Et le rouge est une couleur froide
+5
Sahkti
Petite-FRAP
Arielle
Sergei
Evanescent
9 participants
Page 1 sur 1
Et le rouge est une couleur froide
Et le rouge est une couleur froide
J’ai commencé à le lire, il y a bien longtemps. Ce livre écrit trop simplement, avec des phrases courtes, des virgules et des points. Peu d’interrogations, pas d’exclamation ; comme on apprend à l’école : sujet, verbe, complément. Un style un peu facile, un peu joli, pas trop prenant. Avec des figures de style où, quand on cherche le sens dissimulé, on trouve un a-sens exhibé ; on grimace et on passe à la ligne suivante. Puis, il y a des personnages, ni gentils, ni méchants. Il y a des personnages avec de grandes phrases, et d’autre sans. On peut les passer au ralenti, en accéléré, mais ils vont toujours à la même vitesse le long des lignes. Ils vont de ce matin à ce soir, en suite de gestuelles prébalisées-banales. Esclaves enfermés dans ces cages aux barreaux en capitales ; virgules en entraves.
On tourne les pages et c’est toujours la même. Alors, on tourne une deuxième fois. On cherche le numéro, en bas, on ne le trouve pas. Il n’y a pas de numéros aux pages de ce livre, écrit trop simplement. Une ligne entraîne une autre, chaque ligne amène chaque autre. On verrait même la fin si l’on n’avait pas si peur de la savoir.
Et les pages prédécoupées.
Par un autre.
Qu’on ne connait, connaîtra pas.
Il y a de la douleur, de la tristesse. On lit. On ne pleure pas, on lit juste. Et on passe à la ligne suivante. Où il y a de la joie et de l’amour, avec un petit a. On ne sourit pas, on lit juste. On tourne la page.
Et le rouge est une couleur froide.
Et triste, le blanc des draps entre lesquels deux amants ruissellent de sueur sans sel, se perdent l’un dans l’autre comme on se perd dans les rues de Tourcoing-seul, jouissent à la troisième personne du singulier et s’oublient l’un l’autre de ce qu’on ait les deux oubliés.
Il y a des lieux de cartes postales, beaux et plats. Sans perspective, et recolorisés. Et des cheminées qui ne fument pas. Des nuages sans pluie, ou dont la pluie ne mouille plus. Des endroits pleins de gens, des gens pas gentils, pas méchants. Avec des visages qui bougent, un peu. A peine. Juste suffisamment pour qu’on les aperçoive un instant ; les classe dans la catégorie êtres vivants (ou êtres mourants, ce qui revient au même). Juste assez pour qu’on les étiquette.
À contrecœur.
Parce qu’un visage, c’est fait pour bouger.
Encore plus qu’un film.
Et on tourne les pages, on oublie la dernière, parce qu’elle est oubliée d’avance. Et on ne revient pas en arrière, on pourrait, mais on ne le fait pas. Et on cherche le numéro en bas de page, et on ne le trouve pas.
Parfois, on voit une jolie phrase, un rire, peut-être. On voudrait corner la page, et revenir, encore, pour rire un peu, une autre fois. On pourrait.
On se contente de compter les pages ayant faillies être marquées.
C’est un livre avec le temps qui passe, sans se dépêcher, mais toujours. Un temps qui tourne comme l’animal enfermé. On voudrait le voir partir, loin. On le regarde tourner.
Et puis aujourd’hui, j’ai trouvé un numéro, en bas de la page. Un chiffre égaré, ou pas.
C’est le temps qui s’est libéré.
On tourne les pages et c’est toujours la même. Alors, on tourne une deuxième fois. On cherche le numéro, en bas, on ne le trouve pas. Il n’y a pas de numéros aux pages de ce livre, écrit trop simplement. Une ligne entraîne une autre, chaque ligne amène chaque autre. On verrait même la fin si l’on n’avait pas si peur de la savoir.
Et les pages prédécoupées.
Par un autre.
Qu’on ne connait, connaîtra pas.
Il y a de la douleur, de la tristesse. On lit. On ne pleure pas, on lit juste. Et on passe à la ligne suivante. Où il y a de la joie et de l’amour, avec un petit a. On ne sourit pas, on lit juste. On tourne la page.
Et le rouge est une couleur froide.
Et triste, le blanc des draps entre lesquels deux amants ruissellent de sueur sans sel, se perdent l’un dans l’autre comme on se perd dans les rues de Tourcoing-seul, jouissent à la troisième personne du singulier et s’oublient l’un l’autre de ce qu’on ait les deux oubliés.
Il y a des lieux de cartes postales, beaux et plats. Sans perspective, et recolorisés. Et des cheminées qui ne fument pas. Des nuages sans pluie, ou dont la pluie ne mouille plus. Des endroits pleins de gens, des gens pas gentils, pas méchants. Avec des visages qui bougent, un peu. A peine. Juste suffisamment pour qu’on les aperçoive un instant ; les classe dans la catégorie êtres vivants (ou êtres mourants, ce qui revient au même). Juste assez pour qu’on les étiquette.
À contrecœur.
Parce qu’un visage, c’est fait pour bouger.
Encore plus qu’un film.
Et on tourne les pages, on oublie la dernière, parce qu’elle est oubliée d’avance. Et on ne revient pas en arrière, on pourrait, mais on ne le fait pas. Et on cherche le numéro en bas de page, et on ne le trouve pas.
Parfois, on voit une jolie phrase, un rire, peut-être. On voudrait corner la page, et revenir, encore, pour rire un peu, une autre fois. On pourrait.
On se contente de compter les pages ayant faillies être marquées.
C’est un livre avec le temps qui passe, sans se dépêcher, mais toujours. Un temps qui tourne comme l’animal enfermé. On voudrait le voir partir, loin. On le regarde tourner.
Et puis aujourd’hui, j’ai trouvé un numéro, en bas de la page. Un chiffre égaré, ou pas.
C’est le temps qui s’est libéré.
Re: Et le rouge est une couleur froide
Excellent. Je n'ai pas d'autre mot : excellent. Votre écriture est étonnante !
Notamment ça, magnifique :
"Et le rouge est une couleur froide.
Et triste, le blanc des draps entre lesquels deux amants ruissellent de sueur sans sel, se perdent l’un dans l’autre comme on se perd dans les rues de Tourcoing-seul, jouissent à la troisième personne du singulier et s’oublient l’un l’autre de ce qu’on ait les deux oubliés."
Une remarque : "On se contente de compter les pages ayant failli être marquées." (et non "faillies")
Notamment ça, magnifique :
"Et le rouge est une couleur froide.
Et triste, le blanc des draps entre lesquels deux amants ruissellent de sueur sans sel, se perdent l’un dans l’autre comme on se perd dans les rues de Tourcoing-seul, jouissent à la troisième personne du singulier et s’oublient l’un l’autre de ce qu’on ait les deux oubliés."
Une remarque : "On se contente de compter les pages ayant failli être marquées." (et non "faillies")
Invité- Invité
Re: Et le rouge est une couleur froide
J'ai été très touché par ce texte. C'est vraiment beau, très bien écrit. Vous avez un style très particulier qui donne une véritable fluidité au texte, et le rend fort. Merci pour ce texte, Evanescente.
Sergei- Nombre de messages : 315
Age : 109
Date d'inscription : 22/09/2008
Re: Et le rouge est une couleur froide
Tu es bien inspirée pour un livre qui ne t'emballe pas !
Beaucoup aimé le ton désabusé mais pas sans plus, et la succession d'images, et d'actions/non-actions. J'ai craint que ça tourne en rond vers les 2/3 du texte, puis non, le texte retombe sur ses pattes, animal gracieux...
La phrase de conclusion est fort bien trouvée, mais j'ai quand même préféré ceci :
Beaucoup aimé le ton désabusé mais pas sans plus, et la succession d'images, et d'actions/non-actions. J'ai craint que ça tourne en rond vers les 2/3 du texte, puis non, le texte retombe sur ses pattes, animal gracieux...
La phrase de conclusion est fort bien trouvée, mais j'ai quand même préféré ceci :
Il y a des lieux de cartes postales, beaux et plats. Sans perspective, et recolorisés. Et des cheminées qui ne fument pas. Des nuages sans pluie, ou dont la pluie ne mouille plus. Des endroits pleins de gens, des gens pas gentils, pas méchants. Avec des visages qui bougent, un peu. A peine. Juste suffisamment pour qu’on les aperçoive un instant ; les classe dans la catégorie êtres vivants (ou êtres mourants, ce qui revient au même). Juste assez pour qu’on les étiquette.
À contrecœur.
Parce qu’un visage, c’est fait pour bouger.
Encore plus qu’un film.
Invité- Invité
Re: Et le rouge est une couleur froide
Magnifique !
Le lecteur de ce livre qui lui cherche un sens, qui tourne ses pages à la recherche d'un signe, parvient si bien à nous mettre mal à l'aise qu'on se dit que ce n'est pas possible : ce livre, ce livre, mais c'est le nôtre, c'est celui du voisin, celui que chacun lira un jour ou craint d'être en train de lire !
Il y a du Kafka dans cet univers-là ! Bravo !
Un détail :
On se contente de compter les pages ayant faillies être marquées.
Il me semble ...
Le lecteur de ce livre qui lui cherche un sens, qui tourne ses pages à la recherche d'un signe, parvient si bien à nous mettre mal à l'aise qu'on se dit que ce n'est pas possible : ce livre, ce livre, mais c'est le nôtre, c'est celui du voisin, celui que chacun lira un jour ou craint d'être en train de lire !
Il y a du Kafka dans cet univers-là ! Bravo !
Un détail :
On se contente de compter les pages ayant failli
Il me semble ...
Re: Et le rouge est une couleur froide
Un style un peu chaotique et une narration ambiguë... mais j'aime l'idée. A démêler et à retravailler, homogénéiser le tout (ça s'écrit comme ça ce mot barbare?) si possible.
Petite-FRAP- Nombre de messages : 87
Age : 45
Localisation : Derrière la vitre
Date d'inscription : 01/02/2009
Re: Et le rouge est une couleur froide
C'est superbe Eva, vraiment!
Si tous les livres qui n'inspirent pas donnent naissance à des textes aussi réussis, chapeau! :-)
Pas de remarque "négative" à formuler, je me suis laissée bercer et emporter par ton écriture, qui mûrit au fil des textes et tend à trouver une style qui lui est propre.
Si tous les livres qui n'inspirent pas donnent naissance à des textes aussi réussis, chapeau! :-)
Pas de remarque "négative" à formuler, je me suis laissée bercer et emporter par ton écriture, qui mûrit au fil des textes et tend à trouver une style qui lui est propre.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Et le rouge est une couleur froide
ben voilà quoi, c'est juste saisissant !
d'autant que j'ai un peu l'impression de l'avoir lu ce livre. Suis simplement un peu plus loin dans les chapitres...
d'autant que j'ai un peu l'impression de l'avoir lu ce livre. Suis simplement un peu plus loin dans les chapitres...
Hellian- Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009
Re: Et le rouge est une couleur froide
ah j'oubliais! pas chaotique du tout. Au contraire, vachement maitrisé. C'est pas d'sa faute si c'est l'bouquin qu'est un peu chaotique.
Hellian- Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009
Re: Et le rouge est une couleur froide
Eva, tu me ravis ! Ton style s'affirme, tu délaisses les petits trucs superflus, , tu as des idées percutantes : ce livre qu'on ne lit que des yeux, ça me renvoie à ces gens " bien aimables "en suface, avec qui on perd si souvent son temps... le degré zéro de la relation !
C'est très bien maitrisé dans l'écriture, avec même ce petit brin de désinvolture qui classe ! Chapeau, haut de forme même !
Faut qu tu passes à du long maintenant ( si tu restes trop longtemps dans des formes courtes, tu vas trop t'y habituer, et après, ce sera encore plus dur de passer au long...)
C'est très bien maitrisé dans l'écriture, avec même ce petit brin de désinvolture qui classe ! Chapeau, haut de forme même !
Faut qu tu passes à du long maintenant ( si tu restes trop longtemps dans des formes courtes, tu vas trop t'y habituer, et après, ce sera encore plus dur de passer au long...)
Invité- Invité
Re: Et le rouge est une couleur froide
Une étonnante intuition qui me dit que tu as lu un livre qui ne se transforme pas, et ainsi, lire des mots remplis de vide, n'est-ce pas un peu comme une page blanche pour l'esprit qui se noit dans le reflet de l'océan qui aurait volé dieu en inventant l'azur. Une injustice qui fond l'âme comme un puzzle qui se change en vent pour tuer le désir.
J'ai adoré.
J'ai adoré.
Nechez- Nombre de messages : 318
Age : 35
Date d'inscription : 19/12/2007
Re: Et le rouge est une couleur froide
Si rouge est une couleur froide alors je ne suis pas rouge...
Blanche comme les pages blanches d'un texte encore à écrire ,d'un commentaire qui m'échappe tant il y aurait à dire , bleuffée et verte de jalousie.
Blanche comme les pages blanches d'un texte encore à écrire ,d'un commentaire qui m'échappe tant il y aurait à dire , bleuffée et verte de jalousie.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Et le rouge est une couleur froide
J'ai adoré, pourtant on est bien loin de ce que j'ai l'habitude de lire ( qui a dit pif gadget ? ) .
C'est aussi pour ça que c'est difficile de commenter, je sors des chantiers battus et des textes plus terre-à-terre ; j'patauge pas mal, à vrai dire ça dépasse un peu mon statut de bidon. Alors on va faire un truc : je vais retenir tout ce que j'en pense et que je n'arrive pas à formuler et le garder pour moi au cas où ça serve un jour.
À part ça, j'ai adoré en particulier cette phrase :
Objectivement, je pense que je l'aurais trouvée plus réussie que les autres, cette phrase écrite avec peut-être plus de passion – ou du moins plus apparente – et qui succède à la reprise du titre, j'aime beaucoup. Elle résonne aussi peut-être un peu mieux dans ma tête, étant donné que je vis à Tourcoing depuis 18 ans, j'imagine mieux l'idée ! Se perdre dans ses rues, ça peut être amusant ... ou glauque, ça dépend de quelques paramètres.
Désolé pour le commentaire "moi-je moi-je", mais vraiment, pour reprendre les termes de Rebecca : "un commentaire qui m'échappe tant il y aurait à dire." Et pas question de ne rien dire pour autant.
Rebecca, j'aime ton travail d'archéologie, c'est une initiative géniale !
C'est aussi pour ça que c'est difficile de commenter, je sors des chantiers battus et des textes plus terre-à-terre ; j'patauge pas mal, à vrai dire ça dépasse un peu mon statut de bidon. Alors on va faire un truc : je vais retenir tout ce que j'en pense et que je n'arrive pas à formuler et le garder pour moi au cas où ça serve un jour.
À part ça, j'ai adoré en particulier cette phrase :
Et triste, le blanc des draps entre lesquels deux amants ruissellent de sueur sans sel, se perdent l’un dans l’autre comme on se perd dans les rues de Tourcoing-seul, jouissent à la troisième personne du singulier et s’oublient l’un l’autre de ce qu’on ait les deux oubliés.
Objectivement, je pense que je l'aurais trouvée plus réussie que les autres, cette phrase écrite avec peut-être plus de passion – ou du moins plus apparente – et qui succède à la reprise du titre, j'aime beaucoup. Elle résonne aussi peut-être un peu mieux dans ma tête, étant donné que je vis à Tourcoing depuis 18 ans, j'imagine mieux l'idée ! Se perdre dans ses rues, ça peut être amusant ... ou glauque, ça dépend de quelques paramètres.
Désolé pour le commentaire "moi-je moi-je", mais vraiment, pour reprendre les termes de Rebecca : "un commentaire qui m'échappe tant il y aurait à dire." Et pas question de ne rien dire pour autant.
Rebecca, j'aime ton travail d'archéologie, c'est une initiative géniale !
The mec bidon- Nombre de messages : 554
Age : 33
Localisation : Caché
Date d'inscription : 17/05/2009
Sujets similaires
» Chambre froide
» La dinde était froide
» Rêve chaud dans la vie froide
» Dans la froide pénombre
» Petite suite froide
» La dinde était froide
» Rêve chaud dans la vie froide
» Dans la froide pénombre
» Petite suite froide
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|