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Petites histoires de psy

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Message  Krystelle Sam 31 Mar 2007 - 9:03

A chacun suffit sa peine


— Qu’est-ce qui vous amène ?
— Une otite
Scotché le Doc.
Faut dire, les patients qui s’auto-diagnostiquent, c’est pas si courant, et pas tellement rentable non plus, c’est pas le genre de clientèle qu’on fidélise. Seulement, moi, je sais ce que c’est qu’une otite, c’est pas la première que j'en fais et là je suis sûre, c’en est une.
— Je soigne pas les otites Mademoiselle, on vous a mal orienté sans doute.
C’est possible, ceci dit les désorientés, à mon avis, c’est pas ce qui manque dans son cabinet.
Je le lui fais remarquer, il sourit.
— Quel genre d’otite ?
— De celle dont les mères parlent à la sortie de l’école, je réponds.
Il comprend pas alors je développe. J’ai pas d’enfants, mais les sorties d’école ça me connaît. Des baby-sittings, j’en ai fait des centaines, et des centaines de fois, j’ai entendu cette phrase :
« Il m’a encore fait une otite ».
La formule m’a toujours faite sourire : « il m’a ».
Bien sûr, il y a des variantes « il m’a encore taché la moquette », « il m’a encore fait les quatre cents coups »… Mais l’otite, c’est ce qui revient le plus souvent. Et toujours les mères s’approprient la souffrance de l’enfant. La douleur est un concept à partager faut croire.
« Il m’a ».
C’est comme si finalement, cette otite était devenue un peu la leur.
Et moi aussi je leur ai fait une otite à mes parents, mes amis, à tout le monde. Une belle otite, de celles qui alimentent longuement les conversations et les propos bienveillants d’un entourage compatissant. Je leur ai offert un beau paquet de peine et de contrariété et évidemment, ils se sont empressés de le partager. Chacun y est allé de son grain sel, le même en général : « Le temps, y a que ça, ça passera, tu verras ».
Mais moi je sais bien que le temps n’y suffira pas, c’est pour ça que je suis là. Je veux un diagnostic, une ordonnance, un bout de papier avec des instructions à suivre. Je veux des pilules contre le cafard, un baume pour les bleus de la vie, n’importe quoi.
Il sourit plus, Doc. Y a plein de petits « w » qui se sont formés dans les plis de son front. Je connais ça aussi, les « w » dans les plis du front. Ça s’appelle la compassion. Il a eu l’air peiné, peut-être qu’il l’était vraiment et comme je me suis mise à pleurer, ça a pas dû l’aider. Il m’a dit qu’il faudrait que je revienne tous les jeudis pour qu’on en reparle et il m’a remis un carton avec une dizaine de dates dessus.
Je savais bien qu’il les soignait les otites. Je suis malade oui, mais pas totalement désorientée. Je me suis demandée, en repartant, si au bout de la dixième séance il ne finirait pas par dire à sa femme, en rentrant :
— Ma patiente du jeudi, elle m’a encore fait une otite…


Dernière édition par le Sam 31 Mar 2007 - 12:11, édité 1 fois

Krystelle

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Message  Krystelle Sam 31 Mar 2007 - 9:05

En mal de mots


Tous les psys ont un divan, c’est ainsi. Pas de divan, pas de psy. C’est un peu comme les caddies. On n’a jamais vu un caddie sans roulettes, ça n’existe pas. C’est donc la roulette qui fait le caddie. Sinon ce n’est plus un caddie. Et de même que la roulette est inhérente à la notion même de caddie, le divan est la condition sine qua none du psy. C’est que je m’étais toujours dit.
Au premier rendez-vous, je l’ai cherché partout le divan, en vain, et pour cause, il n’y en avait pas. Evidemment j’ai paniqué, je me suis demandée sur quel genre de psy j’étais tombée et j’étais prête à m’en aller quand le Doc m’a demandé ce qu’il se passait. Je lui ai expliqué que je pouvais pas rester, qu’il me fallait un vrai Doc, avec un divan. Il m’a rétorqué que c’était un cliché, que la plupart de ses confrères n’en avait pas, qu’on ne voyait ça que dans les films. Je suis restée scotchée. C’est tout un mythe qui s’effondrait.
Je voulais m’allonger quand même, histoire de me garder un petit bout de mythe intact, alors je lui ai demandé si je pouvais emprunter sa moquette. Niet. Il voulait qu’on soit face à face, le Doc, alors il m’a priée de m’asseoir pour qu’on puisse commencer la séance. Je me suis exécutée.
Il a voulu que je lui explique ce qui n’allait pas et pourquoi j’étais là mais y avait rien qui sortait. Des mots, j’en avais plein pourtant, mais au fond, tout au fond. Plus il insistait, plus je paniquais et plus ça restait coincé. Alors il m’a demandé de partir, de revenir le jour où je serai prête à mettre mes émotions à plat. J’ai voulu lui répondre que je voyais pas comment mettre quoique ce soit à plat sans m’allonger mais j’ai pas réussi, alors je suis sortie.
Je n’ai rien pu dire pendant les jours qui ont suivi. Je me suis demandée si on pouvait perdre ses mots, un peu comme on perd ses clés, et les retrouver, un jour, sous l’étagère ou le canapé. Et s’ils n’étaient pas sous le canapé mais quelque part, tout au fond de ma gorge. S’ils y restaient coincés pour l’éternité ? S’ils grossissaient jusqu’à former une énorme boule ? Alors, je mourrai asphyxiée par mes propres mots faute de n’avoir su les prononcer.
Ça tient à pas grand-chose la vie parfois, un caddie sans roulette, un psy sans divan et tout s’écroule.
J’ai pleuré tout ce que j’ai pu, tous les mots qui me venaient plus et je les ai regardé couler sur mes joues, venir mourir sur le parquet. J’ai retapissé la pièce des miettes de mon mutisme, j’ai recouvert chaque mur de miasmes de non-dits et j’ai fini par me laisser bercer par la musique de me silences.
Des mois plus tard, je suis retournée voir le Doc, après tout, c’est là que tout avait commencé. Comme je disais toujours rien, il a consenti à me prêter sa moquette. Je me suis allongée et j’ai retrouvé mes mots, quelque part sous son bureau. J’ai parlé des heures durant, je lui ai expliqué ma théorie des caddies et je crois qu’il a compris, la semaine d’après, il avait acheté un divan.

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Message  Krystelle Sam 31 Mar 2007 - 9:07

L’Eurêka


― Qu’est-ce que vous faîtes ?
― Je compte mes orteils.
― Je vois ça, mais pourquoi faire ?
Il est drôle le Doc, je le paie pour qu’il me le dise. Et cher encore. A soixante-quinze euros la séance, il peut bien la trouver tout seul la réponse.
Le mois dernier, on a passé des heures sur cette histoire de poisson. Je lui ai expliqué le malaise au restaurant japonais, cette angoisse soudaine à la vue du sushi et comment la bête a soudain ressuscité dans mon assiette pour danser le kabuki. Je lui avais déjà raconté pour Tofu, mon poisson rouge, et son suicide le jour de mes onze ans. Mais il a pas fait le rapprochement, le Doc, pourtant c’était flagrant. Il n’a voulu y voir qu’une maladie à la prononciation imbuvable : « ichthyophobie » il a dit. Et au moment où le mot est sorti de sa bouche, j’ai vu un petit éclair dans le coin de son regard, comme un «Eurêka » murmuré du bout de l’œil. Il a dit qu’on allait entreprendre une thérapie cognitivo-quelque chose pour que je puisse à nouveau manger des sushis, j’ai dit oui, pour lui faire plaisir, et puis il a dû oublier parce qu’après on est passé à cette histoire de coccinelles.
Il m’a demandé si j’en voyais souvent, j’ai que non, je les voyais pas, qu’elle pleuvaient juste dans ma tête, c’était comme ça. Il n’a pas trouvé de mot pour les pluies de coccinelles, j’ai été un peu déçue.
Mes orteils le laissaient tout aussi sceptique. Il comprenait pas l’intérêt de les compter et moi, je comprenais pas qu’il n’ait jamais songé à le faire. Les doigts de pied, c’est comme le reste, ils sont là, et on se demande jamais pourquoi. Et si, un beau matin, on se réveillait en s’apercevant qu’il en manquait un ? Ou pire, si justement on ne s’en apercevait pas ? C’est là l’intérêt de les compter, parce que tant qu’à vivre avec un orteil en moins, autant se dire qu’on a profité jusque là de ce qu’on n’aura désormais jamais plus. C’est ma conception du carpe diem, certains cueillent le jour, moi je compte mes orteils, que voulez-vous, j’ai l’hédonisme à fleur de pied.
Et tandis je comptais, le Doc prenait des notes, s’arrêtait, mâchouillait son crayon, regardait mes pieds et notait à nouveau. Je me suis demandée un instant s’il dressait le profil psychologique de mes orteils. Quand il a conclu à un trouble obsessionnel de l’image corporelle, j’ai vu à nouveau poindre l’Eurêka au bout de son regard. C’était magique, on aurait dit qu’il venait de découvrir la poussée d’Archimède, le Doc et j’ai pas regretté ma séance. Ces moments-là, ça ne s’oublie pas.
Il a sorti son agenda pour qu’on prenne rendez-vous la semaine d’après mais j’ai refusé. Un Eurêka comme celui-là, ça n’a peut-être pas de prix, mais soixante-quinze euros quand même, faut pas pousser !

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Message  Charles Lun 2 Avr 2007 - 8:13

Otite : Celui que je préfère des trois. Attachant, touchant sans tomber dans le franchement déprimant. Juste et bien tourné

Divan : par instant, ça sonne un peu trop larmoyant peut être. J'ai eu du mal à me figurer un psy un peu brusque et puis, il a un problème de crédibilité, un psy sans divan, ça n'existe vraiment pas :-)))

Orteil : Celui que j'aime le moins. C'est celui qui contient le plus d'humour et le moins d'émotion et peut être que c'est une des raisons qui me l'ont plus fait voir comme un exercice de style, de jeux de mots ... J'ai eu plus de mal à entrer dans celui-ci qui m'a semblé moins naturel.
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Message  Loupbleu Mer 4 Avr 2007 - 9:08

J'aime beaucoup ces trois textes. Je trouve aussi qu'ils sont cohérents, qu'ils ont juste la bonne taille. "Tu nous as" encore fait des bons textes :-)

"A chacun sa peine", j'apprécie, il est probablement moins auto-centré et du coup déborde sur la vie dont tu fais des observations pertinentes. "En mal de mots", est plus introspectif, on reste davantage dans une atmosphère légèrement surréaliste. Le dernier "l'Eurêka" est le plus drôle, le plus critique et se trouve très bien en dernière position des trois textes.
Une dernière remarque en passant : le jeu sur les mots est typiquement lacanien :-)
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Message  Sahkti Mer 4 Avr 2007 - 9:27

J'aime beaucoup ces trois textes. Chacun possède ses qualités propres. malgré un fil conducteur commun, ils sont autonomes et différents.
Le premier est à mes yeux le plus touchant parce que celui qui se rapproche le plus du quotidien que nous partageons tous, un jour ou l'autre; l'identification au sujet est réelle et tu emploies des mots simples qui font mouche, avec une belle pointe d'humour.
Le second me plaît pour sa démonstration; je regrette cependant un brin de confusion par moments, sans doute lié à ce qui se trame dans la tête de la narratrice mais ça se ressent dans le texte. La distance est là mais pas suffisamment à mes yeux.
Le dernier, enfin, me plaît pour ses trouvailles de maladies et son côté introspectif, c'est décalé et drôle à sa façon.
Dans les trois cas, j'aime beaucoup le côté grinçant qui s'esquisse.
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Message  Zou Jeu 5 Avr 2007 - 9:40

Trois très bons textes, malins, humains.
Une préférence pour les deux premiers.
L'otite pour les émotions, En mal de mots pour sa démonstration, son humour et les" mots".
Par contre suis restée en peu en dehors d'Eurekaque j'ai trouvé plus superficiel.
Mais pris isolément ou ensemble, ces trois textes sont un vrai régal.
Je dis "Encore". Mais bon à 75 € la séance, c'est vrai que ....;-)
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Message  mentor Jeu 5 Avr 2007 - 19:11

J'aime bien ces textes, ils sont pleins de sensibilité, de charme, d'humour parfois, de justesse toujours. Une préférence à l'histoire de l'otite.
Merci Krystelle

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Message  Lyra will Lun 9 Avr 2007 - 10:37

Je préfère le premier mais j'aime les trois, il y a de très jolies trouvailles à chaque coin de phrase, une belle façon d'écrire, plein de bonnes choses, tant sur le fond que sur la forme!
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Message  benedicte Lun 16 Avr 2007 - 11:33

j'aime ces trois textes, beaucoup d'humour tellement vrais, j'adore cette façon de traiter avec désinvolture de réels problèmes humains avec des gens enfermés dans des schémas obligatoires. Plus sensible au dernier mais j'aime les trois
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Message  Kilis Lun 16 Avr 2007 - 12:57

Ah ! Krys, de bien savoureux tableaux ! Je ne sais pas pourquoi, te lisant, me trotte toujours en tête le mot « peppermint ». Mais si, en fait, je sais : il évoque la fraîcheur et le piquant — allant parfois jusqu’au mordant — que l’on retrouve dans chacun de tes écrits tellement personnels. J’aime beaucoup.
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