Matière noire

[Jano]

La seule chose dont je suis sûr, c'est qu'avant d'apparaitre j'étais éternité. Je flottais dans un état indéfinissable et n'avais aucune conscience de l'être. Mon entité se composait d'une infinité de particules virtuelles qui n'avaient qu'une chance improbable d'exister ; masse informe nichée dans les replis du néant. Une mosaïque d'éléments épars sans but ni destin, texture glacée se confondant avec la trame de l'espace.

De ces limbes insondables les étoiles m'arrachèrent avec force.

Je fus ainsi extirpé du silence, de l'invisible, pour aboutir au gré des courants dans un agglomérat fragile de matière. Parmi une multitude de possibilités je devins une créature de chair et de sang. La nuit prenait fin.

L'irruption dans la réalité des choses fut brutale. Je passais d'une dimension vide à un monde plein d'agitation ; tempête submergeant mon corps à peine ébauché. Je hurlais de terreur, de désespoir ; je hurlais devant ces faces blafardes qui m'envoyaient d'affreuses grimaces et m'annonçaient : « TU ES NÉ ! ».

Une condamnation. J'aurais préféré ne jamais quitter l'absolu, l'impavide sérénité de ne faire qu'un avec le Tout.

Puisque le hasard m'avait donné la vie à mes dépens, je ne pouvais faire autrement que de m'accrocher à ce misérable caillou à la dérive, partageant l'infortune de mes pairs. Survivre devenait maintenant le maître mot. Toutes mes actions, toutes mes entreprises répondaient avec fébrilité à cet instinct viscéral, à ce flux qui courait dans mes veine pour nourrir l'organe vorace palpitant chaque seconde dans ma poitrine.

Ne pas mourir.

Voilà que je reniais la matrice, sublime inconnue, elle qui m'avait pourtant choyé si longtemps en son sein obscur, nourri patiemment à l'éther des nébuleuses. L'immensité de sa présence me remplissait de crainte. Je n'étais plus que le souffle inquiet d'un organisme, une flamme tremblotante refusant désespérément de s'éteindre.
D'un abîme de paix je passais à une peur continuelle ; malédiction de la chair périssable.

Alors comme les autres je fis semblant de vivre pour oublier l'angoisse de la fin. Semblant de rire, de pleurer, semblant d'aimer ; semblant de participer aux actes du quotidien. Autour de moi se débattaient des ombres en sursis qui tentaient d'occulter l'extinction vers laquelle elles se dirigeaient inexorablement. Des pantins affolés cherchant à combler l'intervalle entre les bornes du néant. Tous nous cherchions une raison d'être, quelque chose qui justifiât notre présence ici-bas et repoussât l'échéance.

Combat dérisoire.

Épuisé, j'ai fini par abandonner cette lutte qui ne menait nulle part. À quoi bon ? Nous sommes toujours perdants.
Alors j'ai éteint la lumière et rouvert les portes de mon âme aux rumeurs du crépuscule, repris contact avec l'océan des ténèbres ; celui qui nous berce durant notre sommeil, accompagne sans mot dire l'existence en toile de fond.

Pour devancer l'appel.

Avec détermination j'ai saisi une lame en acier que j'ai brandi à la lune, le torse dénudé, des astres plein les yeux.

Que ce cœur honni soit transpercé !

Que cesse la mascarade !

Que les …

- « Chéri à table !!
- Hein, quoi ? Heu... j'arrive Bibiche.
- Tu as sorti les poubelles ?
- J'y vais, j'y vais ... »

[Invité]

Alors là, respect !
Je mitonnais déjà un commentaire fustigeant ce mysticisme à deux balles
Mais Bibiche m'a coupé l'herbe sous les pieds :o)
Plus dure fut la chute
Bravo

[Janis]

Ah j'aime bien ! (grâce à la fin, bien sûr, mais par ailleurs l'écriture est solide)

Me rappelle je ne sais plus quelle pub (désolée) où un type se la joue face à la mer, grandes envolées métaphysiques, cheveux au vent, âme torturée, jusqu'à ce que sa femme lui crie aussi "à taaaable !" et qu'il retrouve ainsi son uniforme de petit monsieur ordinaire

[Rebecca]

Je ne dirai pas mieux.
Une écriture trés maitrisée et un final qui recadre l'ensemble d'une façon hilarante.

[Invité]

Allez je fais la difficile. Je n'accroche pas et même pas du tout cette fois. 
Le galimatias métaphysique m'a ennuyée, même si j'ai bien compris que le trait était forcé à dessein, et j'ai trouvé la chute attendue, lourde voire grotesque, genre tarte à la crème. 

[Lucy]

Je mets aussi un petit bémol sur le final, mais ai apprécié la lecture.

[michel]

La seule chose dont je suis sûr, c'est qu'avant d'apparaitre j'étais éternité. Je flottais dans un état indéfinissable et n'avais aucune conscience de l'être. Mon entité se composait d'une infinité de particules virtuelles qui n'avaient qu'une chance improbable d'exister ; masse informe nichée dans les replis du néant. Une mosaïque d'éléments épars sans but ni destin, texture glacée se confondant avec la trame de l'espace.

masse

contraste mal avec l'idée de dispersion que vous veniez de semer dans les lignes précédente (et suivante : "Une mosaïque d'éléments épars")
replis du néant. par contre celle là je vous la prend, je peux ??? :-)

De ces limbes insondables les étoiles m'arrachèrent avec force.

J'aime aussi ça; pour moi cette phrase évoque la couleur jaune (étoile sans doute); mais aussi surtout la douleur d'être arraché au néant pour venir à l'être, dit tout en style comme vous savez le faire, ce qui constrate avec mon expression brutale dont je me désole d'ailleurs.

Je fus ainsi extirpé du silence, de l'invisible, pour aboutir au gré des courants dans un agglomérat fragile de matière. Parmi une multitude de possibilités je devins une créature de chair et de sang. La nuit prenait fin.
"agglomérat" : me semble mal choisit. Vous avez trouvez beaucoup de bonne expression pour caractériser cet état immatériel de la vie, mais qui ne tournent pas toutes dans les meme champ lexical, à mon sens avant d'apparaitre j'étais éternité; état indéfinissable; infinité de particules virtuelles; mosaïque d'éléments épars
V.S. masse informe ; agglomérat

L'irruption dans la réalité des choses fut brutale. Je passais d'une dimension vide à un monde plein d'agitation ; tempête submergeant mon corps à peine ébauché. Je hurlais de terreur, de désespoir ; je hurlais devant ces faces blafardes qui m'envoyaient d'affreuses grimaces et m'annonçaient : « TU ES NÉ ! ».
La première phrase de ce paragraphe me parait encore excellente, mais la seconde dans quelque chose qui prend un autre ton, et ne s'inscrit pas tout à fait, à mon sens, au meme niveau que le reste. Je passe au suivant.

Une condamnation. J'aurais préféré ne jamais quitter l'absolu, l'impavide sérénité de ne faire qu'un avec le Tout.

Si je puis me permettre, philosophiquement, enfin, certaines philosophies nient que le passage à la vie terrestre empeche quoi que ce soit niveau communication avec le Tout, l'Etre ou l'Univers. Certains disent que c'est meme le seul moment possible.

Puisque le hasard m'avait donné la vie à mes dépens, je ne pouvais faire autrement que de m'accrocher à ce misérable caillou à la dérive, partageant l'infortune de mes pairs. Survivre devenait maintenant le maître mot. Toutes mes actions, toutes mes entreprises répondaient avec fébrilité à cet instinct viscéral, à ce flux qui courait dans mes veine pour nourrir l'organe vorace palpitant chaque seconde dans ma poitrine.

Mmmmmhhhhh, ce que j'aime dans ce paragraphe, c'est contrasté, mais c'est surtout un sentiment, comme une odeure, l'odeur de la vie, plus que l'opinion intellectuelle que personnellement je ne partage pas. Vous me semblez très inpirées par une vision chrétienne de l'existence. Le palpipant, oui, c'est ça la vie.

Ne pas mourir.

Voilà que je reniais la matrice, sublime inconnue, elle qui m'avait pourtant choyé si longtemps en son sein obscur, nourri patiemment à l'éther des nébuleuses. L'immensité de sa présence me remplissait de crainte. Je n'étais plus que le souffle inquiet d'un organisme, une flamme tremblotante refusant désespérément de s'éteindre.
D'un abîme de paix je passais à une peur continuelle ; malédiction de la chair périssable.

Alors comme les autres je fis semblant de vivre pour oublier l'angoisse de la fin. Semblant de rire, de pleurer, semblant d'aimer ; semblant de participer aux actes du quotidien. Autour de moi se débattaient des ombres en sursis qui tentaient d'occulter l'extinction vers laquelle elles se dirigeaient inexorablement. Des pantins affolés cherchant à combler l'intervalle entre les bornes du néant. Tous nous cherchions une raison d'être, quelque chose qui justifiât notre présence ici-bas et repoussât l'échéance.

C'est tout de même plus amusant de faire vraiment semblant, d'arriver à se perdre au jeu, de presque avoir l'air d'y croire. Sinon nous reviennent les visions d'horreur de Microméga effectivement.

Combat dérisoire.

Vous avez tout mon assentiment.
Épuisé, j'ai fini par abandonner cette lutte qui ne menait nulle part. À quoi bon ?

Nous sommes toujours perdants.

Si vous affirmation appelait une réponse, ce dont je doute en fait, je peux vous dire que je connais un jeu auquel tout ceux qui ont bien voulu jouer sortent gagnant.

Alors j'ai éteint la lumière et rouvert les portes de mon âme aux rumeurs du crépuscule, repris contact avec l'océan des ténèbres ; celui qui nous berce durant notre sommeil, accompagne sans mot dire l'existence en toile de fond.

Pour devancer l'appel.

Devancer me parait loin d'être la solution.

Avec détermination j'ai saisi une lame en acier que j'ai brandi à la lune, le torse dénudé, des astres plein les yeux.

Que ce cœur honni soit transpercé !

Que cesse la mascarade !

Que les …

- « Chéri à table !!
- Hein, quoi ? Heu... j'arrive Bibiche.
- Tu as sorti les poubelles ?
- J'y vais, j'y vais ... »

J'aime pas la fin. Enfin... un peu facile, dommage.

[michel]

Désole je crois que je vous ai pris pour une femme, vous corrigerez de vous meme, encore désolé (je me disais bien que ce texte ne pouvait pas etre écrit par une femme:)

[milo]

à la base, l'hypothèse de la matière noire, me fascine. Mais évidement, en tant que branleur de première, je ne me suis jamais réellement documenté sur le sujet. Du coup, tu imagines bien que je me suis jeté sur ton texte comme un affamé... Et là, légère déception, je n'ai pas eu les explications que j'espérais ( mais cette petite déception est clairement relative à ma condition de branleur susdite, oui avec un d)
En revanche, j'ai beaucoup ris en voyant cet homme s'emporter dans le grandiose et l'universel, et qui au final se retrouve à descendre les poubelle de bibiche.
c'est vraiment très bon !

[Jano]

Tizef : Vous y allez fort avec ce « mysticisme à deux balles » ! Je me demande si vous avez cherché sérieusement à comprendre ce texte car je ne fais référence à aucune puissance supérieure ni ne me prosterne devant aucun dieu. Je m'adresse uniquement à l'inconnu qui nous a créé. Cet inconnu que je nomme successivement « le néant », « une dimension vide », « la matrice » ou encore « l'océan des ténèbres ». J'aurai préféré que vous parliez de philosophie, voire de métaphysique car j'essaie vraiment d'analyser notre rapport au monde malgré la pirouette frivole de la fin.

Janis : Je ne connais pas cette pub mais c'est sûr que c'est un sujet propice à faire rire. Dans mon cas j'ai pratiqué une sorte d'auto-dérision, histoire d'alléger un peu cette soupe métaphysique. Néanmoins comme j'ai dit à Tizef, j'expose véritablement ma vision de l'existence avant de la saborder au final.

Rebecca : Merci pour « l'écriture très maitrisée », un des plus beaux compliments que je puisse recevoir.

Easter : Je suis déçu que comme Tizef vous n'ayez vu dans ce texte qu'un « galimatias métaphysique » alors que je vous assure qu'il y a un raisonnement sous-jacent. Peut-être n'est-il pas assez clair et la faute m'en incombe alors.

Lucy : Merci Lucy, dommage que votre commentaire soit si court !

Michel : Je suis impressionné par vos remarques pertinentes sur mon texte et touché que vous ayez fait un réel effort de compréhension. Le temps me manque pour lancer un débat mais de toute évidence vous avez bien saisi et relayé mon propos. Par contre je m'insurge contre « Vous me semblez très inspirée par une vision chrétienne de l'existence » et m'interroge beaucoup sur cet énigmatique « je peux vous dire que je connais un jeu auquel tout ceux qui ont bien voulu jouer sortent gagnant ».

Milo : La matière noire, sujet fascinant. L'astrophysique bute toujours sur ces particules qui n'émettent aucune longueur d'onde, impossibles à détecter, mais dont les effets se font sentir sur le mouvement des galaxies et qui, selon les estimations, représenteraient 90 % de la masse totale de l'univers ! Une énigme qui nous ramène à l'insignifiance de nos connaissances.
Dans le cas présent, la matière noire représente plutôt le côté sombre de mon esprit, de mon regard nihiliste sur le monde. Dès que j'ai un moment j'irai lire votre production, voir par curiosité de quoi un « branleur de première » est capable.

[Invité]

Jano, désolé si le ton de mon commentaire t'a froissé
Ce n'était pas du tout dans mon intention, au contraire
Au vu de la chute, j'étais persuadé que ce qui précédait était écrit (et fort bien écrit) au second degré.
C'est donc par connivence que j'ai commenté suivant le même registre.

Si la réflexion avait été publiée seule, sois sûr que je ne l'aurais pas traitée de "mysticisme à deux balles".
On n'est pas des sauvages tout de même :o)

[Invité]

Comme Easter, je ne suis pas client pour la métaphysique à deux balles et le sombre galimatias.
La chute, loin de me paraître drôle, me semble au contraire convenue et casse tout ce qui pouvait être intéressant. Comme ces gens qui ayant peur de se voir emportés par une inspiration s'empressent de la flanquer par terre en éclatant de rire nerveusement. S'il y a du fond dans cette envolée dans le “dans quel état j'erre“ du début, comme tu le prétends dans ta réponse, tu aurais mieux fait d'y aller carrément et de nous ficher la trouille à nous plutôt que de céder à la panique toi même.
Pour moi, ce n'est ni fait ni a faire. Quoique raisonnablement bien écrit, c'est vrai.

[Invité]

Il m'arrive le soir, en regardant les étoiles, d'éprouver des sentiments analogues. L'inanité de la vie et son absurdité m'apparait alors. Mais jamais, au Grand Jamais (le Grand Jamais est comme le Grand Tout… Paroles de Barbapoux (pas de Zarathoustra)) Bibiche ne m'a intimé d'aller vider les poubelles à pareille heure (comme quoi le vide est partout).
Ceci étant, j'ai bien aimé l'aspect philosophicospatial et la chute (brutale, surtout après une telle élévation de l'âme).
On rejoint un peu la métaphysique d'Aristote qui pose le problème très concret du : qu'est-ce qui fait qu'un être est ce qu'il est ? Ou celle des existentialistes sur la recherche du sens et des fins de l'existence.

[Raoulraoul]

Vague à l'âme sur notre condition. J'ai pensé à "L'inconvénient d'être né" de Cioran. Un peu de physique, de métaphysique, de spleen : il manque alors, puisque tout est néant, la volonté de puissance de Nietzsche... mais non, tu vas sombrer, jusqu'à la pirouette finale du quotidien, tranchante et factuelle. Ton thème m'est sensible, il se trouve être par hasard celui de mon dernier texte édité "Zone tranquille avant l'histoire". Bien sûr le traitement est différent, mais des choses nous relient. Excuse-moi d'avoir écorché ton pseudo (Janos[i]) dans une réponse sur le forum "Discussions...". A bientôt Jano, et merci encore pour ta clairvoyance sans illusion dans tes écrits.

[Pascal-Claude Perrault]

Bien sûr, il n'y a là aucun mysticisme à deux balles puisque nous venons des étoiles, c'est un fait scientifique.
Le titre m'a attiré (normal, cette matière noire a un effet gravitationnel), et j'ai pu lire un texte très sensé, fort bien rédigé. Pour ce qui est de la chute tarte à la crème, personnellement, j'apprécie ce genre de cassure. C'est l'effet de surprise qui percute surtout. Et puis cette chute est à mes yeux tout à fait corrélée à ce qui lui est antérieur : j'ai bien l'impression que le personnage se ment, et qu'en vérité il veut se suicider à cause de Bibiche !

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