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Le prince Vologdine

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Message  Sahkti Sam 19 Sep 2009 - 20:18

Haaa, tu ménages ton lecteur et maintiens le suspense comme il se doit !
J'ai eu l'impresison d'être dans un film ou au théâtre, tant tout ceci me paraît réel, déclamé devant moi, de la manière la plus solennelle mais aussi naturelle possible.
L'écriture s'écoule avec fluidité, malgré la gravité du sujet et le genre historique choisi.
A suivre donc !

Je vais juste chipoter sur un tout petit détail, qui n'est pas une faute mais une simple hésitation de ma part à la première lecture:
Elle en redescend en toute précipitation, suivie du même jeune homme. Deux personnages ont quitté l’hôtel peu après ; mes agents ont suivi l’un et l’autre
Je comprends bien que le masculin s'impose puisqu'on parle ici de personnages mais j'ai d'abord pensé à deux hommes, puis tu fais mention d'une catin comme second personnage. Pas grammaticalement faux, non, mais j'ai dû relire. Voilà, une broutille :-)
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Message  Sahkti Sam 19 Sep 2009 - 20:19

High_Voltage a écrit:tant pis si je ne fais que du sous-produit balzacien
en aucun cas !
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Message  High_Voltage Sam 19 Sep 2009 - 21:16

Vous m'enchantez. Pour le problème évoqué, Sahkti, j'avoue y avoir buté, retourné ce passage dans tous les sens, et rien pu faire de mieux. Je note dans mes tablettes, je finis le passage suivant et je reviens sur la question.
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Message  High_Voltage Sam 19 Sep 2009 - 21:24

Le temps s’écroulait en longues promenades jusqu’aux Tuileries, les jours s’accéléraient comme si l’arbitraire destin s’employait à signer la fin d’une époque au plus vite. Armand investissait l’hôtel de Ménonceaux comme les canuts l’Hôtel de ville, avec le désir de tout prendre et la peur de tout perdre, avec la farouche envie d’obtenir enfin la récompense d’une œuvre laborieuse et de longue haleine. La septième division exterminée dans Lyon, son général en fuite, les menées de Perier à la Chambre, les coups de feu qu’on entendait ici ou là, tout contribuait à précipiter les évènements pour prévenir les mutations du contexte ; le beau monde s’apercevait qu’il existait des ouvriers et qu’ils tenaient Paris, Armand s’apercevait qu’Evelyne l’aimait et qu’elle tenait son bras, chaque émeute se faisait romantique, avec ces sentiments bruts, ces élans farouches, irrépressibles ; l’agitation intérieure s’harmonisait avec le désordre qui régnait tout autour, dans le flux et le reflux, dans la marée des passions, l’amour et la révolte dans le sang, telle l’adrénaline de l’Histoire. Chassé par Juillet, l’autoritarisme revenait au galop sous son drapé dogmatique, brodé de droit divin, préludant le couperet qui trancherait bientôt les multiples têtes de l’hydre éditoriale. Le rigoriste s’essoufflait à corriger partout, Paris grondait comme un volcan ; la voiture attendait plus loin, il ne restait que quelques pas, assez pour la défaite, trop peu pour hésiter.
- Evelyne…
Il lui faisait face et tenait ses mains dans les siennes ; la foule encerclait, mais il n’y avait personne. Impossible pour lui de concevoir que la prude héritière, plus blonde et plus belle que les nus d’Aphrodite, plus chrétienne que le Vatican tout entier, assise sur l’une des fortunes les plus considérables à l’Ouest du Rhin, maîtresse de vastes territoires dans trois pays, s’amourachât en passant du plus incohérent des enfants, monté sur Paris pour y faire fortune, tombé comme les autres, ramassé par elle et espérant encore, exfiltré des sinuosités de la vie, s’ouvrir le large avenir dont rêvait son innocence passée. Son cœur battait dans sa poitrine comme si rien n’avait existé, ni le déchirement de ses sœurs, ni la ruine de sa famille, ni ses études avortées ; l’image de sa cousine se languissant sur son divan, épuisée, taciturne, suicidaire, à lire et relire les lettres du petit secrétaire avec leur écriture penchée, à redemander du Madère, se mourant de trop d’intelligence, même cette image s’oblitéra, dépassée, secondaire, impalpable. Plus loin, un gamin distribuait des feuilles volantes, railleries assassines, pamphlets républicains ; Soult descendait sur Lyon, et pour s’assurer la victoire, il emmenait vingt mille hommes. Le conflit latent, les parodies d’insurrection, les mains fraîches d’Evelyne, la victoire à portée ; Armand se consumait d’ambition. Il lisait dans ses yeux la réciprocité du sentiment, il exultait déjà, il se voyait comte, chevalier, Pair de France, maître du monde, et si les mots ne franchissaient pas ses lèvres, la faute n’incombait point à la sensible candeur que lui prêtait la comtesse dont la vue s’embuait de tant de précautions, mais bien à la difficulté de la formule, qu’il convenait de calculer soigneusement ; un mot de trop, de travers, de guingois, une expression manquée, un air goguenard, un tir de fusil et l’empressement eût gâté le succès tout proche, après neuf mois de méticuleuses préparations.
- J’eusse échangé des éternités contre cet instant avec vous, murmura-t-il, y mettant ce qu’il y fallait d’émotion.
Le monde était plus loin, le valet renvoyé, la comtesse toute en noir, mais la mort du Bagration français avait convaincu la dévote que Dieu s’affranchissait des hommes ; ce qu’elle imaginait la profondeur s’était révélé n’être qu’un vide béant, qu’une noyade ontologique ; si elle portait encore le deuil, c’était peut-être qu’elle se moquait éperdument de sa toilette. Un regard puissant, un éclair symbiotique, un désir paroxystique, puis les mains se serrèrent. Tout était dit.
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Message  Invité Sam 19 Sep 2009 - 22:11

silene82 a écrit:(...)

Je ne me serais jamais permis d'écrire que vous faites du sous-produit balzacien, parce que ce n'est aucunement le cas. Vous avez amalgamé avec beaucoup de bonheur un style d'écriture qui sonne 19ème, ce qui est déjà remarquable en soi, puisque, sauf erreur, vous n'écrivez pas d'outre-tombe.
Je trouve tout à fait remarquable ce que vous écrivez, car vous ne vous bornez pas à réagencer des éléments pillés de façon disparate, mais vous vous les êtes appropriés en les faisant vivre.
(...)

Tout pareil, et j'ajoute que ce dernier paragraphe, là, juste au-dessus, est soufflant. Quelle envolée ! Grand bravo.

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Message  Invité Dim 20 Sep 2009 - 4:33

J'ai noté :
exfiltré des sinuosités de la vie
je n'arrive pas à exprimer en quoi ce petit bout me dérange, mais il me dérange. Il dénote.

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Message  silene82 Dim 20 Sep 2009 - 11:23

Vous tenez quelque chose de superbe, et j'euphémise mes propos, de peur de vous effaroucher.

si elle portait encore le deuil, c’était peut-être qu’elle se moquait éperdument de sa toilette.

Oserais-je dire que, nonobstant sa piété, que vous lui faites porter en sautoir, elle n'en demeure pas moins femme, et qu'elle sait fort bien que le noir sied admirablement aux blondes?
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Message  High_Voltage Dim 20 Sep 2009 - 13:48

C’était l’une de ces prisons dont on ne ressortait pas vivant, ou du moins jamais indemne ; la Conciergerie, antichambre de la mort sous la Terreur, purgatoire terrestre, préface de la guillotine, dessinait dans le ciel parisien ses quatre tours, plantées sur le quai de l’Horloge comme autant de vigilantes sentinelles. Des vastes salles de l’ancien siège parlementaire jusqu’aux sombres cellules du rez-de-chaussée, les minces filets d’air froid qui sifflaient là depuis des siècles annonçaient le souffle insidieux de la lame retombante, angoissante expectative du raccourcissement politique par le haut. Les relents de jacobinisme qui teintaient les réquisitoires de la bourgeoisie de talent rappelaient ces massacres récents ; à l’instar de chaque révolution détournée, Juillet ne convenait à personne. Pour un siècle de tâtonnements constitutionnels, on remplirait toujours la Conciergerie, véritable vivier où croupissaient la racaille et l’opposition amalgamées, qui s’en allaient ensuite repeupler les bagnes de Brest ou de Toulon, quand on ne décidait pas de les effacer de la surface de la terre. Le commissaire Jean-Charles Ambroise Duplessis respirait un air chargé de passés malsains, tandis qu’il n’entendait que le martèlement de ses chaussures emplissant par un phénomène d’écho la salle des pas-perdus. Courtaud, antipathique, affligé d’un déconcertant strabisme divergeant, il avait le teint olivâtre des grands malades, si bien qu’il semblait rongé par quelque sournoise infection. Il possédait le sens scientifique, s’imprégnait des débuts du positivisme, établissait des psychologies comme on dresserait des comptes, ambitionnant d’atteindre un cartésianisme implacable. Vieilli avant l’heure par une calvitie qui défrichait sauvagement son crâne, n’y laissant que quelques vestiges épars d’une crinière archaïque, il répercutait sur autrui la haine de sa déchéance corporelle ; un physiognomoniste n’eût point tergiversé sur ses casuistiques pour caractériser de visu ce petit être râblé, revêche, méthodique, insupportable, et le classer dans cette race particulière du genre humain qui, possédant quelque rancune originelle contre le reste du monde, se consacrait d’instinct et tout entier dans des activités répressives, coercitives, revanchardes, avec tant d’élan que ses représentants soit se forgeaient un nom dans le grand banditisme, soit grossissaient les rangs de la police de l’Etat. Son ancienne noblesse abâtardie par une série de mariages décadents, Duplessis n’envisageait plus que de poursuivre sa tâche le plus efficacement du monde ; son application virait à l’acharnement vulgaire, bilieux, immoral, par lequel il avait obtenu quelque notoriété dans sa profession. Magistral interrogateur, les restes du cœur entenaillés par les stalagmites de la rage et les stalactites de la raison kantienne, homme de pulsions et de devoir en même temps, il constituait l’idéal exécutant pour le rôle délicat qu’on s’accordait pour lui confier. Autour de la cellule d’Anastasie Klein, née Nastasia Kirilovna Vulkanova quelque part sur les terres de la Russie impériale, on changeait les gardiens toutes les deux heures, car on craignait qu’elle ne réussît à les corrompre par ses séductions démoniaques. Mais elle demeurait posée sur la planche qui constituait sa couche, rivée à la muraille par deux solides chaînes de longueur identique, ne remuant aucun membre, aucun doigt, aucun cil, imperturbable comme un cadavre assis, blanche de visage, noire comme le monde, perturbante oxymore de l’attraction des ténèbres. Les lèvres rouges souriaient dans l’ombre, sardoniques, sanglantes, lucifériennes, signature sadienne, épitaphe de la raison. Déjà morte dans les méandres d’un insoupçonnable mais terrifiant passé, l’infernale créature subsistait encore, ersatz évanescent de la présence qu’elle avait été, pour accomplir les desseins d’une volonté supérieure, laquelle laissait libre cours à la fulgurance de sa vengeance. Les deux combattants se rencontrèrent dans une salle vide, aux murs sombres, aux allures de cachot, vaguement éclairée par quelque lustre affreux complétant le petit matin d’hiver et ses couleurs atténuées qui entraient par le carreau. Duplessis savait qu’on l’avait arrêtée une première fois en mars 1831 ; confrontées à son mutisme absolu et aux protestations de l’Allemand qui brandissait la menace du scandale, les autorités l’avaient relâchée. Maintenant, le mariage d’Armand de Visoncourt avec Evelyne de Ménonceaux changeait tout ; une coalition d’ennemis de l’intérieur ourdissait quelque odieuse conspiration contre la couronne, avec peut-être l’appui de puissances étrangères. Les services de police du royaume, décidés à ne plus entendre les grognements du baron, escomptaient bien étouffer dans l’œuf les débordements machiavéliques des anti-juilletistes. Duplessis n’ignorait pas qu’il ne constituait qu’un rouage de la machine, mais un rouage essentiel ; au surplus, l’idée qu’un souverain lui dût son trône ne lui déplaisait pas. Il prit donc place sur la chaise raide face au vampire, l’œil droit fixé sur elle, l’œil gauche sur la porte, gymnastique oculaire que lui autorisait sa difformité.
- Vous êtes celle qu’on appelle Anastasie Klein, n’est-ce pas ? jeta-t-il d’entrée pour la prendre au dépourvu, mais la beauté juive ne broncha pas.
- Vous ne voulez pas répondre ? Vous estimez que nous n’avons pas le droit de vous retenir ici ? Vous voulez sortir, n’est-ce pas ?
L’absence de toute ébauche de réaction ne décontenança pas l’interrogateur.
- Vous en avez le droit. Sortez, si vous voulez. Je ne vous retiens pas.
Ce disant, il se renversa contre son dossier et ouvrit les mains. Mais le subterfuge ne prit pas ; il n’obtint aucune marque d’émotion.
- Ah, vous restez, tant mieux ; nous avons à causer, n’est-ce pas. J’ai ici une liste de personnalités intéressantes pour notre affaire, vous allez m’indiquer dans quelle mesure ces gens sont impliqués, n’est-ce pas, car vous saisissez la gravité de la situation, j’en suis sûr, appuya sarcastiquement Duplessis.
Ils étaient seuls dans la pièce ; dehors, trois agents s’apprêtaient à intervenir à tout moment. Sur le mur du fond, mis à nu par endroits, d’effrayantes ombres chinoises reflétaient la gestuelle du commissaire.
- Voyons voir, minauda-t-il en consultant des paperasses qui traînaient devant lui, oui, nous avons d’abord le financier d’Estaing, un libéral, favorable à l’abaissement du cens, peut-être républicain, n’est-ce pas… Qu’en pensez-vous ? Rien ? Bon, parlons du prochain, l’industriel Frévent, une espèce de Lorrain, sans doute d’intelligence avec la Prusse, comme ce bon baron von Warmër, n’est-ce pas… Mais ce sont tous deux des imbéciles, vous ne faites qu’utiliser leurs millions, n’est-ce pas, ils sont plats comme Lisbonne après la canonnade, l’esprit plus vide et plus tortueux que les égouts, il faut chercher ailleurs… Vous êtes d’accord, n’est-ce pas ? Et le comte Veracruz, rapatrié d’urgence l’année dernière, quoique nul ne sache s’il respire encore ? Il est peut-être aux Indes à l’heure qu’il est. Mais laissons-le, il n’a pas l’envergure, n’est-ce pas, nous l’avons vu quitter en votre compagnie la fameuse réception dont… ah, il y avait aussi un boiteux, n’est-ce pas, qui le soutenait par l’autre côté, pour monter dans son carrosse ; employé chez lui mais aussitôt disparu, nous n’avons remis la main dessus qu’avant-hier. Oh, vous pâlissez, seriez-vous souffrante ? L’air de cet endroit ne vous réussit pas, vous êtes sûre que vous ne désirez pas sortir un moment ? Non ? Attendez, que je demande qu’on vous ouvre, car voyez-vous, ces gens-là font bien les choses, ils nous verrouillent de l’extérieur, n’est-ce pas, la procédure, vous comprenez… Ah, j’oubliais, nous avons aussi arrêté un certain prince, vous savez, cet énergumène qui… oui, vous vous connaissez, je crois ; il sera raccourci, ou fusillé peut-être, j’ai cru comprendre qu’il était ancien soldat, si la justice de son pays veut le récupérer… Il est Russe, comme vous, merveilleux hasard, n’est-ce pas, et par souci diplomatique, vous comprenez, n’est-ce pas, nous le rendrons de bonne grâce, la perte n’est pas grande. Ola, dehors, ouvrez donc ! Ha, ils ne répondent pas, ces coquins-là, nous allons devoir causer encore…
- Vous mentez. Le prince a quitté le pays depuis des mois.
Les syllabes froides, détachées les unes des autres avec obnubilation, s’articulaient sans corrompre le sourire atroce, plein d’une sorte de féminisme antithétique ; elle regardait ailleurs, toujours au même endroit. Le temps d’un éclair, Duplessis comprit qu’elle regrettait d’avoir parlé ; il tâtonnait autour de la corde sensible, espérant la saisir, la tordre et l’y lyncher. Elle retomba dans son inexpressivité sadique, façade apparente d’une déréliction de caveau.
- Nous l’avons coincé justement à la frontière ; le roi Léopold n’a rien à refuser au père de sa femme, n’est-ce pas, qu’est-ce qu’un brigand de moins, après tout ? Un nom, me direz-vous, mais le czar le hait sans doute, vous comprenez ; bien sûr, votre témoignage pourrait préciser la chose, n’est-ce pas, mais ne bondissez pas ainsi !
Elle ne frémissait pas même.
- Oui, je comprends bien que vous n’avez rien à voir dans tout ceci, vous ne faisiez que votre affaire, car il faut bien vivre, n’est-ce pas ? Ma femme déteste les filles, comprenez-la, mais notez bien que moi je n’ai rien contre, tant qu’il se trouve des fortunes pour les entretenir ; si les Allemands payent, d’ailleurs, qu’avons-nous à y redire ? Ils sont riches à millions, comme des princes, n’est-ce pas, des princes, quinze ou vingt mille francs ne leur font rien !
L’affreux regard divergeant du commissaire balayait follement la pièce, regardant tout, ne fixant rien, hideux, déformé, toujours allusif et fuyant.
- Oui, des princes, ce bon baron, quel homme niais, n’est-ce pas, je l’ai une fois rencontré, c’est un ruminant, rien de plus, écoutez-moi cet accent teuton, c’est laid, c’est difforme, c’est risible, d’ailleurs d’aucuns ne se privaient de moqueries, n’est-ce pas, pauvre homme, c’est qu’il y prête le flanc tout exprès, avec ses faux penchants réformistes, l’insipide Bavarois ; et c’est cet homme-là que je soupçonnerais de complot ? Non, n’est-ce pas, c’est impossible, logiquement impossible, et je vous le dis, positivement et définitivement, ce niais-là a le cœur à gauche, le portefeuille à droite et l’esprit ailleurs, il n’a pas l’envergure, lui non plus, n’est-ce pas ? C’est qu’il s’agit là d’une race frileuse, amoureuse de l’argent, trop peut-être, mais bien incapable d’élaborer à l’extérieur de la Bourse ; ils conduisent leur existence aussi mal qu’ils gouvernent bien leurs intérêts, la moindre femme, le moindre caprice leur surprend trois millions chèrement acquis en rapines de haute voltige, n’est-ce pas, car la mesquinerie mute en valeur à mesure que s’empilent les billets de mille francs. A côté d’eux se trouvent des êtres bien plus grands, n’est-ce pas, qui donnent sans compter parce qu’ils sont sûrs de pouvoir se refaire, vous comprenez ; c’est là l’essence de la noblesse, savez-vous, oui, la noblesse véritable. Ces gens-là sont des princes, n’est-ce pas, les princes véritables, sans imposture, sans usurpation. Et vous laisseriez condamner l’un d’eux parce que vous aimez à me sourire ainsi, sans lever le front, non, immobile, stoïque… Ah, cet Allemand me fait bien rire, oui, je suis sûr qu’il vous fait rire aussi ; tenez, pas plus tard que le mois dernier, ce jeune bonapartiste, là, comment se nomme-t-il… Bon, toujours est-il qu’il embarrassa notre baron deux heures durant en lui parlant théâtre, mais l’autre est autant étranger à l’art qu’il est Allemand, voyez-vous, si bien que le dîner consommé il chantait les louanges d’Hernani, en criant dans le vin que la noce était belle, oui, en effet, trois morts seulement ; mais à propos d’Espagne, qu’avez-vous donc fait au comte pour qu’il prenne ainsi ses jambes à son cou ? Eh, c’est bien dommage qu’on doive sacrifier le prince, il amusait la galerie ; mais s’il estropie la noblesse française, mademoiselle, s’il la traîne dans la boue, s’il se moque du roi, qu’y pouvons-nous ? Il nous faudrait un témoignage, oui, n’est-ce pas, je suis certain qu’à la lueur d’un nouvel éclairage on y verrait autrement, l’écheveau se débrouillerait, oui, nous nous débrouillerons, un seul mot et je me débrouillerai…
L’un de ses yeux lorgnait par le carreau la morne tristesse du dehors ; l’autre vagabondait avec indifférence.
- Un seul témoignage, que vous ne voulez pas nous donner, grinça-t-il très rapidement, avant de reprendre sur un débit normal. Je vous fais reconduire à vos appartements, ils ne sont certes pas très accueillants, mais songez que votre sort est enviable, n’est-ce pas, oui, très enviable, en comparaison de… enfin, allons. Ola, dehors, ouvrez donc, cette fois ! Ha, j’aime mieux cela, messieurs ; raccompagnez madame, je vous prie. Bonne journée, mademoiselle, tâchez de l’employer à réfléchir, peut-être qu’un détail vous reviendra en mémoire qui pourrait tout sauver, n’est-ce pas, peut-être ? Allez, emmenez-là.
Les capes noires des agents virevoltèrent dans l’entrebâillement, puis la porte, dont le verrou se tirait du dedans, se referma sur le commissaire.
- Diantre, j’espérais gagner aujourd’hui, je n’ai obtenu qu’un mot, un mot seulement ; mais il en vaut bien d’autres, elle défend comme une tombe ! Consignons la chose, reprit-il en s’apprêtant à écrire ; j’ai senti quelque chose à l’endroit du prince, mais quel rapport entretient-elle donc avec cet animal ? Incertitude sur le boiteux, nous y reviendrons ; ah, si nous avions pu les coincer tous deux, la chose avancerait autrement ! Mais demain, demain, elle aura mûri quelque fausse révélation pour épargner l’autre, et j’en apprendrai suffisamment pour les confondre.
Convaincu qu’il reportait sa victoire au lendemain, le commissaire Jean-Charles Ambroise Duplessis entendait bien doubler la police secrète du royaume sur cette affaire, pour que les journaux titrassent en imposants caractères le foudroyant succès d’un fonctionnaire parisien réduisant dans l’ombre les puissants organisateurs de cette odieuse machination.
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Message  Invité Dim 20 Sep 2009 - 13:59

je vous conseille une virgule :

véritable vivier où croupissaient la racaille et l’opposition, amalgamées,

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Message  High_Voltage Dim 20 Sep 2009 - 14:05

Dans l'élan, je préfère sans virgule, je trouve qu'on sent mieux ainsi l'amalgame qui est fait ; mais la liaison est laide, c'est on ne peut plus vrai, et la virgule corrigerait cela. Si ça choque tous les regards, je substituerai.
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Message  Sahkti Dim 20 Sep 2009 - 14:08

Avant-dernier morceau posté

Le temps s’écroulait
Volontaire ce écroulait ou faute de frappe ?

plus chrétienne que le Vatican tout entier
La mention du Vatican m'a semblée anachronique dans ce texte, même si je sais que celui-ci est écrit en 2009 et que la référence au Vatican est historiquement correcte par rapport à aujourd'hui, mais non par rapport à l'époque décrite. Cela explique sans doute pourquoi j'hésite devant cette présence.

un mot de trop, de travers, de guingois, une expression manquée, un air goguenard, un tir de fusil et l’empressement
Il me semble qu'ici, il y a surcharge ou déséquilibre dans les termes choisis, en particulier en accumulant de trop, de travers, de guingois, manquée

si elle portait encore le deuil, c’était peut-être qu’elle se moquait éperdument de sa toilette
Ou que ce deuil était celui de ses illusions perdues, de ses repères vacillants

noyade ontologique / éclair symbiotique / désir paroxystique : trop de ique en peu d'espace (à mon goût s'entend)


Un style qui se tourne davantage vers le romantisme, avec une pointe de lyrisme. Pourquoi pas ? Ce n'est pas ma tasse de thé, je l'avoue, mais ça fait partie de l'ambiance générale, avec cette ampleur indispensable à de tels récits historiques et dramatiques.
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Message  Invité Dim 20 Sep 2009 - 14:09

Son ancienne noblesse abâtardie par une série de mariages décadents, Duplessis n’envisageait plus que de poursuivre sa tâche le plus efficacement du monde ; son application virait à l’acharnement vulgaire, bilieux, immoral, par lequel il avait obtenu quelque notoriété dans sa profession.

je comprend mais il ya un problème de concordance des temps, dans le sens même de la phrase. Si il "avait" déjà obtenu sa nouvelle -et petite-notoriété, son acharnement ne " virait pas" mais "avait déjà viré". Un peu pointu mon truc, mais je l'ai relevé, donc je vous encourage à y fourrer le nez. Vous êtes probablement plus fin grammairien que moi.

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Message  Invité Dim 20 Sep 2009 - 14:09

Assez obscur pour moi, je le reconnais, j'ai du mal à suivre qui est qui dans cette galerie de portraits effectuée par le commissaire... Mais je me suis laissé porter par la beauté de la langue et la description fascinante de Duplessis.

Une remarque :
"déconcertant strabisme divergent", et non "divergeant", comme plus loin le regard.

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Message  silene82 Dim 20 Sep 2009 - 14:16

S'il était si simple de faire parler une femme qui n'en a nulle intention, le monde serait plus simple. Comme d'empêcher de le faire celle qui le veut, d'ailleurs.
C'est toujours remarquablement mené, avec un talent de narrateur, ponctué de notations fines, de considérations historiques, et de tout un tas de belles choses proprement sidérant. A croire que vous êtes sorti tout casqué du cerveau composite d'un golem, qui aurait mêlé érudition et talent littéraire à une maturité d'auteur absolument stupéfiante; allez, lâchez le morceau, quel auteur célèbre et confirmé êtes vous, qui nous fait le coup d'Emile Ajar? Le seul problème, c'est que je ne vois pas grand monde qui écrive aussi bien et pour ceux dont c'est le cas, ils ne maîtrisent pas les données historiques et la vision globale d'une époque comme vous le faites.
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Message  Sahkti Dim 20 Sep 2009 - 14:32

Dernière partie, ce jour

Si j'aime toujours autant la magnificence de l'ensemble, il me semble que la densité de cet extrait fait ressortir une utlisation très forte, voire par moments excessive, de descriptifs, d'adjectifs et autre termes destinés à détailler tout de l'histoire. Je suis consciente que cette façon de faire appartient au genre choisi, mais il m'a semblé ici que c'était un peu trop visible.
Sans compter que ça risque, peut-être, de créer une certains confusion tant personnages et éléments se mêlent et qu'il n'est pas toujours évident pour le lecteur de tout suivre sans commettre d'erreur.


établissait des psychologies comme on dresserait des comptes
La tournure n'est pas incorrecte, mais je me demande si dressait au lieu de dresserait ne serait pas meilleur à l'oreille.

Encore un beau travail d'écriture High Voltage, bravo !
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Message  High_Voltage Dim 20 Sep 2009 - 15:18

Le temps s'écroulait bien, la paronomase me plaisait, je l'ai justifiée ensuite par le changement d'ère ; la France va s'essayer à la république, mais il n'y a pas de réelle assise républicaine, juste un vague idéal de 1789 confisqué par la suite grâce à la Terreur. Au seuil de 1848, tout reste à inventer. L'ennui, c'est que si tout l'échiquier politique - des légitimistes qui ne souffrent pas les Orléans jusqu'aux futurs démocrates socialistes antimonarchistes - s'accorde pour bazarder Juillet, l'unanimité est loin d'être obtenue sur la question du prochain régime. Cette idée revient lorsqu'il s'agit de prévenir les "mutations du contexte" ; Paris comme Armand décident de concert de ne vivre plus qu'au présent.

J'ai fait quelques recherches pour pallier mon inculture ; la Vatican date effectivement de 1929, plombant mon texte d'un grossier anachronisme d'un siècle. J'ai tiré des débats de l'Assemblée sur la question du secours à envoyer au Pape détournée par le Parti de l'Ordre la conclusion hâtive que les Etats pontificaux portaient déjà ce nom-là. Remplaçons-donc par "plus chrétienne qu'un pontife" en attendant mieux.

J'hésite à supprimer "de travers" pour l'instant ; je note, je trouverai peut-être un autre élément de substitution pour cette accumulation.

Ce "peut-être" laisse la place à beaucoup d'intéressantes explications ! Il y gagne le droit de rester.

"[...] l'apogée du désir" palliera ce défaut.

Le lyrisme est censé rendre l'épisode amoureux, en parallèle avec l'insurrection, qui tient aussi de l'érotisme. Il n'est pas réellement fondamental dans mon écriture, mais il permet quelques transitions remarquables chez Hugo, teinté d'une dimension épique que j'ai voulu copier, avec plus ou moins de succès.


"lequel lui conférait déjà" semble mieux ; oui, la phrase était laide, bancale, incorrecte même.


Ce ne sont que les personnages touchant de près ou de loin au complot ; le commissaire se mêle de psychologie féroce pour viser le bon et entamer les poursuites. L'analogie avec Jean-Armand du Plessis, cardinal de Richelieu, n'est qu'un amusement passager pour goûter la description. J'ai couru corriger la faute sur la version originale, mais l'impossibilité d'éditer m'oblige malheureusement à laisser ici des erreurs.


Si vous m'apparentez à Athéna maintenant... Je n'applique qu'une règle très bête que j'ai trouvée je ne sais où, chez Werber peut-être, et qui dit texto "parle de ce que tu connais" ; ça fait parfois impression, et encore, quand je ne me rate pas dans mes dates comme avec le Saint-Siège. Désolé de vous décevoir, mais mon nom ne vous dirait rien ; c'est le fin fond du monde, la plaine de Caen.


On m'avait déjà fait remarquer ça, j'avais répondu qu'un bon roman à mon sens était un monde foisonnant dans lequel on replongeait volontiers si la première lecture ne suffisait pas, et je le pense encore. Pour les données historiques, j'espère donner l'envie au lecteur de se pencher sur cette période cruciale, celle où finit le règne romantique et où naît la cupidité du monde libéral moderne ; j'essaie sur ce plan de n'être pas trop allusif, pour les raisons que j'ai dites plus haut, tout en gardant cependant à l'esprit que mon objectif n'est pas d'écrire un énième livre d'Histoire, ce que ma compétence réelle ne permet pas.


Merci de vos lectures et remarques, les corrections sont aussitôt répercutées sur l'original.
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Message  High_Voltage Mer 30 Sep 2009 - 5:36

Le duc de Saint Sulpice subissait les évènements plus qu’il ne les gérait. L’épidémie de choléra décapitait le cabinet ; le rigoriste, contaminé par sa visite aux mourants à l’Hôtel-Dieu, n’en finissait pas d’agoniser, et le roi temporisait jusqu’à la session parlementaire d’octobre pour parvenir à réunir ses fidèles. On pressentait Soult, auréolé du succès de Lyon, manipulable à merci. Cependant la conjuration qui gravitait autour de Laffitte préparait d’impitoyables réquisitoires propres à enflammer la Chambre, comme la rue s’enflammait déjà. La monarchie résistait toujours, mais pour combien de temps ? Vologdine disparu, mademoiselle de Visoncourt exilée sur ses terres de province, le boiteux signalé à plusieurs reprises dans les territoires bataves, Anastasie Klein retrouvée pendue dans sa cellule, ces derniers mois éprouvaient toute la sagacité du chef de la police secrète. Ses agents poursuivraient l’étrange homme de main du prince jusqu’à Pétersbourg s’il le fallait. Toutefois son meilleur élément ne participait pas à la traque, tout juste rentré d’un long périple transatlantique ; le jeune vicomte de Tocqueville revenait des Etats-Unis, le cerveau bouillonnant de politiques dangereuses.
- Il se consacre à l’écriture, monsieur ; mais les idées mûriront.
- On ne se révolte pas avec des idées mais avec des fusils, vicomte, répliqua le duc ; rien à craindre de ce côté-là pour l’instant.
- Permettez-moi de ne point partager votre confiance, monsieur le duc ; les…
- Il suffit ! J’ai besoin de vous ailleurs ; vous êtes le seul à vous fondre partout. Soyez à l’hôtel de Ménonceaux ce jeudi, pour le bal qu’ils y donnent. Les trente-neuf enterrent Perier jour après jour, ils dressent le compte-rendu de ce qu’ils appellent ses exactions, ils se réunissent fréquemment chez Laffitte ; quelques-uns viendront peut-être. Surveillez-moi tout ce monde-là, et ne négligez pas les hôtes.
- Vous pouvez compter sur moi, monsieur.
- Sa majesté vous en sera reconnaissante, assura le duc. De quoi sont-ils capables pour une république…
- Et s’il s’y trouve ce prince ?
- Il ne s’y trouvera pas.
- S’il s’y trouvait tout de même ?
- Je lui ménagerais quelque agréable surprise dont j’ai déjà l’idée. Mais je suis sûr qu’il ne viendra pas.


*


Le vieux chevalier de Ménonceaux descendant vers la tombe, une place demeurait vacante qu’il s’agissait de remplir au plus vite. Mais outre qu’on ne passait point aisément du rôle de confident fidèle à celui d’amant, le poste nécessitait un candidat qui appartînt à la noblesse française, pour qu’en regard des incommensurables richesses dont il deviendrait acquéreur le roi ne tergiversât point à lui accorder la pairie. Dénicher un prétendant parmi la jeunesse exaltée, suffocante, imbécile, endettée jusqu’au cou et sur laquelle s’exerçaient les tourments de l’amour ainsi que la formidable fascination du pouvoir, l’amener à s’éprendre de la comtesse et de ses millions, le marier à la veuve et l’élever jusqu’aux sommets de l’Etat, aucun obstacle n’avait réellement résisté. Le seul charmeur invétéré, l’Ibère écervelé qui menaçait l’édifice, avait fait l’objet d’une manipulation particulière ; entretenant au nom du Castillan toute une correspondance amoureuse avec mademoiselle de Visoncourt, la maîtresse du Faubourg, puis le compromettant en le faisant découvrir dans le lit d’une autre, le prince avait parachevé la spectaculaire humiliation dont Paris resterait ignorante, pourvu que l’Espagnol réintégrât la cour de Madrid sans plus atermoyer. Les réponses de l’élégante, toutes subtilisées par Vassili qui s’était fait employer à l’hôtel de Veracruz pour mieux surveiller l’animal, constituaient un aimable paquetage, entouré d’un ruban bleu, soigneusement conservé dans un endroit secret afin de servir, le cas échéant, quelque chantage politique ; le repli définitif de la belle en province rendait toutefois une telle précaution superflue. Disposant d’une fortune colossale qu’on lui laissait manipuler à sa guise, près de faire accéder son protégé à la Chambre, le prince s’accordait cinq ans pour propulser Armand ministre ; d’ici là, désormais richissime, contrôlant des terres en France, en Italie et dans l’Empire russe, il poursuivrait dans l’ombre ses grandes combinaisons, redessinant l’Europe à sa guise, avançant ses affaires à Pétersbourg, intervenant en Prusse par le biais du baron von Warmër. Mais à présent, le suicide de Nastasia changeait la donne ; l’Allemand campait sur sa prudence, les négociations faisaient machine arrière, la vieille garde prussienne réactionnaire se révélait frileuse, retardant inopportunément la guerre avec la France. L’émeute aurait donc lieu, bien avant l’intervention ; et Paris, Paris la belle, Paris la grande, capitale du monde, donjon romantique témoin des derniers soubresauts de la noblesse illustre, Paris se consumerait, tomberait aux mains des ouvriers, des étudiants, des romanciers, des bourgeois, de la racaille ordinaire, Paris se viderait de son sang, de sa substance, glissant dans l’escarcelle des radicaux, des libéraux, des banquiers, des assassins, Paris muterait, et la France avec elle, retombant dans l’anonymat lutécien, à l’âge primitif, avec cette surenchère de la révolution plébéienne, médiocrement contemporaine, semblable à quelque rituel grossier, vulgaire et local. Le monarque de Juillet, transition incarnée de l’absolutisme despotique au désordre citoyen, s’affalerait dans la boue du pavé parisien, renverrait Guizot, appellerait Molé, renverrait Molé, supplierait Thiers qui, se dérobant, contraindrait Louis-Philippe à s’exiler en Angleterre. Anachronique rebut d’une ère qui prendrait fin, le prince Vologdine n’aurait pas sa place dans le nouvel ordre européen ; s’il se rendait au bal offert à l’hôtel de Ménonceaux, c’était avant tout pour prendre ses ultimes dispositions et venger celle qu’il avait sauvée de la frénésie des cosaques vingt ans plus tôt. Il escomptait ensuite fuir de nouveau la France et trouver refuge dans les colonies d’Afrique ou d’Orient, lesquelles satisferaient son goût prononcé pour l’aventure et son désir d’exotisme.
- Nous serons sept, Excellence. Tous des anciens de la Garde, ils ne feront pas de questions.
- Entre eux et moi, désormais, c’est une lutte à mort. Et je gagnerai, parce que je suis le plus fort.
Le fiacre cahotait sur le pavé inégal, celui-là même qui volait à chaque révolution.
- Ce fut un honneur de vous servir, Excellence, articula le grognard, en proie à quelque tristesse souterraine.
Le prince détourna le regard, craignant son Waterloo.
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Message  Invité Mer 30 Sep 2009 - 6:44

Vous maintenez votre excellence d'écriture tout du long. Rien à dire, c'est superbe !

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Message  conselia Mer 30 Sep 2009 - 15:58

Surpris comme d’autres que Socque n’ait pas eu le loisir de commenter (elle a une vie après tout !), et je ne me lancerai sûrement pas dans l’aventure incertaine de vous corriger. Je relèverais plutôt ce : « A gauche du poète se tenait un mauvais historien, improvisé chroniqueur pour un papier parasite, le temps du moins de payer les cinq ou six loyers qu’il avait de retard. » qui m’a conquis !
Si l’âge qui figure sur votre carte d’identité est celui de votre profil, il est urgent que votre texte soit transmis aux cassandres qui nous promettent un analphabétisme généralisé.
Des deux mains : bravo !
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Message  High_Voltage Mer 30 Sep 2009 - 17:20

Je suis né le 25 août 1991 à 18h25 et je vous remercie ; n'hésitez cependant pas à corriger ou à donner votre sentiment, l'aventure n'a rien d'incertaine, et même si les premiers passages sont normalement purgés de fautes il est toujours instructif de connaître les effets stylistiques qui plaisent et ceux qui sont indigestes.
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Message  High_Voltage Mer 30 Sep 2009 - 17:31

Les esprits s’enivraient du tournoiement des valseurs. L’immense salle de bal, dans la nostalgie des grands jours, affichait une pompe versaillaise. Réincarné dans les lustres colossaux, plusieurs quintaux du cristal le plus pur, le Roi Soleil illuminait pour la dernière fois l’élite de la nation ; et tout cet étalage de soie, de dentelle, de satin, de nankin pâle, de mérinos bleu, de broderies dorées, toutes ces fortunes de toilettes, de coiffures sophistiquées, de pierreries afghanes, dépensées sans compter, tout assimilait la fête au dernier tressaillement de Paris toute-puissante. Le rire musical de quelque marquise résonnait comme un hallali ; agressé, impitoyablement ensanglanté, touché à mort, le cygne étendait encore la blancheur de son cou délicat hors de l’eau, hors des mares infectes de boue et de sang qui l’engloutiraient bientôt. Par une morale supérieure, par le dédain des dandies, la noblesse de France dansait encore, pour quelques instants seulement, mais pour quelques instants tout de même, comme au bord d’un gouffre qui se creuse, sans un regard pour le fond. La plèbe immonde, médiévale et scrofuleuse, inféodée au libéralisme républicain, grinçait aux fenêtres de l’hôtel, masse ignorante et redoutable, mue par quelque pulsion destructive sous-jacente, justifiant par un désir d’affranchissement l’annihilation d’un ordre antique et supérieur. D’autres travaillaient de l’intérieur à l’effondrement final ; le duc de Saint Sulpice avait un homme dans la place et disposait au-dehors de quarante-cinq agents, sous le commandement du commissaire Duplessis, habilement répartis dans les foules afin de couper toute retraite. Cependant le fief légitimiste se moquait éperdument de ces agissements bourgeois ; on trouvait là les maîtres du Faubourg, quelques Pairs de France, quelques Anglais, quelques nababs, des barons autrichiens, toute l’aile droite de la Chambre, des rigoristes, des doctrinaires, le futur chef de cabinet Nicolas Jean-de-Dieu Soult, maréchal d’empire immortalisé dans Gênes, le réactionnaire Guizot, qui dirigeait véritablement les opérations, et des intellectuels, des ecclésiastiques, ultramontains pour la plupart, une poignée d’hommes de lettres que la fièvre sociale ne contaminait pas, également quelques dramaturges, quelques peintres romantiques, quelques historiens antiquisants ; enfin tout ce que comptait la capitale de conservatisme indolent se rencontrait là, foulant aux pieds 1789, ne recevant d’autres directives que celles d’Henri V et de Dieu. Le parvenu se fondait dans cet univers avec l’aisance de sa jeunesse et l’assise de ses millions ; on connaissait son nom par sa sublime cousine, dont on déplorait l’absence en songeant aux charmantes impertinences qu’elle aurait pu proférer en pareille situation. Nul doute qu’elle aurait dansé, la nuit durant, riant au nez des banquiers ; le Faubourg dansait donc, autour du couple magnifique, elle, toujours en noir, portant à présent le deuil d’un régime, souriant malgré tout, chevelure blonde simplement relevée sur la nuque, comtesse par accident, lui, excellent danseur, par un aimable hasard, rayonnant d’une prestance heureuse, innocente, ordonnant aux violons d’accélérer, comme pour perdre l’esprit dans la frénésie des tornades, des robes et des jambes entrecroisées. Tout autour, par petits groupes, dans les causeries du beau monde, évitant d’effleurer l’idéal progressiste, on contait des anecdotes, on arrangeait des mariages, on ridiculisait les bourgeois, particulièrement devant la salle de billard à la porte entrebâillée, d’où parvenaient sporadiquement, aux interruptions de l’orchestre, une série d’entrechoquements calculés. Une phalange de domestiques en livrée fendait patiemment l’assistance, jusqu’à ce que les représentants de la vieille garde dépossédassent leurs plateaux d’argent poli de la dernière coupe effervescente. De la Taille s’en empara justement, avant de se retourner vers son interlocuteur du moment.
- Vous y étiez, n’est-ce pas ? C’est là que le comte s’est évaporé, en compagnie d’une fille dont j’ignore le nom ; d’ailleurs cela n’importe pas.
- Cela importe au contraire ; qui vous a rapporté cela ?
- Est-ce bien nécessaire ? Une sorte de poète oiseux, qui croit malheureusement compter parmi mes amis.
Devant l’expression de l’insistance, il communiqua un nom et une adresse approximative.
- Je vous remercie ; permettez, je m’éclipse un instant.
Comme il sortait, une silhouette fendait la foule en sens inverse et s’approcha subrepticement d’un Oriental coiffé d’un turban, la peau brune et la barbiche noire.
- Ils tiennent le Faubourg, Excellence.
- Mais ils ne me tiennent pas encore. Avertis-moi s’ils font mouvement ; il me faut encore une heure.
- Vous l’aurez, Excellence. Dieu vous garde.
Armand s’éloignait en riant. L’Oriental lui saisit le bras, à la faveur de la foule.
- Que… Vous ?!
- Oui, moi, moi, moi, encore moi, toujours moi, que croyais-tu ? murmura-t-il précipitamment. Tu vas m’être utile.
- Non. Ma femme, la France, oui, mais vous, non. Vous m’avez assez joué.
- Quoi, tu ne l’aimes pas ? La France va s’effondrer et tu te détourneras d’Evelyne. Mais moi, on ne me trompe pas, jamais, m’entends-tu ?
- Vous avez les titres, vous avez Podolsk, que voulez-vous d’autre ?
- Fais envoyer à l’hôtel de Saint Sulpice, fais dire au duc que tu veux le recevoir en personne cette nuit-même, tu as appris ce qu’il est et tu as des révélations à lui faire.
La terreur s’afficha sur le visage d’Armand.
- Vous… vous n’allez tout de même pas…
- Le tuer ? J’en ai bien l’intention. Mais rassure-toi, enfant, pas ici ; qu’il se montre au bout du boulevard et j’en fais mon affaire. Fais-le venir, et j’embarque à Marseille sous dix jours ; tu n’entendras plus parler de moi.
- Non ! Je… Je refuse de vous aider !
- Quoi, tu refuses ? Alors je reprends mes droits ; deux mots à la comtesse et je te ruine, mon ami. Allons, choisis, et tâche de te montrer raisonnable !
- Mais… on entendra le coup de feu d’ici, l’insurrection…
- Qui te parle d’un coup de feu ? sourit cruellement le prince. Mes mains suffiront. Ils ne sont que quarante-cinq ; j’ai mes poings, la partie sera égale.
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Message  silene82 Mer 30 Sep 2009 - 18:21

Superbe et compliqué! Je crois que je vais être obligé de me faire un tableau récapitulatif, votre monde est trop riche pour ma vieille cervelle.
J'espère que vous ne vous lassez pas plus que moi d'entendre les louanges: toute votre machine est fort bonne.
A vue d'œil, vous devez être autour des 80 et quelques pages: autant dire qu'en A5, format éditorial assez classique, nous ne sommes pas loin des 140-150; un petit effort de plus, et vous avez un livre.
Si cela vous agrée, je lancerais volontiers une souscription sur Vos Ecrits pour que votre ouvrage existe sur papier, et m'inscrirais immédiatement moi-même: il me semble qu'un talent aussi remarquable et précoce mérite amplement d'être encouragé.
Je lance donc l'idée, ne doutant pas que les nombreux amis des lettres qui arpentent VE ne fassent chorus, et peut-être paroli.
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Message  High_Voltage Mer 30 Sep 2009 - 19:10

Il n'y a qu'une seule intrigue, ça n'ira pas chercher trois cents pages. Si mes parties sont numérotées sur l'original, elles sont grossièrement inégales et ne témoignent que d'un changement spatial ou temporel. Il y aurait aussi une réécriture à effectuer sur certains passages pour renforcer la cohérence de l'ensemble, quoique l'enchevêtrement obscurcisse agréablement la machination. J'hésite parfois entre m'appesantir et conclure, je ne voudrais pas d'une succession de tableaux insipides ni d'un ralentissement désagréable, il s'agissait plutôt d'emporter le lecteur dans le tourbillon d'une époque, le charme de l'ensemble devant être porté par l'effort stylistique et le personnage du prince. Je vais boucler à ma manière, avec le peu de temps libre dont je dispose, et je reprendrai le tout ensuite, vers les prochaines vacances peut-être. Il pourra toujours être question d'en faire quelque chose ensuite, j'avoue que je n'ambitionnais rien de cet ordre.

Je crois pourtant que "mon" monde n'est pas riche ; il est un peu foisonnant à mon goût, mais c'est l'Histoire qui est riche. Ceci pour vous dire que votre remarque m'a donné l'idée de vous soumettre un texte somme toute assez récent dont je suis co-auteur, les deux autres mains ayant lâché l'affaire au début du mois ; il s'agit d'une science-fiction, que je ne peux pas poster sur un forum mais que je puis tout à fait mailer. Il y a beaucoup de Vologdine dans la chose, quoiqu'elle soit plus descriptive et plus ambitieuse. Si vous avez le temps et le goût de la fiction plausible, j'aimerais beaucoup profiter des critiques les plus sévères que vous pourrez formuler.
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Message  Invité Mer 30 Sep 2009 - 21:08

Là, j'avoue que j'ai complètement décroché de qui est qui, qui fait quoi, qui intrigue et couche avec qui, et ça me gâche un peu le plaisir de lire votre belle langue... Cela dit, si j'avais le tout sous les yeux pour lecture, je suivrais peut-être.
Je réitère mon admiration devant la richesse et l'aisance de votre style.

Quelques scories, à mon avis, que je me permets de relever :
"le Faubourg dansait donc, (pourquoi cette virgule ici ?) autour du couple magnifique"
"lui, excellent danseur, par un aimable hasard, (le "hasard aimable" se rapporte-t-il au fait que le gars soit bon danseur ou qu'il rayonne d'une prestance heureuse ? La structure me paraît ambiguë) rayonnant d’une prestance heureuse"
"Devant l’expression de l’insistance" : je trouve l'expression bizarre et peu heureuse, alambiquée

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Message  High_Voltage Mer 30 Sep 2009 - 21:45

C'est imputable à mes envois irréguliers, un jour de libre et le déluge, puis une semaine d'aridité, de quoi s'égarer dans le désert. La virgule met en relief la reprise du verbe "danser" ; le hasard a effectivement voulu que le provincial sache valser sans trop apprendre ; quant à la dernière remarque, je la partage entièrement. L'expression m'a servi de remplacement, de palliatif en fait ; j'avais livré quelque indice sur l'identité de l'interlocuteur qu'il me fallait occulter encore un moment, parce que l'effet d'une partie prochaine est basé sur son apparition. Pour garder les coudées franches, j'ai donc éradiqué l'indice, sans songer qu'il ne faut remplacer que par un syntagme supérieur. Que diriez-vous de remplacer cette faute par "De guerre lasse, [...]" ?
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Message  Invité Mer 30 Sep 2009 - 21:54

Pourquoi pas ?

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Message  silene82 Jeu 1 Oct 2009 - 8:13

High_Voltage a écrit:Ceci pour vous dire que votre remarque m'a donné l'idée de vous soumettre un texte somme toute assez récent dont je suis co-auteur, les deux autres mains ayant lâché l'affaire au début du mois ; il s'agit d'une science-fiction, que je ne peux pas poster sur un forum mais que je puis tout à fait mailer. Il y a beaucoup de Vologdine dans la chose, quoiqu'elle soit plus descriptive et plus ambitieuse. Si vous avez le temps et le goût de la fiction plausible, j'aimerais beaucoup profiter des critiques les plus sévères que vous pourrez formuler.

Je crains que vous ne surestimiez grandement l'avis que je pourrais vous donner: mes compétences se limitent à dire si j'aime ou pas, et comme j'aime votre patte, j'aurais nécessairement un avis partial, qui n'est manifestement pas ce que vous recherchez. Vous me faites beaucoup d'honneur de me proposer la lecture de votre collaboration, et je serais très heureux de la lire; avec votre permission, je la transmettrai également à socque, car vous avez dû, comme tout un chacun, noter la pertinence et l'acuité de ses avis.
Quoi qu'il en soit, voici mon mail

silene82@hotmail.fr

A tout moment vous pouvez disposer de votre texte en PDF, que je collationne au fur et à mesure.
Bonne suite, vif aiglon.
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Message  Halicante Jeu 1 Oct 2009 - 9:06

silene82 a écrit:A tout moment vous pouvez disposer de votre texte en PDF, que je collationne au fur et à mesure.
Dis, Silène, s'il est question du texte ici posté, puis-je me permettre d'avoir l'outrecuidance de quémander ce pdf de ta part ?! (je sais, quiconque est outrecuidant ne quémande pas, mais j'ai décidé de cultiver le paradoxe, pour m'entraîner ;-)) - s'agit-il ici vraiment d'un paradoxe, je n'en suis pas certaine...
Je comptais demander à High_Voltage s'il pouvait m'en fournir une version à lire en continu, mais si tu lui proposes de la lui envoyer, je suppose que cette version n'existe pas encore (hormis le pdf que tu as généré.)
Mais je peux bien sûr aussi me copier-coller l'ensemble pour lire le tout à tête reposée...
;-)
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Message  silene82 Jeu 1 Oct 2009 - 10:08

Halicante a écrit:
silene82 a écrit:A tout moment vous pouvez disposer de votre texte en PDF, que je collationne au fur et à mesure.
Dis, Silène, s'il est question du texte ici posté, puis-je me permettre d'avoir l'outrecuidance de quémander ce pdf de ta part ?! (je sais, quiconque est outrecuidant ne quémande pas, mais j'ai décidé de cultiver le paradoxe, pour m'entraîner ;-)) - s'agit-il ici vraiment d'un paradoxe, je n'en suis pas certaine...
Je comptais demander à High_Voltage s'il pouvait m'en fournir une version à lire en continu, mais si tu lui proposes de la lui envoyer, je suppose que cette version n'existe pas encore (hormis le pdf que tu as généré.)
Mais je peux bien sûr aussi me copier-coller l'ensemble pour lire le tout à tête reposée...
;-)

Aucun souci, puisque Lena t'en expliquera les bons passages; par contre, il me faut une adresse ou l'envoyer: si tu ne tiens pas à être assaillie par une cour empressée d'admirateurs dithyrambiques, envoie là sur ma boîte

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Message  High_Voltage Jeu 1 Oct 2009 - 10:57

L'approche est toute différente, j'ai le sentiment qu'on peut apprécier Vologdine et détester l'autre. J'ambitionnais de poursuivre seul le texte que je vous propose ; il s'agit de voir s'il vaut ou non quelque chose, et si l'histoire mérite d'être réorientée. Il n'y a que deux ou trois chapitres à lire, rien de très novateur dans l'ensemble, et si vous vous emmerdez entre les lignes n'hésitez pas à abandonner. Si socque peut également exercer le pointillisme le plus rigoureux sur l'extrait, j'en serais ravi ; il s'agit juste de limiter la diffusion, sur demande du second auteur. Je rassemble l'affaire et vous l'expédie en vous remerciant.

J'ai bien une version continue, dans un format Works assez laid ; je suis certain que le PDF que silène me fait l'honneur de produire conviendra beaucoup mieux. Il ne comprend cependant pas les retouches, j'imagine, puisque je n'ai rien pu éditer ici.
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Message  Halicante Jeu 1 Oct 2009 - 11:05

High_Voltage a écrit:J'ai bien une version continue, dans un format Works assez laid ; je suis certain que le PDF que silène me fait l'honneur de produire conviendra beaucoup mieux. Il ne comprend cependant pas les retouches, j'imagine, puisque je n'ai rien pu éditer ici.
Merci, High_Voltage, c'est arrangé !

silene82 a écrit:Aucun souci, puisque Lena t'en expliquera les bons passages; par contre, il me faut une adresse ou l'envoyer: si tu ne tiens pas à être assaillie par une cour empressée d'admirateurs dithyrambiques, envoie là sur ma boîte.
Ci-fait !
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Message  High_Voltage Sam 3 Oct 2009 - 15:42

Parfait alter ego du duc, madame de Saint Sulpice était une femme hautaine, extrêmement pragmatique, sèche comme une écorce, de pierre à l’intérieur. Mince, longue, rachitique, elle s’harmonisait avec son époux jusqu’au plan comportemental : elle était aussi peu loquace, bénéficiant par là-même du respect que le monde accordait d’intuition au silence en société, jugeant que qui ne disait rien réfléchissait nécessairement. Elle descendait d’une famille de landgraves rhénans, s’apparentant ainsi par un proche cousinage aux ducs de Saxe-Cobourg-Gotha, lesquels portaient les couronnes belge et portugaise, s’approchaient des trônes anglais et bulgare et s’offraient jusqu’au luxe de refuser celui de Grèce. Il s’agissait pour les souverains d’Europe d’empêcher une nouvelle pandémie révolutionnaire, de ces infections qui naissaient en France et contaminaient ensuite le reste de monde ; on craignait la rue, on craignait les penseurs, les socialistes, les jacobins, les partageux, les loges libérales, la république, l’excès, Valmy, le débordement ; on craignait un nouveau Bonaparte, et quinze ans de massacres de Lisbonne à Moscou pour la liberté des peuples. Mais aucun monarchiste convaincu ne soutiendrait la maison des Orléans, pas un seul légitimiste français ne se soucierait de voir tomber le régime du fils de Philippe Egalité, l’assassin de Louis XVI, le meilleur des monarques, par la vingt-et-unième voix sur quarante ; sauf le duc de Saint Sulpice. Carriériste avant tout, profondément étranger aux démêlés dynastiques, ayant séjourné plusieurs fois en Angleterre et aux Etats-Unis durant la Terreur, rentré sur le même navire que le ci-devant duc de Chartres en 1814, il trouvait en son épouse une formidable espionne des salons parisiens, de sorte que leur union tenait moins du mariage que du contrat associatif. Par elle, il avait organisé la retraite de mademoiselle de Visoncourt sur ses terres normandes, faute de parvenir à cloitrer au couvent la fille des Lumières ; le tout était qu’elle ne brillât plus. Sur un plateau d’argent déposé là par le valet, comme de coutume, trois messages lui parvenaient dans le même temps : le premier signalait qu’on avait retrouvé le corps du boiteux sur les bords de la Vistule, probablement détroussé par des vagabonds ; le second l’invitait à se rendre en personne et sur l’heure à l’hôtel de Ménonceaux où, malgré la fête qui battait son plein, l’irresponsable amphitryon le recevrait pour des révélations de la plus haute importance ; on ne parlerait qu’à lui, l’offre se saisissait ou se déclinait définitivement.
- La fille est morte, mon diable boiteux également, l’Espagnol ne respire plus le bon air de France, j’ai enterré la cousine en province et réexpédié le prince à Pétersbourg, se murmura-t-il pour lui-même. Qui me reste-t-il ?
En déshabillé devant sa coiffeuse, la duchesse examinait les traits de son mari dans le miroir. Il s’en aperçut aussitôt et prit son parti, sans changer d’expression.
- Mon amie, je sors. Si je ne rentrais pas avant demain, auriez-vous l’obligeance d’envoyer prévenir ces messieurs ?
- Certainement.
Ne restait que l’enfant ; près de cinquante hommes discrètement déployés dans les environs, un agent dans la place ; monsieur de Saint Sulpice commanda qu’on avançât sa voiture.
- Vous oubliez le troisième billet, mon ami.
Cette fois, sa négligence le surprit lui-même ; il échangea un long regard avec la duchesse, par miroir interposé. Elle rompit l’immobilité la première, en se retournant. Il s’empara du dernier papier et le déplia. Elle crut le voir blêmir à la lecture et l’interrogea d’un regard qu’il mit quelques instants à remarquer.
- Ce n’est plus un bal… articula-t-il si faiblement qu’elle dut lire sur ses lèvres.
Il redressa la tête et parla plus fort.
- Il n’est pas prince. Il ne se nomme pas Vologdine. Et il n’est pas à Pétersbourg.
Ils se fixèrent dans un mutisme atemporel. Le valet frappa, n’entendit rien, entra, se trouva gêné, balbutia que l’équipage était prêt et voulut ressortir.
- Mes pistolets. Qu’on prépare mes pistolets.
Ayant à peine troublé la stupeur de la scène, le domestique hébété ressortit précipitamment.
- Il y est. Il doit y être. Ce ne peut être qu’un piège, prononça-t-il étrangement, les yeux dans le vague. Mais j’ai trois atouts qu’il ignore. L’hôtel est encerclé par Duplessis, j’ai quelqu’un là-dedans qui l’a sans doute déjà repéré, et si tout cela échoue il me reste l’homme qui…
Il s’interrompit, resta en suspens quelques instants, puis écrasa violemment son poing sur le bord du plateau d’argent.
- Je l’aurai ! beugla-t-il.
Il sortit à grands pas ; la porte claqua. Quelques bruits retentirent encore au salon, tandis qu’il vérifiait son arsenal. La duchesse attendit encore un moment ; lorsque l’hôtel retrouva son calme vespéral, elle se leva puis, le geste lent, baissa la main sur le troisième billet, moucheté d’infimes cercles de sang. Il n’est pas prince. Il ne se nomme pas Vologdine. Il a fui Pétersbourg voici cinq ans. Coupable de forfaitures en neuf pays depuis l’Empire. Le czar nous supplie d’être son bras, au nom du rétablissement. Faites exécuter. Et l’écriture appartenait à Guizot.
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Message  Invité Sam 3 Oct 2009 - 16:56

Ça va chier ! (Pardon pour la trivialité ; j'ai trouvé la scène un poil caricaturale dans le genre "l'heure est grave".)
Impeccablement écrit, comme on a l'habitude avec vous.

...et merci : je passe par une période de découragement, et de vous lire, j'ai l'impression, va me permettre de la surmonter plus vite, me redonne envie d'écrire.

Une ou deux remarques :
"faute de parvenir à cloîtrer au couvent"
"Ne restait que l’enfant" : dans la mesure où j'ai pas mal décroché avec ce foisonnement de personnages, je ne vois pas du tout qui est "l'enfant", mais ce n'est pas votre faute
"Ils se fixèrent dans un mutisme atemporel" : je crois voir l'idée, mais l'adjectif "atemporel" me paraît trop décalé pour un mutisme

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Message  silene82 Sam 3 Oct 2009 - 18:41

Le dénouement approche! Vologdine va-t-il être démasqué? Que de choses se mettent en place dans cette mécanique! Je vais tout relire à la suite, car arrivé à ce point, je suis un peu perdu (litote).
Mais j'aime à croire que vous tenez fermement les rênes, et que la troïka court la poste, bon train et sans faiblir.
En tous cas, l'intérêt ne faiblit pas, non plus que votre style, qui garde sa nervosité et ses fascinantes scintillances.
Je vais relire aussi pour mieux me repréciser le rôle d'Anastasie, qui n'ayant eu l'esprit de mourir de langueur au bord de la Mer Noire, tant qu'à apparaître à Paris, m'a parue bien furtive.
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Message  High_Voltage Sam 3 Oct 2009 - 19:43

Et moi qui hésitais à faire sonner minuit à un clocher, avec peut-être un hurlement de rapace nocturne déclenché par le douzième gong...
Si ce texte peut avoir de tels effets sur le lecteur, j'en serais extrêmement ravi.
Je modifie ceci ; l'enfant est Armand, le texte lui sous-entend aux alentours de vingt-cinq ans (un homme peut accéder à la pairie à cet âge, il y obtient droit de vote cinq ans plus tard ; sous Louis-Philippe en tout cas), alors que le duc par exemple est "homme de deux révolutions", ce qui lui donnerait quelque chose comme trente ans de plus, sans compter que c'est la naïveté du provincial monté sur Paris qui justifie l'appellation ; l'adjectif portait l'ambition de faire une peinture, ils sont muets, immobiles, le temps passe peut-être, peut-être pas, peut-être que je devrais reprendre l'idée du gong et de la chouette finalement.
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Message  High_Voltage Lun 5 Oct 2009 - 17:58

Nicolaï Pavlovitch Romanov, autocrate intransigeant, grand-duc de Finlande, roi de Pologne et czar de toutes les Russies, gouvernait par un cabinet parallèle aux organes officiels, la très secrète Chancellerie ; la Troisième Section, organe de coercition souterrain, se trouvait aux ordres du comte général balte-allemand Alexander von Benckendorff. Aiguillonnée par le complot décembriste, la police secrète de la Chancellerie multipliait les arrestations, perquisitionnait partout, déportait, fusillait, établissait la censure la plus sévère et maintenait Pouchkine sous contrôle. Le comte avait repris Velizh, Leipzig et Berlin sur Napoléon, libéré la Hollande, assiégé victorieusement la forteresse de Varna et remporté presque à lui seul la guerre de Turquie, mais il avait manqué de peu Vologdine lors de sa fuite de Pétersbourg. Or il se trouvait que sa sœur, Dorothée von Benckendorff, princesse de Lieven, conduisait plus ou moins officiellement toute la diplomatie d’Europe ; elle parlait quatre langues le plus couramment du monde, maîtrisait la musique, instrumentalisait les hommes de pouvoir. Elle avait pour amants les plus grands princes du continent, remplaçait à ses côtés Talleyrand par Metternich, rencontrait sir Arthur Wellesley, duc de Wellington et âme des dernières coalitions, celui-là même qui franchit les Pyrénées pour démanteler l’Empire français ; elle connaissait également Louis-Philippe d’Orléans, qui la venait visiter souvent durant son exil, et déterminait Guizot lors de ses séjours à Paris, orientant par là-même une partie de la politique de la France. Connaissant par elle les récents évènements, sans délaisser la surveillance des terres de Podolsk, le général comprit progressivement l’identité de l’agitateur des cercles parisiens ; il le soupçonnait même du sabotage des cordes de 1826, celles qui cédèrent inopinément, offrant aux quatre meneurs dékabristes un sursis d’une demi-heure avant leur seconde pendaison. Mais l’homme de toutes les offenses cesserait bientôt de plastronner ; la diplomate avait entrepris Guizot pour faire effectuer le bas ouvrage par la police française : en gendarme du continent, la Russie tsariste et ses comités spéciaux pouvaient fort bien déléguer, et von Benckendorff s’en lavait les mains. Cependant la partie n’était pas encore jouée : comme Napoléon attirant les armées austro-russes sur le Pratzen, le prince suscitait lui-même les mouvements de l’adversaire ; ne resterait qu’à faire donner la Garde et à quitter la place. Dans un appartement vide, il néantisa le nabab, pour émerger en bourgeois sombre, empruntant l’air sérieux mais discret d’un officier de santé. Il contourna la salle de bal et gagna rapidement le dehors. Le grognard lui emboîta naturellement le pas ; Vologdine ne ralentirait plus.
- Où ? Combien ?
- A l’angle, il a distrait vingt hommes.
- Qu’en penses-tu ?
- Des civils, renifla le grenadier avec mépris ; ça ne sait pas se battre. Sauf votre respect, les nôtres ont tous été décorés à Iéna, à Eylau ou à Friedland.
- Tue-les tous et rejoins-moi.
Il acquiesça. Le prince s’engouffra dans une cour intérieure. Longeant une grille élancée plus noire que la nuit mais lancéolée de scintillements étranges, il rencontra la porte cochère espérée, chercha sa clef, l’introduisit dans la serrure et fit jouer le pêne. Sans s’occuper de refermer, il suivit l’ombre d’un muret jusqu’à ressurgir dans une rue parallèle assez large. A l’angle, des silhouettes sombres piétinaient, jetant de temps à autre un coup d’œil dans sa direction. Après les étouffants tourbillons de l’hôtel, l’air lui semblait froid. Il attendit. Puis une voiture apparut. Les chevaux hennirent, énervés, frigorifiés, hésitants ; ils commencèrent à remonter la rue.
- Le voici, annonça l’un des agents.
Celui qui commandait s’avança. Le premier coup de feu retentit ; il tomba. Et tout s’accéléra. Sur un toit voisin, trois fusils se déchargèrent en cadence sur le groupe de policiers en contrebas ; les chevaux ruèrent, immobilisant la voiture ; Vologdine se précipita. Il évita les sabots projetés dans les airs et se jetait sur la portière quand elle s’ouvrit à la volée. Le canon d’un pistolet luisit ; il plongea d’instinct. Sa main gauche dévia le tir. Il s’écrasa sur le duc, contre le fond du tilbury. Profitant de l’avantage, il saisit l’homme à la gorge pour le maintenir au sol, tout en contraignant le poignet pour le dessaisir du pistolet. L’atroce crispation des traits du chef de la police secrète prenait à la lueur diffuse des lanternes un caractère étrange, une sorte de sérénité morbide, déphasée, hors du temps. Finalement, l’articulation craqua ; le prince s’empara de l’arme.
- Ah, monsieur…
Il ne se débattait plus ; il sentait entre ses yeux déréglés le canon rafraîchissant.
- J’aurai donc le privilège de ne plus vous trouver sur mon chemin !
- Vous n’irez pas loin. Je vous attendrai ; vous me rejoindrez bientôt, monsieur, au portail de l’enfer !
- Partez devant !
La détonation retentit. Le corps s’effondra.
Dehors, le reste du monde offrait une scène abominable. Des sept officiers, embusqués dans les parages, on distinguait les cadavres sur le pavé ; mais une foule bien vivante, exacerbée, hurlait sa fureur dans les rues débordantes, comme si l’embuscade avait donné le signal de l’assaut. Les renforts de police se déversaient sur la gauche et prenaient position : le rempart, formant une barricade humaine au fond de l’avenue, constitué d’hommes en noir sur une profondeur de trois rangs, pistolet au poing et visant ce qui pouvait venir, calme, muet, immobile, attendait. On entendait monter un grondement sourd, dans le silence d’un grand souffle farouche. Un homme gisant au sol, dans une mare de son propre sang, se crispa sur un fusil tombé là, le sien peut-être. Un coup de feu partit. Un œil sur le prince et l’autre sur son assassin, Duplessis s’effondra.
- Hé ! Ce gueux-là grouille encore ! s’écria quelqu’un. Feu ! Feu à volonté !
Le fidèle grognard reçut vingt-neuf balles dans le corps. Celui qui avait crié fouilla l’avenue du regard ; mais elle était vide.
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Message  Invité Lun 5 Oct 2009 - 18:20

La digression sur la Russie et le général Benckendorff, j'ai pas bien vu comment elle se raccordait au reste... Par ailleurs, Vologdine n'était pas au bal, finalement, alors que l'événement devait être crucial ? Manifestement, le fil m'a échappé.

Un style toujours ébouriffant !

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Message  silene82 Lun 5 Oct 2009 - 18:22

Toujours dense! Et palpitant! Quel théâtre! Mais vous m'avez décidément perdu: il faut que je relise, j'ai négligé trop d'éléments.
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Message  High_Voltage Lun 5 Oct 2009 - 19:01

Cette digression explique le "permis de tuer" octroyé aux services secrets français : Vologdine est un dékabriste. Elle me permet aussi de donner de l'ampleur à la chose en peu de temps et sans ralentir l'histoire, avec un lien causatif qui l'enchaîne par Guizot à la partie d'avant. Quant au prince, il y était évidemment ! D'où donc arrive-t-il ? C'était le nabab, il se fait connaître d'Armand pour attirer le duc dans le piège ; il change ici de déguisement, dans l'appartement vide.

Encore deux évènements et la chose prendra fin.
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Message  silene82 Lun 5 Oct 2009 - 19:21

High_Voltage a écrit:Cette digression explique le "permis de tuer" octroyé aux services secrets français : Vologdine est un dékabriste. Elle me permet aussi de donner de l'ampleur à la chose en peu de temps et sans ralentir l'histoire, avec un lien causatif qui l'enchaîne par Guizot à la partie d'avant. Quant au prince, il y était évidemment ! D'où donc arrive-t-il ? C'était le nabab, il se fait connaître d'Armand pour attirer le duc dans le piège ; il change ici de déguisement, dans l'appartement vide.

Encore deux évènements et la chose prendra fin.

Vous me ferez mourir de joie: vous tirez des évènements et des situations dont je n'ai plus qu'une très vagues réminiscences, si tant est que les aie possédés quelque jour, avec une prestesse d'escamoteur ou de joueur de bonneteau, de votre frac, et vous étonnez qu'on ne suive pas: je mets au défi l'individu moyen, sans les béquilles de quelques relectures et d'un ouvrage synthétique sur la période que vous traitez d'en faire un compte-rendu cohérent et conforme.
Et de surcroît monsieur déguise ses personnages, comme si cela ne suffisait pas: au moins le magnanime Dumas, plein de mansuétude, réalisait-il qu'il avait affaire à des lecteurs du commun, et non des agrégés d'histoire.
Je force un peu le trait, mais guère: la cascade d'évènements, de plus vus des protagonistes essentiels, ceux qui tirent les ficelles, donc sans conformité avec les fables historiques qui en ont été faites après coup, a de quoi égarer: l'agrégé pinaillera, objectant qu'à cette date, il ne se pouvait pas que...tandis que le vulgum pecus au rang duquel je me compte, meugle tristement, dérouté.
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