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Point, à la ligne

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Message  Louis Lun 16 Nov 2009 - 18:46

C’est un endroit important. Il se passe là quelque chose d’extraordinaire.

C’est une limite, une borne, une frontière. C’est là où tout s’arrête. C’est là où tout prend fin. Au-delà, rien ne commence.

Elle est là. Elle est à bout, au bout de tout.

C’est une femme qui vit de rien. Présente par ses absences. Elle ne dit rien.

A cette heure où j’écris, je vis toujours avec elle.

C’est un endroit important. Elle se tient assise sur un banc, en ce lieu extraordinaire. Elle a dans ses mains un cahier d’écolier. Elle a mis son crayon à la bouche. Ses yeux fixent un point. Elle est là. Immobile. En cette heure grave et singulière, elle n’écrit pas. Ses yeux fixent un point. Le point final des choses, le point qui termine toutes les phrases, le point final de toutes les histoires.

Elle n’écrit pas. Elle n’écrit pas ce qui sera l’œuvre de sa vie. Elle n’écrit pas une poésie. Elle ne sait pas ce qui fait l’œuvre d’art. L’harmonie ? La mesure ? Le chaos ? La démesure ? Le ciel serein ou les tempêtes déchaînées ?

Là, simplement là, dans une sorte de sidération muette et douloureuse.

Elle est là, mais avec cette sensation forte d’un rejet. N’est-elle pas de trop ? Au beau, elle se sent de trop, et de la beauté elle n’a plus idée. Au langage, elle se sent de trop. A tout elle se sent de trop. En cette heure silencieuse et grave, je suis ému, près d’elle. Elle, elle est là. Dans cet endroit important. Quelque chose se joue et se crée là, en ce lieu extraordinaire, là où elle se tient. Assise, immobile, le cahier sur ses genoux, un crayon dans la bouche, elle se tient au bord de l’abîme.

Je vis toujours avec elle.

Elle n’écrit pas, elle cherche un mot. Un premier mot qui sera peut-être son dernier mot. Elle cherche un nom. Un nom propre ? Un nom commun ? Non, mais un nom des mots. Un nom de tous les noms. Elle attend un mot, elle attend un prince, elle ne cherche pas le nom du prince, mais le prince des noms. Elle attend le charme d’un mot.

Je suis près d’elle.

Elle cherche le mot d’une vie, le mot qui donne vie et donne tout. Un mot plein de toute vie, et de tout. Un mot passe frontière. Un sésame. Un code de tous les secrets. Un mot d’où s’écouleront les flots de toutes les paroles, de toutes les voix, de tous les écrits.
Ce serait un mot qui effacerait tout, jusqu’à cette frontière au bout, au bout de tout. Ce serait un mot ouvert sur tous les horizons. Les univers que l’on découvre de tous les balcons du ciel. Un mot à la ligne de l’horizon. Un mot qui ferait tout renaître. Un mot pour l’au-delà des frontières, qui ferait renaître les rivières, et les ponts sur les rivières, et le soleil, et la lumière.

Je suis près d’elle, silencieux. Je ne souffle pas un mot. Il y a le vent, seulement le vent, qui souffle sur ces moments de passage par ce lieu extraordinaire. C’est peut-être le vent du destin. Je ne dis rien. Elle ne dit rien. Comment lui expliquer qu’il faudrait remonter plus haut ? Plus haut, à la source même.

Comment lui dire que la source des mots n’est pas de même nature que la parole, qu’elle est différente de toute écriture ! Moi qui n’ai que des mots. Je me tais, je la regarde dans cet endroit extraordinaire.

Elle, elle regarde un point fixe. Elle ne bouge pas. Le crayon toujours dans la bouche. Comme si le mot recherché était au bout de sa langue, comme si le crayon était une plume qu’elle trempait dans l’encre de ses lèvres, ou dans cette écume de l’âme qui vient mourir sur le palais où dort un prince ineffable. Dans cette bouche si adorable. Je voudrais parler avec elle. Je voudrais trouver les mots qui s’inventent dans la solitude et la douceur. Dans la beauté fulgurante d’un instant. Des mots qui, comme des petits cailloux posés sur la surface du silence, tracent le chemin qui mène jusqu’à elle.

Elle s’est lassée des mots de tous les jours, des mots de toujours. Elle est là. Elle se tient assise sur ce point final de toute phrase, elle cherche le mot nouveau, le mot de jamais qui commencera une phrase nouvelle, une phrase inédite, une vie nouvelle, loin des vies maudites. Moi, je ne voudrais dire qu’un mot comme une caresse à l’âme qui sépare et unit deux moitiés du monde : elle et moi, moi et elle. Une caresse où deux êtres se serrent et se blottissent contre la parfaite frontière qui les sépare et les unit. Caresse avec effusion. Dans cette fusion qui tient distingué ce qu’elle unit mais fait vivre la chaleur dense d’une vie commune, dans l’avènement de toute lumière.

Elle est là, en un point fixe, tendue vers un au-delà inaccessible, scrutant des horizons indicibles. Moi, je suis près d’elle, et je caresse l’idée de réunir nos deux mondes avec les mots de tous les jours, avec les mots de toujours.
La page de son cahier reste blanche. Quelques larmes ont coulé sur le feuillet. Elles forment les lettres presque invisibles, mais très lisibles, de son chagrin, de sa souffrance, de son ennui. L’encre de ses yeux a laissé des marques humides sur le blanc de la vie, là sur ses genoux, dans son cahier ouvert, miroir du ciel blanc à l’infini.

Moi, je voudrais crier son nom. Je voudrais le répéter encore et encore. Je voudrais l’écrire à l’horizon. Je voudrais crier encore et encore : ne t’en va pas. Je voudrais lui écrire. Lui dire : écoute le mot. Dans écrire, il y a le cri et il y a le rire. Il y a un passage du cri au rire, des larmes à la joie. Il faut le chercher, il faut le trouver. Tu le trouveras. Elle reste longtemps, prostrée, sans rien faire, en ce lieu extraordinaire. Et puis le vent se lève. Lève la plage de son cahier, arène blanche. La page tourne. La page est tournée. Son visage est maintenant serein.

A son tour, elle se lève, debout dans le vent. Légère, fragile, tremblante dans le vent. Elle se tourne vers moi. Avance et ne se retourne pas. Elle descend d’une montagne de silence. Elle prononce les premiers mots après une éternité muette. « Allons-y » : dit-elle, « allons-y ». Doucement, dans un murmure, je lui dis à mon tour : « la vie viendra et elle aura tes yeux. »

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Message  Invité Lun 16 Nov 2009 - 19:47

C'est un portrait émouvant, un hommage amoureux. J'ai été séduite par le début parce que j'en ai aimé l'écriture en phrases courtes, hachées. Par la suite, j'ai trouvé que l'on perdait de cette simplicité dès lors que le narrateur s'implique dans ce tableau en y amenant ses émotions. A la fin, j'ai trouvé que le texte était devenu carrément sentimental. Pourquoi pas, me diras-tu ? Oui pourquoi pas. Sauf que j'aurais personnellement préféré m'en tenir à une observation extérieure et presque factuelle de cette écrivante en réflexion, comme un beau tableau vivant.

Cette phrase m'a plu, pour sa simple réalité :
Elle descend d’une montagne de silence.

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Message  Rebecca Lun 16 Nov 2009 - 19:53

Je trouvais qu'il n'y avait rien à dire après la lecture de ce texte. J'ai voulu poster ....un rien...un vide...un blanc...
J'ai juste appuyé sur envoyer mais ce logiciel n'aime pas les pages blanches...Il a insisté...
Alors ces quelques mots inutiles pour ne pas partir sur la pointe des pieds sans rien laisser du tout.
Et puis alors, puisque j'y suis, juste : les trois dernières phrases m'ont paru en trop.
Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j'aime beaucoup : "Elle descend d'une montagne de silence".
Je pense que c'était la plus belle des conclusions.
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Message  boc21fr Lun 16 Nov 2009 - 20:04

Franchement j'ai envie de vous donner le conseil muet que votre personnage essaye de susurrer à l'oreille de sa compagne :
Revenez donc sur des textes qui n'illustrent pas des thèmes impossibles !
Ce n'est pas que votre texte est raté, mais à mes yeux, même en tant que belle ellipse autour de la quête de l'indicible et incommunicable cœur de toute création, il garde un "je sais bien quoi" de frustrant :
De belles images dans votre texte, de beaux efforts pour essayer d'écrire et dire mais le plérome reste le plérome, tout en procède mais rien ne peut en être dit.
C'est ainsi, et à l'image de votre personnage féminin, il faudra bien vous y faire...
Alors en conclusion, oui, de la beauté, un intérêt réel lorsque le compagnon (heureusement qu'il est là et non un narrateur omniscient extérieur au récit) expose ses limites à lui et essaye infructueusement de rejoindre sa compagne.
Malheureusement, évidement, vu le lieu où elle se trouve, il ne pouvait, ce gros ballot, que projeter ses vues à lui...
Décidément...oui...un thème impossible...
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Message  demi-lune Lun 16 Nov 2009 - 22:43

Eh bien moi, j'ai bien aimé. J'ai trouvé ce texte poétique, et touchante la façon dont est exprimée la tentative vaine de l'amoureux de communiquer avec sa compagne. Les mots sont simples, doux et bien agencés (oui je sais : c'est bizarre ce que je dis, mais je le ressens comme ça !)
PS : boc21fr, j'aurais appris un nouveau mot aujourd'hui !
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Message  Rebecca Mar 17 Nov 2009 - 0:01

Je me relis et trouve mon commentaire plus qu'ambigu !
Si je voulais laisser un blanc, c'est parce que j'avais adoré ce texte!
Ca va mieux en le disant!
Mais j'ai hâte de commenter un texte de vous qui me déplairait enfin !
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Message  Sahkti Mar 9 Fév 2010 - 21:56

J'aime beaucoup ce procédé qui consiste à revenir sur ls mots et les idées tout en développant de nouveaux éléments au fil des phrases. Pas vraiment des retours en arrière mais des notes qui permettent à l'ambiance de s'intaller et de créer quelque chose de particulier.

Mon petit bémol sera pour la présence parfois trop marquée de ce JE qui prend beaucoup de place mais c'est souvent comme ça. Quand on parle de l'autre, on parle surtout et avant tout de soi car on ne peut vivre qu'à travers le regard d'un autre que soi pour justement se sentir soi. Tout ça se ressent ici. J'ai aimé.
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Point, à la ligne Empty De la belle ouvrage...

Message  ubikmagic Mar 9 Fév 2010 - 22:13

Louis a écrit:sidération muette et douloureuse.
Salut,

Ce sont les deux mots qui pour moi résument le mieux ce texte magnifique.

Je l'ai tellement ressentie, cette sidération douloureuse, avec son corolaire inversé, la facilité à s'exprimer par écrit, processus d'auto-réparation, de "résistance / résilience", pas toujours compris ni apprécié, au contraire, encore un indice supplémentaire d'une différence qu'il fallaitt à tout prix éradiquer...

J'aime cette fragilité que tu rends poignante. Et le tout servi par des mots ciselés... avec amour ? Oui, il y a là un amour qui irradie partout, comme quoi on peut écrire avec de l'amour, chose que je n'arriverai jamais à faire, ça n'est pas dans ma pratique. Mais j'apprécie en passant.

De la belle ouvrage.

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Message  Invité Mar 9 Fév 2010 - 22:27

Quel texte à vif, à fleur de peau! Servi par de très belles images et une écriture très maîtrisée. Seulement, c'est peut-être là que ça pêche : j'ai parfois eu l'impression que ce Point, à la ligne tournait au procédé, à l'exercice de style. Juste parfois. Les tropes ont tendance à être trop voyantes. Pour autant je suis conquis, donc je me tais, toute critique ne serait que médisance gratuite.

La vie viendra et elle aura tes yeux. Cette dernière phrase est tout simplement magique, à l'instar de la montagne de silence que tout le monde a déjà citée. Résolument du grand art et mon coup de coeur.

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Message  bertrand-môgendre Mer 10 Fév 2010 - 9:27

Lu et apprécié ce portrait.
Parce que l'artiste est celui qui conçoit l'invisible, ces matières impalpables ouvrant les portes de l'imaginaire.
Parce que ton écrit est empreint de silence, sa poésie dépasse les limites du texte.
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Message  jfmoods Mar 18 Nov 2014 - 9:56

Encore une fois, par le biais des procédés d'accumulation ("une limite, une borne, une frontière", "les rivières et les ponts sur les rivières, et le soleil, et la lumière"), des hyperboles ("là où tout s'arrête", "là où tout prend fin", "rien en commence", "tous les balcons du ciel"), des gradations ("Il faut le chercher, il faut le trouver."), des gradations hyperboliques ("les flots de toutes les paroles, de toutes les voix, de tous les écrits") et par le retour enchanteur des mêmes éléments porteurs dans le flux de la narration, l'utopie prend son envol. Quelques adjectifs qualificatifs ("extraordinaire" x 3, "grave", "singulière", "muette", "douloureuse", "important") entourent ce moment d'une aura particulière. Le jeu des présentatifs ("Ce serait un mot qui effacerait tout",  "Ce serait un nom ouvert") et des pronoms toniques ("Moi, je ne voudrais dire qu'un mot", "Moi, je voudrais crier son nom") fixe l'intensité de l'évocation. Cette femme énigmatique pourrait bien être celle que l'on nomme généralement la muse et dont la tâche consiste à baliser, pour celle/celui qui écrit, les strates d'un espace d'écriture porté ici par les métaphores ("horizons indicibles", "montagne de silence"), l'antithèse ("le ciel serein ou les tempêtes déchaînées"), le chiasme ("pas le nom du prince, mais le prince des noms"), le travail de décomposition du langage ("Dans écrire, il y a le cri et il y a rire"). Figure tutélaire, elle prend corps sous la forme d'un paradoxe ("Présente par ses absences"), se nourrissant de notre rapport au monde pour ébaucher, puis tracer en nous l'itinéraire de l'écriture.

Merci pour ce partage !
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