuisier, le convoyeur de voiture et le jeune diplômé en comptabilité jouent pour de vrai de tous leurs instruments.

Pas pour après, pas pour avant, juste ici et maintenant.

A mourir la bedaine de bière, les bourrelets, la calvitie qui naît. A mourir la moustache bien peignée le gilet noir et les chaussures cirées.

A mourir la casquette Toyota la salopette en cambouis, les taches du tabac. A mourir les lunettes fumées, la bague de l’université.

A mourir sur le champ, une guitare à la main, des reprises plein les dents sans lâcher le refrain.

Ici, à cet endroit, vous n’y alliez pas. Vous n’alliez nulle part d’ailleurs. Vous alliez, c’est tout.

Et les nuages là bas…

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Montanien LI

Juste avant la neige

Vous savez qu’elle va tomber qu’après sera silence, que l’air vous brûlera le nez dans l’espace des sinus et pourtant.

Pourtant vous ne rentrez pas. Vous êtes là dans l’obscur à faire tinter vos pièces pour boire encore un peu de plus.

Rien ne vous délivrera d’avant, ni le vent ni l’hiver. Au mieux tout ceci ne sera qu’un manteau brillant.

Une posture dans laquelle vous vous draperez. Une solution pour ne plus bouger, regarder vos poils pousser, ours sans miel à lécher.

Vous savez qu’elle va tenir. Mais vous, tiendrez-vous ?

Si, même ça vous le savez.

Il n’y a pas à tortiller. Vous êtes là, posé, et vous le serez encore après.

Vous n’allez pas voir, regarder par la fenêtre. Vous n’aimez pas les chutes. Rester là à siroter. Vous taire

Attendre que l’épais recouvre de toutes ses courbes les formes et vous de ne plus respirer, de ne rien faire.

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Montanien LII

Changement de saison

Vous n’étiez pas venu pour croire mais pour voir et vous avez vu tous ces gens qui croyaient à ne plus rien y voir, chacun portant son rêve dans l’espace à cueillir ne laissant qu’au suivant l’illusion d’un à suivre.

Pris dans le mouvement, jeté dans la mêlée, vous avez embrassé les vides avec avidité, refermant vos bras, fort, sur des corps désertés, empalant vos envies dans la ronde des néants.

Surnage de tout cela un dernier souvenir, l’avenue qui s’éloigne à mesure que s’approche la fin de la ville, une longue coulée d’arbres sur le point des bourgeons dont les fleurs à venir vous échapperont.

Et pour vous c’est déjà l’automne bien avant la saison, le savoir d’une histoire entrée en décomposition. Un autre vous-même est apparu ce jour là à porter sans pourtant ne plus l’être jamais.

Les grands conifères, les taches jaunes qui s’éclairent dans la trouée des nuages. La route. Le café qui s’avale sans qu’on l’ait commandé.

Vous seriez prêt à tout recommencer mais votre temps imparti vient

de se terminer.

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Montanien LIII

Vétéran

Que vous choisissiez de la passer, cette soirée, à la Légion des Vétérans des Guerres Etrangères ou au Vétéran Américain, il s’agira de boire.

De boire et se rappeler ces contrées éloignées dont vous connaissez si bien l’odeur de leurs morts et celle de vos sueurs, aigre douceur de la peur au milieu de l’effort.

Une soirée de plus arrachée à l’éveil dans ce monde lisse à l’apparence de glace qui sait où est le bon et chacun à sa place !

Vous sortez de dîner sur cette carte sans fin que l’on ressasse partout pour être sûr de trouver chaque fois la même chose, à la virgule près.

Le billard est pris et votre attelle vous fait mal. Si ce n’est pas elle c’est votre crise d’angoisse ou le sifflement du vent dans le noir.

Et cette impression poisse d’avoir éraflé quelque part le tain du miroir.

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Montanien LIV

En remerciement du don

Face à vous une dinde, farcie, dégouline de sauce blanche.

Vous pensez à la tombe.

Le cul planté dans un fauteuil recouvert de plastique, vous sentez sur vous les regards de faïence de John Wayne et du Roi multipliés par dizaines.

C’est le jour de l’action de grâce, le remerciement du don. Qui vous ouvre sa famille, que vous offre-t-elle ?

La certitude sans foi que vous pourriez vous perdre et réapparaître dans l’instant débarrassé de vous-même.

Le miracle n’a pas lieu.

Vous mordez dans la dinde nappée de sa sauce, avalez deux marrons, finissez le whisky et remerciez le ciel : vous n’êtes pas soluble dans le continent.

Pourtant dieu seul sait comme vous l’auriez voulu mais vous ne savez pas croire.

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Montanien LV

55 miles une heure

Le compteur est soudé à 55 miles une heure. Rien ne doit vous presser, ni cette envie de pisse, ni cette urgence de s’échapper.

55 miles une heure est la vitesse des choses qui vous frôlent sans vous attacher. Juste le temps de voir, celui de passer.

L’aiguille est collée à 55 miles une heure. Rien ne doit vous ralentir, ni cette belle cheminée, ni ce cafard de s’en aller.

A 55 miles une heure les choses tournent, rond. Une belle mécanique, une machine bien huilée.

55 miles une heure n’existe pas mais ça le devrait.

http://media.putfile.com/Montanien-55

http://fr.youtube.com/watch?v=ylaGTZNwRCI&feature=PlayList&p=6DE29400011E8ADD&index=0

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Voilà, c'est la fin du voyage. Les montaniens ne remonteront plus vous saluer. Je vous mets tout d'un coup, en bouquet final.

Panda et Island : La montagne de dos cassé ? Ben oui, il peut y avoir de ça aussi et que cela soit viril quand même... il y a de ces paradoxes dans les étapes.

Merci à ceux qui m'ont suivi. J'espère qu'ils garderont quelques traces du voyage. C'est ce qu'on a de mieux à proposer, les traces, souvent.

Quel plaisir de relire ces textes !