Montaniens

Montanien X

Route inconnue

Quelque part dans ces bois vivait Unabomber. Vous venez d'avaler 30 kilomètres sans goudron et autant vous attendent, dans l’ombre d'une vallée au milieu des rochers. Les graviers qui chuintent et l'air chaud du moteur sont vos seuls compagnons.

Vous avez laissé une femme sur un autre continent. Ce capot en mouvement est ce qui vous sauve de l'anéantissement. C'est assis - immobile - que vous avancez le mieux. Vous comprenez enfin que ce n'est pas que le monde, mais vous, qui bougez, même si vous ne le croyez pas encore tout à fait.

Au même instant, ailleurs, un bus dévale une pente - vous ne le savez pas encore, vous ne le saurez peut-être jamais - un corps est éjecté. C’est celui de votre dernière caresse. Vous ne le savez pas encore, vous le saurez un jour.

Vous avez croisé la trajectoire d'une balle, tirée vingt ans plus tôt. Elle n'était pas pour vous, elle vous a pourtant frôlé.

Et quand, plus tard, quelques heures après, vous sortirez des bois, pour manger un burger et boire un café c’est juste du vert sombre des arbres à la bouche de leur orée, de la neige fondue nourrissant la rivière et d'un daim effrayé

dont vous vous souviendrez.

°°°

Je n'ai jamais obligé personne à boire une bière avec moi, je ne fais que proposer une tournée...

Pour ce qui est de la légitimité de poster dans ce forum et de la forme. Je l'ai dis, il s'agit d'un texte à étapes (55 au total) et je pense que les poster au fur et à mesure sous le même fil ne nuit pas à l'ambiance générale du site et que cela permet à chacun de s'y arrêter au fur et à mesure où de lire de plus grandes tranches.

Pour ceux qui ont l'impression d'avoir devant eux un texte fermé, déjà écrit, et qui n'aurait rien à faire de leur commentaires ou pas, qu'ils sachent que bien au contraire, ce texte est toujours en écriture et qu'en le postant ici j'espère vraiment voir où je bute pour essayer de le porter plus loin.

L'introduction de liens et de lectures ajoute un côté multi-média qui fait peut-être penser plus à un blog mais je pense que c'est intéressant de trouver d'autres façons de rentrer dans nos textes. Ce travail s'est fait en collaboration (et ce n'est pas terminé) avec Paul, un américain, et j'apprécie vraiment ces vas et vient de traduction, lui en musique et images, moi en mots.

Maintenant, le voyage en vaut-il la peine ? Certains ont l'air de trouver ça sans âme ou inintéressant, vain, léger, bancale. Je prends des notes. Sachant que mon propos depuis le début est bien le voyage plus que le sens. A Rome fait comme les romains. Et pourquoi pas ? Le cycle, la suspension, la répétition. Comment aborder tout ça ? Surtout dans l'Ouest ou se trouve en opposition le rêve occidental et l'immuabilité indienne.

La forme est le fond. C'est une tentative prétencieuse mais c'est une tentative. Sinon, on ne fait jamais rien, non ?

Pour ce qui est de savoir si on achéterait ou pas les Montaniens, pour l'instant la question n'est pas de mise puisqu'il n'y a pas de livre à acheter. Et de toute façon ce ne sera pas un roman. Du moins, pas un roman narratif traditionnel car s'il y a bien dans les Montaniens une arrivée et un départ ce ne sont ni un début ni une fin...

De plus, la question de savoir où commence la prose et où s'arrête la poésie me semble être au coeur des Montaniens (qu'Apoustiak a tout droit de trouver nienniens, donc répétitifs et nians nians (?) si je comprends bien) et donc cela me semble aller dans la direction des interrogations que je lis ça et là sur le site.

Trop éparpillé pour moi, ce n° X. Ou peut-être le texte trop court ne me laisse-t-il pas le loisir d'"entrer" dedans, dans une ambiance donnée...

Mais j'ai beaucoup aimé
"Vous avez croisé la trajectoire d'une balle, tirée vingt ans plus tôt. Elle n'était pas pour vous, elle vous a pourtant frôlé."

à propos de cette phrase "

Et quand, plus tard, quelques heures après, vous sortirez des bois, pour manger un burger et boire un café c’est juste du vert sombre des arbres à la bouche de leur orée, de la neige fondue nourrissant la rivière et d'un daim effrayé

je trouve un mélange des temps qui destabilise mes repères.

Montanien XI

Etoile noire

Cela avait commencé par une affiche photocopiée. Un homme torse nu, de dos, assis sur une Harley, les bras en évidence et les biceps gonflés, et cette épitaphe « Recherchés : desperados-flingués ». Vous avez bu des bières Etoile noire, joué au billard après avoir pissé et senti sur vos mains l’odeur du talc mêlée à celle de vos giclées. Vous pouviez gagner la moto si vous vous tatouiez un cow-boy arqué sur un cheval rodéo, un chapeau dans la main les cheveux au vent, qui criait Yee – Ha ! Le logo de la marque.

Vous avez bu des bières et toutes par pichet, des femmes étaient là sans que vous les cherchiez, vous partageant et vos lèvres et vos doigts et tout le monde riait. Mais le jour du concours un seul avait gagné, celui qui portait le plus gros des logos. Restait aux autres, pour se consoler, cette aimable devise : « L’important est de participer ». Vous avez bu des bières et hurlé en démon, leur goût indélébile, celui de votre déception, mais vous sachant vivant vous montriez les dents et que tangue et roule il vous restait du temps !

°°°

Bof pour moi, sauf la toute fin : "et que tangue et roule il vous restait du temps !".

Mano a écrit:
cela permet à chacun de s'y arrêter au fur et à mesure où de lire de plus grandes tranches.

essayer de le porter plus loin.

je pense que c'est intéressant de trouver d'autres façons de rentrer dans nos textes. Ce travail s'est fait en collaboration (et ce n'est pas terminé) avec Paul, un américain, et j'apprécie vraiment ces vas et vient de traduction, lui en musique et images, moi en mots.

Maintenant, le voyage en vaut-il la peine ?
Le cycle, la suspension, la répétition. Comment aborder tout ça ? Surtout dans l'Ouest ou se trouve en opposition le rêve occidental et l'immuabilité indienne.

car s'il y a bien dans les Montaniens une arrivée et un départ ce ne sont ni un début ni une fin...

La lecture en découpe me va, tu dis avoir besoin de commentaires et de retours de lecture pour de nouvelles impulsions ou modifications de ce qui se fait, de ce que tu écris, pour comment tu écris et comment tu vas continuer, là tu en as un paquet, que, pour ma part je zappe, étant donné, que je suis lancée dans la lecture de ton cheminement/voyage en séquences. Ca me va, tout ça, des fois, je reconnais l'écriture qui écrit mais t'es dans du cheminement permanent, lecteur, on est barré avec toi, à nous de voir si on fait la route ou pas; moi, je connais pas le Montana, je connais pas les Etats Unis, alors... c'est vrai que je sais pas d'où c'est parti, d'une bagnole, d'un mec et d'une nana dans une bagnole, ok, le narrateur est toujours là, c'est avec lui qu'on fait des stations, c'est avec lui qu'on boit, on l'oublie pas, sinon, on se retrouve comme deux ronds de flan; sans le narrateur, qu'est-ce qui se passe; et toi tu t'es posé cette question ? qu'est-ce qui reste sans lui, est-ce qu'il est possible que qc. soit là ou aie lieu sans le narrateur, ou le temps qu'il s'oublie? est-ce que ce narrateur (même avec des amorces de "vous") peut s'oublier dans la narration? question.
J'aime bien ce que vous faites avec ton pote américain; ya juste un truc, Mano, qui me brûle la langue, ton texte dit ainsi avec la guitare, impec, il prend des sonorités et un rythme qu'il n'a pas en étant seulement texte écrit et lu silencieusement, le truc c'est que ta voix porte pas assez, ya un truc avec ta voix, voilà c'est comme ça que je l'entends pas assez, c'est pas pour être désagréable, c'est mon oreille et mon corps qui disent, la voix elle passe pas des masses mais le ton il l'a trouvé.
En "posant" la question, le "voyage en vaut-il la peine?", je pense que tu y as déjà répondu, avant même de poser cette question, d'ailleurs, est-ce bien une question adressée au lecteur ou une interrogation qui te poursuit dans l'écriture, ce qui te fait peut-être écrire, t'as voyagé, t'écris, t'écris, tu voyages, alors la question ....
Alors des suites ...

Montanien XII

Viande rouge ou viande blanche ?

Vous êtes assis au tabouret d'un bar, des photos d'écrivains tapissées aux murs. Elles vous entourent de casquettes sur les têtes et des mouches à lancer : vous tremblez d'être une truite. Une bière à la main vous vous buvez le temps.

Un ange passe : "C'est vous le français ?"

Blonde, yeux bleus, petit nez retroussé, vous ne pensiez pas qu'une telle chose existait. Ici, vous dites chose, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Elle ne doit pas avoir l'âge d'être là et pourtant un verre à la main elle vous dit :

"Voulez-vous coucher avec moi ? Ce soir ."

On ne vous la fait pas. Vous connaissez le rituel, ce refrain en français d'une chanson passée. Vous souriez. Elle carillonne sur trois notes et continue sa lancée :

"J'aime le steak !"

Un petit rôti saignant tout tirebouchonné s'invite en instant en superposition. Vous souriez toujours mais refusez fermement de vous abandonner à ces mauvaises pensées et ordonnez des ailes de poulet.

Mais tout ceci n'est sûrement qu'histoire de mauvaise traduction.

°°°

Merci Claire. Oui, il y a un truc avec ma voix. Je veux aller lire ces textes en public. Je m'entraîne. J'ai trop aimé assister à des lectures pour ne pas en faire aussi.

J'aime beaucoup celui-là, son côté entre rêve et réel... C'est léger et poisseux à la fois !

"Une bière à la main vous vous buvez le temps." ah ouais !

Montanien XIII

La loi du métier

Les camionneurs sont là, vous n'en faites pas partie mais buvez les mêmes bières et matez la même chose : une étudiante rousse, ses fesses à vos yeux, qui avalent les dollars de celui qui le veut

Et les Cheers et les Yep ! Et tous les encouragements vous font oublier tous vos commandements.

Vous tendez un billet qui disparaît d’une facilité qui vous laisse muet. Une pause s'en suit et vous vous allumez la vie à grands coups de tabac de speed et de whisky.

Une nouvelle femme arrive, une grande brune fatiguée, la quarantaine tassée et les yeux boursouflés. Son numéro commence les conversations reprennent et quand elle balance on la remarque à peine.

Seul sur la piste un corps se trémousse, pas un dollar ne sort rien qui ne le pousse. Alors une voix couvre la musique et quelqu'un annonce : "Lait pour le corps !"

Et les Cheers et les Yep ! Et tous les encouragements vous font oublier tous vos commandements.

Un flacon qui surgit et pour quelques billets la salle gagne le droit de la barbouiller. Quelques giclées blanches sur les seins les cheveux, une dernière sur les reins et le tour est joué. Pas de mélancolie, de fausse compassion, une blonde entre en piste elle est à tomber.

°°°

écouter "La loi du Métier"

Ouof... Assez banal à mon avis.

Montanien XIV

Transmission cassée

La journée était longue et le ciel pluvieux. Vous aviez imaginé rendre visite à des amis d'amis au nord de la ville, en s'éloignant du centre, où les caravanes prennent la place du bâti.

Lorsque vous avez frappé les hurlements se sont tus. Vous avez montré les bières et vous êtes entré, dans une pièce unique la télé qui marchait. Tout le monde s'est assis, deux gamins à vos pieds, la femme était blonde, filasse, un clope allumé, lui portait un bouc noir, une casquette Chevrolet. Les yeux des enfants étaient rouges et gonflés, ceux de leurs parents blancs et dilatés.

La conversation est née au rythme des gorgées, les capsules sur le sol ont servi de jouets et le pack terminé l'homme vous a emmené à l'arrière du terrain, au milieu des débris. D'un air de complot où pointait la fierté il a dévoilé sous une bâche une Trans-Am lustrée. Tout était neuf, avait été changé. Le moteur V10, digne d'une fusée, les jantes extra larges, les suspensions abaissées, l'aigle sur la tôle peinture métallisée.

"Tu vois mon mec, c'est mon brûleur de route, Avec lui et Jenny on s'envoie se faire foutre !"

Mais là rien n'était possible il attendait du blé pour changer la transmission qui venait de lâcher, l'originale n'ayant pu encaisser toute la puissance nouvelle du moteur,

trafiqué.

°°°
écouter "Transmission cassée"

°°°

Socque : pourtant la scène était d'une rare violence.

Celui-là me plaît, tout simple... En quelques mots on comprend tout, le gars qui met tout son fric dans sa bécane, sa femme qui l'engueule à cause de ça (les hurlements), les gosses... J'ai trouvé le ton très juste !

Montanien XV

Elmer

Ils sont montés à quatre sur scène : trois blonds, un brun ; deux gros dont un très, un barbu du bouc et un imberbe sec, le brun. Ils ont pris les instruments, vous ne saviez à quoi vous attendre. Quatre chemises noires aux boutons de nacre, deux fois quatre donc huit notes de musiques brodées au niveau des épaules.

Vous avez noté un certain déséquilibre, sans être vraiment certain s'il était de leur fait ou du votre. Et quand les premiers accords ont percé leur chemin c'est une voix nasillarde qui vous a pris par la main.

"Il n'y pas d'autre endroit où je voudrais être sauf ici, avec ma nuque rouge, mes chaussettes blanches et ma bière ruban bleu."

Et le bras adipeux du bassiste balançait et la vahiné qui y était tatouée dansait d'un ventre mou désirable à crever. Quelques lignes d'encre dans sa chair et le tour était joué, le gros décoloré devenait bombe à baiser.

Et la voix de crécelle attaquait son refrain vous laissant plat dans les plaines le ventre plié en deux de whisky vénérien. Il s'agissait de barres d'acier et de mères abusives, abus de boisson et poings américains. La bible était partout mais de rédemption point, au fond des campagne seul l'éclat de lune distillé au fond des granges à grains permettait de survivre,

le savoir n'y faisait rien.

°°°

Superbe ! J'adore celui-là, je le trouve très évocateur, je m'y croyais ! Un grand bravo notamment pour le dernier paragraphe ("Et la voix de crécelle...").

Une seule chose m'a un tout petit peu gênée, c'est dans :
"Ils ont pris les instruments, vous ne saviez à quoi vous attendre.", où l'ellipse du "pas" dans la négation ne me semble pas coller dans le ton général du texte, apporter un poil de préciosité malvenue...

bière ruban bleu

. T'es un pote de Gobu?
Sinon je suis ta série avec intérêt et ton avant de Mustang ressemble au devant d'un ampli Vox vu de la moquette.

Montanien XVI

Quatre, cinq, six… cueillir des cerises

Vous ne saviez pas quoi faire. Heureusement, il y avait de la neige à tuer. C'est en famille que l'on vient pour tirer, dans les bois, chacun y met du sien. Qui avec son .44 automatique, qui avec son .38 spécial.

Un petit Derringer sort d'un sac, une Winchester et quelques fusils pour la bonne mesure, un ou deux Colts à poudre noire du type Navy ou Army tradition oblige et puis un Uzi, pour l'éclate…

A cinq ou six, à tour de rôle, on épaule, on vise, on tire, debout, couché, assis, sur les canettes que l'on vient d'écluser. L'odeur de la poudre, la fumée des canons, celle des haleines et les détonations : on se refait le paysage à coup de munitions.

Il y a des boites rouges et d'autres d'un beau vert. Des balles a fort taux de pénétration, certaines préparées pour éclater à l’impact et puis les normales, juste un bout de plomb, qu'on en viendrait à les trouver quelques fois quelconques.

Une fille est nerveuse, elle met tout à côté, elle n'aime pas les armes mais pourtant elle essaie. Le visage tendu et les bras crispés elle laisse échapper un cri à chaque fois comme si elle ne savait pas.

Mais c'est le bonhomme de neige qui remporte le plus grand des succès : vous venez de lui arracher la tête à quelques deux cent cinquante pieds !

°°°

De retour après un passage à la neige. Tiens, ça tombe bien...

Pandaworks : non, je ne connais pas Gobu. Oui, la Mustang est un magnifique ampli, tu as raison. Bien vu.

Socque : merci des vos passages.

J'espère que j'aurais plus de temps pour participer à la vie du forum autrement qu'avec les Montaniens mais la saison de la taille des oliviers commence et j'en ai 2300 qui m'attendent...

Montanien XVII

Dégivrage addiction

Bientôt elle arrivera, vous le savez.

Dans le noir et le froid les lumineux du compteur offrent clarté verte. Les diodes du lecteur CD pulsent. Les enceintes contre vos genoux pulsent. Un bloc de bruit occupe l'espace mais ne le réchauffe pas. Le moteur est couvert. Vous savez qu'il vibre quelque part, ces vibrations seront votre chaleur.

Votre ami Qui, le propriétaire de la voiture, une Jeep, son éternel bonnet enfoncé noir sur ses yeux bleus est immobile. Vous l'attendez tous les deux. La première bière. La stéréo hurle "Juste une dose !"

Et vous l'attendez, la neige autour de vous. Qui est "l'humeur sexuelle du singe" en vietnamien. Qui est un homme à clés. Qui dit avoir du sang Cherokee. Vous savez, bien entendu, que ces quelques bières ne seront qu'un commencement. Pour l'instant vous vous chauffez l'habitacle. La nuit sera longue.

"Juste une dose !"

°°°

Montanien XVIII

Jay's en bas
Si vous lavez votre linge sale ici, c'est que probablement vous n'avez pas de famille, ou que du moins elle ne vous sert plus, depuis longtemps.

Vous êtes dans un bar, un vrai, avec son comptoir et ses tabourets, son lot d'alcools et sa serveuse ; un billard.

Si vous lavez votre linge sale ici, c’est parce que vous ne le lavez pas ailleurs. Les hublots des machines tournent au milieu de ce que vous savez être un après-midi.

Ici, la lumière est celle des néons.

N'est-il pas rassurant de sortir son linge de la sécheuse imprégné du même tabac qu’en y entrant ?

Si vous lavez votre linge sale ici, c'est que vous gardez vivant l’espoir, sans doute, de vous croire encore propre, quelque part en dedans.

°°°

Montanien XIX

Sept, huit, neuf… dans mon panier neuf.

Vous ne saviez rien des rousses
de leur élasticité.
C'est une main entière
qu'elle vous demandait d'entrer

Le poing en son séant
des images diffuses
d'ombres et de chaleur
de mort et de néant.

Vous léchiez
comme jamais aucun chien
fou à plonger
dans l'espace aperçu.

Le bout de ses seins
agaçait de métal
vos doigts qui palpaient
la chair attendue.

Et ces lignes écrites
à l'encre sur ses reins
de cette histoire inconnue
que vous dévoriez si vite.

Pour un lendemain
comme d’autres lendemains
fait d'un trait d’aspirine
d'un regard sentencieux.

°°°

salut Mano A part ton poeme qui me plait pas trop, je trouve que tes textes sont remarquablement visuels. Et bien torchés. en quelques lignes tout y est. Et bien!

Montanien XX

Rapport de force

Après les bars et leur fermeture,
le passage obligé à la pompe à essence
où s'achète l'ivresse pour finir les soirées
la fête se poursuit en salon inconnu.

A la porte de la cuisine,
pas très loin des toilettes,
vous vous retrouvez dans le noir
à sauter, du haut d'un hélico.

Vous parlez histoire avec un vétéran,
un mec plutôt jeune, même pas ses trente ans,
un ancien des Marines, de leurs commandos d'élite,
de l'espèce des petits aux poignets très épais.

Il dégoupille les canettes
se les enfile grenades,
s'explosant la conscience
sans sembler faiblir.

Et puis soudain c’est les larmes
et cette histoire à vomir -ou serait-ce la bière ? -
du sol en pisé qui s'est soulevé
sous les impacts des balles qui les ont déchiquetés.

"Nous étions des enfants qui se croyaient soldats,
nous crevions de peur à chacun de nos pas.
Eux étaient des adultes qui ne connaissaient que la guerre.
Cachés dans le noir, ils nous décortiquaient."

C'était Mogadiscio.
Ici, dehors il fait froid
et cette fille rencontrée
qui vous treuille dans son lit vous dit :

"Lui ne couche pas, jamais."

°°°

outretemps : merci du passage. Je croyais que c'était tous des poèmes ?!!! Mince alors... devrais-je revenir à la forme pavé de prose avec laquelle j'avais commencé ?

Mano a écrit:Montanien XIX

Oui, les 4 premières strophes, t'as osé l' écrire (et le faire lire), c'est beau, c'est bien. J'aime ces incursions par les strophes; j'aime moins la dernière ou plutôt les deux derniers vers (le "regard sentencieux" = ?). Un corps-texte en mouvement sans jamais s'arrêter longtemps. ou pour repartir.

Houla, j'avais pas suivi tout ça! Je vais imprimer et lire à mon aise :-)

Salut Mano.

Tes Montaniens te vont à ravir.

Il y a des auteurs qu'on aime à relire, à retrouver.

Chaud-Collatéraux, et Kinder surprise.

Et mon V8, Mustang et A-mourir-aux- frontières, La Paz, ou Mexico, novelas y Mezcalito...

Montanien XXI

Billard

Cela commence toujours par deux quarts nickelés
posés nonchalamment sur un rebord lustré.
En attendant son tour les gorgées sont amères,
chaque mimique un signe pour perdre l'adversaire.

"Qui est le suivant ?" question rituelle
qui a vu l'élu un genou à terre,
libérer d'un coup sec les boules pour le rack,
laissant en triangle parfait un sacrifice à casser.

Et puis les coups s'enchaînent
et le vert se parcourt en tous sens calculé,
en combinaisons secrètes,
en tensions affichées.

Les regards se font durs
ou faussement détachés
mais cela est écrit :
l'un des deux camps va céder.

Faut-il bloquer la quatorze en une bande sur la neuf
ou couler la sept avec autorité ?
Couper la quinze pour s'approcher de l'as
et prolonger l'attente ?

Autant d'interrogations uniques
pourtant et tant répétées.
Que vous jouiez seul, en équipe ou à deux,
vous vous penchez et soupesez le jeu.

Chaque décision est prise
après moult discussions
entre vous et vous même,
l'autre vie de votre voix.

La table est un monde en perpétuel mouvement
dont toutes les trajectoires,
les angles, les répétitions,
aspirent au néant, à la disparition.

Chaque partie commence sur de nouveaux possibles,
sublime incertitude du premier coup de craie,
et se finira certaine que pas un coup de plus
ne pourra être joué.

°°°

Claire : le regard sentencieux était une regard silencieux et puis j'ai changé. Je cherche toujours. L'idée d'un malaise en tout cas. Ces corps que l'on ne connait pas et que l'on pénétre pourtant...

Sakkti : bienvenue alors

Lol47 : s'est on vraiment perdu de vue... juste que je n'écris plus trop de choses nouvelles en ce moment. J'essaye de sortir de ceux-là avec un livre. Je ne sais pas si j'y arriverais mais où d'autres choisissent la fuite en avant vers d'autres textes, toujours d'autres textes, je cherche reprendre ce qui a été écrit pour arriver au papier. Mon but reste le papier, l'imprimé. On a les rêves ou les illusions que l'on peut... En tout cas je pense que les projets se portent et ne se fuient pas. Au moins je serais allé au bout de ce que je pouvais.

Mano a écrit:Montanien XXI

Billard


Claire : le regard sentencieux était un regard silencieux et puis j'ai changé. Je cherche toujours. L'idée d'un malaise en tout cas. Ces corps que l'on ne connait pas et que l'on pénétre pourtant...

Tu crois que c'est d'un regard dont tu as besoin ici, silencieux ou sentencieux? ou plutôt d'yeux et/ou de corps, qc. d'évadé; peut-être qu'il "faut" une rupture entre ces deux vers?
Et pour le Montanien XXI, les 3 dernières strophes, par rapport aux précédentes, j'aime , elles sont beaucoup moins dans la description, dans un autre rythme (ou tempo), avec une voix plus introspective et des rimes non "affichées", c'est plus liquide et hâché en même temps; ça achoppe un peu, c'est plus (du) vivant.
"pourtant..." laisse songeur/euse. Trouver, entendre la parole du corps ? ou la parole d'un corps?

Montanien XXII

Leçon de chose

Affalés en canapé, autour de vous
les gens boivent. Vous êtes
un homme, une femme.
De vos langues respectives vous discutez,
du sexe des choses,
de leurs particularités.

Une voiture, un camion.
Un hangar, une maison.
Le soleil, la lune.

Ça voiture, ça camion.
Ça hangar, ça maison.
Ça soleil, ça lune.

Dans sa langue la neutralité existe,
dans la votre les genres sont présents.
Vous décidez d'un manifeste :

Ça suffit !

Bien entendu,
une fois cette question résolue
une autre s'impose :

Qui possède ça ?!.

°°°
Avez-vous un avis sur la forme. Paragraphes de prose comme au début ou poésie libre ?

Je sais, j'ai de ces questions...

Merci Claire.

Mano a écrit: Avez-vous un avis sur la forme. Paragraphes de prose comme au début ou poésie libre ?

Je te préfère en prose, mais la poésie libre, à petite dose, comme une ponctuation, oui.
J'essaye d'imaginer le livre, comment y équilibrer l'alternance de la forme, pas facile !

poésie libre ? Non. Culture alexandrine sous-jacente.

6-3-3-3-1-3-1

6-3=3
3+3=6
2*1=2
2*3=6
6+6=12

Avec le Panda qui farfouille dans votre poésie, dites-vous bien que vous êtes dans une panade jamais vue auparavant en ce qui concerne les formes.

Comme le fait remarquer Panda, ton rythme est dans les multiples de 3, ça se sent dans la prose comme dans la forme plus identifiée/identifiable de la poésie avec strophes. Ca semble être ton rythme ou celui de cette voix off, permanente. La variation ou l'alternance entre les deux formes est plutôt bien pour moi; là, maintenant, j'aimerais que tu passes à du texte qui raconte, dans une situation .... Est-ce que tu envisages des incursions au style direct, ou à de l'indirect libre, à savoir des mots/propos tenus par d'autres que le narrateur rapportant ?
Peut-être que ta poésie pourrait apporter un peu (ou beaucoup)de décalage par rapport à la prose.
Pour Montanien XXII:Ta leçon de chose est (pour moi) une amorce qui sera développée, soit en filigrane, dans une ou les suite/s, soit sous une autre forme...elle reste en attente. Parce que tu abordes les questions de la langue, de comment on parle et qu'est-ce que ça transporte (cf. genres); quand tu dis "neutralité", tu veux dire "neutre"?, ni féminin, ni masculin, une sorte d'indéterminé? (le neutre du "ça", par exemple ?); et pour la question que tu poses: "Qui possède ça?", je me (enfin te) demande, le "qui" est-il l'essentiel ou ce serait davantage le "comment y parvenir?"

Montanien XXIII

Le Passager

La boule blanche roule et vous êtes la boule,
une trajectoire lisse qui sépare le monde.
Le front à la fenêtre du côté passager
le paysage défile intact à chaque fois.

Vous êtes à l'abandon de toutes préoccupations.

L'ampli de la Jeep, mécanique sans histoire,
diffuse en miroir cette chanson d'Iggy Pop
que vous devenez sans même le vouloir.
Qui conduit ? Mais est-ce là l'important ?

Seul ce qui compte est que ce n'est pas vous.

Et vous roulez. Vous roulez dans
le blanc et la neige et le ciel laiteux,
la nuit, les phares et le noir, ses étoiles,
la prairie et le vent, le milieu du printemps.

Plus loin là-bas, une autre histoire passe.

Et vous roulez, vous roulez et
rencontrez le vide assis à la place du mort,
riez à l'instant de l'éclat de vos dents,
louez ces hasards qui s'enchaînent bienheureux.

Vous ne contrôlez rien.

Une fois effacée la buée de la vitre
vous êtes ligne droite dans l'intensité de l'air,
balancé vers des crêtes et sommets de diamant,
déchirures, faits, dans le bleu pur puissant.

Mais qu'y voyez-vous là ?

Ils se découvrent à vous triangles à l'inverse.
La pointe vers le bas, inexorables cibles,
celles d'où naîtront tous les chaos possibles
le début de partie, le moment du vivant.

Et vous roulez, vous roulez sur
le goudron et la terre, le chemin caillouteux,
l'avenue principale et la route éloignée,
la poussière et la boue, la glace et l'hiver.

Flèche en suspend entre les devenirs
vous traversez le monde en fumant calmement
sans jamais vous poser une seule fois la question
de qui de vous se doit de se l'approprier.

Vous êtes de l'instant, le passager.

°°°

A vous tous : merci des passages et des commentaires, ça m'ébule le citron et m'aide à porter mon texte un peu plus loin ailleurs quand j'ai l'impression de tourner en rond dans mes champs à tailler l'olivier.

Panda : je n'ai pas tout compris dans tes multiplications. Sauf, peut-être, l'essentiel je fonctionne par trois dans le rythme. C'est ça ? Qu'il reste des traces de l'alexandrin empêche-t-il le vers d'être libre ? C'est une vraie question. J'essaye d'écrire de langlais en français... d'où parfois des "alambiquages" de langue et de style.

à tchaoum : il faudrait que je reprenne maintenant tous les montaniens comme un tout et que je choississe lesquels je garde sous leur première forme et pourquoi. Un travail d'édition. Les Montaniens sont à la fois 55 tetxes uniques qui se tiennent par eux-même et une narration non linéaire. Comment la ponctuer dans l'alternance ? Eviter le répétition et la lassitude.

Claire : à priori je ne change pas la formule. Je reste avec le vous et cette distance qui est pour moi celle de cette histoire. "Qui" est essentiel dans les Montaniens car c'est un personnage secondaire - l'homme mystère - l'alter-ego- qui a été rencontré lors de dégivrage adiction... Ceci-dit sur le fond, je suis d'accord avec toi : comment y parvenir ? Déjà que tu te poses la question me laisse moins seul. Ceci-dit, faut-il posséder ? Pour une fois la ponctuation à la fin du vers ?!. marque bien les trois temps de la phrase qui sont l'intérogation que tu as vue "Qui" et dans les histoire homme/femme c'est assez fondamental. Qui possède la langue ? En anglais le ça existe, en français non. La neutralité du genre. Notre langue est sexuée... En anglais à la fin d'une conversation, lorsuqe le sujet est clôt on dit That's it. Littéralement : Cela est ça. C'est ça. Qui veut dire aussi c'est fini. Point final. La ça ultime.

J'essaye d'y répondre dans les suivant. A ma manière, dans ma recherche tatonnante. Le XXIII est une sorte de réponse au XXII.

Montanien XXIV

De ces nuits là

En T-shirt blanc, les bras au ciel, vous vous sentez défi à la glace et au vent. La lune comme alliance des rêves et des poètes vous nargue - vous en êtes sûr - de son halo serein d'argent parfait.

Vous l'insultez salement. Vos plus acerbes syllabes y passent. Personne - vous dites bien Personne - ne pourra cette nuit là faire de l'ombre à votre ombre. Des dès viennent d'être lancés, des verres ont été vidés, les guitares ont joué : il ne reste plus rien entre vous et la nuit.

Venant de l'avenue une Cherokee rouge vous frôle au ralenti, gros chat de métal de glace. La neige molle de sel gicle de sous ses pneus. Un frisson vous traverse depuis le bas vers le haut : derrière les vitres noires c’est une femme, vous ne la voyez pas, vous le savez !

La Cherokee rouge disparaît. Qui vous rejoint ? Qui est cet autre vous même que vous vous découvrez. La Cherokee rouge réapparaît, de la fumée blanche s'échappe de son échappement. La portière arrière s'ouvre et c'est ainsi dédoublé que vous atterrissez sur des coussins de cuir crème chauffés, dans des riffs de métal et des basses saturées.

Vous faites signe de rouler.
Personne ne peut rien vous refuser.
Personne ne peut rien vous demander.
La voie est toute tracée.

C'est devant un ventre offert que vous vous démenez, Quelques doigts, un poing, deux sexes, une cannette entamée. Des sécrétions s'échangent et sont consommées. Et puis au milieu des corps, de la fumée, un instant, un œil rose, parfaitement dilaté

se fige.

Depuis, il n'a jamais cessé de vous regarder.

°°°

Mano a écrit:Montanien XXIII

Le Passager

......................... et vous êtes la boule,
une trajectoire lisse qui sépare le monde.

...................cette chanson d'Iggy Pop
que vous devenez sans même le vouloir.

Seul ce qui compte est que ce n'est pas vous.

vous êtes ligne droite dans l'intensité de l'air,

.................................le moment du vivant.

Flèche en suspend entre les devenirs
vous traversez le monde en fumant calmement
sans jamais vous poser une seule fois la question
de qui de vous se doit de se l'approprier.



°°°

En anglais le ça existe, en français non. La neutralité du genre. Notre langue est sexuée...

Ok Mano, le "vous" se dessine de mieux en mieux (pour moi); il est aussi pris dans un parcours, c'est peut-être pour cela, qu'il apparaît; il n'y a pas que ce "vous", des choses se dessinent ici nettement. Le rythme de tes Montaniens fait que, même si des mots peuvent être forts, ils ne sont pas fulgurants, ils ne font pas fulgurance, et pour cause,aussi dans la langue, la flèche lancée est "en suspend". De la question des devenirs et de l'ignorance de ces devenirs, tracer (tu dis rouler). Les trois dernières strophes me plaisent vachement.
Et un peu abruptement, pour ce qui est du "it" anglais, l'allemand a le "es" ou "das", neutre. La langue française est sexuée (et sexiste aussi, ou la grammaire), elle est une langue (ou plutôt grammaire) du sujet (: à développer plus tard).

Montanien XXV

Tisonner les vaches

Cela ne peut se faire qu'une fois les bars fermés muni d'un pack de six et d'une bonne dose d'ébriété. Vous roulez dans le sombre tous les phares coupés sous la lune tiède des premiers jours d'été. L'herbe rase nouvellement poussée recouvre d'un duvet les courbes fesses des collines érodées. Les vaches sont au pré.

C'est à pas de veau lourd que vous vous approchez, en retenant des gloussements de dindes avinées. Vous vous sentez peau rouge, très sioux, très rusé, la vérité tient plus du bouseux couperosé : vous venez de marcher dedans. Devant l’animal les choses commencent à changer : six cents kilos de viande et une paire de cornes acérées contre vos dix doigts crispés.

Les bovins dorment debout, arrivé à portée, il s'agit de pousser. L'animal choit, un instant de suspend, avant de retomber meuglement de dément.

C'est le moment de la fuite.

Dans la même fraction le pré s’éclaire de paires d'yeux inquiets qui se consultent aux aguets.

C’est le moment de la charge.

Et vous courez comme vous ne le saviez pas, une cannette à la main et cette préoccupation d'ivrogne de ne rien renverser. Vous priez sans un rire de ne pas tomber. La terre tremble sous vos pieds ce n'est pas de la peur mais du poids des bestiaux. C'est en sprintant que vous finissez la dernière gorgée, la bière coule en fourche le long de votre cou. Là, vous riez. Vous balancez la cannette et accélérez le train.

Qui vous attend de l'autre côté de la clôture ? Une chose est sûre vous l'espérez.

Enfin les barbelés arrivent, certain de sentir les souffles tiédir votre nuque vous les empoignez échelle. Les phares de la Jeep face à vous s'allument arrêtant d’un bloc les bovins affolés. En haut d’un poteau, le T-shirt déchiré, les mains dans le sang, vous haranguez les bêtes dans un langage méchant : personne - vous dites bien Personne - ne vous empêchera vivant !

Vous retournez dans la Jeep et vous vous affalez. Bien trop saoul pour pouvoir penser, le cœur dans la gorge vous vous laissez aller à une dernière gorgée alcoolisée, celle de trop vous le savez. La Jeep saute et rebondi gaiement en traversant le gué.

°°°

et ça repart...

[b]Montanien XXVI

"Au milieu coule une rivière" (la vérité)[/b]

"Si un jour le gentleman en noir le souhaite, je l'emmènerai pêcher la truite en Amérique." C'est après ces mots-là que vous vous êtes retrouvé chaussé de cuissardes au milieu de l'ondée. Une très jeune femme sèche, sans fard ni bijoux, vous a conduit au fond du fond d'une vallée où malgré le fusil à l'arrière de son pick-up vous étiez disposé à n'importe quel truc.

Vous l'avez vite su, ça ne collera pas : à la place de la bière elle a pris du soda, sur le pare-choc arrière vous avez aperçu l'autocollant poisson des tout premiers chrétiens. De chaque côté des cimes triangles parfaits, blancheurs de lait des sommets, et vous tassé dans l’abysse, sous l'à-pic des flancs, dans le sombre et l'humide piétinant à la pointe du V.

Vous observez avec attention l'ouverture de la boite des leurres, ces parures colorées qui cachent sous leurs attraits du métal aiguisé. Vous vous percez un doigt et saignez dignement. Le soleil se lève à l'oblique des trous d’eau. La canne à la main elle fait voler sa mouche à petits bonds de surface, d'un incessant va et vient, et reste dans l'ombre, dompteuse implacable.

Votre mouche coule, votre nez redondance. Le froid de la rivière entre vos jambes vides, chacun à ses affaires, il ne reste pour vous qu'une seule peau le silence, immensément silence.

°°°

D'une manière générale j'apprécie tous ces textes. Ils ne sont pas tous vraiment aboutis mais j'aime bien la manière dont tu cherches. Il y a de très belles trouvailles, des images qui font mouches, des atmosphères qui naissent. J'aimerais voir ce que cela donnerait sur une nouvelle un peu longue.

Montanien XXVII

"Les Trous Taquins"

Tangue et roule solide. Vous esquissez une traduction mais rien ne remplace vraiment le frisson de ces trois mots là : rock'n roll !

Nous sommes les Trous Taquins
En voiture sur le chemin
De l'extaz', d’la liberté,
Tout s’qu'on pourra pour s'échapper.

La bassiste peroxydée fait au moins du 105D, la nuque rasée, les cheveux en coque sur le devant, le cou dans les épaules deux traits de khol qui partent des yeux. C'est un petit tonneau déjà bien tiré qui malmène de ses doigts bagués les cordes de sa basse noire, les chairs dépassent de ses collants troués. Dans quelques heures vous l'embrasserez. Vous n’en savez encore rien, elle non plus, elle joue.

Nous sommes les Trous Taquins
Celles qu'on baiz' à tour de main
Qui minaudent, ne disent rien
Sûr qu'on s’ra plus là demain !

A voir ses yeux la chanteuse marche au charbon. Le fut’ taille basse, les plaquettes en abdos, un cache-cœur rose qui n'en cache pas un et une queue de cheval de fille à pompons qui lui donne cet air si bien qui lui va si mal. Ses parents ne savent pas qu'elle chante, elle non plus, elle crie.

Nous sommes les Trous Taquins
On prend en main notre destin
Des p'tits, des gros, des moyens,
On n'fait pas dans le mesquin.

La batteuse est un mouvement roux d'où dépasse en dissonance des membres nus et musclés, des éclaboussures de sueur et des grognements subjugués. Elle tient à l'énergie d'une centrale atomique juste à l'instant d'exploser. Personne ne sait d’où elle vient, elle non plus, elle tape.

Nous sommes les trous Taquins
De la pât', du bon pétrin.
De nos fentes jaillit l'espace
Infini, c’est ça la classe !

Le guitariste porte un collier de chien cuir d'où part une cape jaune qui enveloppe son corps poilu. Les attributs protégés d'un kangourou douteux, perché bien en haut sur des bottes plates-formes pailletées, il porte le groupe de traits métal-acides qui les lient tous vers un seul possible : chacun de leurs concerts comme si c'était le dernier. Sa femme ne sait pas qu’il est libre, lui non plus, il prie.

Et vous êtes au bar après leur tournée et vous remettez la votre. La femme du guitariste est venue le chercher. Vous ne savez plus pour la laisse mais c'est sûr, il lui a léché les pieds. Les trois autres gravitent autour de vous mais c’est elles qui attirent, pas d'hésitation possible : l'énergie des trous noirs. Juste avant de disparaître vous levez votre verre et revient le refrain :

Nous sommes les Trous Taquins
On se colle, on aime bien.
Sûr que quand on s'en ira
C’est pas de froid qu’on mourira !

Et vous roulez vous roulez sur l'avenue et la nuit, la neige et la glace. Seul, le printemps est encore loin.

°°°

Pili : Merci du passage. Si tu peux apporter un peu plus de précisions sur ce que tu ne trouves pas "aboutis" ça m'aidepuisque je les poste pour ça, les aboutir... Sinon, voir ce que ça fait sur une nouvelle plus longue... mais ce sont tous une nouvelle plus longue... une roman non linéaire, une narration éclatée. Je sais pour l'instant c'est une lecture à épisodes mais à la fin je crois qu'il y a une histoire. Même s'il n'y a pas de fin... mais ça c'est déjà dit dans le numéro III.

Sinon, j'ai une bande son à mettre sur celui-là mais comme mon serveur bugue je la posterai sur le prochain.

Montaniens XXVIII

La mission des montagnes de la Mission

Vous n'avez vu qu'une église vide, des voûtes d'ogives de style gothique, un déjà vu très familier et pourtant si éloigné : quelque chose de catholique.

Sur ce plateau désertique, pelé, jauni, préhistorique dont les montagnes de la mission barrent de leur masse tout horizon s'élèvent quatre murs en pierres où se rêvait le précaire.

A l'intérieur le Sacré-Cœur est sanglant comme ailleurs mais c'est celui d'un homme à plumes. Un de ces indiens du lac que d'ici on ne voit pas qui ont depuis troqué leur vie nomade contre l'immobilisme des caravanes.

Disparues les vapeurs de sauge pour celles des papeteries, envolé le Grand esprit, coule à flot celui du Whisky. Dans la plaine au bord de l'eau les carcasses rouillées remplacent celles des gibiers ; les Casinos, le Poker, les quêtes illuminées.

Ici la lumière est alternance d'ombres et de gris. Les rares tombes qui restent sont celles des convertis, les autres ont disparu, leurs rêves avec elles aussi. Qu'il fallait être fou et blanc et sûr de soi pour construire là en s’imaginant que quelque chose de bon en sortirait !

Vous êtes entouré d'un continent, seul avec pour toute bise le passage du vent, debout vous grelottez d'isolement. Un genou à terre vous avez une vision, vous l'agnostique, le crois en rien, tout est lié, tout est lien,

tous vos égaux humains.

°°°

et comme annoncé un petit lien pour l'ambiance du précédent

cliquez pour écouter "lestroustaquins"

Mano, tu affines ta façon d'écrire (XXV, XXVI) avec juxtapositions ("avant de retomber meuglement", "vous les empoignez échelle); des raccourcis pour des images, réussis. Quelque chose commence vraiment à se dégager, au fil de ces lectures et plus précisément dans les 25 et 26 où tu nous présents des situations/actions; se mêle à ce qui se fait, ce qui se dit, ce qui se pense, ce qui se sent; ouais, ces deux-là, un plutôt beau travail d'écriture, et puis pour la contre-course bovine, c'est drôle, c'est vivant, c'est boisson, c'est con, c'est bien ça!
Ecouté ta bande-son "les trous taquins", pas super convaincue sur la façon de le dire.

Au début j'ai été dérouté par cette façon d'écrire, ce VOUS qui NOUS prend par la main, en quelque sorte
Et puis je m'y suis habitué
Je lis donc toujours les épisodes qui tombent les uns après les autres et je les apprécie, plus ou moins, selon ton inspiration et selon mon humeur ;-)
Continue, il est évident que tu y prends grand plaisir