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Itinéraire désuet

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Message  silene82 Jeu 20 Aoû 2009 - 9:21

- Lève-toi, Magali! Lève-toi, je te dis! Il y a beaucoup de choses à faire; il faut que tu viennes avec moi au jardin, et faire l'herbe pour les lapins..
- C'est trop tôt, maman...Laisse moi dormir
- Que non pas! J'ai besoin de toi...Tu sais bien qu'on doit le faire...
- C'est pas juste...les garçons, eux ils restent à roupiller...
- Ils vont partir avec le père après, tu le sais bien

Ouais; maman a un peu raison. C'est vrai que les garçons partent aider le père sur les chantiers, même que le maître les dispute parce que l'école est obligatoire. Mais quand l'été est presque là, il sait bien, le maître, que c'est pas la peine d'essayer de nous garder en classe. L'autre jour, il nous a expliqué que la République, c'est quelque chose d'extraordinaire: d'abord, il y a eu la Révolution. Il nous a dit que c'était le plus beau moment de l'humanité, parce que la justice avait enfin régné. Moi je me suis pensé que quand même, tout ces gens qu'on leur a coupé la tête, peut-être il y en avait qui étaient pas des, comment il dit le maître, des tirants. Ça doit être des gens qui arrêtent pas de tirer du travail des autres. Comme on dit de tirer l'eau du puits. Moi je pense que peut-être on s'est trompé et que y en a que ils avaient rien fait de mal, et que peut-être ils étaient très gentils avec les gens qui travaillaient pour eux. Il nous a dit que monsieur Jules Ferry il avait fait une loi pour que tout le monde en France il puisse apprendre à lire et à écrire gratuitement, parce que c'est la République qui paye, et que c'est pour ça que la France c'est le plus beau pays du monde. Il nous a dit aussi que il y a les grandes vacances pour que les enfants puissent aider leur parents, surtout à la campagne. De toutes façons, ici on est à la campagne, même si on est pas des paysans comme ceux qu'on voit dans les images que le maître nous a montrées.

Le jour se levait à peine sur le Val-Joli, fertile vallon de par et d'autre de la rivière d'où la petite ville tirait son nom, la Blagne. Vallon alluvionnaire, terre riche et légère, où tout poussait, maraîchage, avec des produits d'une précocité extraordinaire, due à l'exposition exceptionnelle de la petite dépression, abritée des vents froids et des gelées malignes: dès avril, des fraises extraordinaires de goût, que tous les amateurs des villes avoisinantes recherchaient avec intérêt; des primeurs, pêches, abricots, melons, quinze jours à trois semaines avant tous les autres. Et les fleurs, l'oeillet et la rose, cultivés principalement en serres, toute l'année.
Une petite propriété ne rendait jamais riche, certes, mais permettait de vivre correctement: tous les aliments de base étaient produits sur place, y compris le miel: quelques ruches en bord de rivière y pourvoyaient. Pour le reste, légumes à profusion, lapins, poules, une petite vigne même, hormis la treille qui courait le long de la maison, et donnait un raisin dit framboise, d'un goût prononcé de fruits rouges, qu'on ne transformait pas en vin, du fait du caractère trop marqué de son arôme. Les quelques ceps sur la pente douce qui s'élevait vers la petite maison donnait une piquette agréable, peu alcoolisée, qui convenait parfaitement bien aux occupants. L'argent circulait peu, bien que le travail du père, maçon de son état, en amenât. Sa qualification n'était pas suffisante pour briguer des responsabilités que des compagnons du Tour, par exemple, auraient pu assumer: c'était un maçon-paysan, issu d'une famille de petites gens du lieu, qui avait appris sur le tas avec des petits artisans, mais sans devenir capable d'être à l'aise dans de la lecture de plan, qui lui eût ouvert d'autres horizons. Il travaillait correctement sur des tâches connues et routinières, sans inventivité particulière, sans tromperie non plus.
Le travail ne manquait jamais: les premières années du 20ème siècle étaient une éclosion, dans cette région bénie, de toute une prospérité liée à un tourisme en plein développement, à des transports de plus en plus faciles permettant l'envoi de productions conditionnées à peu près partout non seulement en France, mais au-delà, pour peu qu'on prît la peine de les emballer correctement. Des perspectives magnifiques s'ouvraient, il semblait à tous qu'une ère de prospérité s'ouvrît devant ceux qui, sentant les grandes directions qui allaient se dessiner, infléchissaient leur trajectoire pour se tenir dans le lit du vent de l'expansion, et voguer vent arrière vers une aisance de rentier.
La stabilité monétaire était remarquable: le désastre de 1870 était loin, la vitalité de l'Empire colonial avait grandement contribué à éponger la considérable dette de guerre imposée au pays, qui l'avait néanmoins acquittée en un temps record.
La femme et la presque jeune fille -10 ans, bientôt nubile donc, le sang du sud bouillant tôt dans les artères, et amenant cet écoulement intempestif tant fêté dans les contrées où il a sens de mise sur le marché d'un champ propre à être ensemencé, et d'une manière plus réservée aux endroits où les femmes, conscientes de l'esclavage infrangible que la noria des naissances va imposer, se réjouissent certes de ce que la pubère soit admise dans la communauté des femmes, mais sans jouer du cor, descendirent ensemble vers la petite parcelle herbeuse où elles coupaient chaque jour l'herbe fraîche -mais non mouillée, que les lapins ils attrapent la cagade, sinon- à distribuer aux infatigables rongeurs dans leurs cages grillagées.
Elles parlaient peu, se comprenant à demi-mot, d'un regard, comme il est fréquent entre femmes, l'intuition propre à l'humain s'exacerbant souvent d'être soumise à des contraintes particulières, telle que la toute-puissance prétendue du mâle, quand ce sont les jupes qui tiennent toujours tout, et ne laissent au benêt infatué que les apparences du pouvoir qu'elles veulent bien lui concéder, pour qu'il ne fasse pas de gros caprice. Ainsi se développe cette entente, de la même façon qu'elle le ferait entre des mâles obligés, par des contingences extérieures, à s'allier contre un pouvoir despotique, et qui apprendraient à se parler du bout des yeux, et à deviner sans même avoir besoin de paroles. Aspect annexe du renforcement bien connu des sens restants lorsque l'un d'entre eux est diminué ou absent; ce qui n'implique pas nécessairement qu'il soit judicieux d'énucléer des nouveaux-nés pour renforcer leurs futurs dons musicaux, comme une lecture rapide des principes de la taille agricole pourrait le laisser penser.
Ma petite, quand même, ça m'ennuie que son avenir soit déjà tellement tracé; que moi je sois là, à faire l'herbe aux lapins, à donner aux poules, à aller au jardin, à m'occuper des fleurs, tout en surveillant les petits, en ayant la daube sur la cuisinière -bon, la cuisinière, il faut dire ce qui est, elle m'aide bien, je la connais, vaï, je sais où il faut mettre le fait-tout pour que ça mijote comme il faut-. Mais là on n'est pas rendu encore, et les jours de lessive? Heureusement que ça n'est pas tous les quatre matins. Il paraît qu'il y a des gens de la ville qui se lavent plusieurs fois par semaine, et même certains tous les jours! Bon, il y a des parties qu'il faut bien qu'on se lave, c'est normal: on n'est pas des animaux. Mais tous les jours! On voit qu'il vont pas chercher l'eau à la rivière, eux! Mais quand même, cette petite , j'aimerais bien qu'elle fasse autrement que moi. Elle se débrouille pas mal quand même à l'école, pas au point de Françoise Teyssier, que le maître a réussi à convaincre ses parents qu'il fallait qu'il la laisse aller aux études, que c'était une pitié de lui faire faire la paysanne, une petite que rien que de regarder un livre elle l'avait appris! Maintenant, elle fait la maîtresse quelque part en Auvergne, que ça c'est vrai qu'on te les envoie où on veut, et qu'avant qu'ils reviennent dans leur coin, il coule de l'eau. Ça dépend, remarque, que les notes des inspecteurs, ça compte pour gagner du temps. Non, ma Magali, je l'aurais pas vue maîtresse, que les concours il faut les passer, les concours! Mais à la Poste, ou une place comme ça, oui, là je l'aurais vue: ton samedi après-midi et ton dimanche, tes appointements qu'il paraît que ça se dit comme ça qui tombent qu'il pleuve qu'il vente, tu es malade, tu as le droit de pas venir au travail, qu'il paraît qu'il y en a que c'est souvent, et au bout ta bonne petite retraite, que nous on ne pourra jamais s'arrêter, que sinon qui c'est qui nous donnera pour vivre? Bon, on a presque tout; mais il faut bien acheter le sel, le sucre, l'huile, le pétrole pour la lampe. Maintenant il paraît qu'ils veulent faire des nouveaux impôts, que déjà il y en a bien assez. Non, à la Poste, ça aurait été formidable. Mais je sens bien que c'est pas ça qu'elle veut; elle aurait voulu, j'aurais convaincu son père. Je sais bien comment le décider et qu'il croie que ça vient de lui. Mais je vais pas l'obliger à quelque chose qui lui dit rien.
Je vois bien qu'elle s'inquiète pour moi ma pauvre mère; Elle n'a pas envie que j'ai la même vie qu'elle, mariée à 18 ans, et allez, en route, un petit par an! Encore elle a eu de la chance, si on peut dire; 4 ans pour le premier garçon, que tout le monde brûlait des cierges il paraît, encore 3 ans et demi pour moi, encore 4 ans de plus pour le petit dernier...Avec un peu de chance, elle n'en aura qu'un de plus avant qu'elle ne risque plus rien. Quand même c'est bien un petit, mais ça nous attache drôlement, quand même. Moi je crois que j'en voudrais bien, mais quand je veux, et sans être obligée de faire tout ce travail en même temps. Mais c'est pas des choses qu'il faut dire à n'importe qui....

- Allez Magali, va leur mettre l'herbe, ils vont être tout contents
- Surtout que maintenant elle est vraiment belle...ils vont profiter les petits...

Les deux femmes œuvraient ensemble, dans une entente détendue, préoccupées l'une de l'autre, la mère s'efforçant de s'acquitter de tout ce qu'elle pouvait faire sans sa fille, et la petite essayant d'alléger sa tâche le plus possible, sans qu'elle le voit. Il lui arrivait de se lever très tôt, réveillée d'un coup, lucide immédiatement, et de filer repasser une pleine corbeille de linge avec le fer à braises, tandis qu'elle surveillait la cafetière et le lait au coin du feu. Elle dissimulait ensuite son travail de telle façon que sa mère ne s'en apercevait qu'au moment de ranger les vêtements dans les commodes et la grande armoire, et que réalisant d'un coup ce que le geste signifiait, en avait les larmes aux yeux. Pas de grandes déclarations, de mamours langoureux, d'embrassades: selon une disposition assez fréquente dans les territoires du sud, une certaine froideur apparente accompagnait les échanges.

Ce microcosme fonctionnait comme fonctionnent les petites gens depuis les temps les plus anciens: à Rome, en Egypte, dans notre Moyen-Age, l'homme, bien connu pour ses vertus chasseresses, qu'il a fait évoluer au cours des temps, l'auroch tendant à se raréfier, en la quête d'une activité rémunérée, sort de son logis -quand logis il y a – et, avec abnégation, part gagner un pain assez généralement chiche, sauf quand il maîtrise des savoirs-faire recherchés et bien rémunérés. On pourrait épiloguer interminablement sur la plus-value apportée par le prolétaire, et confisquée par son employeur: là n'est pas le propos, et d'excellents théoriciens y ont consacré des volumes fort utiles à rehausser les sièges des enfants trop petits. Le père vivait donc la vie classique des journaliers du bâtiment, sans inquiétude particulière, puisque c'était le lot commun, que le travail ne manquait pas, car tout, ou quasiment, se faisait à la main, du terrassement à l'ultime finition. Certes, dans une vie d'homme, les guerres intervenaient de manière gênante, voire contraignante: le spectre large de la conscription, de bien jeune à presque vieux, donnait bien à voir le penchant guerrier du pays, et la politique coloniale qu'il entendait maintenir grâce à ses effectifs conséquents. Mais ma foi, depuis le siège de Paris, si bien décrit par les images d'Epinal, Gambetta en ballon, les animaux du Jardin des Plantes abattus pour permettre aux castes huppées de réveillonner de girafe et d'ours, on ne se plaignait pas, ma foi: l'ère industrielle battait son plein, avec plus d'un demi-siècle de retard sur la perfide Albion, Eiffel tricotait ses dentelles, du Viaur tarnais au Champ de Mars, aidé considérablement par son maître de chantier, Eugène Milon, compagnon charpentier d'un grand savoir, qui élabora des techniques révolutionnaires pour édifier la tour de l'Expo, techniques tellement inventives que les américains, toujours preneurs de solutions pragmatiques et efficaces, les utilisèrent amplement ensuite. Ce qui permettrait presque de ressortir l'antienne bien connue du génie de la France volé par les autres pays.
Le journalier donc, dans ce répit entre deux guerres -si l'on examine l'histoire de notre pays depuis Pépin le Bref, ou Charlemagne, si l'on préfère, on se rend compte que les périodes supérieures à 30 ans sans conflit armé d'importance sont rarissimes: origine sans doute de la prétendue sagace observation des vieux : « il leur faudrait une bonne guerre », puisque pratiquement aucune vie d'homme de quelque durée n'en a été exempte-, ne s'inquiétait pas inutilement: la demande montait de manière exponentielle, les charmes de la riante Côte dite d'Azur, qui avaient séduits les anglais depuis un bon demi-siècle pour la gentry, qui ne dédaignait pas la Rivière italienne, mais trouvait le fonctionnement au quotidien plus satisfaisant en France qu'en Italie, commençant à susciter des envies de retraite aisée au soleil chez la bourgeoisie enrichie des territoires de brumes et de frimas, où, n'ayant pas grand chose de mieux à faire, l'homme travaille avec acharnement et méthode.
Petit ouvrier maçon, formé sur le tas, comme on l'était dans ces classes sociales imprécises, demi-paysan, un peu ouvrier: chez les véritables ouvriers, tout un corpus existait, complexe et diversifié: un métier n'était pas un emploi, il demandait un long apprentissage, que, dans le meilleur des cas, on parfaisait en aspirant à la dignité de compagnon. Les compagnons n'avaient nul besoin, en ces temps, de racoler dans les écoles, comme le font l'armée ou la police: l'évidence de leur qualification éclatait aux yeux de tous, et la remarquable qualité de la construction civile en France du milieu du 19ème au milieu du 20ème leur est due. Mais pour être accepté comme aspirant, qui n'était qu'un préalable, il fallait un niveau technique largement supérieur au CAP, surtout ceux délivrés en nos temps de laxisme et de demande de main d'œuvre faiblement qualifiée.
Le brave homme donc était un de ces ouvriers maçons innombrables, sachant bâtir correctement, sans talent particulier néanmoins, et sans l'envergure nécessaire quant à l'éventuelle gestion d'une entreprise. Il était capable de tâches routinières, se méfiait des plans, qu'il ne lisait qu'à grand-peine, et avait besoin qu'on lui explique les choses à faire en les lui désignant concrètement. Brave homme par ailleurs, satisfait de son sort, de ramener une paye à la maison, et ne rêvant pas à des splendeurs inaccessibles.
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Message  Invité Jeu 20 Aoû 2009 - 10:15

Palpable, la "névrose d'enseignant inabouti" (sic) ici ....Parle-nous des personnages Silene, surtout, parce qu'on a envie de s'y attacher... Ne laisse pas le contexte socio-historique les étouffer.

Je sais que tu ne m'en voudras pas de t'indiquer une coquille :
Le jour se levait à peine sur le Val-Joli, fertile vallon de part et d'autre de la rivière
et un subjonctif traître :
et la petite essayant d'alléger sa tâche le plus possible, sans qu'elle le voie.

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Message  milo Ven 21 Aoû 2009 - 18:07

Vraiment une belle écriture. Riche, chargée de connaissances. On dirait un fleuve. Le Rhone peut-être, imposant et beau.
Par contre (et c'est un ressentis très personnel ), je n'aime pas quand tu prend la voix d'un enfant ou d'un taulard "débile" ( cf le 1er texte de Propos de cabane ) , je trouve ça presque irritant: comme si tu jouais le niais avant de nous envoyer la sauce. Comme des préliminaires avec une fille facile ( je dis ça pour rester dans l'élégance de mon précédant commmentaire...).

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Message  silene82 Ven 21 Aoû 2009 - 22:16

milo a écrit:Vraiment une belle écriture. Riche, chargée de connaissances. On dirait un fleuve. Le Rhone peut-être, imposant et beau.
Par contre (et c'est un ressentis très personnel ), je n'aime pas quand tu prend la voix d'un enfant ou d'un taulard "débile" ( cf le 1er texte de Propos de cabane ) , je trouve ça presque irritant: comme si tu jouais le niais avant de nous envoyer la sauce. Comme des préliminaires avec une fille facile ( je dis ça pour rester dans l'élégance de mon précédant commmentaire...).
Merci pour ton com, milo. Dans propos de cabane, je fais parler un taulard comme beaucoup de taulards parlent: la prison, ça abrutit. Et c'est un document, un reportage si tu préfères. Tout est rigoureusement exact. C'est un travail d'écriture, mais c'est aussi un documentaire. Je n'ai pas cherché la beauté littéraire -je crois que c'est suffisamment évident-.
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Message  Plotine Sam 22 Aoû 2009 - 7:05

Ah bon ? Eh bien je préfère quand tu restes dans le reportage parce que ton itinéraire désuet, il ne m'intéresse pas plus que ça. Je n'ai rien contre Magali mais la leçon d'histoire autour, je m'en serais passée.
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Message  silene82 Mar 25 Aoû 2009 - 14:14

- Alors les enfants? La journée a été bonne?
- Elle est toujours bonne quand nous sommes ensemble, papa; nous avons fait nos tâches habituelles, tout ce qu'il y a à faire ici; et vous?
- On a attaqué la maison du Bioul: grosse journée avec Raoul, pauvre, surtout avec ce soleil; on dégoulinait comme deux fontaines. On supporterait bien des manœuvres, quand même...
- Mais le manœuvre, c'est Raoul, non?
- En principe; mais comme je veux qu'il apprenne à bâtir, pas à faire le manœuvre, il n'en fait qu'au fur et à mesure... et je l'aide à remuer le mortier. Le patron nous a mis tous les deux sur le chantier, mais c'est pas suffisant. Je vais lui dire de nous envoyer trois ou quatre gars en renfort.
- De toutes façons, j'avais jamais entendu dire qu'on attaque une maison à deux...
- Hé, pécaïre, il doit penser qu'on est des champions...En plus, heureusement que le chef est passé me montrer les tracés de départ: on ne comprend rien à leurs plans...
- Enfin papa, ça se voyait bien, quand même: il n'y avait qu'à reporter, intervint Raoul
- Mais j'ai toujours peur de mal démarrer, et si on démarre mal, c'est cuit après...
- Mais comment tu veux mal démarrer, papa? C'est des angles droits: il suffit de tracer correctement...
- Oui mais moi, le traçage, ça me fait peur: imagine qu'il y ait une erreur...
- Et alors?
- Tout est compromis après
- Mais non: regarde la quantité de bâtiments construits en faux équerre, et qui n'ont jamais gêné personne...

Repas animé sous la lampe à pétrole à suspension.

- ouh ce pistou comme il sent! Tu le fais mieux que personne

Le père, honneur au chef et au dominant, pour l'instant jamais remis en cause, avait le privilège de déguster cette soupe incomparable, avec ses petits légumes frais taillés menus, et surtout, surtout, le fond, le pistou, cette pâte de basilic, d'huile d'olive et d'ail -on peut y mettre un soupçon de rouille- qui lui donne ce parfum extraordinaire, dans le mortier même ou avaient été broyés et amalgamés les ingrédients. Ce qui décuplait l'arôme.
Ayant tombé la chemise, en tricot de corps, conforme à l'image traditionnelle de l'ouvrier dînant chez lui.

- Quand même les femmes, vous avez la belle vie, pas vrai?

Et il glissait un clin d'œil se voulant malicieux aux garçons, qui acquiesçaient de la tête, sans trop bien savoir que penser

- Qu'est-ce que tu veux de plus, mon pauvre, continuait-il, faire un peu l'herbe aux lapins, donner trois grains de blé aux poules, un peu de lessive, tric trac, faire à manger, eh couillon, la journée est finie, peuchère. Tu te sors la chaise sur le pas de la porte et tu profites du frais...
- Et vos lits à faire, la maison à balayer et ranger, la vaisselle à faire, et tirer l'eau du puits pour en avoir à la maison, mais aussi après pour donner aux bêtes, et en stocker dans le gros abreuvoir en pierre pour arroser ce soir, et que l'eau se réchauffe tout le jour, et....

La voix de Magali avait une tonalité aigrelette.

- Allez, Magali, je rigole, tu sais bien
- J'en suis pas si sure; et en plus c'est pas des choses à dire...

De fait, le monde était d'une simplicité biblique dans ce type de famille traditionnelle: les hommes travaillant au dehors pour gagner la vie de la maison; les femmes aux tâches domestiques, et ancillaires. Bien sûr, devant se débrouiller pour être fraîches et pimpantes au cas ou le seigneur souhaiterait les accueillir dans sa couche.

Bel avenir qui m'attend, si je fais comme ma mère. Un marmot par an que je n'aurais pas le temps de voir vraiment grandir. Que je laisserai garder à ma mère, pour dégager du temps. Je le vois d'avance: un brave gars d'ici, maçon, ou plâtrier, ou menuisier. Travailleur. Qui ramène des bonnes payes à la maison. Pas buveur. Capable avec ses copains de chantier de construire une petite maison. Qui aime le gibier. Alors il ira à la chasse. Et il faudra plumer les bestioles qu'il ramènera, que des fois c'est une pitié de les avoir tuées, que c'est une bouillie. Et leur cuire, parce qu'il invitera ses copains de chasse. Et il picoleront. Et quand ils seront partis, ses collègues, à point d'heure, bien échauffé par le vin il voudra me monter sur la table. J'aurai beau protester à cause des petits, la seule solution pour le calmer ça sera les galipettes dans la chambre....

- Magali...Magali....tu rêves ma chérie...
- Oui maman, tu disais?
- J'ai reçu un coupon pour une bibliothèque, le coupon permet d'emprunter 3 livres à la fois pendant un mois, ça te dirait de prendre des livres?
- Oh oui maman, merci beaucoup!

Magali se rend à la bibliothèque fondée par une vieux médecin, quelque peu original, qui avait été médecin militaire au Tonkin une bonne partie de sa carrière. Il avait eu envie de faire œuvre de bienfaiteur vers la fin de sa vie, avit fait don d'un petit local sien et avait acheté des lots de classiques éprouvés pour le garnir, Balzac, Stendhal, Hugo, Flaubert, Tolstoï, mais aussi Zola, Dostoievski; Des ouvrages politiques voisinaient avec des oeuvres de théatre, Olympe de Gouges côtoyait Voltaire, Flora Tristan y figurait, ainsi que Louise Michel.
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Message  Ba Mar 25 Aoû 2009 - 15:04

Quel travail de fourmi ! Je crains l'influence de cette OLympe sur la pauvre Magali...enfin, je suppose que l'histoire nous en dira plus.
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Message  Invité Mar 25 Aoû 2009 - 20:00

Texte riche, bien fourni en connaissances, comme toujours, mais un peu trop à mon goût.
Je veux dire qu'il y a souvent digression, explications en phrases très longues apparemment hors sujet, ça bouillonne, ça déborde, on perd le fil de l'histoire.
Bien sûr, c'est agréable à lire, la faconde méridionnale est toujours sympa, mais je préfèrerais quand même un peu plus de concision, un peu plus de maîtrise de cette écriture qui part dans tous les sens comme un feu d'artifice sauvage.

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Message  Invité Mar 25 Aoû 2009 - 20:08

Remarques :
"...pour se tenir dans le lit du vent de l'expansion, et voguer vent arrière vers une aisance de rentier."
Pour éviter cette répétition, je te suggère :"...pour se tenir dans le courant de l'expansion, et voguer vent arrière..."
"mais sans devenir capable d'être à l'aise dans de la lecture de plan, qui lui eût ouvert d'autres horizons." Je trouve cette phrase bien lourde.

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Message  Invité Sam 29 Aoû 2009 - 9:29

J'aime, je trouve que tu as l'art d'évoquer toute une époque. Très bien, le hussard noir de la République, bien que je le trouve un poil "trop" ! Le passage subit de la narration extérieure à du stream of consciousness me paraît bien venu.

J'ai souri franchement à :
"ce qui n'implique pas nécessairement qu'il soit judicieux d'énucléer des nouveaux-nés pour renforcer leurs futurs dons musicaux, comme une lecture rapide des principes de la taille agricole pourrait le laisser penser"
"bien connu pour ses vertus chasseresses, qu'il a fait évoluer au cours des temps, l'aurochs tendant à se raréfier"
"d'excellents théoriciens y ont consacré des volumes fort utiles à rehausser les sièges des enfants trop petits"

Deux-trois remarques sur le premier chapitre :
"La femme et la presque jeune fille -10 ans, bientôt nubile donc, le sang du sud bouillant tôt dans les artères, et amenant cet écoulement intempestif tant fêté dans les contrées où il a sens de mise sur le marché d'un champ propre à être ensemencé, et d'une manière plus réservée aux endroits où les femmes, conscientes de l'esclavage infrangible que la noria des naissances va imposer, se réjouissent certes de ce que la pubère soit admise dans la communauté des femmes, mais sans jouer du cor, descendirent ensemble vers la petite parcelle herbeuse où elles coupaient chaque jour l'herbe fraîche -mais non mouillée, que les lapins ils attrapent la cagade, sinon- à distribuer aux infatigables rongeurs dans leurs cages grillagées." : la phrase est correcte grammaticalement, mais mal construite, je trouve, embrouillée, message peu clair ; déjà, il manque me semble-t-il un tiret fermant après "cor"
"Elle n'a pas envie que j'aie la même vie qu'elle"
"les Américains"
"les charmes de la riante Côte dite d'Azur, qui avaient séduit (et non "séduits") les Anglais depuis un bon demi-siècle pour la gentry, qui ne dédaignait pas la Rivière italienne, mais trouvait le fonctionnement au quotidien plus satisfaisant en France qu'en Italie" : ce bout de phrase aussi me paraît mal fichu, avec ses deux relatives enchaînées

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Message  Invité Sam 29 Aoû 2009 - 9:36

Les choses se dessinent dans le deuxième chapitre ; j'ai l'impression que, comme disent les Américains, la merde ne va pas tarder à voler dans le ventilateur avec cette Magali qui s'annonce pour avoir des idées pas de son temps !

Des remarques :
"dans le mortier même où avaient été broyés"
"qui acquiesçaient de la tête" : pléonasme ?
"J'en suis pas si sûre" ; et puis, certes le père a l'air bien brave ici, mais je m'étonne que la péronnelle avec deux poils au cul se permette de lui répliquer ainsi, vu le contexte...
"au cas où le seigneur souhaiterait les accueillir dans sa couche"
"Un marmot par an que je n'aurai (et non "aurais") pas le temps de voir vraiment grandir"

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Message  Sahkti Jeu 17 Sep 2009 - 15:46

Un histoire qui me plaît, cette tranche de destinée bien rendue, ficelée avec efficacité.

Attention toutefois, lorsque tu entres dans une narration plus descriptive, de ne pas tomber dans le travers du récit journalistique ou documentaire; ça manque par moments de vie et d'âme. Sans compter qu'il y a déséquilibre, tout au long du texte, dans la densité de celui-ci. Cela pourrait créer des aérations, digressions, ruptures bienvenues mais ce n'est pas tout le cas le cas

Sinon, j'ai trouvé cette plongée dans les pensées d'autrui plutôt réussie, fluide. Il y a toutefois quelques longueurs, des précisions peu utiles voire pas du tout et une faiblesse dans certains propos par rapport à d'autres.
Allégé, un brin retravaillé pour aller à l'essentiel dans certaines parties et hop ! Plus rien à redire :-)
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Message  silene82 Ven 18 Sep 2009 - 9:19

J'implore par avance votre mansuétude, mais constatant que les textes que je ne propose pas à votre imperturbable et sagace critique, chère Kountiss Sigour, et les autres petites fées de VE -à part boc et the mec pas bidon du tout, peu de retours des mâles-, n'avancent guère, je remets celui-là en chantier, pour le boucler, tant il est vrai qu'il faut finir ce qui est entamé, comme le notait avec justesse le bourreau maladroit de Marie Stuart. Je reprends en amont, car j'ai donné des poils au cul à la pisseuse, selon le souhait di mamzelle sounia

Et la vie va ainsi, d'année en année. Magali a grandi, elle a quatorze ans, bientôt quinze.
Repas animé sous la lampe à pétrole à suspension.

— Ouh ce pistou comme il sent! Tu le fais mieux que personne
Le père, honneur au chef et au dominant, pour l'instant jamais remis en cause, avait le privilège de déguster cette soupe incomparable, avec ses petits légumes frais taillés menus, et surtout, surtout, le fond, le pistou, cette pâte de basilic, d'huile d'olive et d'ail -on peut y mettre un soupçon de rouille- qui lui donne ce parfum extraordinaire, dans le mortier même où avaient été broyés et amalgamés les ingrédients. Ce qui décuplait l'arôme.
Ayant tombé la chemise, en tricot de corps, conforme à l'image traditionnelle de l'ouvrier dînant chez lui.
— Quand même les femmes, vous avez la belle vie, pas vrai?
Et il glissait un clin d'œil se voulant malicieux aux garçons, qui acquiesçaient, dodelinant de la tête, sans trop bien savoir que penser
— Qu'est-ce que tu veux de plus, mon pauvre, continuait-il, faire un peu l'herbe aux lapins, donner trois grains de blé aux poules, un peu de lessive, tric trac, faire à manger, eh couillon, la journée est finie, peuchère. Tu te sors la chaise sur le pas de la porte et tu profites du frais...
— Et vos lits à faire, la maison à balayer et ranger, la vaisselle à laver, et tirer l'eau du puits pour en avoir à la maison, mais aussi après pour donner aux bêtes, et en stocker dans le gros abreuvoir en pierre pour arroser ce soir, et que l'eau se réchauffe tout le jour, et....

La voix de Magali avait une tonalité aigrelette.

— Allez, Magali, je rigole, tu sais bien
— J'en suis pas si sûre; et en plus c'est pas des choses à dire...

De fait, le monde était d'une simplicité biblique dans ce type de famille traditionnelle: les hommes travaillant au dehors pour gagner la vie de la maison; les femmes aux tâches domestiques, et ancillaires. Bien sûr, devant se débrouiller pour être fraîches et pimpantes au cas où le seigneur souhaiterait les accueillir dans sa couche, le soir.

Bel avenir qui m'attend, si je fais comme ma mère. Un marmot par an que je n'aurai pas le temps de voir vraiment grandir. Que je laisserai garder à ma mère, pour dégager du temps. Je le vois d'avance: un brave gars d'ici, maçon, ou plâtrier, ou menuisier. Travailleur. Qui ramène des bonnes payes à la maison. Pas buveur. Capable avec ses copains de chantier de construire une petite maison. Qui aime le gibier. Alors il ira à la chasse. Et il faudra plumer les bestioles qu'il ramènera, que des fois c'est une pitié de les avoir tuées, que c'est une bouillie. Et leur cuire, parce qu'il invitera ses copains de chasse. Et il picoleront. Et quand ils seront partis, ses collègues, à point d'heure, bien échauffé par le vin il voudra me monter sur la table. J'aurai beau protester à cause des petits, la seule solution pour le calmer ça sera les galipettes dans la chambre....

— Magali...Magali....tu rêves ma chérie...
— Oui maman, tu disais?
— J'ai reçu un coupon pour une bibliothèque, le coupon permet d'emprunter 3 livres à la fois pendant un mois, ça te dirait de prendre des livres?
— Oh oui maman, merci beaucoup!

Magali commença à se rendre régulièrement à la bibliothèque fondée par une vieux médecin, quelque peu original, qui avait été médecin militaire au Tonkin une bonne partie de sa carrière. Ayant eu envie de faire œuvre de bienfaiteur ver s la fin de sa vie, il avait acheté des lots de classiques éprouvés, Balzac, Stendhal, Hugo, Flaubert, Tolstoï, mais aussi Zola, Dostoievski; Des ouvrages politiques voisinaient avec des œuvres de théâtre, Olympe de Gouges côtoyait Voltaire, Flora Tristan y figurait, ainsi que Louise Michel. Déconcertée lors de sa première visite, elle fut rassurée par une jeune femme qui se trouvait là et semblait être responsable de la gestion du lieu.

— Bonjour madame, voilà, nous avons reçu ce coupon pour pouvoir prendre des livres...

Elle restait bras ballants, gauche, intimidée devant ces grandes étagères couvertes de livres, elle qui était si entreprenante dans son univers ordinaire.

— Bonjour mademoiselle, mais bien sûr, je pense que vous auriez peut-être besoin que je vous guide un peu, je vais vous montrer les différentes sections de la bibliothèque et vous expliquer comment rechercher dans le catalogue.
— Vous êtes très gentille...
— Vous pouvez rechercher par sujets ou par auteur, venez voir; est-ce que vous avez une idée de ce que vous aimeriez lire?
— Je ne sais pas trop...je n'ai pas lu grand chose jusqu'à maintenant...
— Peut-être y a-t-il des domaines qui vous intéressent plus particulièrement?

Magali essaya maladroitement d'expliquer

— Des livres de femmes...
— Des livres de femmes? Vous voulez dire écrits par des femmes? Il y en a, bien sûr, les livres des sœurs Brontë, de George Sand...
— Est-ce qu'il existe des livres qui parlent d'une autre forme de vie pour les femmes?
— Ah, vous voulez parler d'une autre idée de la place de la femme dans la société?
— Oui, de comment les choses pourraient être autrement...
— Écoutez, voilà déjà un livre qui risque de vous intéresser. C'est Olympe de Gouges qui l'a écrit, une femme extraordinaire de la révolution française. Le voilà, lisez-le tranquillement.
— Je vous remercie beaucoup....

Je ne sais pas si j'ai bien fait avec ça de la bibliothèque...que la petite, elle devient taiseuse; je suis sûre qu'elle lit la nuit, heureusement qu'elle a la santé de la jeunesse. Moi c'était danser que ça me plaisait; d'ailleurs, c'est pas compliqué, c'est comme ça que je l'ai connu Tonin. Il était formidable, infatigable, qu'est ce que ça m'a plu chez lui, qu'il aime faire les mêmes choses. C'est bête de le penser, mais je crois que je l'ai accepté parce qu'il y avait ça; et après tout, si tu y penses bien bien, le mariage c'est quoi? Le bonhomme te ramène sa paye, tu lui fais son manger, et la maison, et la lessive, quand il a des envies, tu le laisses faire, que sinon il braille que ça risque de réveiller les petits. Au début, je dis pas, jeunes comme on était, pauvre, il avait pas besoin d'insister longtemps; même je me rappelle qu'on le faisait un peu n'importe où, comme les boumians, dans les champs, sur la colline. Mais bon on était jeune. Même une fois je me rappelle, de danser ça m'avait...je sais pas moi, j'avais envie, quoi, eh bé c'est presque moi qui lui ai demandé, et il me l'a fait dans la porte cochère de Benaïssou, où il met l'osier, sous les arcades. J'avais tellement peur qu'on nous surprenne, en même temps ça me faisait encore plus envie...je me souviens, j'en pouvais plus, il me touchait la poitrine, j'avais le bout des tétons tout dur, comme après quand j'allaitais. Au plus qu'il me touchait, au plus que je devenais folle: il me mettait la main sous la jupe pour me caresser les fesses, malheur, j'étais obligée de me mordre pour pas crier...J'étais comme une fontaine, il aurait pu me faire ce qu'il voulait, encore j'aurais remercié. Tellement on avait peur qu'il arrive quelqu'un que ça a été vite vite...encore maintenant quand j'y pense, si je me le pense un peu fort, c'est comme si j'y étais...dès fois ça m'aide, les fois que ça en finit pas. La petite, je peux pas lui expliquer des choses comme ça, que sinon plus personne se marie, pécaïre, et alors adieu les petits enfants, les pitchouns garis (les petits loirs) que c'est le bon quand tu vieillis, qu'on te les amène, parce qu'elle aura des choses à faire, et toi tu les as du matin jusque après le goûter, tu les mènes au jardin, tu leur fais donner l'herbe aux lapins, tu leur fais des bonnes choses à midi, tu as tout ton temps, vaï, c'est plus comme quand il y avait tes enfants, Tonin il s'emporte sa gamelle, qu'il préfère pas revenir le midi, que des fois ils sont loin sur le chantier; ça fait que tu les as tout pour toi. Enfin, j'espère que ça va être comme ça, que la petite, elle a que quinze ans, quand même.

— Mais regarde papa, ça se voit bien quand même sur le plan que l'escalier démarre à l'aplomb de la colonne; regarde, il y a juste à mesurer et à tracer...
— Ah non, hein, celui qui trace, c'est le maître d'œuvre; il veut tout contrôler
— Et on fait quoi en l'attendant?
— Oh, il y a toujours à faire, tu sais bien...
— Oui, mais là ça nous bloque...J'ai bien envie de tracer moi-même...Je vais essayer
— Peut-être que ça le fera venir
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Message  silene82 Ven 18 Sep 2009 - 9:25

Un peu plus tard; les deux hommes sont à l'intérieur du bâtiment en construction. Un voix les hèle de l'extérieur

— Tonin, Pierre, vous êtes là?
— Pardi, bien sûr monsieur Lanzi, nous regardions les départs de murs...
— Qui a tracé l'implantation de l'escalier?
— C'est Pierre, excusez, monsieur Lanzi, il voulait essayer, je vais vous l'effacer...
— Et pourquoi tu veux l'effacer, Tonin, elle est parfaite; je l'ai vérifiée, je n'aurais pas fait mieux. Tu sais Tonin, quand je dis que je tiens à tracer moi-même, c'est une façon de parler: moi, du moment que c'est conforme, je m'en fous de qui a tracé. En tous cas, c'est bien Pierre, ça t'intéresse alors la théorie?
— Pour sûr monsieur Lanzi; je m'essaye un peu le soir à dessiner des plans, mais il me manque beaucoup de choses...
— Écoute, il y a un bon cours du soir pas loin de chez toi, tu n'as qu'à t'inscrire, et quand tu seras à l'aise je verrai si je peux te confier d'autres tâches
— Merci beaucoup...
— Tu me remercieras plus tard; pour l'instant, le chemin est long...

Quand même, ça serait formidable qu'il puisse passer à un autre stade que moi, mon petit. Moi, je sais faire les choses simples, monter des murs, faire les enduits, même monter des voutes, ou faire un peu de couverture. S'il faut carreler du sol, je sais faire, au coulis de ciment; je suis pas trop fort sur les coupes, mais avec un qui se débrouille bien sur ça, on avance bien. Mais je n'ai jamais pu aller au-delà, à l'école, vaï, c'était pas formidable, le maître il voyait bien que ça patinait, le calcul, pauvre de moi, j'étais jamais sûr de rien, je comptais, je recomptais dans ma tête, j'avais peur de me tromper, et je revérifiais, et entretemps j'avais oublié ce que je devais retenir. Je me souviens, des fois, quand il m'appelait au tableau, monsieur Théus, je m'en pissais de trouille, du coup je lui disais « non monsieur, pas moi » d'une voix tellement chose qu'il comprenait et qu'il en interrogeait un autre. Si il faut c'était juste la peur qui me bloquait, va savoir, que maintenant je m'en suis tellement pris l'habitude, de plus calculer ni rien, que je cherche même plus à m'en servir; alors, pardi, je sais plus rien calculer non plus. En tous cas, si ça pouvait marcher pour le pitchoun, ça serait drôlement bien.

— Vous savez pas quoi, les femmes? Pierre va faire ingénieur...
— Papa, qu'est-ce que racontes? Je vais juste faire un cours du soir pour apprendre à mieux dessiner...
— C'est le début; tu vas voir, tu vas vite être chef d'équipe, comme ça part, moi je te le dis. Et après, tu grimpes un peu plus haut, et encore un peu plus, et tu es ingénieur...
— Il y a du chemin à faire, et long; en plus, les écoles, ça se paye...
— Vaï, que pour avoir un fils ingénieur, moi, je ferais des heures en plus, t'inquiète pas...
— Enfin papa, tu travailles pas assez comme ça?

Ça manque pas d'air, je trouve. Nous on nous demande pas si on a d'autres ambitions que torcher les marmots et faire la cuisine, et tout le reste. Ça commence à me sortir par les yeux, ce monde où tout est organisé autour des petits messieurs, et on regarde s'ils ont bien fait leur petit caca, quand ils sont bébés, déjà ça commence, et on s'extasie, c'est tout juste s'il ne faut pas le remercier, et quand ils font le rototo c'est pareil, ou pire; je trouve pas que les filles, on leur prête une attention pareille, même de tout bébé. On dirait qu'on leur chuchote tout le temps
« dépêche-toi de grandir, qu'il faut aider ta mère, la pauvre, avec tout ce qu'elle a à faire ».
C'est ma faute, à moi, si elle a eu des marmots? Encore, les petits, je les aime bien, c'est quand ils commencent à faire les coqs que je ne les supporte plus. Mes frères, encore, je ne me plains pas trop; le grand, c'est un travailleur, et il ne m'a jamais pris pour sa bonniche. Le petit, je suis nettement plus âgée, il a appris à me respecter, je suis la grande sœur; mais quand même, c'est le principe: partout où je vais, partout où je regarde, c'est les femmes qui font tout le travail qui ne se voit pas. Ah les hommes, il n'y a rien à dire: ils travaillent au-dehors, ils ramènent la paye; mais quand ils ont fini leur journée, ils ont fini, eux; ils vont boire un coup avec leurs amis, se promener, bricoler; ils attendent tranquillement le moment du dîner, et bien sûr, il y a intérêt à ce que ce soit bon.
Évidemment, pas un geste pour mettre la table, ni couper le pain, ni aller chercher de l'eau, pas plus que pour aider le petit dernier en lui coupant sa viande. Ils trônent à table comme des pachas, à la fin du repas ils se curent longuement les dents avec leur couteau, que c'est dégoûtant, il paraît même qu'il y en a qui rotent et qui pètent. C'est Madeleine qui me l'a dit, que son père il ne se gêne pas à table. Je crois que le mien ferait ça, je pourrais pas ne pas éclater et le traiter de je sais pas quoi. Si il faut, s'il le fait pas, c'est peut-être qu'il digère bien, et que sinon, il se gênerait pas. Peut-être.

— Pierre, tu as terminé ton plan?
— Oui monsieur Venzac, le voilà...
— Bon boulot mon garçon; tu emmagasines vite. Écoute, je crois que tu es mûr pour te présenter au concours externe de l'Ecole de Génie Civil. Je suis sûr que tu as de très bonnes chances d'être accepté
— Oui, mais c'est payant, cette école...
— Pardi, tout se paye dans ce monde; écoute, les 3 premiers ont une bourse de l'école, ils n'ont plus que les fournitures à payer, ce qui ne va pas bien loin...
— Vous pensez que j'ai une chance?
— Sérieusement, oui; si tu es partant, je peux te préparer spécialement pour l'épreuve. Je connais bien la manière dont ça se déroule et ce qui est important, j'étais membre du jury jusqu' il y a deux ans.
— Vous avez arrêté?
— Affaire personnelle.
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Message  Invité Ven 18 Sep 2009 - 9:48

Ce que j'aime dans cette histoire, c'est la gentillesse foncière des personnages, pris dans un système qu'ils remettent ou non en question. D'ailleurs, d'une manière générale, les gens dans tes textes sont gentils. Ce n'est pas un reproche, hein.
Chez Richard Ford, les gens sont gentils aussi, certains, mais ça ne sert à rien ; c'est en gros ce qu'il dit, je crois. Toi, tu dis que ça sert à quelque chose, et ça me touche.

J'ai trouvé très émouvant, notamment :
"Mais je n'ai jamais pu aller au-delà, à l'école, vaï, c'était pas formidable, le maître il voyait bien que ça patinait, le calcul, pauvre de moi, j'étais jamais sûr de rien, je comptais, je recomptais dans ma tête, j'avais peur de me tromper, et je revérifiais, et entretemps j'avais oublié ce que je devais retenir. Je me souviens, des fois, quand il m'appelait au tableau, monsieur Théus, je m'en pissais de trouille, du coup je lui disais « non monsieur, pas moi » d'une voix tellement chose qu'il comprenait et qu'il en interrogeait un autre."

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Message  Invité Ven 18 Sep 2009 - 10:33

Une lecture plaisante mais je trouve, pour le moment, que l'ensemble sonne trop évident à mes oreilles. Je vois la trame se dessiner à gros points de bâti. Les hommes, les femmes, leurs rôles respectifs, choisis ou pas, acceptés ou pas ; la promesse d'un avenir meilleur qui tombe toute rôtie dans la bouche du garçon, alors que la fille devra lutter pour affirmer son désir d'apprendre, sa rebellion étayée par la découverte des auteures d'avant-garde... Oui, tout cela j'ai l'impression de l'avoir déjà lu. Sûrement que je lis trop.
Alors ce récit silene, il est bien tourné,oh que oui, les personnages, l'ambiance à la Giono... Mais pour me séduire tout à fait il faudra qu'il me surprenne. Je ronge mon frein en attendant la suite, de toute façon :-)

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Message  Rebecca Ven 18 Sep 2009 - 11:16

Moi ? ce qui me surprend et m'impressionne plus que tout , c'est la diversité des situations , des contextes, et donc des personnages que tu es capable de traiter !
Tu me donnes toujours un fort sentiment de justesse , que ce soit dans la description de leurs activités , la façon de penser, l'usage de la parole , les us et coutumes...
Ta langue est riche et généreuse.
Bon parfois, oui, un peu trop. Surabondance nuit.
Et ne mets pas au premier plan une position un peu moraliste.
Laisse la affleurer à peine...
Mais sinon, beau travail !!!
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Message  silene82 Sam 26 Sep 2009 - 16:52

— Bonjour Magali...
— Bonjour mademoiselle...Vous vous souvenez de mon nom?
— Vous savez, je n'ai pas un nombre si conséquent de lectrices, surtout de votre âge, pour que cela constitue un exploit...j'ai bonne mémoire de toute façon...
— Je ramène le livre...
— Vous avez aimé? Qu'est-ce que vous en avez retenu?
— Que la révolution, si on regarde bien, ça a été une escroquerie envers les femmes: elles l'ont faite pareil que les hommes, et au lieu que la déclaration dise qu 'elles ont les mêmes droits, elles sont restées des esclaves, d'une certaine façon; elle devait déranger pas mal de monde, cette dame, pour qu'on la guillotine après la reine...
— Bien sûr, puisqu'elle n'avait pas hésiter à apostropher Robespierre...
— C'est incroyable qu'on tue quelqu'un pour ses idées...en plus c'était pour demander que les femmes aient la même place que les hommes...
— Elle allait plus loin que cela: elle trouvait honteux que les femmes aient eu tant de pouvoir si longtemps sur les hommes par le lit, et voulait qu'elle deviennent au contraire des égales, dans tous les domaines, y compris en ayant la capacité d'avoir des enfants par elles-mêmes.
— On en est encore loin pour l'instant...
— Vous savez qu'elle était surtout auteur de pièces: elle a été une des premières, sinon la première, à dénoncer l'esclavage et la situation anormale des noirs, dans un pays qui prônait l'égalité pour tous les êtres humains: là encore elle a devancé les hommes. C'est bien après qu'ils s'y sont tous mis, Rousseau, Voltaire, Diderot, et toute la clique...
— C'est quoi prôner?
— Vous faites bien; n'hésitez pas à poser des questions. Prôner, c'est affirmer comme un article du catéchisme, dans ce cas
— Comment elle en avait parlé? Elle avait écrit un livre?
— Elle s'exprimait beaucoup par ses pièces, là, elle en a fait une qui s'appelait Zamore et Mirza, où un couple de noirs esclaves sauvent une jeune blanche qui se trouve être la fille de leur maître...
— Comme par hasard...
— Sceptique, mademoiselle Magali...vous savez, c'est du théâtre, c'est un prétexte, on construit une pièce pour exprimer ses idées, le plus souvent...En attendant, elle en profite pour faire, par la bouche de cette jeune fille, des déclarations qui n'étaient pas courantes à l'époque, sur l'égalité des humains, sans distinction de couleur ou de race; il faut se remettre dans l'esprit de ces temps, et comprendre que c'était très nouveau: en France, il y avait beaucoup d'armateurs qui amassaient des fortunes sur la vente et la traite des esclaves, surtout des noirs .
— Et elle n'a pas fait de pièce pour les femmes?
Bien sûr que si, une notamment, Molière chez Ninon, où elle montre une femme délivrée des liens habituels, libre, et qui décide de comment elle va conduire sa vie...
— Mais comment c'était reçu à l'époque?
— C'était très variable; certaines pièces très bien, quand elle avait l'appui de quelqu'un d'intelligent et haut placé, ce qui arrivait souvent: c'était une femme libre, qui a eu de nombreux amants...
— Mais elle était sûrement très instruite pour écrire tout ça?
— Pas du tout! Elle avait de l'imagination et de la créativité, mais pas beaucoup d'instruction...
— Ah bon...
— Je vous laisse regarder à votre aise ce qu'il y a dans les rayons: il faut que je mette quelques livres en fiches...
— Oui, merci beaucoup...

Quand même, comment ça se fait qu'on accepte tellement de choses comme si c'était tout à fait normal? Rien que d'entendre ce qu'elle m'a dit, la dame de la bibliothèque, ça m'a fait tout chose, savoir que c'est possible de faire des pièces et même d'expliquer des choses avant les hommes mêle sans avoir été beaucoup à l'école...Ça c'est formidable...Je reviendrai la voir pour qu'elle m'explique d'autres choses de cette femme...
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Message  Invité Sam 26 Sep 2009 - 17:02

Le dialogue est un peu raide à mon goût, un peu guindé, on voit trop clairement où tu nous mènes... Cela dit, je trouve l'héroïne attachante, mais je la préfère en situation dans sa famille, où sa révolte inexprimée, impensée encore, est mieux perçue. A partir du moment où tu as annoncé qu'elle fréquentait la bibliothèque, on se doute que son esprit va s'éveiller...
Peut-être préférerais-je la voir rêvasser à telle ou telle situation d'un bouquin qu'elle a lu, situation qu'elle applique à son cas, plutôt qu'assister à cette espèce de marche forcée dans le siècle des Lumières que tu lui fais effectuer sous la tutelle de la bibliothécaire.

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Message  silene82 Sam 26 Sep 2009 - 17:20

socque a écrit:Le dialogue est un peu raide à mon goût, un peu guindé, on voit trop clairement où tu nous mènes... Cela dit, je trouve l'héroïne attachante, mais je la préfère en situation dans sa famille, où sa révolte inexprimée, impensée encore, est mieux perçue. A partir du moment où tu as annoncé qu'elle fréquentait la bibliothèque, on se doute que son esprit va s'éveiller...

C'est vrai; mais si la bibliothécaire est une jeune activiste qui anime des meetings politiques, on comprend mieux son côté didactique.
De toutes façons, tu pourrais pas arrêter d'être intelligente de temps en temps, Sounia? Tu pointes juste...
Cela dit, je te suis très reconnaissant de faire la fine bouche: je vais rapidement en avoir tellement marre de tes pinaillages que j'écrirai en intégrant d'office tes réticences; ce qui ne peut qu'être profitable.
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Message  silene82 Lun 28 Sep 2009 - 14:47

— Maman...tu trouves que c'est normal, la manière dont les choses se passent pour nous?
— Nous? Qu'est-ce que tu veux dire par nous?
— Nous, les filles, les femmes; pourquoi on doit servir les hommes, d'abord?
— Parce que ce sont eux qui ramènent l'argent qui nous fait vivre...
— Mais on pourrait très bien ramener nous aussi de l'argent: regarde Jeanne Astié, avec ses fleurs, elle n'a pas besoin d'homme...elle se débrouille très bien toute seule...d'ailleurs elle le dit tout le temps, qu'elle n'a aucune envie de s'embarrasser d'un homme...
— Je sais pas moi...on fait comme on a vu faire...
— Le livre que j'ai lu, tu sais, la femme, elle disait que si les femmes sont capables d'être jugées et mises en prison ou pire, alors elles doivent aussi pouvoir occuper les mêmes emplois que les hommes...
— Elle réfléchissait pas beaucoup, celle-là: comment elle ferait une femme militaire avec un enfant à la mamelle?
— Mais peut-être qu'elle pensait que les femmes sont pas obligées d'avoir des enfants; ou alors d'en avoir quand elles veulent seulement...
— Moun Diou! Tu te rends compte de ce que tu dis? Moi, de toute petite, on m'a dit que la place que le Bon Dieu a voulu pour les femmes, c'est qu'elles soient mères et qu'elles élèvent des enfants...
— Oui, comme ça elles ne risquent pas de discuter ce que disent les hommes...
— Tu sais, c'est agréable de s'occuper des petits...
— Oui, c'est agréable quand on peut vraiment s'en occuper, et leur parler, et leur chanter des chansons, et se promener avec eux...pas quand on a la lessive, et la vaisselle, et le jardin, et les poules, et le puits...
— Quand ils grandissent, ils sont contents d'aider...
— Je crois surtout qu'ils sont contents d'être avec leur maman: moi, ça ne me plaît pas plus que ça de faire le lessive; ce qui me plaît, c'est d'être avec toi et de parler...
— Tu sais ma chérie, je crois que les hommes, ils n'ont pas trop envie de lâcher leur place: je crois qu'il y a du vrai dans ce que dit la dame que tu parles; mais avant que les choses changent, il va couler de l'eau...
— C'est pour ça qu'il faut faire bouger les choses...
— Et comment?
— Avec des réunions entre femmes...en réfléchissant comment on pourrait faire pour passer à autre chose qu'être leurs servantes...
— Tu me fais peur avec tes idées, Magali... tu sais qu'il faut se marier?
— Et pourquoi il faut?
— Parce que c'est comme ça...
— Ça ne veut rien dire, ça, parce que c'est comme ça; parce que arrange bien les hommes: une fois qu'on est mariées, on est leur chose. Même les sous, ils les prennent pour en faire ce qu'ils veulent: regarde, il y en a , ils dépensent tout l'argent de la maison au bistrot, même ce que leur femme gagne en faisant des ménages...
— Il faut se marier pour avoir des enfants...
— Pourquoi il faut? Les animaux, ils se marient pas, eux...
Tu te rends compte de ce que tu dis? En plus, un petit qui n'aurait pas de père, enfin pas de père qu'on peut dire c'est mon père, tu te rends compte de comment ça serait pour lui? A l'école, de tout partout, ça serait le petit bâtard...Ça serait pas drôle pour lui, vaï...
— Ça c'est sûr...mais parce que ça se passerait comme ça, ça veut pas dire qu'il faudrait pas que ça change...
— Oui, ça c'est sûr; les femmes qui se retrouvent veuves avec un enfant, si par chance elles ont les moyens de l 'élever, parce que le mort avait laissé de quoi, elles arrivent très bien à s'en sortir...
— Bien sûr....

Moi, je suis sûre d'une chose, ça, j'en ai pas envie.
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Message  Invité Lun 28 Sep 2009 - 14:58

Pas trop aimé le dialogue avec la bibliothécaire, je la trouve très "patronizing" la dame. Et pas aimé non plus la réflexion in petto qui conclut cet échange, trop mièvre (je sais, elle est jeune, Magali...).
Pour le dernier extrait, je ne suis pas plus convaincue que dans mon post précédent, je me demande comment tu vas te dépêtrer de tout ça. Mais, j'ai confiance, silene :-)

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Message  Invité Lun 28 Sep 2009 - 15:09

Je trouve que tu redresses un peu la barre avec le dialogue mère-fille, sauf que la mère se rend bien vite aux raisons de la gamine ; je m'étonne qu'elle soit déjà à mi-chemin de foutre aux orties le conditionnement de toute une vie, que, jusqu'à présent, elle ne semblait pas mettre en doute... Certes, elle a perçu la vivacité de sa fille, elle a confiance en sa jeunesse, mais quand même.

Une remarque :
"— Ça c'est sûr...mais parce que ça se passerait comme ça, ça veut pas dire qu'il faudrait pas que ça change...
— Oui, ça c'est sûr; les femmes qui se retrouvent veuves avec un enfant, si par chance elles ont les moyens de l 'élever, parce que le mort avait laissé de quoi, elles arrivent très bien à s'en sortir...
Bien sûr"
Je dirais même plus : indeed !

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Message  silene82 Mar 29 Sep 2009 - 7:46

Cette vie-là, tellement toute tracée, jamais de jamais...Un mou que je domine, j'en veux pas, je lui marcherais sur la tête, il m'en faudrait un qui ait les mêmes idées que moi, qui trouve pas que les femmes c'est fait pour servir de bonniches, il me semble que ceux qui font des études, les jeunes messieurs qu'on voit avec les jolis costumes d'été -même il y en a qui ont de ces voitures à pétroles qui marchent toutes seules-, ils pensent pas pareil. Enfin, ils pensent pas pareil avec les filles de leur milieu, je me comprends. Maintenant, on se rend bien compte qu'il y a quelque chose qui est en train de changer. C'est comme un vieil habit qui commence à lâcher aux endroits les plus faibles. D'ailleurs même les habits, si on regarde bien: déjà, les robes de l'ancien temps qu'il fallait je sais pas combien de tissu, ça se fait plus beaucoup: on voit bien qu'ils simplifient tout, ils mettent plus et des jupons et des fanfreluches et des rubans...une jupe toute droite, un petit corsage de rien du tout, et basta! Au train que ça va, bientôt, les femmes, elles auront les jupes aux genoux. Nous c'est pas pareil; les corsets, on n'en a jamais eu, pardi; ni les jupons, ni les machins en osier, là, pour que la jupe ait l'air d'un ballon à air chaud, comment ça se dit, déjà, crinoline...Nous, on est dehors tout le temps, du coup, même avec le chapeau, pardi, on a l'air d'arabes. Bon, pas sous la jupe, que là c'est comme du lait; mais moi ça me fait honte, les bras comme du cuir, les épaules blanches. La figure comme une mauresque; rien que ça, ça dit qui tu es et d'où tu viens: essaie un peu de faire croire que tu es pas une paysanne. Ça serait comme une négresse qui dirait qu'elle vient pas d'Afrique.

— Alors, ces résultats, Pierre?
— Je me le suis manqué de rien du tout, monsieur Venzac; j'ai fait quatrième...
— Ça n'a pas du se jouer à beaucoup?
— Oh que non: les deux premiers sont ex-aequo; le troisième est à ½ point et moi à ¾ de points...
— Écoute, j 'avais ça en tête depuis un moment, je vais faire une dotation pour que le 4ème et le 5ème aient la moitié des frais de scolarités payés; et dans ton cas, je vais te faire faire du travail pour moi, mise au propre de plans, relevés, des choses comme ça: ça paiera ce qui manque pour la scolarité, et tu te feras la main...
— Vous alors...vous êtes incroyable...
— Écoute, tu sais que je suis libre-penseur; nous considérons que c'est de notre devoir de donner un petit coup de pouce pour corriger les situations que nous trouvons un peu injustes...
— Je ne sais comment vous remercier...
— Pierre, dis-toi bien une chose: tu as l'impression que je fais quelque chose d'extraordinaire, moi je te dis que c'est pas le cas: je pense loin, et je pense à mes intérêts: je te connais depuis que tu es pitchounet, je t'ai observé, j'ai pleine confiance en toi. Quand tu vas être formé, si tu le veux, je j'embaucherai dans mon entreprise, pas pour te couper les ailes, mais parce que je pense que ça te sera utile. Après, mon petit, tu auras un bagage que tu pourras utiliser où tu veux: le mieux, si tu es un peu aventurier et ambitieux, ce sera de partir aux colonies: il se construit des villes entières un peu partout, Afrique du Nord, Tonkin, Annam...
— Vous me faites rêver...j'ai toujours eu envie de voyager...
— Tu comprends bien que ce n'est n'est la même chose de voyager comme un troufion qu'on expédie à Madagascar bouffer du singe et crapahuter sous le soleil, et faire partie des notables du coin, construire de l'architecture civile pour le gouvernement, ce qui n'est pas mal déjà, et des villas à côté pour les résidents français ou les notables locaux; quand j'étais au Maroc, j'avais construit une villa mauresque avec tout le confort -chaque chambre avec sa terrasse et sa salle de bain – pour un des ministres, sur la côte, du côté d'Essaaouira: avec ce que ça m'a rapporté, j'ai pu faire construire ma villa de l'Hubac ici...
— Eh bé...mais pourquoi vous en êtes parti?
— Mon pays, c'est ici; tu sais, sur le tard, on revient vers ses lieux d'origine. J'ai amassé suffisamment dans toutes ces années à l'étranger, quand j'ai monté mon entreprise ici, je n'ai eu aucun problème, je connaissais tout le monde, mon travail était publié j'avais tout le temps des articles dans la Gazette Coloniale, tu le vois bien, j'ai plus de demandes que je ne peux en satisfaire...
— C'est normal, vous bâtissez beau et bien pensé...
— Je fais comme si c'était pour moi: tu es le mieux placé pour en juger, d'avoir toujours suivi ton père. Si on veut qu'un bâtiment dure et soit agréable à vivre, il ne faut pas se foutre des clients: ni sur la préparation, que c'est là que beaucoup trichent...
— Le truc formidable que vous faites, c'est le drain périphérique...
— Tu sais ce qui m'y a fait penser? Les arabes, justement, ils avaient des canalisations enterrées poreuses, ils s'étaient rendu compte qu'avec ils pouvaient récupérer des eaux d'infiltration et les amener à un réservoir du moment que le trajet ne durait pas trop; je me suis dit qu'avec la même idée on pouvait collecter et drainer...
— Oui, mais l'idée du réservoir enterré, avec la pompe, qui alimente le jardin, c'est drôlement bien fichu...
— Quand c'est pensé au départ, c'est pas difficile; ce qui est dommage, c'est de bâtir au rabais, et de bâcler. Je t'ai dit que j'avais rencontré Viollet-le-Duc?
— Celui de Carcassonne?
Et de Pierrefonds, et de tellement de choses qu'on n'arriverait pas à les énumérer; je ne sais pas comment il faisait, vu la quantité de planches qu'il a dessinées lui-même...en tous cas, il a écrit un petit bouquin qui s'intégrait dans un ensemble sur la construction. Il l'avait appelé l'Histoire d'une Maison. C'est d'une intelligence et d'un sens pratique exceptionnels: si on appliquait les principes qu'il pose, il n'y aurait pas de mauvais bâtiments...
— Ça existe, les mauvais bâtiments?
— Comment, si ça existe? Tu ne les vois pas se multiplier, partout? De la pierre noyée dans des bétons qui la rongent, des fondations insuffisantes ou sur des sols fangeux, des délais de séchage non respectés...tu ne les vois pas, les malfaçons, un peu partout?
— Oui, bien sûr, mais je me dis toujours que peut-être ce qu'on trouve nous mal fait aujourd'hui, comparé à ce qu'on bâtira dans cent ans, si il faut, c'est formidable...
— On respecte encore la plupart des principes, c'est un fait; mais comparé à la manière de bâtir des siècles passés, on est loin du compte...
— Et ça se voit: les bâtiments de ces époques n'ont pas bougé...
— Tu le dis toi-même....
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Message  Invité Mar 29 Sep 2009 - 7:54

Oui, je sens que ça bouge, ça me plaît. L'architecte est un peu sentencieux à mon goût ; ça se voit davantage qu'avec msiou Louk, quand il explique le métier, parce qu'il n'y a pas la déconne qui allège...

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Message  Invité Mar 29 Sep 2009 - 8:10

Surprise de prime abord que Magali ait même entendu parler des Arabes à cette époque, mais bon, ça a l'air de se tenir.... J'aime bien l'élément exotique avec l'architecte.

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Message  silene82 Mar 29 Sep 2009 - 8:18

socque a écrit:Oui, je sens que ça bouge, ça me plaît. L'architecte est un peu sentencieux à mon goût ; ça se voit davantage qu'avec msiou Louk, quand il explique le métier, parce qu'il n'y a pas la déconne qui allège...

C'est un monsieur chenu et sérieux, franc-maçon de surcroît: le monde n'est pas peuplé que de déconneurs; les livres n'ont pas que des bonne pages...au 19ème, on était payé à la ligne...d'où les fleuves...
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Message  silene82 Mar 29 Sep 2009 - 8:21

Easter(Island) a écrit:Surprise de prime abord que Magali ait même entendu parler des Arabes à cette époque, mais bon, ça a l'air de se tenir.... J'aime bien l'élément exotique avec l'architecte.

On est dans le sud, pas loin de Marseille: l'Arabe circule tout à fait couramment, et en plus on apprend à l'école, Bugeaud et sa casquette, Abd-el-Kader, les colonies etc...c'est une paysanne certes, mais curieuse et pas plus sotte qu'une autre
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Message  silene82 Jeu 1 Oct 2009 - 14:25

Il est cinq heures; un brouhaha dehors, Jeanne sort, Magali la suit. Deux ouvriers de Mr Venzac, tout gauches, qui se tournent la casquette dans les mains d'un air emprunté

― Madame Blanqui...bonjour, madame Blanqui...

Ils se dandinent, mal à l'aise...

― Qu'est-ce qu'il y a? (Le ton est presque agressif, violent). Qu'est-ce qui s'est passé? Mon Dieu, il y a eu un accident? C'est ça, ils ont eu un accident?
― C'est que...
― Mais dites moi, bon sang...qu'est ce qui s'est passé?
― Tonin, madame...
― Oh mon Dieu, quoi de Tonin? Qu'est-ce qui lui est arrivé?
― On ne sait pas trop...sans doute qu'un chevron a cédé...on l'a trouvé par terre...
― Trouvé par terre? Mon Dieu, mais dans quel état?
― Déjà, il n'est pas mort: il respire...
― Où est-il? Je veux le voir, je veux le voir, emmenez moi...
― Ils l'ont transporté à la clinique des Bonnes Sœurs, en bas...
― Et Raoul?
― Il l'a accompagné, pardi...
― J'y cours...Magali, tu as entendu, occupe-toi du petit, il faut que je file tout de suite...

Clinique de l'Enfant-Jésus. Ancienne villa résidentielle, un parc planté de grands pins parasols, de mimosas, de buissons de laurier-rose.

― Mes sœurs, mes sœurs, où est-il je vous prie? Où est-il?
― Calmez vous madame, vous êtes très agitée: il a besoin de calme...
― Je veux le voir tout de suite...
― Il vient d'être examiné par le docteur, il a besoin de repos, plus que tout; rendez-vous compte que vous êtes hors de vous, vous risquez de lui porter tort...
― Qu'est-ce que le docteur a dit? C'est grave?...
― Regardez, c'est justement lui qui vient, là, vous allez pouvoir lui demander...
Un homme sec, grand, lorgnons en pince-nez, œil tranchant, barbiche poivre et sel.

― Bonjour madame, vous êtes l'épouse?....
― Oui, docteur, qu'est-ce qu'il a, je ne l'ai pas encore vu...
― Écoutez, il y a du bon et même du très bon, et pour le reste il faudra prendre patience...
― Qu'est-ce que vous voulez me dire? Je ne comprends pas...
― Vous savez, en tant que médecin militaire, j'étais habitué à essayer de rafistoler des bonhommes en charpie; alors là, franchement, je ne vois pas de quoi il va se plaindre: il tombe d'un toit...
― Mon Dieu! Il est tombé du toit! J'avais dit que ça arriverait...
― Je disais, il tombe d'un toit, il ne se tue pas, premier point. Il ne tombe pas sur la tête, et il ne reste donc pas gaga, deuxième point. Il ne se fracture pas la colonne vertébrale, grâce à un très providentiel rosier qui lui a par contre laissé quelques souvenirs, et il n'est pas paralysé, troisième point. Pour moi, il s'en sort comme un ange; il est bien un peu cassé de ci de là, les jambes, les bras, mais tout ça, ça se répare...
― Mais il doit avoir mal, non, docteur...
― Voilà bien les questions de femmes; sûrement plus que quand il pêche à la ligne ou qu'il joue aux boules. Mais s'il n'avait pas mal du tout, après être tombé d'un toit, c'est qu'il serait mort: c'est ça que vous auriez voulu?
― Jamais de la vie, qu'est-ce que vous me dites?
― Alors je vous dis, repos, repos et encore repos...

Déjà deux mois que le père est de retour à la maison; c'est une pitié de le voir comme ça; il marche qu'on dirait qu'il a cent ans. Moi je dis il ont fait ce qu'ils ont pu, mais quand même, c'est pas encore ça, les docteurs: il a les jambes tordues qu'on dirait une vieille mule, il se dandine avec ses cannes qu'on dirait un canard, il est pareil que moi de taille maintenant. Je vois pas comment il pourrait retravailler le pauvre homme: des fois il lâche la cuiller d'un coup à table, et il nous dit
« ça m'a fait comme une décharge »
On voit bien qu'il fait pas exprès, vaï.
Alors je me suis pris ce petit travail à préparer les fleurs, là, pour l'expédition. C'est pas extraordinaire, il n'y a pas besoin d'avoir inventé l'eau chaude, mais ça fait un petit quelque chose. Qu'avec Raoul aux études, le père invalide, sûr qu'on fait attention à tout, mais il faut bien un peu d'argent qui rentre, sinon, comment on achèterait le sucre, et l'huile, et le café, et le reste, déjà qu'on n'a pas trop d'habits à se mettre...
L'autre jour, il y avait de ces messieurs de la Bégude, là, l'architecte je sais plus son nom, paraît qu'il gagne gros, il m'a dit

« ça ne vous dirait pas, jolie comme vous l'êtes, de poser pour un artiste? Mon ami Renoir cherche de nouveaux modèles, plus jeunes: il dit que de peindre tous le temps les mêmes filles, ça lui gâte la main...»

Je lui ai demandé

―  mais c'est quoi poser? On reste un bras en l'air, ou la bouche ouverte, le temps qu'il dessine ou qu'il peigne?
― Vous oubliez sans bouger; oui, ça peut être ça..
― C'est-à-dire? Il y a d'autres choses?
― Il peut vous demander de poser nue; d'ailleurs, une si fraîche jeune fille, c'est sûr qu'il va le faire: il peint beaucoup de nus
― Ouh, c'est que j'ai pas l'habitude...
― Ça se fait tout seul, ne vous inquiétez pas....
― C'est le vieux monsieur avec le chapeau, qu'on voit parfois?
― Oui, c'est ça;vous savez, c'est un de nos grands artistes, dans cent ans, on vous enviera de l'avoir connu, et si vous posez...vous serez peut-être célèbre pour toujours...
― Il faut que je me le pense...
― Je serais vous que je n'hésiterais pas un instant...
― Je veux en parler avec ma mère...
― Mais bien sûr...

Retour au Val Joli; les femmes cousent dans le rond que dispense la lampe à pétrole, de par et d'autre d'une petite table

― Maman...tu sais, le monsieur, là, l'architecte...
― Mr Venzac? Le patron des hommes?
― Mais non, celui qui a la belle voiture, tu sais...
― Ah oui, et bien quoi?
― Il m'a dit que le vieux monsieur peintre cherchait des filles comme moi pour poser pour lui
― Mais ….poser comment? Que les peintres, j'en ai entendu de bonnes...
― Maman...il est tout vieux, dans une chaise avec des roues...
― Comme ça pend au nez de ton père...Comment, alors?
― Mais je n'en sais rien, moi...
― Parce que tu sais que, toute nue, ça fait honte, quand même...
― Tu sais, hein, moi, c'est pas ça que je vais regarder: si je gagne pareil comme d'aller faire les fleurs, que j'ai les mains toutes escagassées, rappelle-toi que j'y cours...
― Ce qui est sûr, c'est qu'il ne risque pas de te courir derrière...
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Message  Invité Jeu 1 Oct 2009 - 14:31

J'ai bien aimé "Moi je dis il ont fait ce qu'ils ont pu, mais quand même, c'est pas encore ça, les docteurs".
Et bonne scène avec le toubib, je trouve.

Le rebondissement est intéressant, mais quelque chose ne va pas dans la narration à mon avis, et j'ai du mal à dire quoi : c'est trop rapide, peut-être, trop elliptique, je crois ressentir une rupture brutale de rythme avec le début du récit (oui, je sais, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, mais tu vas pas te mettre à choper mes défauts non plus, faut que je te prévienne !).

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Message  silene82 Jeu 1 Oct 2009 - 14:45

socque a écrit: c'est trop rapide, peut-être, trop elliptique, je crois ressentir une rupture brutale de rythme avec le début du récit (oui, je sais, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, mais tu vas pas te mettre à choper mes défauts non plus, faut que je te prévienne !).

Ah, je regrette beaucoup, mademoiselle, je n'avais pas passé la commande: vous présentez une carte splendide, quoique un tantinet redondante, et sous prétexte que j'ai dit: menu riche, vous contestez mon texte. Oui, parfaitement, vous le discutez, vous le mettez en question...
Bon, assez dikouni, c'est que je sais depuis le début où je veux emmener pitchounette, et je cours un peu la poste. Essaie de voir ce qui peut manquer comme transition, quoique pour moi, oui, on accélère (pas le podagre, quand même) mais, et alors?
Cela dit, comme je te dois bon nombre de textes que j'aurais laissés sur le bord du fossé sans ton persiflage sigourien, je suis très attentif à ce genre de remarques.
Ca y est, j'ai un texte sur conselia
http://comment-editer-publier-mon-livre.fr/texte_auteur_in_equo_veritas_1.htm
je réciter chapilet tri tri for chanter kom russe grrrande voix ténébrrrreuse tout tout pour attrrraper iditor
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Message  Invité Jeu 1 Oct 2009 - 14:56

Savoureux le dialogue avec le docteur.
Et puis là, je suis agréablement surprise, je ne m'attendais pas que la vie de Magali prenne cette tournure, ça me plaît plutôt bien.

Pareil pour le côté un peu fulgurant des trois étapes, je ne peux pas dire que ça m'ait gênée, mais je l'ai remarqué ; cela tient peut-être au fait que c'est inhabituel à ta façon d'écrire, toi qui a tendance à produire des textes bien étoffés.
... A bien y réfléchir, ce n'est pas tant la rapidité des scènes que le fait qu'elles s'enchaînent mal, sans vraie fluidité, par exemple celle qui introduit l'architecte.
L'autre jour, il y avait de ces messieurs de la Bégude, là, l'architecte je sais plus son nom, paraît qu'il gagne gros, il m'a dit
ici aussi :
Retour au Val Joli; les femmes cousent dans le rond que dispense la lampe à pétrole, de par et d'autre d'une petite table

cela sonne "utilitaire" à mes oreilles.

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Message  Invité Jeu 1 Oct 2009 - 15:17

Oui, voilà ! Easter(Island) a mis le doigt sur ce qui me gêne.
(A part ça, Phiphi, tu nous fais le cri de l'éditeur en rut au fond des bois ?)

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Message  silene82 Jeu 1 Oct 2009 - 15:21

socque a écrit:Oui, voilà ! Easter(Island) a mis le doigt sur ce qui me gêne.
(A part ça, Phiphi, tu nous fais le cri de l'éditeur en rut au fond des bois ?)

Je me fie (normal, pour un PhiPhi, isn't it) à votre jugement comtal et océanien, je vais revoir ça de plus près...
Pour crrri, je fairrr rrrâle de bête: je prrrendrrr courrr avec panda
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Message  silene82 Ven 2 Oct 2009 - 10:25

C'est vrai enfin, qu'est-ce que ça peut faire de se mettre toute nue? C'est un artiste, ce monsieur, ce qu'il veut, c'est faire de la peinture. En plus il est vieux: bon, peut-être, ça va le réveiller, de voir une jeunesse; ça serait un de ceux qui font des statues, là, un sculpteur, là, peut-être que je serais moins d'accord: les sculpteurs, de tout sûr, ils touchent. Bien sûr que tu peux pas le discuter, pardi, il te tâte le mollet, il est bien obligé pour reproduire, pour se rendre compte des proportions. J'imagine bien que la poitrine, il fait pareil, et la mounine, sûrement aussi. Quoique je vois pas bien les raisons qu'il aurait, là: les poils, d'accord, que les miens ils sont tout bouclés et fins, bon, je comprendrais qu'il touche pour savoir la consistance. Mais plus bas, les lèvres et tout? Va savoir, que si y faut, il y en a ils te disent
« vous comprenez, c'est que je veux montrer ce qui se devine entre vos bouclettes, il faut que j'étudie... »
et toi tu fais quoi? Parce qu'il n'y a pas cinquante solutions, soit tu lui flanque une brave taloche, et tu décampes, et adieu séances de pose, ou tu supportes.
C'est tout, eh, pardi.
Les peintres c'est pas pareil. C'est juste le regard. En plus, les bons peintres, ils te font plus belle que tu es en vrai. Je me rappelle que la maîtresse, quand j'étais petite, elle nous lisait des histoires de portrait en miniature, que quand le prince de je sais pas où il l'avait vu, eh bé, il avait envoyé son chambrelan je crois que ça se dit, ça doit être comme une femme de chambre mais en homme, pour chercher la dame, même je me souviens qu'il disait qu'il n'épouserait que celle qui serait exactement comme sur le portrait. Couillon, qu'il valait mieux qu'il ait pas été peint trop longtemps avant; que les femmes, ça se fane. Et vite. Quand je vois ma pauvre mère, la vitesse qu'elle vieillit de voir mon pauvre père comme ça...sur la photo de leur mariage, avec la couronne d'oranger et la robe blanche, c'est simple, on dirait la Sainte Vierge. Et le père, on dirait un monsieur. Les souliers vernis, pécaïre, ça devait le serrer, que ça se voit que c'est pas sa taille: avec les pieds qu'il a, jamais ça rentre dans ces petits souliers de petit monsieur. Et la danse après...

Ma pitchoune, je sais pas trop quoi m'en penser: d'un côté, belle comme un ange qu'elle est, pécaïre, de tout sûr elle va être formidable en peinture que d'ici qu'il arrive un milord pour se l'épouser, il y a pas loin. C'est sûr que je peux pas lui empêcher de se prendre sa chance. Mais sûr que de l'autre, on sait pas trop comment ça se passe avec ces gensses de la ville, que déjà ils arrivent avec des voitures: tu te rends compte, des voitures? Qui marchent toutes seules, que ici il y a que le docteur et l'hôtel Sabourin qui en ont? Rien que ça, tu comprends qu'on est pas du même monde.
C'est pas que je m'inquiète de la petite, non: elle est sérieuse, moi, je me la connais, ma Magali, elle a le bec pointu, la langue pas dans sa poche, elle lit des choses extraordinaires que c'est la révolution, ça qu'elle me racontait l'autre jour, que les femmes elles vont faire tout pareil comme les hommes, et décider, et je sais pas quoi...je lui disais oui oui pour pas la contrarier, mais je vois bien que ça va pas se faire demain ni après-demain. Il faudrait que les hommes ils soient presque tous morts ou incapables pour que ça ait une chance de se faire; et encore, à peine que les petits ils deviendraient adultes, tu te crois, toi, qu'ils remettraient pas les choses comme avant? En plus, même les curés ils sont d'accord de comment ça marche; tu leur dis que ton mari il t'épuise, parce qu'il veut le faire tout le temps, que tu allaites et que tu travailles ou pas, il te dit
« ah ma fille, c'est un commandement de Dieu, tu gagnes ton Paradis en y obéissant »
je vais pas discuter monsieur le curé, mais c'est pas lui qui se fait besogner quand il aurait juste envie de tomber comme un sac et dormir, et c'est pas lui non plus qui se retrouve grosse tous les ans, avec un petit qui arrive. Moi j'ai de la chance, soit que c'est lui, soit que c'est moi, j'ai eu des repos; mais quand je vois ma pauvre sœur, elle est au huitième et elle a à peine passé trente ans...
La pauvre, on dirait une petite vieille, les cheveux clairsemés, elle que les coiffeurs la suppliaient pour s'entraîner, les dents qui lui tombent, qu'elle vient encore d'en perdre une, et cet air de fatigue, là...Moi je dis, là, je comprends pas le Bon Dieu: les femelles des animaux, elles se reposent. Elles ont pas toujours leur matou à leur tourner autour en miaulant, là, et que dès que les enfants sont pas à la maison, il te culbute sur la table, que tu te rends compte si la voisine arrive à ce moment? Tellement il est excité qu'on dirait le bouc quand il va saillir qu'il entend plus rien, tu lui dis
« pas ici, Tonin, sies pas fou? »
il a la tête comme un qui entend des voix, là, celui à l'église, Saint Antoine je crois, et il continue à te remonter la jupe, jusqu'à ce qu'à la fin tu le laisses faire pour pas avoir à crier. Dès fois encore tu arrives à l'emmener dans la chambre, mais pas toujours...pas toujours...Tu te rends compte si un des enfants revient à ce moment? Madouna!
Que donc la petite, vaï, moi je sais pas. Ça me fait peur, ça, je vais pas dire que je suis tranquille; en même temps, elle risque plus d'attraper quelque chose de bon là-bas que non pas ici. Alors, pardi, je vais pas l'empêcher, qu'en plus elle sait ce qu'elle fait, vaï.
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Message  Invité Ven 2 Oct 2009 - 10:43

Oui, y a bon ! Je suis convaincue, voire emportée (et comment que tu rattrapes bien le coup du dialogue : la mère, elle disait oui oui à sa fille, mais elle y croyait pas ; coquin, va).
Bravo aussi pour le monologue de la mère, je le trouve très bien vu.

Remarques :
"et toi tu fais quoi? Parce qu'il n'y a pas cinquante solutions, soit tu lui flanque une brave taloche, et tu décampes, et adieu séances de pose, ou tu supportes.
C'est tout, eh, pardi." : bravo, toute la résignation féminine séculaire, qui montre que la fille aussi est marquée, malgré sa révolte naissante, et on perçoit aussi sa nature pragmatique ; quelques mots très expressifs et révélateurs
"Des fois encore"
"elle risque plus d'attraper quelque chose de bon là-bas que non pas ici" : ah, alors là tu me fais plaisir avec cette expression archaïsante "que non pas" ; Françoise, la bonne du narrateur, l'emploie dans À la recherche du temps perdu, c'est un des éléments de son langage savoureux...

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Message  silene82 Ven 2 Oct 2009 - 11:37

socque a écrit:Oui, y a bon ! Je suis convaincue, voire emportée (et comment que tu rattrapes bien le coup du dialogue : la mère, elle disait oui oui à sa fille, mais elle y croyait pas ; coquin, va).
Bravo aussi pour le monologue de la mère, je le trouve très bien vu.

Remarques :
"et toi tu fais quoi? Parce qu'il n'y a pas cinquante solutions, soit tu lui flanque une brave taloche, et tu décampes, et adieu séances de pose, ou tu supportes.
C'est tout, eh, pardi." : bravo, toute la résignation féminine séculaire, qui montre que la fille aussi est marquée, malgré sa révolte naissante, et on perçoit aussi sa nature pragmatique ; quelques mots très expressifs et révélateurs
"Des fois encore"
"elle risque plus d'attraper quelque chose de bon là-bas que non pas ici" : ah, alors là tu me fais plaisir avec cette expression archaïsante "que non pas" ; Françoise, la bonne du narrateur, l'emploie dans À la recherche du temps perdu, c'est un des éléments de son langage savoureux...

Alors là, si j'ai l'approbatsiounn di Kountiss Sounia ni Sigour, keski po mi manki? Rien di to.
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Message  silene82 Ven 2 Oct 2009 - 15:54

― Ah, petite, je suis bien content de tomber sur toi, j'ai parlé à Auguste...
― A qui, monsieur l'architecte?
― Ah ah ah, non, pas monsieur l'architecte, voyons, d'ailleurs je n'exerce quasiment plus, appelle-moi Ferdinand...
― Ça ne me met pas à l'aise, monsieur Ferdinand...
― Allez! Monsieur Ferdinand maintenant! On dirait que j'ai quinze ans, tu sais, monsieur Luc, monsieur François, les petits messieurs...Remarque, c'est gentil, ça m'en enlève un bon petit peu...Alors écoute, si tu veux m'appeler monsieur, c'est monsieur Deconchy, sinon, c'est Ferdinand. Tout court.
― Bien monsieur Deconchy; nous verrons bien, à l'usage...
― Bon, dis moi, tu peux m'accompagner demain matin? Je passerai te prendre avec la voiture...dis-moi où tu habites...
― Vous ne m'avez pas répondu, Auguste, c'est qui?
― Mais parbleu, c'est Renoir, Auguste Renoir, je ne te l'ai pas dit?
― Eh non
― Bon, alors, je viens te chercher...
― En voiture...
― Oui, en voiture; pas en automobile, je n'en ai pas; où est-ce?
― Au Val Joli, la troisième maison...
― Celle avec la treille? Elle est jolie comme tout, cette maison; longue comme un mas, simple; les dépendances qui partent en L sont gracieuses et bien implantées...
― C'est mon père qui les avait faites...
― Il est maçon?
― Pardi, oui, pas architecte; mais mon frère, il va être ingénieur...
― Ah bon, il étudie où?
― A l'Ecole de Génie Civil; Mr Lanzi l'y a poussé...
― S'il l'a poussé c'est qu'il en vaut la peine: je connais bien Baptistin...Bon, c'est dit, je passe demain...
― A demain, monsieur Deconchy...
― A demain, Magali...

Le lendemain.

― Tiens, tu as bien fait de t'habiller comme ça...
― C'est qu'il commence à faire chaud; je voulais aller à mon aise
― C'est très joli, bonjour madame, je suppose que Magali vous a mise au courant, je l'emmène chez monsieur Renoir, le peintre, qui est un de mes meilleurs amis...
― Mais, c'est un bon peintre, au moins, qu'il va pas me la massacrer...
― Vous savez, ses tableaux sont dans les collections nationales, et plusieurs collectionneuses américaines viennent lui en acheter sur place; je pense qu'il ne se débrouille pas trop mal...
― Et il se tient correctement, j'espère?
― A soixante six ans, mon Dieu, je pense; et vous savez, il y a madame Renoir qui est toujours dans les environs, parce que vous savez qu'il commence à avoir des problèmes avec ses mains...
― Non, je ne savais pas du tout, puisque je ne le connais pas...
― Ne vous inquiétez pas, allez, je vous la ramène ensuite...

La voiture attelée d'un joli anglo-arabe gris pommelé ne mit que bien peu de temps à gravir la côte assez raide qui montait en serpentant entre les oliviers et les quelques résidences édifiées sur la colline des Collettes. Le lieu était prisé des enfants du pays qui revenaient, fortune faite, vivre agréablement après des années de marine marchande, ou de douanes, ou d'un de ces nombreux emplois bien rémunérés et offrant mille possibilités d'arrondir son pécule que les colonies, florissantes, proposaient. Le corse, voisin d'en face, cordialement détesté, comme tout voisin, quand de surcroît la haie qui vous en sépare est ce petit bout de mer, était souvent en concurrence avec les enfants du pays sur les emplois liés à la douane, comme si un atavisme de contrebandier le portait à rechercher ces emplois interlopes, souvent aux marches de la stricte légalité. En ces temps, on ne bâtissait qu'avec suffisamment de terrain autour pour qu'on puisse respirer: les propriétés de plusieurs hectares n'étaient pas rares, sur cette colline verdoyante, plantée des oliviers que la légende locale attribuaient à la soldatesque de François 1er qui, désœuvrée, ayant pris ses quartiers d'hiver dans son chemin vers l'Italie, se serait livrée à cet improbable exercice. Le récit existait peut-être dans le dessein d'enjoliver la majesté des troncs torturés, énormes, pleins de boursoufflures et de creux, mais qui donnaient bon an mal an la reine des olives, la petite du pays, qu'on mettait en saumure dans de grandes caques et qui, surtout, prodiguait une huile incomparable, d'une finesse fort prisée des connaisseurs.
La maison apparaissait, massive, un grand carré de deux étages, avec une façon de galerie sur le devant, la balustrades faite de claustras rustiques qui donnaient une note de gaîté à l'ensemble.

― Eh bonjour, monsieur Ferdinand, vous venez voir monsieur, il va être bien content...
― Bonjour Gabrielle, tu vas bien, ma jolie?
― Oh moi, vous savez bien, moi, j'ai une santé de cheval...
― J'amène une jeunesse pour notre peintre: toi, il t'a tellement peinte que je crois qu'il n'y a pas un centimètre de toi qu'il n'a pas représenté...
― Elle est belle comme tout; il me semble que je t'ai vue en bas, aux fleurs...
― Oui, c'est ça madame, j'y travaille...
― Madame, que tu es mignonne! Appelle moi Gabrielle, va, ça va pas me faire mal; toi, c'est quoi ton petit nom?
― Magali...
― Que c'est joli, les noms que vous avez ici...ça sent le soleil, comme votre accent...ça me change, tu sais, je suis des Ardennes, moi, cho mouo on porl kom ço...
― Tu ne vas pas me dire que tu regrettes d'être venue ici, dis?
― Oh non! Mais de toute façon, monsieur Ferdinand, depuis le temps que vous connaissez monsieur et madame, vous savez bien que je les ai suivis partout: avec eux, c'est à la vie à la mort!
― Plutôt à la vie, Gabrielle, plutôt à la vie...
― Je me comprends...
― Bon, où il est notre grand homme?
― Dans l'atelier du bas; il dit que le matin, c'est la lumière qu'il lui faut; l'après-midi, il aime bien être au jardin...
― Bon, nous y allons, ne te dérange pas, je connais...
― Si vous vous connaissez pas, personne alors...
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Message  Invité Ven 2 Oct 2009 - 16:14

En ces temps, on ne bâtissait qu'avec suffisamment de terrain autour pour qu'on puisse respirer: les propriétés de plusieurs hectares n'étaient pas rares, sur cette colline verdoyante,
n'y a-t-il pas contradiction ? (je sais silene, je n'ai probablement rien compris, une fois encore :-))

Comme précédemment, la seule mention de "le lendemain" me semble bien sèche.
Mais j'aime bien la substance qu'apporte à ce passage le paragraphe inséré entre les dialogues. Informatif et de la bonne longueur.

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Message  Invité Ven 2 Oct 2009 - 16:16

Le corse, voisin d'en face, cordialement détesté, comme tout voisin, quand de surcroît la haie qui vous en sépare est ce petit bout de mer,
joli !

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