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La maison de vacance

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La maison de vacance Empty La maison de vacance

Message  solfa Jeu 9 Fév 2012 - 10:11

PREMIERE PARTIE - JEROME

1.

Jérôme creusait. Au-dessus de sa tête nue – un crâne presque chauve où glissaient paresseusement des gouttelettes – filaient des nuages, de petites trainées nuageuses inoffensives, rendues incandescentes par la lumière rouge du soir. Il venait de passer sa journée à cogner, à remuer la terre, gratter des tranchées, non sans peine, et on pouvait lire de loin les conséquences de la débauche d’énergie. Dans la silhouette et dans les couleurs : son pantalon de toile était taché, il avait de grandes marques de terre sur les cuisses, sur les poches arrière, et son front avait rougi. Ses mains étaient brunes par endroits, de la terre s’y était collée ; parfois, c’était de l’ocre, plus diffus, presque sous la peau, qui s’étalait : la teinte imprégnait sans doute mieux cette peau délicate, celle des paumes qui n’avaient jamais connu l’effort. Il se releva un instant, les deux mains posées sur le manche de la pelle, le regard vers l’horizon. Il avait souvent vu cette pose en photo et, en un sens, se sentait terriblement sexy.
Le vent lui soufflait sur la nuque quelque chose de doux, une tiédeur de début de soirée qui l’invitait à s’arrêter, quelques heures, le temps de la nuit. Il s’étira, cambra le dos, et laissa la pelle plantée dans le tas de terre fraîche.
Autour de ce qui serait bientôt les fondations d’une maison, les arbres faisaient leur petite danse tranquille, eux aussi bercés par le vent d’été. Des arbres tout autour, des herbes hautes, des fleurs des champs, et le chant des insectes, toute la nature bien réelle en plein ronronnement.
La nature apaisante malgré tout, accueillante bien qu’il l’ait oubliée pendant si longtemps. Il aurait pu se dire que c’était bien, qu’il était là pour ne plus penser et qu’il y parvenait. Il pouvait croire que la ville était loin, loin derrière, inaudible, invisible.

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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 12:00

Un texte en devenir, pour moi inachevé. Quelques points de détails :
- "Maison de vacance" ou de vacances ; ceci étant, vacance est correct, mais dans ce cas il s'agit de l'état de ce qui est vide, inoccupé et donc inadéquat par rapport à la suite.
- "passaient des nuages, de petites trainées nuageuses inoffensives" : à mon humble avis, inutile de préciser à nouveau qu'il s'agit de trainées nuageuses (de petites trainées inoffensives).
- "Il venait de passer sa journée à cogner" : "piocher" me semble plus approprié à l'action entreprise. De plus, passer à été utilisé la phrase d'avant (peut-être : il venait d'employer (ou autre)).
- la teinte imprégnait sans doute mieux la peau délicate, celle des paumes qui n’avaient jamais connu l’effort : ici, s''agissant des paumes, il me semble qu'elles devraient être plus claires ; donc je ne comprends pas bien la phrase.
- "et laissa la pelle plantée" ou fichée.
Globalement j'ai bien aimé la succession labeur/quiétude. J'aurais aimé une présentation du personnage un peu plus fouillée, savoir pourquoi "il était là pour ne plus penser".
Merci pour cette lecture

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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 18:37

j'aime beaucoup la cadence, je me suis par moment laissé happé par la musique et oublié de retenir le sens, et c'est devenu pire quand cette chanson " mon légionnaire " s'est incrustée en fond, inexorable . C'est un compliment, j'aime à relire les phrases 2,3 fois chez les auteurs généreux.

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Message  solfa Jeu 9 Fév 2012 - 19:42

Seul au monde, au seuil de l’inconnu d’une région pourtant française, qui aurait pu, même du lui être familière : telle était sa situation, à présent. Il se trouvait sur un terrain de quelques centaines de mètres carrés, un petit terrain protégé de tout, loin des routes. Pas de voisin à immédiate proximité. Le terrain avait pour limite des talus hauts, où des arbres avaient poussé ; au-delà, des champs de blés, de maïs, de sarrasin, des vergers pleins de petites pommes acides, bonnes pour le cidre. Il était au centre de ce qui s’apparentait à une enclave. Son jardin d’Éden, en pleine Bretagne. Peut-être y aurait-il, dans le trou de ronces, un peu plus loin, un nid de couleuvres ; il ne se sentait pas de continuer une mauvaise métaphore biblique.
Le soleil nimbait pour quelques instants encore le bleu d’azur de sa rougeur de braise, et il s’était assis. Il regardait autour, plus attentivement qu’auparavant. Un trou paumé, avec rien pour le distraire. Mais parce qu’il avait toujours été un grand romantique, il était en train de devenir d’ici, il était déjà en train de réécrire une histoire. Il se releva un instant, pour ouvrir le coffre de sa voiture, et prendre une des bières premier prix dont il avait rempli la glacière. Ses bottes s’enfonçaient légèrement dans la terre, maillée d’herbes presque sèches. Il essuya son front toujours perlé de sueur avec son t-shirt, fit rouler la bouteille de bière sur son cou. Tout allait bien, il sentait ses muscles tendus par l’effort, il n’anticipait pas les courbatures, profitait de l’impression de la parfaite maîtrise de ses membres. Il se sentait fort, agile, l’énergie lui manquait peut-être, mais son corps entier était pour une fois absolument le sien. Passer des heures assis à un bureau, assis en voiture, assis dans un canapé, et allongé dans un lit ; passer des heures à donner des coups de pelle, à faire levier de tout son corps, à se faire des ampoules au creux des mains. Il ressentait sur sa peau même la différence.

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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 21:38

Rien trop à dire pour le moment, j'attends de voir la tournure que cela prendra.
Peut-être un peu longuement descriptif le début de la 2ème partie.
Et ceci, gênant à l'oeil : "qui aurait pu, même du" (dû)

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Message  Yali Jeu 9 Fév 2012 - 22:00

Easter(Island) a écrit:Rien trop à dire pour le moment, j'attends de voir la tournure que cela prendra.
Peut-être un peu longuement descriptif le début de la 2ème partie.
Et ceci, gênant à l'oeil : "qui aurait pu, même du" (dû)
Tout pareil.
2e Easter

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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 22:07

Je plaide coupable, parce que tu me l'as déjà dit. Cela dit j'avais quand même comme un doute avec mon correcteur orthographique qui voyait rouge...

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Message  Invité Jeu 9 Fév 2012 - 22:49

J'aime beaucoup !
J'aime
- l'image "un crâne presque chauve où glissaient paresseusement des gouttelettes"
- pour rire "les deux mains posées sur le manche de la pelle, le regard vers l’horizon. Il avait souvent vu cette pose en photo et, en un sens, se sentait terriblement sexy."
- le réalisme de la formule "l’énergie lui manquait peut-être, mais son corps entier était pour une fois absolument le sien."
C'est descriptif mais je crois que c'est le style que je préfère après il faut parvenir à avancer dans le début d'une histoire ?

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Message  solfa Ven 10 Fév 2012 - 8:09

Le jeu qui l’avait placé là n’était plus un jeu de pouvoir, c’était un jeu innocent, un jeu d’enfant un peu idiot. Jérôme avait toujours cru qu’il n’y avait pas d’autre choix que l’opposition ; il pensait même que c’était ce qui régissait le monde, le bien et le mal, le Ying et le Yang, la droite ou la gauche, l’effort et le réconfort, le thé ou le café : Jérôme n’avait jamais eu l’humour difficile, et alors qu’il entreprenait d’arracher de sa bière tiède l’étiquette blanche aux reflets d’argent, il pouffa. Il pouvait penser hors des oppositions radicales, bien sûr, mais ne savait pas comment construire, et se construire, si ce n’est contre. Il fallait qu’il tente sa chance ; c’était l’heure ; il fallait qu’il construire pour. Il savait bien, au fond, ce qu’il faisait là : il fuyait des responsabilités de consommateur, des impératifs de père et de fils, des habitudes d’homme. Il tournait le dos à la vie sociale et normale, et il s’activait seul, sans autre but que celui qu’il s’était assigné : bâtir une maison. Le poids des choses cumulées, qui donnait l’impression de vivre, n’était plus là. Toute son histoire. Ses erreurs. Ses réussites. Tout ça envolé. Juste le vent tiède qui passait dans son dos. Il faisait grosso modo le coup du bernard-l’ermite. Il pouffa.

Des oiseaux virevoltaient un peu plus loin, piaillaient le temps de trouver un abri pour la nuit. Jérôme avait acheté le terrain une bonne dizaine d’années auparavant. Il se rappelait avec exactitude les circonstances, même le visage du notaire, il se rappelait qu’ils étaient jeunes, Coline et lui. Qu’elle avait le ventre rond à cause de Delphine, qu’ils souriaient comme des gosses quand ils avaient trinqué avec les autres, pour célébrer l’achat. L’idée était que Coline et lui achèteraient le terrain, mais que tous les autres participeraient à la construction de la maison. Ils s’étaient fait des plans de vacances, des plans de moments en famille, entre amis. Tous y avaient rêvé et puis le temps était passé, il fallait de l’argent, il fallait gérer les priorités. Ça ne s’était jamais fait. Pourquoi, vraiment ? Il l’ignorait, la vie est ainsi faite, voilà. Ça lui paraissait vieux de plusieurs siècles.

Le notaire avait parlé de taxes, d’impôts, mais c’était là des détails sans importance ; ils vivaient grassement, affectaient de ne pas regarder à la dépense, dédaignaient les espoirs permanents des vrais gagnes-gros à faire des affaires. Oui, ils gagnaient bien leur vie, sans exagérer, et pouvaient compter sur un patrimoine familial conséquent : ils étaient sur le versant décontracté de la France riche. Elle était directrice marketing pour un consortium chinois de produits cosmétiques noname ; elle avait à charge de vendre la marchandise – principalement des crèmes hydratantes, des laits démaquillants et des savons désincrustants – aux marques européennes de renom, de moins en moins scrupuleuses face à la crise et l’émergence de la coquetterie en Chine, notamment.

Lui était d’autant plus décontracté qu’il était ce que l’on appelait un créatif – il s’entendait même parfois dire qu’il était un artiste. Pour tout dire, son travail consistait à enregistrer des commentaires sportifs, beuglés à froid par des professionnels de chez Canal Plus, qui seraient par la suite implémentés dans des jeux vidéo de sport. Il vérifiait les niveaux, s’assurait de la bonne longueur des interventions, et de l’énergie des intonations, du cœur et de l’harmonie de l’ensemble : c’était dans ce dernier domaine qu’il pouvait faire usage de sa tant louée oreille musicale. Ce qu’il faisait réellement importait cependant assez peu : il était aux yeux de la plupart de ses connaissances, proches et moins proches, un ingénieur du son, entre informatique et musique, et ainsi donc presque musicien, donc artiste. C’était les raccourcis que prenait sa carrière, et qui lui permettaient de ne pas trop penser, au moment de s’endormir, à ce qu’il aurait pu être et faire, s’il avait véritablement cru en ses rêves de jeunesse.
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Message  Invité Ven 10 Fév 2012 - 9:01

Je suis toujours l'affaire : c'est limpide, ça se lit facilement, très agréable. Bien vu le jeu des oppositions.
"Il pouvait penser hors des oppositions radicales, bien sûr, mais ne savait pas comment construire, et se construire, si ce n’est contre. Il fallait qu’il tente sa chance ; c’était l’heure ; il fallait qu’il construire pour"
Pas bien compris pourquoi jusqu'à présent il se construisait "contre" puisque il semble au contraire s'être résigné à des compromis qui ne le satisfont pas, n'a t-il pas vécu au contraire POUR faire ce que l'on attendait de lui ?

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Message  Invité Ven 10 Fév 2012 - 16:45

Je commence à bien aimer ton personnage, un jeune homme flou...Floué ?
Une petite coquille là :
c’était l’heure ; il fallait qu’il construire pour.

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Message  solfa Ven 10 Fév 2012 - 23:08

Coline et Jérôme se savaient privilégiés. Pour eux la pauvreté se limitait grosso modo à des images de petits enfants noirs, de camps de malnutris infestés de mouches. Ce qu’ils considéraient avec la plus grande tristesse, c’était la pauvreté noble de ceux qui n’ont vraiment rien. Ils disaient : un pauvre occidental, c’est un riche là-bas. Ils ne votaient pas, pour autant, pour les écologistes, bien qu’ils commençassent à épouser la tendance bobo – surtout depuis qu’on leur serinait que cela existait, que les bourgeois-bohème étaient une espèce en voie de fort développement, qu’elle était un mode de vie et de pensée critiquable et de ce fait parfaitement viable, qu’être bobo c’était être cet animal absolument moderne dont on parlait et dont il fallait parler dans les livres, parce que c’était historique, historique, oui, c’était un de leurs sujets préférés, à l’époque – tendance bobo donc, qui les feraient tout de même voter pour les Verts aux européennes, mais qui ne durerait pas suffisamment pour modifier en profondeur leurs réflexes électoraux. En plus, ils ne savaient pas trop si les bobos existaient vraiment, ou si c’était une étiquette que certains, mal intentionnés, voulaient placer sur d’autres qu’ils pensaient des ennemis de leur cause. En tout cas on en parlait, on causait, on faisait de la politique.

Ils votaient donc encore pour la droite classique, pas celle de la finance, celle des valeurs, la droite RPR de Chirac, qu’ils trouvaient sympathique. Ils n’arrivaient plus, comme la plupart des Français, à départager l’homme politique de la caricature, mais il leur semblait que ce président-là véhiculait une image de la France qu’ils voulaient bien transmettre à leurs enfants. Sarkozy ne leur plaisait pas, mais ils avaient quand même voté pour lui, on ne se refait pas. Ils ne poussaient pas trop loin la réflexion, c’était usant et vous détournait des choses vraies : le vin, l’amour, la bonne bouffe, l’art et la nature. Et puis on rigolait bien, encore, avec la marionnette bourrée de tics.

Le terrain était resté en jachère des années durant, les enfants avaient grandi et les amis s’étaient un peu éloignés, c’était un terrain où rien n’était plus vraiment à bâtir, juste un terrain. Un terrain vague jusqu’à ce que Jérôme reçoive le courrier d’un agriculteur du coin, qui lui demandait s’il comptait vendre. Ce fut le déclic : ce fut cette lettre qui le décida, et l’amena à cogner la terre comme une bête folle, à creuser des trous lui-même, sans machines ni aide, à couler des fondations, à monter des murs, sans que personne ne sache ou ne comprenne ce qu’il entreprenait réellement. Sans que lui-même en sache trop.
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Message  Invité Sam 11 Fév 2012 - 11:04

Ah ! Ça va commencer ! J'ai hâte. Hâte de mieux cerner Jérôme, dont, soit dit en passant, le capital sympathie a quelque peu fondu avec les deux derniers passages - réaction toute personnelle.

En attendant, quelques remarques, pour ce qu'elles valent :
-10 ans ou même "une bonne dizaine d’années", je trouve que cela fait court le temps écoulé, pour donner du poids à la fois à l'histoire et au personnage (de " il se rappelait qu’ils étaient jeunes, Coline et lui. Qu’elle avait le ventre rond à cause de Delphine," à "les enfants avaient grandi et les amis s’étaient un peu éloignés,"). Dix ans, c'est court dans une vie (et très long aussi, oui, je sais).
-"bien qu’ils commençassent " : Il y aurait moyen de faire plus léger, moins boursouflé ("bien qu'ils aient commencé)- à moins que cela ne soit bien sûr fait délibérément pour coller aux personnages...
-"Sans que lui-même en sache trop." : "en" ou "ne" ?


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Message  solfa Lun 13 Fév 2012 - 8:50

L’après-midi, il avait commencé à se raconter l’histoire de sa fille, de ses fils, de sa femme et de son nouveau mari. Delphine, Julien et Matthias, Coline et Marc, et leur petite vie modèle de famille recomposée. L’histoire qu’il imaginait pour eux, sans lui. Le beau-papa et la maman, la fille et les jumeaux, autour de la table. D’abord dans sa tête, alors qu’il creusait. Et puis, plus tard, par écrit ; il allait consigner toutes ses idées, bonnes comme mauvaises, dans un carnet à petits carreaux.

Il profitait du répit, buvait par petites goulées la bière franchement mauvaise. Mais le soir allait vite tomber, il fallait préparer le nécessaire pour passer la nuit. Il sortit alors le grand sac de toile beige Lafuma de la voiture, en extraya les tubes chromés, la toile extérieure, la doublure intérieure, et rangea les éléments les uns à côté des autres. Il se mettrait à côté de la voiture, à l’entrée du terrain, près du petit chemin par lequel il était arrivé. Peu lui importait d’avoir de l’ombre, il se lèverait le matin, ne resterait pas paresser longtemps. Avec son petit maillet à tête en caoutchouc, il planta les sardines, et se rendit compte combien les pierres étaient nombreuses dans le sol. Il tordit par leur faute plusieurs des tiges de fer, et dut s’y reprendre à plusieurs reprises pour parvenir à planter les quatre coins correctement. Il se trouvait finalement assez loin de la voiture, et un peu à l’ombre.

Jérôme était optimiste : il ne pensait pas aux heures pénibles qui l’attendaient. Il ne voyait que le plaisir immédiat d’être à ce qu’il fait, d’être dans l’action, et c’est tout. Il ne mènerait pas toute l’entreprise en solitaire : au bout d’un moment, quand il en aura eu assez, il fera appel à des artisans, des maçons et des charpentiers, des couvreurs, des électriciens, des experts de toute sorte qui l’aideront à faire sortir de terre sa maison. Mais il passerait beaucoup de temps seul, à faire ce qu’il savait déjà faire, ou simplement pouvait faire, du moins l’espérait-il.

En un quart d’heure, la tente était montée. Il regarda un instant la forme géométrique de toile mal tendue, avec satisfaction. Encore une victoire de l’homme sur la nature. L’odeur de renfermé, de poussière et de moisissure à l’intérieur était supportable. Il entreprit alors de noter tout ce dont il allait avoir besoin, pour l’hygiène, la nourriture, le confort. Il nota plusieurs fois de prendre des bières, et du vin. Du vin rosé, du rouge, des bières, de la viande pour faire des barbecues, ce qu’il jugeait être le nécessaire d’une survie décente. Il retourna à la voiture, prit son duvet, la lampe de poche. Il les jeta dans l’ouverture de la tente, puis s’assit sur le capot de sa voiture. La nuit était sur le point de tomber. Les bruits changeaient, les insectes nocturnes prenaient leur garde. Il griffonnait les fournitures, et commençait à sentir la faim, la fatigue.

Il mangea les restes du midi, un bout de sandwich, une pomme. Il s’ouvrit une autre bière, mais elle resta moitié pleine au bord de la tente : il s’était endormi très vite, ronflait légèrement, allongé sur le ventre, encore habillé.

Le matin suivant, le présent était ce qui comptait, absolument.
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Message  Invité Lun 13 Fév 2012 - 11:56

On avance toujours, serait-ce à pas de fourmis. Ou peut-être est-ce la lecture en épisodes qui donne cette impression...

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Message  elea Lun 13 Fév 2012 - 12:34

Un début qui prend son temps, tellement que je me demande s'il ne s'agit pas d'un roman, à moins que la suite ne s'accélère.
Et pourtant rien d'ennuyeux, on suit les pensées de cet homme, ses travaux, la mise en place de sa tente comme si on y était. La gorgée de mauvaise bière laisse son goût en bouche et la terre s'insinue sous les ongles.
Plutôt plaisant, même si je me demande encore où ça veut bien aller.

J'ai cependant moins apprécié le passage bobo, là où, auparavant, était distillé le mystère et le temps de découvrir le personnage, de se l'imaginer, de le dessiner en creux, vient avec ce passage un côté très informatif, très descriptif qui rompt avec le reste du texte et m'a plus ennuyée (en plus d'un petit côté convenu je trouve).

J'ai été soulagée de revenir au présent, de revenir à la tâche de ton héros.
Dans ce dernier passage, l'emploi des temps dans ce paragraphe m'a semblé un peu fouillis : Jérôme était optimiste : il ne pensait pas aux heures pénibles qui l’attendaient. Il ne voyait que le plaisir immédiat d’être à ce qu’il fait, d’être dans l’action, et c’est tout. Il ne mènerait pas toute l’entreprise en solitaire : au bout d’un moment, quand il en aura eu assez, il fera appel à des artisans, des maçons et des charpentiers, des couvreurs, des électriciens, des experts de toute sorte qui l’aideront à faire sortir de terre sa maison. Mais il passerait beaucoup de temps seul, à faire ce qu’il savait déjà faire, ou simplement pouvait faire, du moins l’espérait-il.

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Message  Janis Lun 13 Fév 2012 - 12:37

mmhm, c'est vraiment bien
j'adore les histoires de famille !
et servies par une écriture impeccable
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Message  solfa Mar 14 Fév 2012 - 8:30

2.
Il fallait prendre la voiture, rouler sans voir la canopée mouvante des petits bois de chênes, de bouleaux, d’ifs ou de frênes, pendant près de vingt minutes. De l’ombre et des virages, jusqu’au bourg, jusqu’au village. C’était, déjà, une épreuve pour lui. Jérôme s’était garé sur le parking du supermarché, un magasin de taille modeste où il pouvait trouver l’essentiel. Il était resté un bon moment dans l’Audi A3 toutes options, jantes alu 20 pouces, boite séquentielle au volant, les vitres fermées et le contact coupé. Il avait regardé avec attention les allées et venues des clients, qui avaient pris à ses yeux les couleurs et la grâce d’un ballet muet, une danse contemporaine, entre Chaplin et Pina Bausch, touchante, délicate et ridicule.

Il avait cependant pris, malgré lui, un regard de fauve, un regard méfiant, comme s’il s’était agi d’une menace immédiate sur sa vie. Il s’imaginait avoir l’intensité du regard d’un Jack Nicholson, ou à la rigueur l’air possédé d’un Christopher Lloyd ; las, il ressemblait plus à un banal touriste anglais, bêtement immobile au volant de sa voiture de presque luxe, affublé de ses traditionnels coups de soleil, des plaques rouge intense sur le crâne et sur les pommettes. Ses sandales et ses chaussettes n’arrangeaient rien ; il eut tout de même l’intuition sardonique qu’on ne le soupçonnerait jamais de rien. La vision d’un touriste anglais rougeaud, affublé de short large et d’une chemise à manches courtes, la bouche à la Churchill – une sorte de sourire inversé – avec dans ses mains une pelle d’où plic-plocaient sur le sol des gouttes de sang, un sang plus lourd que de la cire, et avec un corps enroulé dans un drap blanc à ses pieds, lui passa par la tête. Une petite vieille choisit cet instant pour surgir des rangées de voitures stationnées. Elle se trainait, ce fut un surgissement assez long ; et elle bouscula mollement les caddies garés sous l’arc des tubes de métal pour ranger le sien, et le vit à travers le pare-brise. Il eut un mouvement réflexe, fixa soudainement son volant, plaça d’un geste sec les mains à dix et quatorze heures, crispées, serrant fort le cercle de plastique molletonné, les épaules haussées. Sans doute un peu trop de fatigue et de soleil, se dit-il finalement.
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Message  elea Mar 14 Fév 2012 - 19:09

Pas grand-chose à dire sur cet extrait, sauf qu’en une image, quelque chose de plus angoissant commence à sourdre.
Eu un peu de mal avec ça : ce fut un surgissement assez long
Je comprends bien ce que tu veux exprimer ainsi mais l’association des deux m’est vraiment trop étrange.

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Message  Invité Mer 15 Fév 2012 - 21:33

OK, ça suit toujours. On en vient à se demander, avec ce passage, si la menace n'est que le fruit de l'imagination du personnage ou si elle peut-être réelle.
D'accord avec elea pour "un surgissement assez long ", les deux termes sont antinomiques. En plus "surgir" apparaît déjà dans la ligne juste au-dessus.

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Message  solfa Mer 15 Fév 2012 - 23:00

Il sort donc enfin de sa voiture, et fait ses courses à toute vitesse. Les clients le regardent du coin de l’œil, un coin d’œil méfiant et moqueur et lui, il empile les formes géométriques colorées, il entasse comme un animal préparant l’hiver, ou comme un gosse qui prépare sa grande évasion, la peur au ventre. Il prend des paquets de gâteaux secs, des conserves, des bouteilles. Il prend aussi des couverts, des assiettes rigides en plastique, des verres, tout un attirail de camping. Des lampes de poche, du café et une cafetière à l’italienne, en métal chromé. À un moment, il consulte sa liste, planté au milieu des rayons, le menton dans ses doigts. Des allumettes, quelques habits d’été, t-shirt, short. Il paye avec un gros billet, un billet de 500 qu’il a sorti de son portefeuille, sans retirer celui-ci de sa poche, dans un effort de contorsion un peu ridicule. Pourtant, l’idée était de ne pas attirer l’attention.

De retour dans sa voiture, il fait une nouvelle pause. Il pose un regard qu’il souhaite cynique sur l’enseigne bleue et blanche. La société de consommation ne veut rien dire, pense-t-il. D’où cette idée de société ? Il n’y a que la consommation. Que nous fassions comme les autres font, n’est que coïncidence, ce n’est pas un accord tacite, ce n’est pas un contrat moral passé entre nous tous sans qu’il soit besoin de le dire. Ce n’est pas de l’imitation, ce n’est pas ça, c’est pour passer le temps. La souris s’en fout du fromage ; elle avance dans le dédale parce qu’elle n’a aucune envie de se laisser crever au début du labyrinthe. Ce n’est pas une affaire d’êtres humains, de consciences plus ou moins partagées, de conscience d’être consommateur. La maîtrise de ce que nous sommes n’est qu’une illusion : ce n’est jamais qu’un mouvement réflexe, une réponse à un stimulus extérieur, une petite expérience où nous sommes cobayes. Ce qui compte alors, ce sont les actes isolés, pris dans le mouvement d’ensemble, mais isolément signifiants, pour nous même : j’achète pour répondre à mes besoins. J’achète ce que je peux acheter. Mes besoins sont ce que j’achète, puisque l’on vise la satisfaction. Mais tout ça n’a rien à voir avec ce que je suis, ce que je fais. Tout ça n’est que réflexe. Nous ne sommes pas les maîtres ; nous sommes des paramètres. Comme le scientifique est cobaye de l’expérience qu’il mène. Le fromage existe parce que la souris existe et qu’elle aime le fromage ; ce même fromage est par conséquent délicieux. Les couleurs sont là parce que nous aimons les couleurs, pas parce qu’il faut nous convaincre d’un achat à faire. L’important, c’est que la couleur soit là, sous nos yeux. Nous sommes des paramètres, des para-maîtres. Il pouffe.

Il note tout ça dans son petit carnet. Quand il se relira, il s'en rendra compte, comme c’était étrange, confus et incomplet ; il se rendra compte que l’idée même de société de consommation, qu’il avait conçue au départ comme le cœur du problème, était maintenant l’état normal des sociétés modernes, et en cela n’était plus un problème, véritablement, sauf à passer à une réflexion révolutionnaire – réflexion qu’il se refusait, n’étant pas et n’ayant jamais été de cette obédience. Il garderait cependant le souvenir d’un instant qu’il pensait lucide, le plus lucide de sa relativement courte existence. Il notera tout cela et notera encore: le fait d’avoir établi une comparaison avec une expérience scientifique – le facteur souris – constituait la preuve qu’il devait être quelqu’un d’intelligent.
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Message  elea Jeu 16 Fév 2012 - 12:57

J'ai décroché lors de la tirade sur la société de consommation, les souris et le fromage...
C'est peut-être un indice important sur l'état d'esprit du héros mais aussi long et tout en bloc, façon démonstration ou réflexion sociétale, ça me laisse de côté, voire même m'agace un peu, parce que ce n'est pas ce que j'attendais de la suite, l'histoire, mais plutôt une digression.
M'enfin, ce sont mes goûts et mes attentes, personnel donc.

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Message  Invité Jeu 16 Fév 2012 - 13:58

Pfiou, trop longue la réflexion. Cela passera peut-être dans le format final mais là, sur cet extrait, c'est ... soporifique. Il y a peut-être moyen de rendre l'idée en compressant ?

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Message  solfa Sam 18 Fév 2012 - 10:09

Il reprend la route, pour chercher les premiers matériaux, les premiers outils dont il aurait bientôt besoin. Il achète un fourgon utilitaire, en laissant en échange sa berline, et y fourre tout le nécessaire qu’il vient d’acheter, le bois, les outils, la quincaille et les visseries. Il est heureux comme un enfant au lendemain de Noël ; son fourgon est un coffre au trésor, et le monde semble repu. L’air de satisfaction qu’avait pris l’entrepreneur, au moment de l’échange entre l’Audi et son vieux Peugeot Boxer, n’avait fait que renforcer cette ambiance de naïveté rare et précieuse. C’était ainsi : il était à cet instant parfaitement naïf – c’était le mot qu’il choisirait plus tard, dans son carnet. Tel quel, il était un nouveau-né découvrant le monde des sens.

La suite des évènements était cependant planifiée avec précision, préparée à l’avance : il avait réservé des toupies de béton, à la même société qui avait fait le terrassement, peu avant qu’il vienne. Il avait aussi passé commande de tous les matériaux dont il aurait besoin, pour la maison, pour sa cabane suspendue – car oui, il comptait se fabriquer une cabane. Il voulait que ça aille vite, et avait payé d’avance. Maintenant, le temps pressait, il fallait finir de creuser les fouilles, et de les ferrailler. Il demanda en partant une liste des artisans disponibles alentour, qu’il appellerait sans tarder.

3.

Il était de retour au Toul, comme il l’avait surnommé lui-même, à partir des rudiments de la langue presque morte qui sévissait encore en Bretagne. « Toul », en breton, veut dire trou : c’était là son trou de bête, son terrain à bâtir comme un terrier, une cavité hors du monde, hors des regards. C’était aussi bon pour la couleur locale, un peu comme les touristes collent des autocollants A l’aise breizh sur leur coffre de voiture. Il n’ira pas jusqu’à hisser le drapeau breton, mais c’était un baptême tout de même sympatoche.

Il creusait à nouveau les tranchées, un quadrillage de tranchées bien nettes, en suivant les plans de l’architecte. C’était de vieux plans qu’il avait pris soin de récupérer avant de partir de Paris. Ces plans lui servaient de guide absolu pour les tracés, pour les matériaux. Il s’était équipé en conséquence, en demandant conseil à l’entreprise de travaux publics. Il avait quelques manuels de bricolage avec lui pour l’aider.

Les plans dataient de l’époque où ils avaient décidé de bâtir, pour eux tous, leur belle et grande maison de vacances. Ils s’y étaient tous mis, après que Coline et lui leur eurent présenté le projet. Chacun avait fait part de ses doléances. Le résultat était finalement assez classique pour ce qui était de la forme générale de la maison, même si tous pouvaient y retrouver leur pierre, leur petite contribution : un bâtiment en forme de L, formé sur une base de longère, avec une terrasse exposée sud. Lui voulait une porte d’entrée large et ronde, Coline une cuisine suffisamment grande pour y manger. Paul et Marie voulaient une pergola, parce qu’ils ne connaissaient pas de maisons de vacances sans pergola : on avait eu beau argumenter sur le peu de pertinence d’une terrasse non couverte en Bretagne – lui-même était de ceux qui auraient préféré, par exemple, une véranda –, une pergola fut prévue. Samuel et Sarah voulaient de petites chambres, et une longue table de bois pour quinze personnes dans la salle à manger ; Thibault et Véronique avaient insisté pour une douche à l’italienne. Marion et Bénédicte voulaient avant tout un grand jardin, fleuri et arboré, où l’on aurait mis un salon en rotin, sous un grand parasol de toile beige.
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Message  Invité Sam 18 Fév 2012 - 10:34

Je suis toujours sans me forcer, c’est un bon point. Toutefois, et si j’essaie de livrer ce que je ressens, je suis gênée non pas tant par le sens du détail mais par le besoin de tout justifier à l’aide du détail, de ne rien laisser de côté, comme un gage d’honnêteté envers le lecteur ; c’est louable, mais est-ce nécessaire ? Je me pose la question et ne pense pas pouvoir y répondre catégoriquement avant d’avoir lu l’intégrité du récit.
D'autre part, j'éprouve un manque de vie sinon d'action, un manque de personnages. Soit ils sont des ombres qui passent sans s'arrêter (extrait précédent), soit ils sont évoqués, présents uniquement en filigrane, là où j'aimerais quand même lire de l'échange, de l'interaction au présent.
Ce qui ne m'empêche pas d'être intriguée quant à la finalité du récit, où il va, ce qui va se passer ; d'en apprendre plus sur Jérôme, ses motivations... Je dirais même que ce parti pris d'écriture factuelle ne fait que renforcer une forme de suspense. Je constate -et c'est vrai d'écrits précédents - que tu sais instiller le mystère, faire planer une menace. J'espère que la promesse se matérialisera !

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Message  solfa Lun 20 Fév 2012 - 9:37

Les coins des plans étaient écornés, les feuilles sentaient le vieux papier, la poussière, mais tout y était parfaitement lisible. Il suivait docilement les indications, marquait à la bombe les extrémités, à la craie le parcours des tranchées, il tirait des cordes pour s’assurer de la rectitude des veines, en s’aidant des outils adéquats. Il avait tout prévu, avait minutieusement planifié son départ ; il avait suivi des cours, avait vérifié le droit, avait demandé un permis de construire, s’était assuré des raccordements à l’eau, à l’électricité, au téléphone, et s’était renseigné sur les systèmes d’assainissement à prévoir.

Il creusait, creusait encore, répétait les mêmes mouvements cent fois, mille fois par jour. Il transpirait énormément. Ses mains devenaient calleuses, il sentait le picotement chaque matin lorsqu’il reprenait son ouvrage. Il contemplait alors les marques d’ampoules percées comme des stigmates. Il progressait bien, et les jours passaient lentement. Il reçut un après-midi la visite des employés de l’entreprise de bâtiment, qui déposèrent en plusieurs fois les matériaux qu’il avait commandés. Le bois, les blocs de béton cellulaire, le ciment, le sable, tout s’entassa sous deux grandes bâches de plastique vert foncé. Le reste viendrait plus tard. Les hommes l’avaient regardé sans trop de curiosité, ils lui avaient à peine parlé. Ils étaient repartis sitôt le déchargement fini, et lui avait retrouvé le silence des champs, la chanson des arbres autour de lui.

Le soir, Jérôme écrivait. Il continuait l’histoire de sa femme et de sa fille, de ses fils. L’histoire de son remplaçant, celui qui dormait dans son lit, son lit à lui. Marc. Son remplaçant, qui allait chercher les gamins à l’école. Son remplaçant encore, qui posait de temps en temps ses lèvres sur celles de sa femme. Il écrivait, et y mettait peut-être autant d’ardeur que quand il creusait ses tranchées. La nature autour le laissait en paix : il ne pleuvait pas, la terre se craquelait même par endroits. Les insectes ne le piquaient plus comme aux premiers jours. Son odeur était devenue en partie celle de la terre qu’il charriait, inlassablement.

Il s’était souvenu de vieilles techniques de survie, des techniques apprises dans sa jeunesse, lors de camps de scouts. Quand il ne travaillait pas à sa maison, il avait ainsi des jeux d’enfants : il faisait des plans de cabanes dans les arbres et se sentait curieux de tout, bien qu’il fasse un travail d’homme – bien qu’il eut au cœur une rage qu’un enfant ne pouvait pas connaitre, avait-il même écrit. Il observait les oiseaux, les fourmis, les cloportes sous les pierres encore humides. Il écoutait les sifflements, les craquements, tous les bruits des arbres, des feuilles, et du vent sur elles. Il avait creusé un trou en plein soleil, qu’il avait recouvert d’une bâche, et sur laquelle il versait de l’eau, chaque jour ; l’eau en chauffant créait une dépression, en dessous, et y rafraîchissait l’air ; il pouvait y stocker de la nourriture sans qu’elle risquât de prendre le chaud. Il avait fabriqué, à la va-vite, une clôture de bois, suffisamment grande pour entourer son garde-manger de fortune. Il avait aménagé, en découpant dans les planches de devant et en les rassemblant, une petite porte, avec des gonds. Il avait planté les piquets à cinquante bons centimètres. Les planches de bois entouraient le trou bâché, et le toit était fait d’un grillage épais doublé d’un autre, plus fin, si bien qu’aucun animal ne pouvait passer.

Puis il était parti en quête d’arbres suffisamment épais pour qu’il y construisît sa cabane. Ce n’était pas un abri de fortune, comme dans ses souvenirs de scoutisme : c’était une partie du projet mûrement réfléchie, une cabane dans les arbres conçue en amont de la maison, prévue pour tenir des années, et servir de chambre d’amis, le cas échéant. Il avait passé un weekend avec Coline, du temps où elle était encore sa femme, dans une de ces cabanes évoluées. Certains en faisaient commerce, notamment en Bretagne. Ces cabanes offraient un confort similaire à une chambre en gîte ou en chambre d’hôte : certaines étaient équipées de téléviseurs, décorées avec soin, et les plus grandes étaient même pourvues de douches. Coline et lui n’avait pas manqué de louer le charme et le naturel desdites cabanes, une fois de retour à Paris.

La tente menaçait de craquer par endroits, et il savait que son chantier lui prendrait du temps : il devait penser à la pluie qui ne manquerait pas de tomber, et aux bêtes qui finalement s’approcheraient. C’était donc, là, le prochain chantier après les fondations.

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Message  Rebecca Lun 20 Fév 2012 - 10:42

A part les digressions un peu pesantes sur la politique (qui vont dater le texte et c'est peut-être dommage) et la société de consommation ( ces choses là doivent affleurer jamais être présentées de façon démonstrative) j'ai pris du plaisir à suivre ce personnage solitaire au long des différents chapitres.
J'ai vu certaines scènes se dérouler naturellement sous mes yeux et c'est bon signe, ça veut dire qu'on lit sans recul, et quoi de meilleur pour un lecteur ?
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Message  Invité Lun 20 Fév 2012 - 11:16

Curieux, mais je trouve que le titre est en parfaite adéquation avec le personnage, ou plutôt le mot "vacance" ; vacance à lui-même (dans le sens de vide affectif, moral ou intellectuel) et artificialité. Il se fait tout de même beaucoup de cinéma (Pourtant, l’idée était de ne pas attirer l’attention, Il pose un regard qu’il souhaite cynique, et quelques autres avant).

Cela m'amène à oser un parallèle entre ce que pensera Jérome (quand il se relira) : "il se rendra compte que l’idée même de société de consommation, qu’il avait conçue au départ comme le cœur du problème, était maintenant l’état normal des sociétés modernes" et ce qu'écrivait M. Yourcenar dans "Mémoires d'Hadrien" : "Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage. On en changera tout au plus le nom, soit qu'on réussite à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies…"

Quelques répétitions de proximité comme ici "acheter" : "Il achète un fourgon utilitaire, en laissant en échange sa berline, et y fourre tout le nécessaire qu’il vient d’acheter", mais comme c'est écrit au fil de l'eau (du moins je le suppose), je pense qu'on ne peut y échapper.

Sinon, j'aime beaucoup ces longues digressions et cette mise en place très progressive.

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Message  Invité Lun 20 Fév 2012 - 11:19

Ça change de rythme dans ce passage, ça s'accélère et livre un détail non négligeable. C'est bien.


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Message  elea Mar 21 Fév 2012 - 12:11

On en apprend un peu plus sur le pourquoi du comment, sans long développement et en préservant des zones d’ombres. Mais ça relance l’intérêt pour moi, moment parfaitement choisi donc.

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Message  solfa Mer 22 Fév 2012 - 9:30

4.
Il se lavait à l’eau claire, qu’il versait dans un grand bac après être allé la chercher dans un ruisseau, non loin de là. Il se regardait parfois dans le petit miroir en plastique, de longues minutes, comme si le reflet n’était pas lui, comme si l’image dans le cadre était celle d’un autre. Sa barbe avait poussé. Il s’observait. Il trouvait son nez trop gros, ses yeux trop petits. Son visage trop rond. Il essayait de se rappeler ses cheveux, la sensation de sa main passant parmi eux – c’était une sensation qu’on n’oubliait jamais, comme les amputés se rappellent distinctement ce que c’est que de toucher le membre disparu. Ça lui montait du ventre : une espèce de colère sans objet précis, juste une colère contre les injustices de la nature. Certains naissaient beaux, ils naissaient avec un magnétisme naturel, ils étaient immédiatement acceptés, immédiatement appréciés. Lui devait se battre. Il devait convaincre qu’il n’était pas aussi insipide que ses traits pouvaient laisser penser ; mais il fallait pour cela qu’il soit sûr de lui-même, de sa force, sûr de son caractère et de ses qualités. Il devait donc mentir, convaincre et se convaincre qu’il valait le coup. Sauver les apparences. Il revoyait tous les moments où il fallait regarder les photos, les moments souvenirs où l’on feuilletait les albums. C’était difficile : quand certains, quand certaines étaient immédiatement aimables, lui se trouvait gauche, irrémédiablement déplacé. Ce n’était pas de la laideur ; son visage n’était simplement pas beau. Sur les photos, ce n’étaient pas les défauts qui perturbaient, les défauts de ses traits, de ses coiffures, de ses postures ; c’était cette absence d’aura, de grâce, celle qui fait les acteurs de cinéma ou de théâtre, ce qui les rend attachants, encore une fois : magnétiques. Il se donnait l’impression d’être un personnage au perpétuel second plan. Il pensa avec satisfaction qu’ici, au moins, personne ne pouvait lui disputer la première place.

Il baissa cependant le miroir avec dépit, toujours marqué par le peu reluisant inventaire de ses propriétés physiques. La nature était, autour de lui, complètement indifférente. Elle le laissait à sa détresse. Ses épaules étaient basses, il avait sans s’en rendre compte une moue de dégoût et de déception. Il remit alors son t-shirt, et recommença à creuser, à frapper, à cogner, comme si bâtir sa maison allait lui faire oublier tout ça.

Mais ce qui le minait véritablement, c’était la beauté. Pas la beauté plastique : la beauté de l’art. Celle que l’on nomme grâce. La beauté des dieux. Une question qu’il jugeait absolument essentielle et insoluble.

Pendant sa vie entière, sa vie d’enfant autant que d’adulte, il n’avait pas réussi à comprendre ce que la plupart des personnes autour de lui appelaient la beauté. Il voyait des tableaux, voyait des paysages, entendait une musique ; les gens s’extasiaient, trouvaient cela beau, absolument magnifique, les foules se massaient dans les musées, sur les points de vue en montagne, en ville ; lui ne comprenait absolument rien, il ne ressentait absolument rien. Il comprenait la technique, la prouesse. Mais la musique délicate et triste d’un Satie, par exemple, que Coline trouvait sublime, qui la faisait clore à moitié les yeux, recroquevillée dans le canapé alors que Delphine jouait – le plus souvent, les Gymnopédies –, ne lui procurait pas de plaisir particulier. Il sentait bien les vibrations, la douceur du mouvement des doigts sur l’ivoire des touches, il entendait parfaitement comme tous ces sons se mariaient harmonieusement, mais c’était tout. Il comprenait que l’on puisse trouver cela beau ; mais il ne faisait que comprendre.
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Message  Invité Mer 22 Fév 2012 - 13:15

Oui. Le grand et le petit, le personnel et l'universel, le reflet dans le miroir et le sens du beau...
L'écriture est toujours très assurée, sans bavures.

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Message  solfa Ven 24 Fév 2012 - 9:15

Il s’était promené, un après-midi d’été, dans le jardin des Tuileries, et sa marche hasardeuse l’avait mené jusqu’au musée de l’Orangerie, où étaient exposés les Nymphéas de Monet. Il avait suivi sa curiosité, avait acheté un billet. Les amateurs déambulaient doucement dans les grandes pièces blanches. On murmurait. Il s’était assis sur le grand banc ovale, placé au centre de la première pièce, et se mit en tête de rester ainsi, à fixer les peintures, comme jadis Monet était resté des jours entiers à contempler ses plans d’eau (il l’avait lu dans la brochure), jusqu’à ce qu’il ait enfin cette certitude instinctive du beau. La plupart des visiteurs souriaient. Un très vieux monsieur s’assit quelque temps près de lui, pour reprendre des forces. Il lui avait dit « C’est très beau, très apaisant, vous ne trouvez pas ? ». Il avait répondu par un sourire mal assuré.

La fermeture allait avoir lieu, et il était toujours assis, fixant les toiles, et il n’avait toujours rien eu, pas de tressaillement, pas même cet apaisement dont on lui avait suggéré l’idée. Tout juste était-il fatigué. Parce qu’un petit garçon, un petit bonhomme très menu, de l’âge de ses fils, avait dit, en tenant la main de celle qui était sans doute sa grand-mère, qu’il avait trouvé ça joli, il sortit du musée proprement désespéré. Toute l’innocence de ce petit garçon s’était jetée sur lui comme une injure. Il se sentait vieux, aigre, rabougri.

Mais plus tard, en rentrant, il avait vu sa fille, ses jumeaux et sa femme, il avait vu toute sa petite famille qui l’attendait : il avait alors eu, instinctivement, la conviction qu’il s’agissait là d’un évènement qui méritait bien un tableau. C’était rassurant et triste, chaleureux et comme marqué du froid qui n’y était pas – comme marqué par cette lutte intense contre le temps qui passe. Peut-être pas joli, peut-être pas beau, mais c’était ce qui comptait. Il lut plus tard que Monet ne voulait pas peindre l’eau ou ce qui s’y trouvait : il voulait peindre l’espace imperceptible entre lui et l’objet, le milieu où naissaient et mourraient toutes les choses, qui permettait d’être, et de mourir. Sa peinture, son geste, son regard, son art tout entier pour l’instantané fugace, fuyant, des lumières vivantes sur les choses irrémédiablement mourantes. Il se sentit proche, en un sens du peintre, ou plutôt de l’image qu’il s’était forgée du peintre, alors qu’il repensait à cette famille, cette chaleur sûre et douce disparue.
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Message  Invité Ven 24 Fév 2012 - 10:38

Je me demande juste si ce passage ajouté au précédent ne risque pas de rendre la démonstration de "l'insensibilité " de Jérôme un peu longue.
D'un autre côté, ce nouvel extrait est l'occasion de petites touches révélatrices sur son passé.

Attention ici aux répétitions : “le milieu où naissaient et mourraient ("mouraient") toutes les choses, qui permettait d’être, et de mourir. Sa peinture, son geste, son regard, son art tout entier pour l’instantané fugace, fuyant, des lumières vivantes sur les choses irrémédiablement mourantes. “

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Message  elea Ven 24 Fév 2012 - 13:52

Je ne commente pas chaque extrait mais je les lis tous.
J’aime bien cette idée d’être étranger à la notion de beau, ça donne de l’épaisseur à ton personnage, peu à peu ses contours se dessinent mieux.
Ici, effectivement, la démonstration semble un peu appuyée, les deux exemples de Satie et Monet, ceci dit, les deux se justifient et je ne vois pas laquelle serait à supprimer, les deux apportent quelque chose.

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Message  solfa Dim 26 Fév 2012 - 10:08

5.
Construire une maison seul n’est pas chose possible, pour qui manque d'expérience, de force et de patience. Il s’en doutait en arrivant ; il en avait maintenant la certitude physique. Ses muscles le tiraient, il n’avait plus la même énergie, le même enthousiasme. Mais il avait terminé de creuser les fouilles, il les avait ferraillées et avait réalisé, non sans mal, les coffrages. Il fallait simplement que le béton s’y coulât pour qu’il puisse se dire que la première étape était achevée. La bétonnière qu’il avait réservée dix jours plus tôt arrivait dans l’après-midi. Des ouvriers devaient venir, pour l’aider à guider la langue de béton et à aplanir la surface, pour tirer la lave grise et froide des semelles, avant qu’elle ne sèche.

Il se doutait que le mot était passé, que dans les bourgs alentour, on parlait de ce Parisien qui construisait tout seul sa maison. Il se doutait qu’on le moquait, qu’on le prenait pour un fou, qu’on le critiquait aussi parce qu’il était bien de la capitale, qu’il n’avait pas la tête sur les épaules. Ces mots-là ne l’intéressaient pas. Il les savait et s’en accommodait ; il demandait la paix. Il aurait tout le loisir par la suite d’aller voir ces langues moqueuses par habitude, de les convaincre, de se montrer, même s’il sait qu’il restera un Parisien aux yeux de tous. Il boira quelques demis, quelques cafés chez ses voisins, il ne cherchera pas à se vendre, mais bien à faire connaissance, il sera franc et ne mentira pas sur ce qu’il est et, finalement, on l’oubliera. Bientôt, il ferait partie du paysage.

Et que disaient-ils, ses enfants, Delphine, Matthias et Julien ? Que pensaient-ils de leur père ? Y pensaient-ils seulement ? Les vacances scolaires étaient proches. Ils allaient passer plus de temps avec leur mère. Ils sauraient mieux ce qui se passe. Delphine doit déjà avoir compris; elle entre en sixième, semble déjà adolescente. Elle est plus vieille qu’elle ne l’est pour l’état civil.

La veille de son départ vers le Toul, il lui semblait qu’elle avait déjà tout capté, tout enregistré, tout analysé en détail. Elle était passée le voir dans son appartement de la rue du bac, lui avait fait une bise sur la joue, en se glissant par-dessus son épaule alors qu’il écrivait un courrier, à son bureau. Ses petites lèvres s’étaient plaquées sur sa barbe de quelques jours. Il lui avait demandé si elle voulait bien lui jouer un peu de piano. Elle avait refusé, et elle était juste restée silencieuse alors qu’elle prenait son goûter, elle à la table et lui au bureau, dans la même pièce. Depuis peu, avait-il remarqué, elle croisait les jambes. Avant, ses pieds se balançaient sous sa chaise. Il pensait, le nez penché sur ses papiers, que c’était le temps qui avançait, qui commençait à avoir, sur elle aussi, sa prise. Pendant la courte demi-heure où elle était restée, il sentait qu’elle le regardait avec de la tristesse. Une simple tristesse lasse, mais qu’il sentait comme un poison dans son dos. C'était ce genre de sensation qui le maintenait encore dans le monde des hommes. Qui l'attachait à la ville. Qui le faisait hésiter. Delphine était repartie chez sa mère, en refaisant une petite bise sur la joue de son père.
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Message  Invité Dim 26 Fév 2012 - 13:10

Je conteste la pertinence du choix des temps, ici :
"Ces mots-là ne l’intéressaient pas. Il les savait et s’en accommodait ; il demandait la paix. Il aurait tout le loisir par la suite d’aller voir ces langues moqueuses par habitude, de les convaincre, de se montrer, même s’il sait qu’il restera un Parisien aux yeux de tous. Il boira quelques demis, quelques cafés chez ses voisins, il ne cherchera pas à se vendre, mais bien à faire connaissance, il sera franc et ne mentira pas sur ce qu’il est et, finalement, on l’oubliera. Bientôt, il ferait partie du paysage."

En vertu de la concordance des temps et aussi à l'oreille, il faudrait : " même s'il savait qu'il resterait..."
Et donc ensuite : "Il boirait", "il ne chercherait pas", "il serait", "ne mentirait pas", "on l'oublierait"". jusqu'au dernier verbe déjà au conditionnel, et ainsi la narration retombe sur ses pieds.
( ou alors, en faisant abstraction du passage qui précède, à l'imparfait : Ces mots-là ne l’intéressent pas. Il les sait et s’en accommode ; il demande la paix. Il aura tout le loisir par la suite d’aller voir ces langues moqueuses par habitude, de les convaincre, de se montrer, même s’il sait qu’il restera un Parisien aux yeux de tous. Il boira quelques demis, quelques cafés chez ses voisins, il ne cherchera pas à se vendre, mais bien à faire connaissance, il sera franc et ne mentira pas sur ce qu’il est et, finalement, on l’oubliera. Bientôt, il fera partie du paysage.")

Idem ici : "Ils sauraient mieux ce qui se passe." ("se passait")

Pour finir : "Pendant la courte demi-heure où elle était restée, il sentait qu’elle le regardait avec de la tristesse. Une simple tristesse lasse, mais qu’il sentait comme un poison dans son dos. C'était ce genre de sensation qui le maintenait encore dans le monde des hommes"
Je n'exclus toutefois pas que la répétition du verbe soit voulue :-)

Sur le fond, j'aime bien la spontanéité de ces incursions dans les sphères de la vie de Jérôme, elles suivent vraisemblablement le fil de sa pensée.


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Message  Invité Lun 27 Fév 2012 - 14:24

J'ai une impression bizarre : est-ce que tu sais où tu vas ? Je veux dire : est-ce que tu attends - comme nous !- qu'il se passe quelque chose ?

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Message  solfa Mar 28 Fév 2012 - 9:34

Les ouvriers n’allaient pas tarder. Il avait prévu de s’occuper du béton, puis de s’atteler à la construction de sa cabane dans les arbres. Les plans étaient prêts, il avait coupé les planches en fonction des troncs qu’il avait trouvés, ceux qui allaient servir de piliers, les trois pilotis pour son rêve de gosse. Pour ça aussi il avait suivi des cours ; ce serait sa septième cabane. Il avait préparé la charpente, les solives, les linçoirs, le maillage des poutres pour le plancher. La connaissance des noms réussissait à le rassurer: il avait gagné une certaine expertise. Il avait préparé des câbles, qu’il avait fait glisser dans des tuyaux d’arrosage. Il suivait scrupuleusement les fiches-conseils qu’il avait récupérées avant son départ, et tâchait de se souvenir des formules mathématiques, pour les calculs de charges, qu’on lui avait donné. La cabane serait à deux mètres cinquante du sol, et aurait une surface d’environ cinq mètres carrés, de quoi dormir et ranger quelques affaires. Il avait mis sa tente dans le fourgon, en sortant tous les outils nécessaires, pour ne pas avoir à l’ouvrir devant les ouvriers. Il voulait qu’en arrivant ils ne voient qu’un utilitaire, une niche étrange bardée de bois et de grillages, les matériaux sous leur bâche, et lui. Il ne voulait pas alimenter les on-dit.

Ils étaient trois, t-shirt blanc et treillis marron, le plus vieux devait avoir dans les quarante ans, les deux autres dans la vingtaine. Ils mirent trois heures en tout et pour tout, qu’ils passèrent à vérifier le chantier, et ensuite à remplir les fouilles de la boue grisâtre, qu’il fallait tirer pour qu’elle soit plane et bien répartie. L’opération était un succès ; les heures n’avaient été ponctuées que par les cris nécessaires à la bonne coordination des ouvriers. Quelques fois les regards s’étaient croisés, et étaient restés cordiaux. Pas vraiment de sourires, juste le travail à faire. Il avait sorti un pack de bière pour l’occasion, mais ils avaient bu séparément, sauf à un moment où il fallait bien faire une pause générale ; ils avaient alors parlé du chantier, de la forme qu’aurait la maison plus tard. Il avait dit que c’était absolument magnifique par ici, et les ouvriers n’avaient pas relevé.

Ils étaient repartis une fois les toupies vidées et rincées. Ils avaient donné des conseils pour la suite, pour la dalle notamment. Il fallait qu’il monte une première rangée de parpaings, qu’il fasse une arase en béton pour rattraper les différences de niveaux et qu’il s’occupe des canalisations, avant de couler la dalle sur un ensemble de poutrelles et de hourdis. Il regarda le fourgon repartir sur le chemin caillouteux. La longue liste des tâches à accomplir, dont il ne maîtrisait les noms qu’à demi, l’avait épuisé, mais il avait maintenant l’après-midi devant lui, et la journée entière du lendemain. Il fallait attendre que le béton prenne, qu’il devienne dur et sec.

Il a faim. Il s’assoit sur le rebord arrière du fourgon dont il a ouvert les portes. Il mange un peu de pain, croque une tomate à peine mûre, dont le jus lui coule à la commissure des lèvres. Il avale rapidement une conserve de maquereaux, sauce avec ses restes de pain la vinaigrette moutardée. Puis s’écarte de sa camionnette, et cherche l’ombre pour une sieste.

Il pense, allongé sous l’arbre, à son histoire. En a-t-il jamais eu ? Il cherche les petites phrases pour la mémoire, les moments où son histoire personnelle pourrait se télescoper avec une histoire plus générale, une sorte d’histoire de l’humanité, en plus réduite. Il n’a pas connu la guerre, non, il n’a connu que les jeux de guerre, où ne meurent que les soldats et les étrangers, pas lui. Il s’estime chanceux, mais ne peut non plus réprimer un agacement : à nous dire que l’Histoire est importante, les vieux nous disent quoi, que nos vies ne valent presque rien ? Que les leurs étaient plus belles et tristes parce qu’elles étaient marquées de l’étoile jaune, des chewing-gums ? Il cherche dans sa généalogie, il ne peut même pas inventer un passé de résistant, un passé de collabo, un passé historique, même lointain. Pas de mouvements internationaux, pas de métissages. Sa vie sans histoire est celle des familles sans histoire : des mouvements géographiques limités, à cause du travail, et puis tous les microévènements qui défont l’urgence du temps qui passe, les morts, les naissances.
Il regarde le soleil à travers les feuilles vertes qui dansent, au dessus de sa tête, et garde ensuite au fond des yeux, pendant quelque temps, la persistance du rond brûlant de lumière, qui se pose sur toute chose.

Puis il s’assoupit, et ses pensées se tournent vers des images autrement plus plaisantes, corps de femmes, poitrines nues, peaux tendues et chaudes, sans visages. Il fait un rêve d’érotisme cru, puis se réveille en sursaut, sans que rien n’ait bougé.
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Message  Marine Mar 28 Fév 2012 - 11:22

J'ai déjà lu le début :

Post 2 : Je regrette peut-être qu'une situation géographique soit nommée; il y avait quelque chose d'onirique dans le premier post qui me plaisait et est ici perdu.

Post 3 : "l’étiquette blanche aux reflets d’argent". Un peu forcé au niveau de l'image, elle n'est pas naturelle, mas plutôt gratuitement descriptive. J'aurais enlevé "l'effort et le réconfort", dans l'énumération, ça rappelle bien sûr le proverbe populaire "après l'effort..." mais c'est un peu gratuit aussi à mon sens, un peu facile.

"ils étaient sur le versant décontracté de la France riche." Ça, j'aime beaucoup, il y a une originalité dans l'expression et dans l'image, et un humour qui permettent de faire bien passer la description du milieu social sans qu'elle ne soit ennuyante.
J'ai arrêté de commenter la suite pour chaque post, preuve que ton texte entraîne à la lecture avec avidité. J'aime beaucoup le post du lundi 13 février. Ton personnage principal est tissé de ficelles assez classiques, le père de famille qui vit seul, qui a un boulot pas très marrant, qui d'un coup essaie de changer de vie avec la construction de cette maison, qui sait que de toute façon il finira par appeler les électriciens, etc, qui en attendant dort dans une tente... Ça marche, mais c'est peut-être du coup ce qui ne me fait pas adorer le texte et seulement l'aimer. Tu ne prends pas beaucoup (assez ?) de risques, en somme. Je verrai avec la suite, que je lirai plus tard.
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