Les sables de Tombouctou

[Jano]

Nuit froide du Sahel. Des nuées de flammèches s'échappent d'un brasier en tourbillonnant. Autour du foyer, nos corps allongés sur des tapis se soulèvent et s'abaissent au rythme hypnotisant des kalungus. De jeunes Songhaï en sueur, les dents blanches, martèlent avec frénésie les peaux de cuir.
Les stridulations des vieilles femmes se mêlent à l'excitation du clan, aux aboiements furieux des chiens. Les ongles fichés dans nos épaules, les koros musos nous enfoncent plus loin dans leurs vulves brûlantes, nous vident de notre semence. Quatre couples en offrande.

« DUGUKOLO » pour la terre.

« SANKOLO  » pour le ciel.

« JI  » pour l'eau.

« TASUMA  » pour le feu.

Nous léchons les visages de nos fornicatrices penchées au-dessus de nous pour en récolter le sel, leurs cheveux noirs se collent à nos joues scarifiées. Stimulés par la poudre de kola, nos coups de boutoirs ne faiblissent pas, tordent les bouches dans d'affreux rictus. Souffles courts. Les seins d'ébènes se balancent comme des outres.

Tapis dans la pénombre luisent les yeux de faucons des hommes d'Ansar Dine. Nous savons qu'ils désapprouvent mais se taisent, tenus par les lien sacrés des alliances. Sur leurs genoux des armes automatiques.

Soudain les dromadaires s'agitent, les chiens tournent leurs crocs vers les étoiles.

Haut dans le ciel le sombre bourdonnement de la mort.

« TUBABU ! TUBABU ! »

Les premières bombes commencent à pleuvoir ; fracas épouvantable. Nous voyons le clan se disloquer dans tous les sens. Panique. Les koros musos affolées se détachent de nous, les cuisses poisseuses.
Aussi rapides que des chacals, les hommes d'Ansar Dine sautent dans leurs pick-ups et s'évaporent dans la nuit. Mes trois frères s'enfuient, le sexe au vent.

Je reste pétrifié. Quel est cet ennemi qui tue sans nous voir ?

Les éclats mordent au hasard, frappent à l'aveugle, découpent des morceaux de femmes, d'enfants ou d'animaux, les palmiers deviennent torches, les kheimas se consument.

Le sable rougit de notre sang.

[Invité]

Un texte fort, très visuel, qui se lit d'une traite.
Au passage j'ai appris des choses sur l'empire Songhai, les mots "koro muso" et certaines activités érotiques en vigueur dans le Sahel. Merci.

Dans une actualité brûlante, le fond est résolument manichéen, voire militant.
Les islamistes sont un peu coincés, mais au fond ce sont de braves bougres "tenus par les lien sacrés des alliances".
Les méchants, les vrais, ce sont les tubabu, qui bombardent Tombouctou à l'aveugle. Comme il se doit, leurs cibles échappent au massacre.

Un texte qui vaut incontestablement le détour.

[Invité]

Je comprends sans comprendre, si je saisis le pourquoi, la finalité m'échappe en partie.
Et puis ce "nous" m'interroge, il fait obstacle à mon appréhension du texte.

Sur le plan formel, j'apprécie l'écriture concise et carrée.

[Invité]

Texte pacifiste ou propagande islamiste ?
La complaisante avec laquelle sont décrits "les hommes aux yeux de faucon", me fait pencher pour la seconde hypothèse.

[Jano]

Texte pacifiste ou propagande islamiste ?
La complaisante avec laquelle sont décrits "les hommes aux yeux de faucon", me fait pencher pour la seconde hypothèse.

J'ai bien aimé votre premier commentaire Tizef, malgré le ressentiment que je devine à mon égard vous lisez quand même mes textes avec des analyses intéressantes. Je vous en remercie sincèrement.

La deuxième remarque, ci-dessus, me plaît moins et me fait penser que vous interprétez un peu vite. Relisez.

[Invité]

Je suppose qu'il ne s'agit pas d'une mise en boîte (ansar dine), d'autant plus que l'huile (je ne préciserai pas laquelle) semble couler à flots (hum, hum !). :-)))

Mais trêve de fariboles. Un texte d'actualité qui rappelle (au cas où nous l'aurions oublié) que les frappes aériennes ne font pas le tri entre "bons et méchants" (l'expression "pas de quartier" ne convenant pas dans ce cas).

En conclusion: j'en demeure tubabu… Euh, non, toubaba.

Un petit glossaire me semble nécessaire, parce que, même avec l'ami Google, j'ai eu du mal (bing) à trouver.

[Invité]

J'ai bien aimé votre premier commentaire Tizef, malgré le ressentiment que je devine à mon égard vous lisez quand même mes textes avec des analyses intéressantes. .

Je n'éprouve aucun ressentiment à votre égard.
Je ne partage pas votre analyse de la situation. C'est tout.

[Jano]

(Deuxième version, quelques modifications par-ci, par-là.)

Les sables du désert

Nuit froide du Sahel. Des nuées de flammèches s'échappent en tourbillonnant d'un brasier vigoureux. Autour de la chaleur du foyer, nos corps allongés sur des tapis se soulèvent et s'abaissent au rythme hypnotisant des kalungus. De jeunes songhaïs en sueur, les dents blanches, martèlent avec frénésie les peaux de cuir.
Les stridulations des vieilles femmes se mêlent à l'excitation du clan, aux aboiements furieux des chiens. Les ongles fichés dans nos épaules, les koros musos nous enfoncent plus loin dans leurs vulves brûlantes, nous vident de notre semence.

Quatre couples en offrande :

« DUGUKOLO » pour la terre.

« SANKOLO  » pour le ciel.

« JI  » pour l'eau.

« TASUMA  » pour le feu.

Nous léchons les visages de nos fornicatrices penchées au-dessus de nous pour en récolter le sel, leurs cheveux noirs se collent à nos joues scarifiées. Stimulés par la poudre de kola, nos coups de boutoirs ne faiblissent pas, tordent les bouches dans d'effrayants rictus. Souffles courts. Les seins d'ébènes se balancent lourdement comme des outres pleines.

Tapis dans la pénombre, luisent les yeux de faucons des hommes d'Ansar Dine. Ils désapprouvent mais se taisent, tenus par les alliances tribales. Sur leurs genoux des armes automatiques.

Soudain les dromadaires s'agitent, les chiens tournent leurs crocs vers les étoiles.

Haut dans le ciel le sombre bourdonnement de la mort.

« TUBABU ! TUBABU ! »

Les premières bombes commencent à pleuvoir ; fracas épouvantable, panique. Le clan se disloque dans tous les sens. Affolées, les koros musos se détachent de nous, les cuisses poisseuses. Aussi rapides que des chacals, les hommes d'Ansar Dine sautent dans leurs pick-ups et s'évaporent dans la nuit. Mes trois frères de cérémonie s'enfuient, le sexe au vent.

Quel est cet ennemi qui tue sans nous voir ?

Les éclats mordent au hasard, frappent à l'aveugle, découpent des morceaux de femmes, d'enfants ou d'animaux, les palmiers deviennent torches, les kheimas se consument.
Dans la pénombre du désert, l'oasis devient une tache lumineuse où retentissent des hurlements de douleur.

Hagard, je marche sur un sable rougit du sang de mon peuple. Mon pied bute contre une kalachnikov abandonnée par les fous de Dieu. Je la ramasse.

[Invité]

Bien documenté, sans aucun doute. Bien écrit (à l'exception des seins d'ébène vraiment trop cliché.) sans doute non plus.
Clair, concis, précis, maîtrisé. Maîtrisé, voilà, je crois que c'est le mot qui définit le mieux. Mais je ne peux m'empêcher de regretter cette maîtrise : vers quel idéal tend cette perfection lisse ?
Une écriture révèle de son auteur ( quelque chose de). Ce que révèle la tienne, me semble -t-il, c'est le désir de n'offrir aucune prise. De ne rien révéler. Comme si le lecteur était potentiellement ton ennemi. C'est dommage, non ?

[Lucy]

Fulgurant, comme l'Union de ces êtres et les bombes qui tombent, cependant, j'ai trouvé cela un peu court.
Je cherchais une possible suite.
Cela a des airs d'incipit ce qui, en un sens, est très bon car vous tenez votre lecteur, et moins bon, car il voudrait en lire davantage.

[Invité]

Je viens faire un petit tour du coté de la prose incité par la lecture des exos en cours.
Je ne vois rien là de sérieusement politique. Cela me fais penser à ces BDs d'aventure vaguement érotiques pour adolescents. D'où justement les seins d'ébène. Et le a suivre à la fin... (que fera donc notre héros de sa kalachnikov ?). C'est Angoulème en ce moment non ?
Sinon bien écrit et très visuel, de la BD en texte.

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