EXO de l'été : 14 rue de la Liberté

Douglas D. est un homme d'apparence placide, la cinquantaine accomplie, le cheveu court et gris. Les yeux d'une couleur dont on ne se souvient pas. Il ne sourit jamais et cela n'a rien à voir avec une quelconque envie de cacher ses dents jaunies par le tabac.

Douglas D. ne sourit plus depuis des années.
Depuis qu'il a quitté Varsovie et le 14 de la rue de la Liberté. Cela remonte à bien longtemps. Une dizaine d'années au moins.
Désormais, Douglas D. vit seul dans un chalet de haute montagne, quelque part dans les Abruzzes. Une baraque isolée dans laquelle l'homme passe son temps à méditer en compagnie de ses deux chiens. Ou de ses deux loups. Il est difficile de faire la différence entre les deux espèces dans le cas présent, tant les premiers ressemblent aux seconds et vice-versa.
Le trio vit de chasse et de balades. De souvenirs aussi.

Souvenirs de Varsovie et du 14 rue de la Liberté. Un immeuble plus tout jeune, occupé pour l'essentiel par des vieilles dames sourdes et des filles de joie. Pas mal d'âmes perdues également.
Douglas D. y avait trouvé un appartement à pas cher. Poussiéreux et confortable. Une fenêtre donnant sur une cour, une boîte aux lettres cassée et un paillasson avec un parapluie dessiné dessus.
Au fil des mois, l'homme avait fini par remarquer qu'une catégorie de locataires ne restait jamais très longtemps, des paumés de la vie qui s'en allaient aussi vite qu'ils arrivaient. Quelques jours, quelques semaines, rarement plus. Des êtres en sursis. De quoi lui donner quelques idées et surtout la possibilité d'assouvir un fantasme qu'il couvait depuis l'enfance et ses expériences sur les chats du voisinage.

De temps à autre, Douglas D. trucidait un de ses pairs de manière diverse et variée selon l'humeur du moment. Strangulation, pierre sur la tête, couteau... ce n'était pas tant la méthode qui comptait que le plaisir procuré par le découpage des corps. Le bruit d'un bras amputé à la scie ou encore des doigts arrachés au sécateur, il n'y avait rien de plus jouissif pour lui. Ha si ! Le jeter des morceaux humains dans l'incinérateur de l'immeuble. Le crépitement de la chair en train de brûler mettait le tueur dans un état proche de l'extase et le bruit intense qu'il percevait dans l'appareil, lorsque les flammes s'emparaient des corps, lui apportait la jouissance cérébrale, voire physique.
Un plaisir souvent renouvelé mais un jour, faute de nouveaux habitants, Douglas D. dût arrêter ses crimes et l'ennui s'empara de lui. Les semaines passèrent et avec elles s'installa une grande frustration. Heureusement, le bruit de la chaudière se remettant en route ressemblait quelque peu à celui du feu dans l'incinérateur lorsqu'il vomissait la graisse des corps et se délectait des tissus ensanglantés.
L'extase était certes moins intense mais toujours présente.
Cela ne suffisait cependant plus. Histoire de ne pas déraper et aller trop loin dans sa recherche du plaisir, Malcolm préféra déménager. Loin des brucolaques qui hantaient son esprit.
Son psychiatre, tenu par le secret professionnel, s'en félicita. Il ne savait plus que faire de cet encombrant patient et lui conseilla de se ressourcer quelque part, loin, là où il n'y aurait personne à tuer.

Aujourd'hui, dans son chalet, l'homme est seul et n'a que la nature pour compagne. La nature et ses chiens. Ou ses loups...
Depuis peu, toutefois, Douglas D. ressent de nouvelles émotions.
Dans cette région du monde, le soleil couchant revêt des teintes d'une nuance orange profond qui n'est pas sans lui rappeler la couleur des flammes, les chairs brûlées, le bruit de l'incinérateur, celui de la chaudière... il en faudrait peu pour que l'extase soit à nouveau au rendez-vous.
Aussi Douglas D. passe-t-il de longues heures à réfléchir, la fin de journée venue, observant le ciel, attentif au moindre changement de ton sur l'astre solaire. Chaque jour apparaît un sentiment neuf, le développement de frissons légers mais perceptibles. L'entraînement commence à porter ses fruits.

Cependant, il n'y a plus d'incinérateur, plus de chaudière. Plus de corps découpés non plus. Simplement un soleil qui se couche et une couleur orange profond.
Il y a des chiens aussi. Déguisés en loups. Ou l'inverse. On ne le sait pas.

Est-ce que ça brûle bien un loup ?