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Itinéraire désuet

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Itinéraire désuet - Page 4 Empty Re: Itinéraire désuet

Message  Rebecca Mer 21 Oct 2009 - 13:23

Oui vivant et toujours intéressant.
Autant d'aisance dans les dialogues que dans les descriptions. On a l'impression d'y être.
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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 13:54

Ça va vite, je m'efforce de suivre, je m'en voudrais de louper un épisode.
(merci socque pour les lettres dans ton profil, c'est vraiment pratique !)

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Message  silene82 Mer 21 Oct 2009 - 15:34

coline Dé a écrit:eau boulot, Silène, ça fait bien voyager ma tête.
Juste un tuc : c'est Marius ou Mario ?
Salut Coline, tu es donc revenue à la raison, et ne me fais plus de propositions déraisonnables? Hélas...
Pour la question ci-dessus, les deux, mon général: Marius est le frangin, le pitchoun, de Magali, et a pour autre frère Pierre. Je sais, un lecteur attentif, et je m'étonne que Sonia ne m'aie point encore épinglé là-dessus, aurait remarqué une surprenante valse des prénoms, et parfois des noms: ayant l'intellect un peu fragilisé par les vices, je me trompe parfois...
Donc Marius, frangin, Mario, jeune peintre qui devient ami de Renoir. Dans ces temps, un gosse sur deux s'appelait Marius, alors....
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Message  silene82 Mer 21 Oct 2009 - 18:15

Entreprise Menestrou. Une ruche. Les machines vrombissent dans des gerbes de copeaux envoyés dans l'atelier. Marius est à son affaire, il lui a été confié une partie importante du travail, le traçage sur bois, que Gustave viendra vérifier derrière lui.

― Écoute, petit, tu t'es bien débrouillé, de comme tu as disposé tes traverses...surtout les courbes, là, tu as bien suivi la courbe du veinage, c'était important de pas trancher le fil..bien
― Vous me l'aviez dit l'autre jour, monsieur Gustave; et en réfléchissant, c'est évident: si je coupe le fil en perpendiculaire, la pièce est cassante, de tout sûr...mais comment on faisait quand on n'avait pas trop le choix, sur une grande pièce courbe, par exemple?
― Comme en charpente, assemblage à trait de Jupiter...
― Mais ça se voit, quand même...sur un meuble, c'est pas formidable...
― A la campagne, ça les dérangeaient pas; et franchement, moi, un bel assemblage à trait de Jupiter, parfait, serré, presque je trouve ça plus beau que la pièce sans assemblage...mais c'est la déformation du métier, tu verras, bien vite tu seras toujours à regarder les meubles en professionnel, et ça sera des « et comment il s'est débrouillé, là ah oui, il a mis un faux-tenon...et cet assemblage caché, comment ils ont fait? »
― Ah, mais ça me le fait déjà: avant, je regardais les arbres comme des arbres, hein, quelque chose de joli qui remue dans le vent; maintenant, je me les cube dans la tête...
― Pour de dire que nous, on marche pas pareils comme elles; que souviens-toi que la mienne, de patronne, elle est pareille comme les autres, pauvre: j'ai beau y expliquer que ce qui est beau, c'est le travail parfait qu'on laisse apparent, que presque c'est une pitié de le vernir, qu'avec le vernis tu m'as compris, hein...
― On cache la misère...
― Voilà; ce qu'il leur faut, c'est que ça se voie pas...ce que je te disais des assemblages, ya que les hommes qui le comprennent, et peut-être quelques femmes, mais tu vas te les chercher je sais pas où, hein...
― Oui, mais en dehors de la campagne? Que je vois bien comment elles raisonnent les femmes, je regarde ma mère, té, c'est pas compliqué, et tourne autour, et ça va pas rater, elle te voit l'assemblage, déjà elle plisse le nez...et elle va te faire la question
« je ne veux pas vous déranger mais ça va rester, là, ce... 
― Vous voulez dire cet assemblage,madame? Oui, bien sûr: il a été fait pour donner la meilleure résistance possible à la pièce...
― C'est pas joli-joli, hein...
― Ma foi...une fois teinté et vernis, ça ne se verra guère...on l'utilise souvent, regardez les ceintures de ces tables rondes, elles sont toutes faites comme ça...
― Ah, mais moi, c'est que ça me tire l'œil... »
― Donc qu'est ce qu'on peut faire que ça se ne voie pas pour éviter ça?
― Replaquer par dessus ta pièce faite, mon pauvre, tu n'as pas tellement le choix. Rappelle toi qu'on le fait souvent, ça, sur les courbes...cales chaudes, colle forte, qu'on l'a toujours prête, serre-joints...et ça roule...
― Et on le fait, là?
― Ça n'est pas vraiment justifié, parce que la partie à réaliser, on peut la prendre dans le veinage du bois, comme tu as fait: tu as tracé ta courbe en suivant les veines, c'est ce qu'il fallait...
― Et donc on n'a pas de risque alors?
― Dans ce type de bois, pas du tout; rappelle-toi que tout va être monté à tenons et mortaises, et collé: une fois assemblé, il est quasiment indestructible...
― Et les pieds, ça va?
― Ça va très bien, tu as bien tiré parti du bois, tu as mis les moins jolis derrière, comme de juste...Écoute, ça va bien, tu peux débiter, vérifie la tension sur la ruban...
― Bien sûr...

Je l'observais tantôt ma pauvre mère, qu'elle pouvait pas se rendre compte; d'un côté, pardi, elle est contente, pense un peu, un qui vient de faire presque premier de son école, que monsieur Lanzi il répète à tout le monde que de vrai c'est lui qui est le premier, à cause de son histoire de je sais pas quoi du béton, que de toutes façons, pauvre, ça te change pas grand chose...Et il part impeccable, là, que quelque temps chez Mr Lanzi, il va se perfectionner, et après, té, tout est possible...lou pitchoun, que déjà il me dépasse, qu'on n'arrive pas à s'habituer qu'ils deviennent grands, qu'est-ce que ça doit être pour ma pauvre mère, eh bé ça a l'air d'aller aussi, pour ce qu'il raconte; en tout cas lui, de tout sûr, il est content: il chante ou il siffle tout le temps qu'on dirait un pinson. Moi, je me plains pas non plus, pécaïre: je me garde les fleurs, pauvre, que tu sais jamais ce qui peut arriver, mais là, ces séances, c'est formidable. D'abord ils sont tous braves comme tout, Gabrielle et madame Renoir, qu'elle veut que je lui dise Aline mais j'ose pas, j'arrive, c'est pas compliqué, je passe à la cuisine dire bonjour, elles me font asseoir avec elles et allez, l'assiette avec le bout de tarte, que je sais pas combien elles en mangent par jour...que madame Renoir, elle se porte bien, madame Renoir...Gabrielle moins, que attention, elle fait pas peine, Gabrielle, que j'ai vu les je sais pas bien comment ils disent, les débauches de qu'est-ce qui va peindre, monsieur Renoir, eh bé rappelle-toi qu'elle a un brave derrière, et une belle paire de nichons, que tu dirais une nourrice, Gabrielle...même il paraît que madame Renoir elle posait beaucoup pour monsieur...je sais pas si elle posait toute nue, que pardi après avec les amis qui passent...ça fait un peu drôle qu'ils sachent comment tu es faite, enfin moi c'est comme ça que je me le pense...Elle m'a montré une image comme une photographie avec les couleurs mais il paraît qu'on repeint les couleurs après, d'un tableau qu'il paraît que c'est formidable, qu'elles le disent toutes les deux, de la bande qu'ils étaient quand ils étaient jeunes...tu penses, c'est comme un portrait de famille, madame Renoir elle me disait tous les noms, que c'est que des gens que j'en ai jamais entendu parler. Elle, tiens, mignonne comme tout, il l'a mise avec un petit chien juste devant...que quand même, mettre un chien sur la table, si tu te le penses...Ça, c'est un tableau que j'aimerais bien me le voir en vrai, té. Si j'ai l'occasion, c'est sûr que je vais le voir...
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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 20:00

J'ai l'impression qu'on se répète, qu'on piétine, je me trompe ?

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Message  silene82 Mer 21 Oct 2009 - 20:21

Honnêtement, je ne peux pas te répondre: il me semble apporter des éléments nouveaux; mais je suis mal placé...
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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 20:45

Des éléments nouveaux, oui, mais qui ne font guère que conforter des situations établies : Magali est contente, le petit frère est content, le grand frère est content, bisous partout. J'attends l'arrivée de Grosbisou, Groschéri et Groscopain. Ou, pour mieux dire, la lectrice que je suis attend qu'il leur arrive quelque chose de sérieux, à tous ces braves gens...

Une remarque :
« ça les dérangeait (et non « dérangeaient)) pas »

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Message  silene82 Jeu 22 Oct 2009 - 6:06

socque a écrit:Des éléments nouveaux, oui, mais qui ne font guère que conforter des situations établies : Magali est contente, le petit frère est content, le grand frère est content, bisous partout. J'attends l'arrivée de Grosbisou, Groschéri et Groscopain. Ou, pour mieux dire, la lectrice que je suis attend qu'il leur arrive quelque chose de sérieux, à tous ces braves gens...

Une remarque :
« ça les dérangeait (et non « dérangeaient)) pas »

Pousse-au-crime...
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Message  silene82 Lun 2 Nov 2009 - 11:59

Hôtel Sabourin. L'ambitieux Eugène, qui a fort bien senti qu'une clientèle nouvelle commençait à apparaître, composée de la bourgeoisie prospère, venant assez généralement des pays septentrionaux, Angleterre pour la grande majorité, mais aussi Belgique, Hollande, Danemark, veut saisir sa chance et se donner les moyens de ses ambitions. Il a financé ses travaux par des emprunts considérables, qui représente plusieurs fois la valeur de la bâtisse initiale, qui a l'origine, quand l'acquit un de ses ancêtres à la fin du 18ème, était un pavillon de chasse de la famille régnante de Monaco, seigneurs de Cagnes.
Devenue ensuite auberge de roulage, avec l'animation prodigieuse des attelages, rouliers, langues, marchandises, les cuisines ronflant en et hors de temps, car qui peut prédire l'arrivée avec certitude, elle a prospéré petit à petit, jusqu'à ce qu'Eugène, fer de lance d'une fratrie de quatre, décide d'en faire un bon quelque chose, fort de sa connaissance de la restauration de haut vol puisqu'il a travaillé au Savoy au côté d'Escoffier, connu à l'époque comme le cuisinier des rois et que le tsar Nicolas II avait tenté d'attirer en Russie en lui offrant un traitement de prince.
Les travaux vont bon train, mais jamais assez pour Eugène, qui déborde d'énergie bouillonnante: pour lui, ne pas avoir de projets, c'est être mort. Il est partout sur le chantier, et rien n'échappe à son oeil.
Mario Biouli est arrivé au milieu de cette agitation, et s'est fait indiquer l'endroit probable où il trouvera le metteur en scène de cette pièce. Il arrive, le carton des esquisses de Renoir sous le bras.

― Monsieur Sabourin? Bonjour, je m'appelle Mario Biouli, et monsieur Renoir m'a remis des esquisses en vue de votre projet de décoration de votre salle à manger...
― Eh bé, il est bien brave, monsieur Renoir...je n'aurais jamais cru qu'il le ferait vraiment, ni qu'il m'enverrait quelqu'un...mais c'est juste pour me les montrer qu'il vous envoie?
― Eh bien...il pense que je pourrais les exécuter...
― Ah bon? Enfin, s'il le pense, hein...je ne vais pas discuter; en cuisine je suis le décideur, là, ce n'est pas de mon ressort...je peux voir ce à quoi il pensait?
― Voilà, c'est simple et frais en même temps...
― C'est formidable, oui...ça me plaît tout à fait...mais vous allez arriver à faire ça?
― Je vais faire de mon mieux...
― Bon, si c'est monsieur Renoir qui vous recommande, je me demande pourquoi je me casse la tête...il sait ce que vous valez...Dites moi ce qu'il vous faut comme matériel, et allez-y...

Il s'est installé dans la grande salle, les maçons lui ont monté un petit échafaudage avec quelques chevrons liés par des cordelettes. Il a dessiné très rapidement, avec un coup d'œil très sûr, l'ensemble des décors à peindre, implantant avec un goût et une maîtrise étonnante les grappes retombantes des lilas, figurés par quelques grands traits, les glycines serpentant aux cymaises et les volatiles divers, telle la nichée d'hirondelles ravitaillée par les parents, et les fauvettes qui filent d'un trait de couleur d'un coin du mur à l'autre., zébrant le mur d'un éclair bleuté, tandis que rouge-gorges et colibris butinent les corolles.

― Monsieur le peintre...ah, mais je vous connais, je vous ai vu à la gare, déjà, mais vous y travaillez aussi , alors?
― Eh bien, oui, je suis le chef de gare, mademoiselle euh...
― Sabourin. Thérèse Sabourin. Et vous êtes aussi peintre?
― Peindre, c'est ma passion...
― C'est bien joli, ce que vous faites...c'est tout de vous?
― Je reproduis des esquisses de monsieur Renoir; il a eu la gentillesse de penser à moi pour exécuter ce décor, et je dois dire que je trouve cela très intéressant et plaisant: jusque là, je n'avais peint que sur chevalet...
― Je venais vous apporter à boire...une citronnade...
― Vous êtes bien aimable...

J'aime beaucoup ce qu'il fait, ce jeune homme. Je suis étonnée qu'il ait tant d'activités différentes, et qu'il ait l'air si jeune...en tous cas pour être chef de gare...Joli garçon, en plus...

Sieu oun bounarian, je sers à rien, je suis à la charge de ma femme, que ça me fait la honte. En plus que j'ai mal tout le temps, bien sûr que je leur en parle pas, pardi, je vais pas lui faire le souci en plus, à ma pauvre. Il faut que je me trouve quelque chose à faire, que les docteurs de tout sûr ils n'ont pas voulu le dire du début, mais je remarcherai jamais comme il faut, et j'ai plus la force de rien, que comment tu veux que je fasse pour porter les sacs, que le ciment c'est cinquante kilos, pauvre, que tu le prends par terre, comment tu fais avec les reins pour le charger, si tu as même pas la force de te baisser? Il me faut une activité, n'importe laquelle, où je me sente pas à charge. Quand même, j'arrive pas à me faire à cette idée, qu'hier j'étais en pleine forme, et que je t'envoyais les gamattes de mortier, et que je cassais les murs à la pointerolle, et là, plus rien, pareil comme un gosse, plus de forces, plus rien.
Ce que je pourrais faire, de tout sûr, c'est de canner des chaises, et d'en pailler: c'est pas glorieux, pardi, mais si je me le pense, moi, de la honte de rien plus pouvoir faire, presque presque je me pendrais; mais si je me le regarde bien bien, je l'avance pas beaucoup, à ma femme, en étant mort. La seule chose ça serait qu'elle se remarie; mais comme je la connais, pas folle: elle le fera pas. Ça fait que tourne et vire, l'un dans l'autre le mieux pour tout le monde c'est que je rapporte un petit quelque chose avec un petit travail. Voilà comment je me le vois, pécaïre.

Quinze jours ont passé, et le décor pensé sommairement et esquissé par Renoir, et auquel Mario a donné vie, et auquel il a insufflé un frémissement joyeuse, est visible de tous: c'est un véritable chef d'œuvre, à la fois discret et sans ostentation, et d'une richesse de détails exquis tout à fait remarquable. Rien qui tape-à-l'œil, mais une élégance parfaite, le fond est dans des tonalités chaudes, lumineuses, avec un jaune qui évoque l'Italie si proche, et qui met en valeur les tonalités des feuillages, des fleurs, et des oiseaux.

― C'est vraiment magnifique ce que vous avez fait, monsieur Mario...Je pense que monsieur Renoir va être fier de vous...
― Vous êtes très aimable, mademoiselle Sabourin; l'œil de monsieur Renoir est perçant comme l'aigle: l'autre jour pendant que nous étions en train de peindre, il m'a dit
« vous avez vu les martines la-bas qui tournent? Ça, c'est un banc de sardines, les pêcheurs vont être contents... »
― Les martines?
― Vous ne connaissez pas? C'est un genre d'hirondelle de mer, qui pêche en se laissant tomber sur les bancs de poisson, mais sans trop bien plonger...
― Et alors?
― Et alors? J'ai mis plus d'une grosse minute à les voir, ces fameuses martines, et pourtant à la chasse on me trouve un joli coup d'œil; mais là, je suis battu à plate-couture...
― Remarquez, c'est assez logique: un peintre sans œil, on se demande avec quoi il va travailler...
― Mais dans le cas de monsieur Renoir, ça explique peut-être la netteté de son dessin: il voit tellement bien qu'il peut reproduire avec une fidélité extraordinaire; tenez, pas plus tard qu'hier, Gabrielle avait oublié une petite veste noire, elle ne savait pas trop où...
― Gabrielle?
― Mais vous ne les connaissez pas? Je croyais qu'ils étaient descendus tous chez vous...
― Oui, mon père m'en a parlé, mais j'étais bien petite...il paraît que monsieur Renoir voulait me peindre, mais que je tapais du pied et ne restais pas en place...
― Gabrielle, c'est la cousine de madame Renoir; elle l'aide avec les enfants: rendez-vous compte que le tout-petit n'a que sept ou huit ans...
― Et alors, la veste?
― Il a fait un mouvement de tête en balayant la propriété et a tendu le bras:
« regardez, elle est la bas, au pied de l'églantier » et à ce moment, tout le monde l'a vu aussi. Ça m'a fait pensé à un passage de l'écriture, où quand Jésus montre quelque chose, tout le monde la voit tout d'un coup, je ne sais plus très bien où...
― Je ne suis pas très forte la-dessus non plus...bien...vous avez terminé alors...
― Oui...
― C'est bien dommage...surtout que mon père n'y a pas pensé, mais cette galerie qui donne sur le parc, là, elle va faire tristounette à côté de cette merveille...
― Vous êtes bien aimable, mademoiselle, mais vous exagérez vraiment...
― Je vais aller demander à mon père pour que vous continuiez sur l'autre côté: ce serait trop bête...
― Ma foi...

Les demoiselles vives, enjouées, et volontaires obtiennent toujours ce qu'elles ont projeté d'avoir, surtout quand le simple bon sens suffit à se rendre compte que leur suggestion est tout à fait sensée, utile, et tout à fait appropriée: aussi Mario se rendit-il chez Renoir pour lui demander son aide, Eugène Sabourin l'ayant effectivement prié de bien vouloir continuer son décor sur la partie vierge, sur l'instante demande de sa fille.

― Maître...
― Ah non Mario, vous êtes un confrère, maintenant...j'ai déjà des échos de votre travail, il paraît que c'est époustouflant...
― Monsieur Renoir, mais grâce à vos dessins préparatoires, voyons...
― Écoutez Mario, mes dessins, entre les mains d'un barbouilleur, n'auraient servi à rien du tout: vous en avez tiré tout ce qui était possible...
― Mais vous ne l'avez pas vu...
― Pas encore...mais vous savez, Ferdinand me l'a décrit, et comme c'est un artiste autant pour peindre que pour faire voir, c'est comme si je les avais contemplées...de toute façons, je vais m'y faire porter, n'ayez pas peur...
― Et pour la suite? Parce que vous savez que monsieur Sabourin voudrait que je continue sur l'autre côté...
― Et vous doutez de vous? Vous croyez qu'il le demanderait s'il ne pensait pas que c'est un vrai embellissement pour sa nouvelle aile?
― Mais j'aurais besoin de votre aide...
― Teu teu teu, vous n'avez besoin de rien du tout: si vous voulez, vous pouvez exécuter les cartons ici, mais ce coup-ci, c'est vous qui allez tout faire, le travail préparatoire et l'exécution: regardez mes rosiers, ça ne donne pas envie de les peindre? Et ma bignone, avec ses grappes, et ses abeilles qui tournent autour, ça n'est pas un beau sujet de peinture?
― Bien sûr...bien, je vais essayer; de vous avoir à côté, c'est sûr que ça me semble peut-être possible...
― Au travail, Mario, au travail....
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Message  Invité Lun 2 Nov 2009 - 12:28

Oui, c'est toujours intéressant et plaisant, mais tu t'intéresses trop, à mon goût, aux gens heureux... J'ai bien aimé l'apparition du père éclopé, j'espère que tes pas te porteront de ce côté.

Quelques remarques :
“Il a financé ses travaux par des emprunts considérables, qui représentent plusieurs fois la valeur de la bâtisse initiale, qui à l'origine” : la présence des deux relatives introduites par “qui” alourdit l’ensemble, je trouve
“rien n'échappe à son œil”
“serpentant aux cImaises”
“presque presque je me pendrais” : si c’est exprès, l’effet “presque presque”, je ne le trouve pas heureux
“un frémissement joyeux
“un véritable chef-d'œuvre”
“Rien qui tape-à-l'œil” : je pense qu’il vaudrait mieux choisir entre les formes “rien de tape-à-l’œil” et “rien qui tape à l’œil”, mais le mélange des deux est bizarre à mon avis
“des tonalités chaudes, lumineuses, avec un jaune qui évoque l'Italie si proche, et qui met en valeur les tonalités des feuillages”
“Ça m'a fait penser à un passage de l'écriture, où quand Jésus montre quelque chose, tout le monde le voit tout d'un coup”

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Message  Invité Lun 2 Nov 2009 - 12:56

J'aime bien comme le personnage de Mario s'étoffe.

Je complète les remarques de socque :


Quinze jours ont passé, et le décor pensé sommairement et esquissé par Renoir, et auquel Mario a donné vie, et auquel il a insufflé un frémissement joyeuse, est visible de tous: je trouve lourde la répétition de "et auquel"

rendez-vous compte que le tout-petit n'a que sept ou huit ans... je ne vois pas l'utilité du trait d'union ici

Je ne suis pas très forte là-dessus non plus

des rouges-gorges

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Message  silene82 Jeu 5 Nov 2009 - 10:53

Chez l'expéditeur, où Magali travaille le matin

― Oh Magali, à ce qu'il paraît que tu montres la mounine aux vieux cochons?
― Qu'est-ce que tu racontes? Et qui c'est qui t'as raconté ces cagades?
― Eh, c'est pas compliqué à se le comprendre, té: tant qu'à te payer pour faire l'estatue, couillon, sûr qu'il doit en profiter pour se rincer l'œil, lou vieil pintré...
― Pour l'instant, la seule qui se rince l'œil, c'est moi; que vous pouvez pas imaginer comme c'est beau les choses qu'il peint; même, à force que je parle avec lui, je me rends compte que j'avais jamais vraiment regardé les arbres, que pourtant, je les aime, les fleurs, les oiseaux; en regardant ses tableaux, je me suis pensé qu'il voit les choses autrement que tout le monde...comment vous dire...
― Et les nichons, il les voit comment?
― Tu commences à me farcir la cougourde, avec tes sous-entendus continuels...figure-toi, grosse maligne, que de toujours des femmes de la grande société, eh bé elles auraient payé pour qu'il les peigne toutes nues, mais que lui, il peint ce qu'il trouve beau, et c'est tout. Et comme il voit du beau un peu partout, eh bé il te peint aussi bien un petit chien qu'une poule ou un arrosoir; sûr qu'il aime mieux de peindre des gensses, il le dit tout le temps, que l'expression du regard, la peau, il n'y a rien de plus beau à peindre...jusqu'à maintenant, il m'a peinte avec la robe à fleurs et le chapeau de paille, et c'est tout...
― Pour l'instant...
― Quelle couillonne, quand même! Moi, il veut me peindre nue, ça me fait pas de souci: que le contremaître, là, quand il me regarde habillée, on dirait qu'il me lèche avec les yeux, que j'ai l'impression d'une limace. Monsieur Renoir, pour lui, je suis un sujet à peindre, c'est tout. En plus, s'il veut voir des nichons et des fesses, rappelle-toi qu'il est pas privé, qu'il a sa femme et Gabrielle, qui pose tout le temps...
― Ouais...c'est vrai que pour le contremaître, ça me fait la même chose...il te regarde qu'on dirait qu'il te met la main...aqueu de pourcas!

Sous le figuier de Tonin, son beau figuier du bord de puits, qui fait des figues merveilleuses, énormes, gorgées de soleil et dégorgeantes de sucre; quand une tombe à terre du trop plein de sa maturité, elle éclate et répand sa chair violette à terre, et guêpes et abeilles accourent pour se gorger de son nectar.

― Que sieu ben couten que me moustras de coumo si fa la paio...
(Ça me fait bien plaisir que tu m'enseignes le paillage...)
― Cuanté que oun po faré ouné servitché, ça sara doumagé de lé pas faré, no?
― C'est que je sais pas pourquoi mais beaucoup de gens de Cagnes sont toujours à se plaindre de l'Italie...moi ce que je vois, c'est que tous les bons tours de main, je les ai appris du vieux Tagrini, quand j'étais apprenti chez Rossi...
― Vi, vi, qué jé lé connou, questo Tagrini...gentile como tutto, ma que savé tutto faré, et il lé fazé bene, et molto bene...
― Il me disait toujours:
« e molto facile, Tounino, tou té pensé qué tou travail i doit dourer como i Coliseo, ecco , é como questo, tou fa bene, tou constrouye per la vita, et maï lontano que questa vita», il avait raison, d'ailleurs Rossi, le patron, il disait
« je m'en fous qu'il aille pas comme un dératé -qu'il y en avait, des jeunots, dans l'équipe, qu'ils se trouvaient qu'il allait pas assez vite, pardi-, quand il a fini son travail, tu peux revenir dans cent ans, ça n'aura pas bougé; c'est comme ça que j'ai envie de bâtir, moi »
― Et facia il plâtré como oun angelo...
― Je comprends qu'il savait le faire le plâtre, couillon; c'est lui qui me faisait pisser dans la gamate,
« que d'aboura ça té douna il tempo di fare bene, ma en plous, qué cé la cosa, no, fa il plâtré piu duro, no...ecco »
― Guarda bene como dove si fa mettré lé mani, Tounino: tou té lé mette como questo...
― Je me rendais pas compte de tout qu'est-ce qu'il faut préparer avant même qu'on commence à rien faire; et coupe la paille, et prépare -là avé la serpette, et enroule -là autour du renfort, et ci, et ça...
― Si tou vo qué le lavoro il doura lontano, fa qué tou le fa como si debe, qué tou respecta pas, et questa chaise, alla ta fa pa doue anni...
― Surtout s'il y en a qui se laissent tomber dessus comme des bœufs...
― Ecco...como elephanti

Hôtel Sabourin. L'hôtel, dont les travaux d'embellissement avancent à grands pas, a une nouvelle réception, conforme à l'image de maison de grande allure qu'Eugène Sabourin a voulu lui donner: des boiseries sombres ceinturent les vastes proportions que l'on découvre après avoir franchi la grande porte vitrée à double battants, et rappellent aux clients anglais l'atmosphère feutrée d'un pub. Le comptoir où officie soit le maître de maison, qui y prend des tours, car il aime être présent partout, allant de la cuisine, où il lui arrive encore de ceindre un tablier et tourner une sauce, pour montrer à un jeune commis comment on lie onctueusement, soit sa fille, trône sur un des côtés, imposant, rutilant de cuivre. Il s'intègre aux boiseries; à gauche, une cabine, traitée dans le même goût, démontre que l'hôtel a investi également dans les moyens modernes de communication, et qu'il est pourvu du téléphone.

― Allô, je suis le secrétaire de monsieur Cassirer...monsieur Cassirer souhaiterait disposer d'une suite, ainsi que de deux chambres pour son chauffeur et la femme de chambre de son épouse...
― Nous n'avons pas de suite à proprement parler, monsieur...
― Hartmann, je suis le secrétaire de monsieur Cassirer...
― Cependant, nos chambres sont très grandes, ont toutes un salon particulier, et peuvent communiquer pour certaines, ce qui équivaut à une suite: il suffit d'en retenir deux...
― Je pense que cela conviendra, d'après le guide Michelin, votre établissement semble très confortable...
― Je le pense, monsieur Hartmann; pour quelle date seraient ces réservations?
― Eh bien cela serait durant tout le mois d'octobre: monsieur Renoir a accepté de peindre le portrait de madame Durieux, l'épouse de monsieur Cassirer...
― Je n'ai pas l'honneur de connaître le nom de ce monsieur...
― C'est assez compréhensible, monsieur Cassirer est un très important marchand d'art allemand: il a plusieurs galeries à Berlin et dans d'autres villes; son épouse est une des actrices les plus fameuses d'Allemagne...
― C'est un grand honneur de les recevoir; je prends note de la réservation...

Monsieur Sabourin parcourt son chantier, qui tire à sa fin; Mario Biouli, fort de sa première réussite, et porté par la confiance que Renoir a mise en lui, a travaillé admirablement, sans repentirs, avec une aisance tranquille et d'une remarquable efficacité; il est en train de terminer l'extrémité de la longue galerie, et a tiré parti, avec un talent consommé de décorateur-né, de l'éclairage naturel provenant du dehors pour jouer sur des zones de pénombre, mettre en relief des guirlandes qu'il fait éclater comme des taches de sang sur le mur percé d'arcades opposé aux grandes baies ouvrant au sud; autant la salle à manger, derrière les arcades, est intimiste, par son décor discret exquisement, malgré ses vastes proportions, autant ce large passage qui joint la nouvelle aile éclate d'exubérance et de tonalités franches.
Thérèse est aux côtés de l'artiste, riant aux éclats, et toute illuminée de ce qu'il lui raconte.

― Ah, Thérèse, je te cherchais...tu savais que monsieur Renoir déplaçait des gens de Berlin, toi?
― Bé, d'après ce que me dit Mario, il y a des dames qui sont venues il y a quelques jours, des collectionneuses américaines, et il paraît qu'elles lui ont acheté les plus beaux tableaux; elles veulent faire une fondation en Amérique pour les exposer...
― Et même, monsieur Renoir n'était pas content, enfin, je me comprends, après leur départ, il m'a dit
« cette madame Stein, elle est terrible, elle m'a pris ce que j'avais de plus beau, je les aurais bien gardés encore un peu; enfin, il faut bien que j'en vende de temps en temps... »
― Il est formidable, quand même, assis sur un trésor, et il se fiche de l'argent...j'aurais le millième de ce qu'il a dans les doigts, vé, je crois que je serais déjà millionnaire...
― Monsieur Renoir, c'est rendre la beauté qui l'intéresse...vous ne savez pas ce qu'il me dit, souvent?
« Je crois que je commence un peu à comprendre... »...
Un artiste que le monde entier considère comme un des princes de la peinture...
― Eh bien, nous allons avoir un grand marchand de tableaux allemand qui vient pour que sa femme ait son portrait fait par monsieur Renoir...ça a l'air d'être un grand honneur, pour ce que j'en ai compris...
― Bien sûr que c'en est un, pareil que Titien et Charles-Quint...
― Qu'es aco, Mario? Que moi, sur la cuisine, j'ai lu pas mal de choses, mais la peinture...
― Titien, c'était le plus grand de son temps, et des bons peintres, il y en avait à l'époque, croyez-moi; eh bien Charles-Quint, l'empereur qui régnait presque sur toute l'Europe, il suppliait Titien de le peindre. Ça a fini par arriver, et il paraît que lors d'une séance, le pinceau du peintre est tombé et que c'est l'empereur qui le lui a ramassé en disant à peu près que lui, l'empereur des nations, devait s'incliner devant l'empereur de la peinture
― Et Renoir c'est pareil? Quand je pense qu'il voulait peindre Thérèse...elle ne tenait pas en place, mais il disait,
« aucune importance, le tableau sera bon si j'arrive à prendre quelque chose de son sourire... » ça ne s'est jamais fait, du coup...Bon, il faut que je te parle pour les commandes, Thérèse...
― Je viens, papa...


― Tu m'as l'air de te plaire avec ce jeune homme...
― Qu'est-ce qui te fait dire ça...
― Allons, Thérèse, ne rougis pas, ce n'est pas un reproche; comment tu le trouves?
― Il est si gentil...et il fait de si belles choses; en plus, tu sais que c'est lui le chef de gare...
― Évidemment que je le sais, il m'arrive de prendre le train, quand même, pas souvent, c'est vrai...
― En plus il fait de la musique...
― Ah, j'ai compris, c'est un homme-orchestre...
― Arrête de te moquer, hein...
― Ouh le regard de tigresse; la fille de son père, on dirait....
― Je préfère rien dire...

Octobre est arrivé. L'hôtel est en effervescence, comme durant toute la saison, car celle-ci, comme les sports d'hiver beaucoup plus tard, couvre la période froide dans les pays au nord, dont les ressortissants composent la majorité de la clientèle. L'hôtel tourne à plein régime d'octobre à mars, puis ferme; l'année est engrangée.
Outre le confort dont il a doté son établissement, Eugène Sabourin met un point d'honneur à servir une cuisine d'excellente tenue, car ayant travaillé dans les meilleures maisons, jusqu'au Savoy à Londres, et ayant refusé des offres prestigieuses d'embauche sur des paquebots de la Transatlantique afin de développer son affaire, pour laquelle il a versé une soulte conséquente à ses frères et sœurs, il entend propager la réputation de son hôtel le plus largement possible.
Les cuisines ont été installées au rez-de-chaussée de la grande salle à manger, ce qui permet, par une passe plat, d'acheminer facilement les plats qui montent. La cuisine a été conçue par un cuisinier, qui sait ce dont il a besoin pour travailler au mieux, et comment il le veut: tout est disposé au mieux, de manière rationnelle, et la surface est conséquente: les cinq employés à plein temps ne se marchent pas sur les pieds, chacun a sa zone, notamment le pâtissier, qui cuit également le pain et les viennoiseries des petits déjeuners dans un grand four attenant à la cuisine proprement dite.
Après la pièce du four, une autre, où de grands garde-mangers tendus de tamis métallique gardent au frais, car la pièce est en retrait, les denrées en attente. Plus loin encore, un vivier considérable recèle anguilles, lamproies, truites, qui seront sorties de l'eau pour être cuites. Une pièce fraîche pour la viande, avec les crocs auxquels il n'est pas rare qu'une demi-carcasse de bœuf , un agneau ou deux, deux douzaines de volailles, autant de lapins, soit pendus: les quantités qui défilent en cuisine sont impressionnantes, et le type de cuisine pratiqué est exigeant en produits: pour un pot-au-feu, la viande qui a donné le bouillon est jetée, et c'est une autre pièce de boucherie qui accompagnera les légumes.
La volonté de se signaler comme un établissement de standing est manifeste: un petit panonceau de cuivre, sur le comptoir de la banque, terme désignant le bureau qui centralise téléphone, caisse, registres et tous les instruments de contrôle du navire, prévient que
« Le dîner est servi de 7h30 à 10h. Robe du soir et smoking »
ce qui donne le ton.
Monsieur Cassirer est arrivé dans son petit cabriolet rouge, la berline conduite par le chauffeur le précédant avec les bagages et la femme de chambre. C'est un homme toujours survolté, hyperactif, qui gère une multitude d'affaires en même temps, dans plusieurs pays: outre ses activités de marchand d'art, et il est reconnu comme un des plus importants d'Europe, en contact permanent avec Durand-Ruel et Ambroise Vollard, il est éditeur; à l'instar de Vollard, d'ailleurs. Il a le quasi-monopole des impressionnistes et des post-impressionnistes non seulement en Allemagne,mais dans les pays scandinaves, et jusqu'en Russie où il a créé des partenariats.
Dès le lendemain de son arrivée, tambour battant, il fait monter son épouse, Tilla, dans le cabriolet qui provoque l'ébahissement des badauds depuis son arrivée, et monte aux Collettes, sans même prévenir.
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Message  Invité Jeu 5 Nov 2009 - 11:09

Toujours intéressant, mais, je me répète, tu te prélasses un peu je trouve, le récit a tendance à patiner pour mon goût. Par ailleurs, j'ai l'impression que ton écriture se relâche, que tu reviens à des phrases alambiquées, moins qu'à tes débuts sur Vos Écrits, elles sont moins baroques que dans mon souvenir desdits débuts, mais justement : versant moins dans l'excès, je tends à n'en retenir que la lourdeur et non le foisonnement...

Mes remarques :
« Et qui c'est qui t'a (et non « t’as ») raconté »
« car ayant travaillé dans les meilleures maisons » : ça, si on le sait pas encore, c’est qu’on lit avec une canne blanche, tu le répètes à peu près à tous les chapitres…
« par une passe plat (un passe-plat, non ? J’ai pas vérifié, j’avoue) »
« les viennoiseries des petits déjeuners » : on disait déjà « viennoiseries », à l’époque ?
« la pièce est en retrait, les denrées en attente. Plus loin encore, un vivier considérable recèle anguilles, lamproies, truites, qui seront sorties de l'eau pour être cuites. Une pièce fraîche pour la viande, avec les crocs auxquels il n'est pas rare qu'une demi-carcasse de bœuf , un agneau ou deux, deux douzaines de volailles, autant de lapins, soient pendus : les quantités qui défilent en cuisine sont impressionnantes, et le type de cuisine pratiqué est exigeant en produits : pour un pot-au-feu, la viande qui a donné le bouillon est jetée, et c'est une autre pièce de boucherie » : attention à la sursaturation en verbe « être »
« C'est un homme toujours survolté, hyperactif, qui gère une multitude d'affaires en même temps, dans plusieurs pays: outre ses activités de marchand d'art, et il est reconnu comme un des plus importants d'Europe, en contact permanent avec Durand-Ruel et Ambroise Vollard, il est éditeur » : idem

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Message  Invité Jeu 5 Nov 2009 - 11:19

Une lecture plaisante, avec de la variété et un nouveau personnage.

J'aime bien comme le monde simple de Magali côtoie celui sophistiqué de l'hôtel.

J'ai été un peu étonnée de trouver "repentir" au pluriel, je ne conteste pas que ce soit possible (j'ai vérifié !) mais c'est inattendu à mes yeux.

Et puis "passe-plat" est masculin (avec un tiret).

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Message  CROISIC Jeu 5 Nov 2009 - 12:56

J'ai imprimé ces dernières pages....en glissant quand même un oeil intéressé pour organiser mon week end qui sera studieux.
Nouveau clin d'oeil !
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Message  silene82 Ven 6 Nov 2009 - 9:03

― Ah, monsieur Cassirer, vous voilà bien matinal...
― Bonjour madame Renoir, c'est que j'ai des associés à rencontrer à Monaco, je comptais laisser mon épouse ...pour son portrait...
― Bonjour madame, soyez la bienvenue...
― Vous êtes drès aimable, matame Renoir...
― Écoutez, Renoir -pardon, mon mari, j'ai l'habitude de l'appeler ainsi, excusez-moi...
― Vous savez, quand quelqu'un entre dans le panthéon du patrimoine artistique de l'humanité, c'est assez logique de l'appeler par son nom...
― Il n'a pas beaucoup dormi, comme d'habitude...il va se lever, mais il faut un peu de temps pour qu'il soit prêt...
― Comment va-t-il?
― Que voulez-vous que je réponde? S'il n'avait pas la peinture, je ne sais pas comment il pourrait supporter de vivre: il souffre sans cesse...
― Des mains?
― Si ce n'était que des mains, il s'en accommoderait; non, il a des plaies du fait d'être assis tout le temps, il n'a jamais été bien gros, vous savez, mais là, il est si maigre que ses os presque percent sa peau...nous lui mettons des coussins, bien sûr, mais...au bout d'un moment, il a encore mal...
― Cela a donc empiré par rapport à la dernière fois que je l'ai vu, à Paris...
― Oui, c'est sûr...mais il est mieux ici, le climat lui convient, la chaleur adoucit ses douleurs...et puis, vous savez, s'il voit un motif, comme il dit, allez, c'est parti, vous l'avez vu mille fois, il s'enflamme, il commence à peindre, il se met à chantonner...il ne sent plus rien...
― Heureusement que cette passion lui permet de surmonter ces souffrances...bien, je vous laisse, je viendrai reprendre mon épouse pour déjeuner...
― Mais pourquoi ne nous feriez vous pas le plaisir d'être des nôtres?
― Écoutez, très volontiers, si cela ne vous fait pas un surcroît de travail...C'est un privilège, madame, merci...
― Tilla?
― Oui...
(à voix basse) Essaie d'obtenir une grande toile...

Renoir apparut enfin, poussé dans sa chaise par une garde-malade qui s'avérait de plus en plus nécessaire, le diabète de son épouse ayant amené chez elle, avec une prise de poids considérable, une difficulté grandissante à effectuer les tâches de la vie quotidienne.

― Bonjour madame , j'ai fait peur à Paul? Il ne voulait pas me voir?
― Mais non, maître, il avait un rentez-fous à Monaco...

Le regard d'aigle de Renoir brillait dans son visage décharné. Son œil bleu avait des reflets intenses et pétillants, d'une profondeur étonnante; il semblait scruter au-delà du visible, et avait par moment l'expression d'un voyant, ou d'un mystique.

― Nous allons nous mettre dans l'atelier de plein air; cette robe est parfaite, elle va se détacher sur le fond...

Une toile de petit format était posée sur le chevalet

― De quel endroit d'Allemagne êtes vous, madame?
― En vait, je suis née à Vienne; mais je vis à Berlin depuis de nompreuses années...
― J'ai été plusieurs fois à Munich; j'adore la choucroute et les saucisses...vous pas?
― Hum...je n'ai bas mangé de chougroute depuis bien longtemps...ce n'est pas le genre d'aliments gue mon mari affectionne...
― Ah, je comprends...vous parlez très bien notre langue...
― Merci...c'est que je la drouve magnifique; j'ai une passion pour la poésie française...
― Ah oui?
― Les romantiques, Lamartine, Vigny; Baudelaire, bien sûr, Rimbaud et Verlaine...j'avais envisagé de traduire Une saison en enfer pour la donner sur scène, mais ça ne s'est pas fait...
― C'est bien vous qui avez joué Lulu? J'ai lu que la pièce avait fait un triomphe...
― Un triomphe...et un sgandale, suivant les spectateurs...
― Et en dehors de la poésie?
― Ah, Rabelais....
― Rabelais? Vous avez lu Rabelais?
― Mais oui; c'est extraordinaire, inventif, doujours drôle; il est vraiment unique, vodre Rabelais...
― Ça alors, Rabelais...

Renoir se penche et chuchote quelque chose à la garde-malade, qui sort et revient au bout de quelques instant avec une toile d'un plus grand format.

― Vous jouez des tragédies, je crois?
― Oui, mais les gritiques ne sont pas contents de mon jeu: ils me rebrochent mon manque de larmes...surtout par rapport à Eleonora Duse.
― Ils vous croient insensible, donc?
― Sans doute...
― Alors que tant que coulent les larmes, on n'a pas atteint le fond de la douleur... c'est quand le sourire réapparait que la douleur habite véritablement l'être et le possède...
― Mais...comment...c'est exactement ce que je ressens...
― J'ai eu le temps de méditer, dans mes insomnies, madame...
― Ne pourriez fous m'appeler Tilla? Je vous sens si proche...
― Cela me gêne un peu...
― Fous avez sans doute raison, maître...
― S'il vous plaît...c'est maintenant, où je suis sur ma fin, que je commence à entrevoir ce qu'est la peinture...Vous savez, il y a des correspondances avec votre art; ce n'est pas dans les éclats et les coups de tonnerre que s'exprime le souffle divin...
― Comme Élie, alors...
― Exactement, comme Élie: quand le fracas fut passé, une voix ineffable se fit entendre; observez les statues gothiques, avec ce sourire qui flotte, indéfinissable, au-delà de nos contingences...si mystérieux...c'est la douleur devenue sérénité...Je suis désolé de vous avoir troublé
― Ce n'est rien, maître (elle essuie des larmes) Vous décrivez dellement ce que che ressens...
― C'est pourquoi j'aime tant Mozart, avec le poids du destin inexorable qui imprègne Don Juan, derrière la gaîté apparente...Tenez, que pensez vous de la toile? Il me semble que je progresse un peu...
― Mais maître, comment bouvez vous parler ainsi? Vous êtes l'égal des blus grands et vous me barlez comme un bedit élève...Vous ne bouvez pas savoir combien vous m'avez fait de bien...
― Ah bon? (il regarde d'un air étonné)
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Message  silene82 Ven 6 Nov 2009 - 11:52

La toile est superbe; Renoir a réussi à donner une expression rêveuse, douce et mélancolique à la fois à Tilla. Paul Cassirer arpente l'atelier, battant des bras comme un goéland, surexcité.

― Monsieur Renoir! Monsieur Renoir! Une fois de plus vous avez produit un chef-d'œuvre...merci, cher maître, merci...
― Mais est-ce que vous pourriez arrêter de m'appeler maître? Je suis un éternel élève, et je recommence toujours, à chaque toile...ce qui est vrai, c'est que je vous suis redevable...
― Vous, redevable? Et de quoi?
― Je ne voulais plus peindre de portraits: c'est votre insistance, et parce que je vous l'avais promis depuis longtemps, qui ont fait que je l'ai exécuté; mais franchement, je ne regrette pas: il y a quelque chose dans cette expression qui n'est pas mal venu...
― Pas mal venu? Mais maî...monsieur Renoir, c'est une merveille, c'est comparable aux plus beaux portraits des plus grands maîtres...
― Je suis content qu'il vous plaise...
― Comment l'emporter...
― Vous ne pourrez pas l'emporter maintenant, voyons: je ne vais pas vous apprendre qu'il a besoin de sécher, et c'est assez long: vous savez comment je prépare mes fonds...
― Écoutez, cher monsieur Renoir, ce n'est pas un allemand qui va vous reprocher la minutie et la qualité de préparation de vos toiles: elle sont faites pour durer, comme les panneaux de Cranach...
― Là, vous me flattez; Cranach, ça n'est pas rien...
― Comment faire alors?
― Je retournerai à Paris pour l'été, vous savez...
― Je n'ose pas vous demander...est-ce que vous accepteriez de faire un autre portrait de Tilla, en robe d'apparat? Elle a commandé une robe à Paul Poiret pour jouer dans Pygmalion, de notre ami Shaw; j'exposerai ce portrait-là dans la galerie de Berlin: ce serait le clou...
― J'ai eu tant de plaisir à parler avec votre épouse que j'ai envie d'accepter; j'ai l'impression d'avoir fait des progrès grâce à elle...
― Je ne vais sûrement pas vous décourager: donnez vous une chance de progresser encore; comme ça, celui-ci sera sec et nous pourrons l'emporter...
― Je serai à Paris à partir de mai...
― Nous viendrons certainement vers la fin juin ou le début juillet, boulevard de Rochechouart; j'aime cet atelier, si dépouillé...il n'y a que vos toiles, mais elles transfigurent l'endroit...
― Vous savez, mon travail, c'est de peindre, pas de me prélasser dans un décor somptueux...
― Mais quand je compare avec certains de vos confrères, je me dis que le talent - dans votre cas le génie, n'a que faire des conditions matérielles: vous me faites penser aux maîtres de la Renaissance... Léonard, toujours dans sa quête... Miche-Ange, sur son échafaudage de la Sixtine et pestant contre le pape parce qu'il voulait sculpter...
― Disons qu'en vieillissant je m'améliore...un peu...
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Message  Invité Ven 6 Nov 2009 - 12:01

Une révélation ?!!!!
La suite, vite alors !!

Cela dit je ne suis fan du procédé de transcription des accents étrangers.

J'ai relevé :

il est si maigre que ses os presque percent sa peau. (position de l'adverbe, je le verrais plutôt après le verbe)
Cela a donc empiré par rapport à la dernière fois que je l'ai vu, (ou : la dernière fois où je l'ai vu ; il y a eu un petit débat à ce sujet sur le fil grammaire)
'est quand le sourire réapparaît que la douleur habite véritablement l'être et le possède...
Ne pourriez-fous m'appeler Tilla? (tu omets tous les tirets dans la tournure interrogative)
Je suis désolé de vous avoir troublée (et ponctuation en fin de phrase)
Tenez, que pensez vous de la toile? (tiret)
comment bouvez vous parler ainsi? (tiret)

Je viens de voir que la suite est postée, je file et reviens lire plus tard.

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Message  Invité Ven 6 Nov 2009 - 13:09

Propos de personnes bien élevées... ils n'en finissent pas d'être polis.
Et je trouve que Tilla fait plutôt figure de potiche, c'est drôle je ne lui sens pas véritablement de force en tant que personnage de ce récit.

― Pas mal venu? Mais maî...monsieur Renoir, c'est une merveille,

donnez-vous une chance de progresser encore;

Miche-Ange, sur son échafaudage de la Sixtine

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Message  CROISIC Ven 6 Nov 2009 - 13:52

Mais que tout cela est délicieux et véridique de surcroît, ce qui ne gâche rien, au contraire. Silène, conteur provençal !
Est-ce que cet hôtel est toujours en activité ? Et surtout, est-ce que les fresques murales sont visibles ?
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Message  silene82 Ven 6 Nov 2009 - 13:58

Hôtel Sabourin. Tout est fin prêt, il ne manque que les deux grandes dessertes commandées à Menestrou. Les grands miroirs avaient été exécutés en premier, de façon à ne pas gêner les finitionset fixés par de longues vis prises dans des tampons de bois noyés dans le mur.
L'entreprise Menestrou livre les meubles: le fourgon de livraison que Menestrou s'est décidé à acquérir, non sans regrets, car il était très attaché à son véhicule précédent, une sorte de patache remaniée, tirée par deux vaillants postiers bretons, vient d'arriver sur le terre-plein en contrebas de la nouvelle salle à manger, à laquelle on peut accéder par un escalier relativement étroit cependant. L'escalier, qui prend pied dans le parc, en face des orangers, mandariniers et citronniers dont les senteurs embaument la galerie terminée, permet d'éviter le grand tour qui obligerait à passer par le hall de réception.

― Gustave, monte jeter l'œil, qu'on soit sûr que ça tournera en haut...qu'elles sont longues...
― Et lourdes, moussu Menestrou...que longues c'est rien...
― Que ves?
― Bah! Vai passa, pas de problèmes...
― Vous mesurez pas?
― Ah bonjour, Eugène...tu sais, j'ai plus confiance dans l'œil de Gustave: tu sais que c'était un charpentier au départ...pas n'importe lequel, que c'était un compagnon, comme moi. Provençal-la Gaîté qu'ils lui avaient mis, les pays..
― Aqueù de païs...Et de charpentier tu en as fait un menuisier? C'est une disgrâce...
― Commence pas à me chatouiller, Eugène...tu sais qu'il s'était fait mal au dos...ça va pas avec la charpente
― Mais quand même, c'est pas la même manière de travailler, quand même?
― Demande-lui son proverbe, que ça lui faire plaisir de le redire...oh Gustave, c'est quoi la différence de précisions des ouvriers du bois, qu'Eugène il demande?
― Es pas counpliquat: le menuisier, il travaille au millimètre, l'ébéniste, au dixième de millimètre, le charpentier, il travaille juste.
― Ah ah ah, c'est sûr que c'est un proverbe de charpentier, celui-là...
― Ya des chances...bon, les garçons, deux devant, deux derrière, qu'elle fait le poids d'un âne...

L'équipage monte les marches, guidé par monsieur Menestrou, et débouche dans la grande galerie, avant d'arriver dans la salle à manger

― Mais qu'est-ce que c'est cette grande fresque que tu as faite au fond, là? Elle est formidable...
― Tellement formidable que c'est pas une fresque, André...les fresques, c'est ça, là...
― Oh couillon, c'est le chef de gare qui t'a fait ça? Jamais je me serais pensé qu'il était aussi fort...
― Rends toi compte que c'est monsieur Renoir qui me l'a envoyé: tu te penses bien qu'il allait pas m'envoyer un guignol...
― Évidemment, mais dis-donc, il a fait un truc formidable...
― Et attends, que ma fille m'a tarabusté pour qu'il fasse l'autre côté: viens voir et tu me dis...
― C'est la même main, mais c'est plus éclatant là; même, il a mis des taches de couleur, té, ses coquelicots, là, tu les vois presque trembler dans la brise...
― Eh bé tiens toi bien, que dans la salle, c'est Renoir qui avait fait les esquisses, mais là, pauvre, il se l'est tout débrouillé tout seul...
― Madountesian, il va pas rester chef de gare, moi je crois...
(à mi-voix) Surtout que Thérèse, je pense que...Elle était tout le temps avec lui; et les regards des filles, ça trompe pas; on dirait que le seul qui le voyait pas, c'était lui...
― Ma foi! Elle partirait pas mal, vaï...Artiste et fonctionnaire, tu vois venir, pardi...
― Je dis rien, mais suivant la tournure...bon, je te disais, c'est pas une fresque, c'est une toile: je l'avais commandée au pauvre Besset, tu sait, lou pintré qu'on voyait toujours avé lou grand capeù, là, tu te souviens? Qu'il est resté je sais pas combien de temps à peindre en bas de la montée, là, en face la Poste?
― Sûr que je me souviens...çui-là qui est mort, va, ça fait 10 ans, quelque chose comme ça?
― Voilà; je lui avais commandé ça, que j'avais déjà tout ça en tête, moi, rappelle toi que ça fait un moment que je voulais les faire, ces agrandissements...
― Et pouf, il est mort...pétan, tu as eu du nez, toi...
― Qu'est-ce que tu veux que je te dise? C'est la vie...Bon, on va voir la tété qu'elles font, tes dessertes, que si elles me plaisent pas, rappelle-toi que je te paye pas...
― Oh, mestre Sabourin, pas de problème: me pagas pas, je te les fous au mitan de ta salle, et j'y fous le feu; et j'y fait des brochettes...Mais dis-donc, le Besset, il t'a fait un truc formidable: je suis sûr qu'un jour bien bien, là, avé la lumière qu matin qui te l'éclaire, tu te crois que c'est vraiment une fenêtre avec le château derrière...
― Sauf que nous, on sait que le château, il est à angle droit par rapport...
― Oui mais le touriste, lui, qu'est-ce qu'il en sait...
― C'est sûr...Bon, alors, elles disent quoi, ces dessertes?

Toute l'équipe est en train d'admirer le travail en place, reculant, fermant un œil, regardant en perspective. Un sourire aux lèvres de chacun.

― Aloura, Gustave, que dices?
― Qu'il faut les remporter, patron...
― Que racountas? Les remporter...
― Pardi, elles sont tellement réussies que les gens vont plus manger, pour mieux les regarder...
― Oh, si c'est que ça, pauvre...Quand elles auront tout le tralala, les assiettes, les ci et là, souviens-toi qu'on les verra plus comme ça, toutes belles comme dans un musée. Maintenant, de tout vrai, elles sont magnifiques: presque ça me fait peine d'y mettre quelque chose...
― Tu sais qui y a travaillé surtout?
― Eh Gustave, pardi...
― Gustave était comme contremaître, mais l'ouvrier qui a fait pratiquement tout, c'est Marius...
― Marius, le fils de Tonin?
― Eh bien sûr, je les achète pas en gros...
― Eh bè Marius, franchement, je pense que quand toun payre va voir ça, ça va lui lever la peine que tu aies pas fait maçon: tu savais ce que tu voulais...Et même les sculptures tu as fait?
― Le plus gros, oui, et les petits détails fignolés, c'est Octave...
― Octave, c'est un sculpteur formidable: c'est lui qui nous fait tout...
― Franchement, je suis drôlement content: c'est encore mieux que ce que j'imaginais; allez, on va fêter ça, vous aimez le champagne?
― Sauf votre respect, monsieur Sabourin, je me préfèrerais un pastis...
― Moi aussi ...moi aussi (les ouvriers se joignent l'un après l'autre à l'amateur de pastis)
― Bien, et toi André?
― Oh moi, ça n'est pas de refus pour ton offre, surtout que je sais ton champagne...celui du baptême, là, non?
― Pardi oui, sabes que cette adresse...moun pauvre...
― Mais toutes tes adresses, Eugène: il n'y a pas une cave comparable à la tienne à Cagnes...
― Je dis toujours que j'aurais dû...
― Faire sommelier...je sais: si je l'ai pas entendue cent fois, celle-là...
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Message  Sahkti Ven 6 Nov 2009 - 14:56

Bon, je reprends tout depuis le début donc mes excuses pour les répétitions que je risque de commettre par rapport à ce que d'autres ont pu dire. D'autant plus que je lis et commente fragment par fragment et pas l'ensemble après lecture complète.

Fragment 1
Dans ce que j'aime beaucoup, il y a cette vision de la réussite vue par cette femme qui voudrait que sa fille puisse avoir une meilleure vie qu'elle. Il y a là un jeu des proportions (travailler à la Poste...) plaisant parce que réaliste et proche de l'humilité.
J'aime également les digressions qui donnent du corps au texte.
Mais en même temps, elles font partie de ce que j'aime moins car elles ont parfois tendance à prendre le dessus sur l'humanité de tes personnages et dans ce domaine, tu t'y connais plutôt bien donc ce serait dommage que ça soit noyé sous les précisions "documentaires".


Fragment 2
Il y a des précisions qui me paraissent inutiles, comme expliquer ce qu'est le pistou. Je trouve également qu'il y a parfois tendance au bavardage, chez le père entre autres, pour se plaindre; ça colle moyennement avec l'idée de résignation et l'acceptation taiseuse du destin que je m'étais faite à leur sujet. Je crois que ça y gagnerait en qualité si tu allais plus vers la concision. On a compris que ces gens se contentent de peu, bossent dur et aspirent à du meilleur; une économie de mots serait bienvenue.


Fragment 3
L'idée des coupons pour la bibliothèque offre un liant et une transition au texte, amenant vers Magali et son besoin de connaissance; c'est bien vu.
Le dialogue avec la bibliothécaire m'a paru un brin maladroit, comme si cette employée était aussi mal à l'aise que Magali qui met les pieds pour la première fois dans cet endroit.
Attention à ne pas trop en faire avec les jérémiades de la mère, ça risque de la rendre agaçante.


Fragment 4
Je trouve que ça va un peu vite entre le tracé de l'escalier et la proposition d'entrer dans l'école d'ingénieurs avec bourse; c'est comme si tu avais fait un bond dans le temps un peu brutal.
Si j'aime tes personnages et leur côté bonne âme sympathique, je dois tout de même dire que je me sens peu surprise jusqu'à présent, tout semble suivre un fil conducteur assez visible. Pas vraiment dérangeant mais il ne faudrait pas que ça s'éternise.


Fragment 5
N'y a-t-il pas mauvais usage du terme conséquent ici ?
Le dialogue ne me paraît pas des plus naturels. Si les explications données par la bibliothécaire sont utiles, je les trouve en décalage avec le ton et le langage de Magali, plus simples, presque trop. Il me semble aussi que cette description du combat pour les droits des femmes est un peu survolée, condensée.


Fragment 6
Ouverte d'esprit pour son milieu cette Magali ! Un échange qui me plaît, je le trouve fluide et bien mené. La mère pourrait être un peu plus mordante mais en même temps, sa fille exprime sans doute tout haut ce à quoi elle refuse elle-même de penser.


Fragment 7
Venzac le bon samaritain... pourquoi pas mais il ne faudrait pas qu'il soit trop mou. Ceci mis à part, je trouve ce dialogue bien mené, avec les détails nécessaires sans en faire trop. Ça roule bien !


Fragment 8
L'humour du médecin me paraît un peu décalé, mais pourquoi pas, vrai que ça donne du piquant à ce morceau.
Ensuite, tout va un peu trop vite pour moi. La chute, les deux mois, le boulot avec les fleurs, la pose pour un peintre... ça s'enchaîne trop rapidement, au risque de manquer de consistance et de liant entre les étapes.


Fragment 9
Pas si molle que ça en fait la mère, elle pensait donc bien à certaines choses elle-aussi. Une partie qui pourrait peut-être être allégée au début (monologue de Magali) mais qui gagne en qualité avec celui de la mère.


Fragment 10
Des dialogues tantôt laborieux, tantôt plus faibles, pas assez aboutis à mon goût, d'autant plus que la partie narrative, qui renoue avec les détails, met en avant cet état de fait par comparaison.


Fragment 11
Attention une fois de plus à ne pas vouloir trop expliquer. Non seulement ça fige le rythme mais ça alourdit aussi le texte. Ces explications sont certes intéressantes mais la manière de les amener ne me paraît pas tout le temps fluide.
Le dialogue m'a paru un peu forcé, comme si il avait fallu à tout prix placer un bon mot ou une précision de nature historique.
La scène y gagnerait à être raccourcie et les dialogues à être plus "oraux".
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Message  Sahkti Ven 6 Nov 2009 - 15:38

Fragment 12
Magali me surprend parfois par son ouverture d'esprit contrastant avec la simplicité de certaines de ses pensées ou de son expression. Je me demande si de ci de là, le trait n'est pas forcé pour appuyer la candeur de cette jeune fille.
Ceci dit, ça n'enlève rien à l'attachement que j'éprouve pour ce personnage au grand potentiel. Sans compter au fil des pages, ces petites révélations qui sortent, ces états d'âme, ces complicités... ça renforce le récit.


Fragment 13
La mère me plaît par ce qu'elle se sent obligée de dire à sa fille, éducation oblige, et ce qu'elle ressent réellement; c'est intéressant.
Par contre, ce Renoir, je le trouve condescendant paternaliste et agaçant, désolée. Les précisions qui agrémentent ses paroles n'arrangent pas la chose.


Fragment 14
Beaucoup aimé cet échange entre le père et le fils, qui suit ce monologue plaintif et amer de Tonin. Tout ça sonne fort et vrai.


Fragment 15
Les parties avec Auguste m'intéressent décidément moins que les autres. Je trouve ce type poussif dans ton récit.
Changement de lieu, c'est bien, ça redonne du peps à l'histoire avec des éléments neufs.


Fragment 16
L'univers de la cuisine me plaît bien, ça a du corps, de la gueule.
Pendant ce temps, l'esprit de Magali poursuit son petit bonhomme de chemin.


Fragment 17
Je ne suis pas persuadée que les pays du nord, en particulier anglo-saxons, brillent par la bonne santé de leurs habitants ( le taux de cholestérol irlandais est explosif par exemple).
La transition entre la scène du restaurant et les réflexions de Magali semble faire défaut; l'irruption de la gamine à cet endroit du récit est un peu brutale, même si ce qu'elle dit est bien rendu.


Fragment 18
Si Renoir comme personnage m'agace toujours, ce qu'il dit me semble bien intéressant et c'est pas mal de le confronter aux pensées de Magali; ça ouvre de nouvelles pistes.


Fragment 19
Un dialogue vif et bien mené, je le trouve réussi, en particulier par le fait que tu décrives un métier sans te perdre dans les détails et les lourdeurs; c'est très agréable à suivre et passionnant.


Fragment 20
Idem que pour le précédent, j'ai trouvé ça vivant et bien maîtrisé, avec une bonne dose de gouaille bienvenue.


Fragment 21
Super début !
La transition avec le retour cher Renoir est ceci dit un peu rude.
Apprécié les détails qui posent le contexte, l'évocation de gens connus: Attention toutefois à ne pas créer de rupture dans le rythme narratif quand tu fais du documentaire au milieu des dialogues.


Fragment 22
Le personnage de Mario est consistant, humain et sensible. Tu t'y entends pour donner de l'âme à tes gens. Suis contente que Pierre réussisse avec brio :-)


Fragment 23
J'aime bien ces histoires de boulot, de travail manuel et de fabrication.
Mais est-ce que cette partie apporte beaucoup au récit? Je n'en suis pas sûre, il y a un peu de stagnation dans l'air, y compris dans les réflexions de Magali. Ceci dit, on continue d'avancer avec plaisir.


Fragment 24
Les transitions entre les différentes parties du récit ne sont pas toujours suffisamment marquées, dommage. D'autant plus que les jérémiades du père au milieu du bazar tombent un peu comme un cheveu dans la soupe. Mais peut-être ressens-je ça (heu, ça se dit ça ?!) parce avant et après, c'est félicité à foison, comme dans un conte de fées ?


Fragment 25
Certains éléments ne me paraissent pas indispensables au récit et celui-ci y gagnerait certainement si tu te concentrais plus encore sur les nouveautés que tu introduis, en oubliant la qualité du travail de Mario, qu'on connaît maintenant.


Fragment 26
Un gros bof pour l'accent allemand, ça n'apporte rien du tout, au contraire, c'est lourd.
Sinon, sans vouloir être cruelle avec lui, j'apprécie que tu humanises Renoir par ses souffrances physiques plutôt que par ses allures paternalistes.


Fragment 27
Si le dialogue est vif, il me paraît tout de même un peu faible pour un échange entre les deux hommes. Il manque de force à mes yeux, de rigueur aussi.


Fragment 28 (le dernier posté)
C'est une des parties de l'histoire que je préfère, cet hôtel Sabourin, parce que je le trouve très vivant et tu le racontes bien.
Mais honnêtement, est-ce que tu ne tires pas un peu dessus, là ? :-)
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Message  Sahkti Ven 6 Nov 2009 - 15:39

Hé bé dis donc Silène, un fameux boulot que tu as fait là, une fois de plus !
Au moins maintenant, je pourrais suivre en temps réel.
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Message  Invité Ven 6 Nov 2009 - 15:48

Beaucoup aimé les dialogues qui sonnent vrai.
Contente que Marius prenne de l'étoffe, contente aussi que "ça" bouge, "ça" avance avec les travaux à l'hôtel.


de façon à ne pas gêner les finitionset fixés par de longues vis prises dans des tampons de bois noyés dans le mur. (une virgule, de toute façon, avant "et fixés" ?)
oh Gustave, c'est quoi la différence de précision des ouvriers du bois,
Rends-toi compte que c'est monsieur Renoir qui me l'a envoyé: (tiret)
C'est la même main, mais c'est plus éclatant là; (j'ai repéré une absence répétée d'espace avant le point-virgule ou parfois les deux points)
Eh bé tiens-toi bien, que dans la salle, (tiret)
rappelle-toi que ça fait un moment que je voulais les faire, ces agrandissements... (tiret)
et j'y fais des brochettes...
avé la lumière qu matin qui te l'éclaire,

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Message  silene82 Dim 8 Nov 2009 - 11:04

Pierre a fait sa place chez monsieur Lanzi; rien ne coulait de source, ni n'était gagné d'avance: c'est une chose de passer des examens, qui font appel à des capacités spécifiques, et une autre de se faire sa place sur le terrain, au milieu de gens pragmatiques, et qui ont toujours l'œil affûté pour pointer une erreur ou une incapacité de celui qui représente le savoir conceptualisé. Éternelle opposition entre le patricien et le concepteur. Pierre est évidemment aidé par son parcours: ce n'est pas du tout un grand dadais fraîchement émoulu d'une école, bardé de théorèmes et de calculs savants, c'est un ancien ouvrier, qui a travaillé dur comme manœuvre de son propre père, et qui ne doit sa place actuelles qu'à ses compétences, qui sont fort bonnes, et son travail acharné. Et de fait, son esprit inventif et sa connaissance des particularités tant des terrains locaux que des techniques éprouvées le rendent indispensable sur les chantiers, où il réussit le tour de force d'être responsable du chantier tout en conservant de bonnes relations avec les ouvriers; il est vrai que tout le monde a bien connu son père, et que chacun sait qu'il est arrivé à ce point par son acharnement au travail et ses compétences diverses. Monsieur Lanzi, parfaitement satisfait de lui, voudrait cependant l'encourager à découvrir d'autres horizons, car il le croit capable d'aller loin, plus en tous cas que dans cette petite ville encore peu développée.

— Pierre, je crois qu'il faut que je me coupe un bras, ça me fera du bien...
— En effet, monsieur Lanzi: c'est bien connu que diminuer un organe renforce les autres. Du coup, vous n'en pêcherez que mieux...avec le bras restant...
— Ne fais pas l'idiot: c'est de toi que je parle; tu t'endors ici, mon garçon, il faut que tu ailles voir ailleurs...
— Mais je ne me plains pas ici, monsieur Lanzi: pourquoi voulez vous que je parte?
— Parce qu'ici, tu ne vas pas pouvoir t'épanouir suffisamment et prendre ta vraie dimension; il te faudrait un peu travailler à l'étranger: ça te donnerait une vision beaucoup plus ample...
— Je n'ai rien contre, personnellement, mais je ne connais pas les filières...
— Ça, je m'en occupe; si tu es partant, je vais commencer à regarder dans les différentes publications que je reçois; tu as des idées d'endroits où tu aimerais aller pour travailler et vivre?
— Pas vraiment...mais je ne connais même pas toutes les possibilités....
— Bon, eh bien je vais commencer à rechercher et je te tiendrai au courant.....

L'appartement privé d'Eugène Sabourin, attenant à la réception, comprenant sa chambre et celle de sa fille, un petit salon, une salle à manger, une salle de bains et une petite cuisine; il n'est véritablement utilisé au quotidien que lorsque l'hôtel est fermé, de mars à octobre. Le salon est meublé de façon disparate, de meubles de famille, commode Louis XVI en demi-lune, exécutée au 19ème, d'une facture simple mais élégante; quelques fauteuils Louis XVI en bois doré; un joli meuble provençal en cerisier, que la lumière pénétrant par la grande baie vitrée du salon a décoloré, jusqu'à amener sa teinte à un jaune orangé très pâle, rappelle les attaches locales.

— Thérèse...il a fait quelque chose de formidable, ce jeune chef de gare...
— Oh que oui...mais ça ne me surprend pas...
— Ah bon?
— Enfin, si monsieur Renoir le recommandait, tu penses bien qu'il savait ce qu'il faisait...
— Bon, ma chérie, parlons sérieusement: je sais qu'il te plaît...mais lui, de son côté, il pense quoi?
— Eh bien...je crois qu'il est gêné...
— Gêné de quoi?
— De la différence de situation; tu sais, il m'a déjà fait plusieurs cadeaux...
— Ah bon...
— Au début, il me portait toujours un joli bouquet, mais pas n'importe quoi, un bouquet qu'il avait composé lui-même, joli comme tout, et je ne sais pas comment il se débrouillait, mais c'était toujours des fleurs que j'aime...
— Et tu dis plusieurs...quoi d'autre...
— Tu es drôlement curieux, pour un homme...mais c'est vrai que c'est pour ça qu'on t'aime...tu fais le terrible et le dur, et en vrai tu es brave comme je sais pas quoi...
— Si je me préoccupe pas de ma fille, que j'en ai qu'une, je me demande...
— C'est pour dire...alors il m'a donné un petit carnet avec toutes les aquarelles préparatoires de son travail de la galerie...
— Là, il s'est pas beaucoup cassé la tête, que tu es la patronne ici, tu as envie de les voir, tu vas dans la galerie, pardi, qu'est-ce que tu as besoin de ça...
— Là, tu me fais celui qui est bouché, mais ça ne prend pas: tu sais très bien comment sont les filles, le soir, je me les regarde dans le lit, et je pense à lui...je rêve...en plus il m'a mis une dédicace...
— Que bien sûr tu te gardes pour toi...
— Bien sûr...tu sais que je te partage presque tout, mais là, c'est des choses à moi...des choses de fille...
— Tu sais bien que la seule chose qui m'intéresse, c'est que tu sois heureuse; moi, je n'ai besoin de rien, à part d'entreprendre des choses, que sinon, je m'ennuie...
— Et encore, c'est pas tout...
— Qu'est-ce qui n'est pas tout?
— Il a composé une mazurka qu'il a appelée Thérèse; il l'a faite jouer par l'harmonie l'autre jour que tu as pas voulu venir, là, pour l'inauguration...et même il me l'a dédiée devant tout le monde...
— C'est bizarre que personne ne m'en ait parlé...
— Tu sais, c'était avant-hier: tu n'as vu personne qui y était, puisque tu étais à Nice hier, pour les livraisons de charbon...
— Bon, donc c'est une sorte de déclaration, si je comprends bien; quand même, il aurait pu venir me voir à moi...
— Tu ne crois pas qu'il veut savoir ce que j'en pense moi d'abord, avant de venir te trouver?
— Bien sûr...mais moi, rien que de te voir, je voyais bien qu'il y avait quelque chose...
— Toi tu es mon père, tu vois des choses que les autres ne peuvent pas voir; et puis tu sais, Mario, c'est un artiste, il est un peu timide...
— Ça, je suis pas sûr que ça va être formidable dans un hôtel, d'être timide...
— Moi, je le suis pas, alors, je vois pas où est le problème...En plus, un artiste, c'est quand même formidable dans un endroit comme ici: tu te rends compte de toutes les belles choses qu'il est capable d'apporter?
— Évidemment: pour pas le voir, il faudrait se crever les yeux...bon, moi, je vais lui parler...

La salle de dessin de Mr Lanzi. A l'étage d'une maison simple , conçue pour servir d'entrepôt en bas, avec tout le matériel de chantier entreposé, chevrons et planches de 50 pour les échafaudages, étais, gamates, brouettes, sacs de ciment et de chaux, pelles... La lumière pénètre à flots par les grandes ouvertures sur trois côtés; plusieurs tables à dessin, monumentales, avec les contrepoids et les règles et équerres de traçage, sont garnies de projets en cours; le lieu est paisible, et donne une sensation de concentration studieuse, propice au travail créatif.

— Pierre, tu serais partant pour un projet de l'autre côté?
— De l'autre côté? Quel autre côté, monsieur Lanzi?
— L'autre côté de la mer, pardi; un vieil ami me demande de lui bâtir une villa à l'extérieur de Tanger; j'ai pensé que si tu es partant, nous allons ensemble nous rendre compte, nous établissons les plans ici, ou là-bas, on verra; puis tu conduis le chantier, moi, je me plais plus ici...ne te presse pas de répondre, réfléchis; bien sûr, ce serait intéressant financièrement: ce n'est pas les mêmes responsabilités que ce tu connais ici...
— Écoutez, c'est sûr que ça me tenterait...j'ai toujours eu envie de voyager...


Gare de Cagnes. Bureau du chef de gare.

— Eh bonjour monsieur Sabourin, vous prenez le train pour quelle destination?
— Non non, je ne suis venu que pour vous rencontrer...
— Ah bon, qu'est-ce qui se passe? Mon travail ne s'est pas détaché, quand même?
— Ah ah ah, ce serait un peu inquiétant...non non, rassurez vous...alors, vous êtes un petit cachottier...
— Je vous demande pardon...
— Oui, avec Thérèse, vous croyez que je n'ai rien vu...
— Je ne comprends pas...vu? Vu quoi?
— Ma foi...allez, dites-le franchement, ma fille vous plaît?
— Évidemment, monsieur Sabourin...
— Mais pourquoi n'êtes vous pas venu m'en parler?
— Enfin, monsieur Sabourin, je ne suis pas du même milieu que vous...mon père est pêcheur et ma mère boulangère...
— Et alors? Vous croyez que dans ma famille il n'y a que des gens prestigieux? Il y a de tout chez nous, vous savez, des journaliers, une sage-femme, pas mal de paysans...et moi, qu'est-ce que je suis? Un cuisinier qui a eu de la chance, eh...
— Et doué pour les affaires...
— Ma foi...écoutez, la petite, c'est vous qu'elle veut; c'est ma fille, moi, je veux qu'elle soit heureuse. De toutes façons, vous avez largement prouvé vos capacités: c'est pas le premier tartempion venu qui peut arriver chef de gare...en plus de tout le reste...
— Il ne faut pas exagérer...
— Je n'exagère rien du tout; la seule condition que je mets, c'est que vous appreniez la cuisine, et je me charge de vous montrer les ficelles; quand je ne serai plus là, que Thérèse sera la patronne -bon, vous avez bien vu qu'elle l'est déjà, en fait-, il vous faudra maîtriser ça, parce que l'hôtel repose dessus. Et on ne conduit bien une brigade que si on est de la partie. Sans compter que si vous avez des malades, eh bé il faut bien être capable de les remplacer...
— De toutes façons, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que je garde mon emploi ici: Thérèse est tout à fait capable de tenir l'hôtel toute seule...
— Ça ne tient pas debout, Mario: je n'aurais pas eu ma fille, je me serais remarié: une affaire, il y a besoin des deux, la femme a des compétences, l'homme en a d'autres; comme je vous disais, la cuisine, c'est un poste important, c'est une grosse partie de l'argent qui rentre, entre les banquets, et le reste...
— Si je contribue au fonctionnement de l'affaire, c'est différent...
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Message  Invité Dim 8 Nov 2009 - 15:54

J'ai juste relevé ceci :

L'appartement privé d'Eugène Sabourin, attenant à la réception, comprenant sa chambre et celle de sa fille, un petit salon, une salle à manger, une salle de bains et une petite cuisine; (à part l'espace absent avant le point-virgule je me demandais s'il ne manquait pas aussi un verbe, je ne sais pas si touts ces participes présents sont délibérés, cela fait plutôt didascalie)

il l'a fait jouer par l'harmonie

— De toutes façons, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que je garde mon emploi ici: (espace avant les deux points)
— Ça ne tient pas debout, Mario: une affaire, il y a besoin des deux, la femme a des compétences, l'homme en a d'autres; (idem : l'espace)

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Message  silene82 Lun 9 Nov 2009 - 9:55

Les Collettes. L'atelier dans la maison.

— Bonjour Magali, tu viens réjouir l'œil du vieillard, c'est gentil...
— Enfin monsieur Renoir, vous n'avez pas besoin de moi pour ça, que je sache...
— Comment ça, je n'ai pas besoin de toi? On ne trouve pas de modèles ici, tu dois bien le savoir: je me demande ce que croient les gens, que je célèbre des bacchanales...
— Bacchanales?
— C'étaient des fêtes païennes chez les Grecs, qui finissaient dans l'ivresse, avec le débordement des passions: les hommes sautaient sur les femmes sans aucune retenue...
— Mais je sais bien que vous êtes chrétien, moi...je vous ai entendu l'autre jour, quand vous disiez à monsieur le curé que pour faire de pareilles merveilles, il fallait vraiment que Dieu soit beau...et artiste
— Ce que je dis aussi, c'est que la preuve que Dieu est un grand artiste, c'est que tout est imparfait dans la création, et c'est ce qui en fait la beauté...la perfection, c'est pour les machines...
— Moi aussi, j'aime qu'il n'y ait pas deux choses pareilles...comme les fleurs...
— Mais je pourrais tout aussi bien te dire que les dieux de l'Olympe, quand ils ont envie d'être heureux, descendent sur la Terre; ils le faisaient en Grèce, mais ici, vous êtes une annexe de la Grèce, une colonie: s'ils sont venus fonder des villes depuis 2500 ans, ça n'est pas pour rien...
— Alors vous changez d'idée comme ça...
— Mais oui; il n'y a pas qu'une vérité absolue, et surtout pas dans l'art...alors je suis chrétien, oui, mais aussi mahométan quand je vais en Algérie, et j'adore les dieux grecs quand je suis en Sicile...
— En tous cas, tout le monde est étonné que vous me demandiez pas de poser nue...
— C'est que tu es un peu maigrichonne, je ne suis pas trop convaincu...tu sais, moi, il me faut des belles natures, rondes, pleines, des femmes, épanouies; toi, tu es encore une jeune fille...
— Pardi, bien sûr...

Repas du soir au Val-Joli. La suspension éclaire les visages d'un halo comme dans les tableaux de Georges de la Tour, laissant dans l'ombre et l'indistinct tout ce qui n'est pas directement dans la lumière projetée par l'abat-jour.

— Monsieur Lanzi vient de ma faire une proposition que j'ai bien envie d'accepter...
— C'est-à-dire, Pierre?
— De concevoir et diriger un chantier hors de France...
— Mon Dieu! Il n'y en aurait pas assez ici, peut-être?
— Maman, bien sûr qu'il y en aurait assez; il pense que pour moi c'est une occasion de commencer à voler un peu...tout seul...
— Oui pardi, lui bien tranquille ici, avé les pantoufles, et toi qui va s'attraper les choses de ces endroits, la malaria, la peste, aqueù de beù voyage...C'est où, d'abord? Que si c'est l'Indochine, ou le Tonkin, rappelle-toi le pauvre Gastaud, ce qu'il disait, hein,
«que c'est des pays que c'est pas pour nous autres, pauvre, que tu bois de l'eau, ça te file la cagade, tu marches sur un bambou, paf, il te perce le pied, total, infection, la fièvre se met dedans, ça empire, gangrène, et si tu as de la chance tu perds juste la jambe. Que sinon tu meurs »
— Maman, Gastaud il était dans la coloniale, comme troufion; que le colonel, je crois pas qu'on lui coupe la jambe...Moi, c'est pour être le représentant de monsieur Lanzi: c'est pas la même chose...
— Dans ces pays de sauvages, aussi bien ils te balancent une flèche...ou je sais pas quoi...
— Déjà c'est où, Pierre, ce chantier?
— En face, papa...
— Donc en Algérie...
— Non, tu as raison, c'est pas en face, c'est sud-est...En face de l'Espagne...
— Le Maroc donc, notre protectorat...
— Oui, c'est une villa de résident, quelque chose de joli...
— Le Maroc, je sais pas si c'est pas encore plus pire que tout le reste: que rappelle-toi qu'ils ont le choléra...
— Maman, le choléra, ça s'attrape avec de l'eau infectée; mais moi, je boirai que du pastis...
— Il t'a dit le temps qu'il prévoit pour ce chantier, Pierre?
— Je pense que l'un dans l'autre ce sera plus ou moins une bonne année, peut-être un peu plus...
— Je pense que c'est une occasion qu'il ne te faut pas laisser passer, Pierre. Bien sûr que tu vas manquer, pardi, mais c'est ta vie que tu te construis là, il te faut saisir cette chance...
— Et qui c'est qui va lui faire son linge? Et son manger?
— Maman, il me suffira de prendre une petite bonne arabe qui me tiendra mon chez moi...
— Oui, comme ça tu reviendras avec un petit moricaud sous le bras...et avec une petite que même pas je pourrai comprendre un mot de ce qu'elle raconte...avec toutes les braves filles qu'il y a ici...quand je pense...
— Maman, c'est un chantier à diriger, pas un voyage d'agrément: ça risque plus que je sois à essayer de trouver des solutions à tous les problèmes qu'on a dans tous les chantiers que me prélasser dans la chaise-longue. En tout cas, de l'expérience que j'ai des chantiers ici; alors là-bas, imagine -toi...
— Eh bé moi, je trouve qu'il a bien de la chance Pierre, et que je serais de lui, té, je pars en courant: enfin maman, tu veux l'attacher comme le cabri, là, pour pas qu'il nous mange les fleurs? Déjà, il en a besoin pour avancer dans son métier; ça serait pas très malin de laisser passer une chance comme ça...
— Toi aussi Magali, tu es de son côté...eh bé sian ben, que je vous dis que ça me fait toute chose, rien que d'y penser, à ces pays...que tu peux me raconter ce que tu veux, les escorpions, c'est de là-bas; eh oui, tu y as pensé, aux escorpions? Que tu dors, ils te rentrent dans la bouche, parfaitement, que c'est la femme de Gilou qui me l'a raconté, et total, tu fermes la bouche, il te pique, et tu crèves. Et si c'est pas ça, c'est une serpentasse, que rien que d'y penser j'ai le sang qui tourne...
— Maman, les gens vivent tous les jours là-bas...tu crois qu'ils ont envie d'avoir des serpents dans la maison?
— Moi, j'ai vu des reproductions de portes qu'ils font là-bas, une ville qu'elle s'appelle Meknès, je crois, ils te font un de ces travail de menuiserie, mon pauvre, que tu sais pas comment ils se débrouillent...
— Manquait plus que ça, Marius qui s'y met aussi...C'est quand même formidable, ça, que personne voie tout ce qui peut se passer...
— Maman, regarde un peu les choses: je deviens compagnon, mettons, que j'y pense, je pars sur le tour, tu sais comment ça se passe quand on se rencontre avec d'autres compagnons qui sont pas de ton ordre?
— Ton ordre? Qu'es aco?
— C'est comme les bonnes sœurs, tu sais, carmélites, franciscaines...
— Ouais, prega toujou ma pensa ren de boun
(Ouais, toujours à prier mais sans rien penser de bon)
— Maintenant c'est à elles que tu en as?
— Je déparle...que vous me faites venir chèvre, de vos histoires...moi, je vois que c'est du danger, voilà...
— Alors quand deux qui sont pas du même rite se rencontrent...
— Vous buvez un coup ensemble, j'espère...mais pas trop, que après, les hommes, ils se disputent...
— Eh bé rien du tout de boire un coup, une fois sur deux, ça finit à coups de canne, ou pire...
— Pire? Ma sies pas fada, que tu veux faire des choses comme ça? Je vais perdre tous mes enfants alors? Un que les arabes ils vont me l'empoisonner, ou je sais pas quoi, et l'autre qui va se faire massacrer sur son tour de France, qu'on est pas bien à Cagnes? Madountesian, je vais me trouver pire que si je les avais pas eus, que je les voie grandir et ils vont me rentrer estropiés...
— Maman, on part pas à la guerre...plein de gens font comme ça, et même, c'est la manière de grimper...
— Sur le fond, je le sais bien...que les enfants, un jour, ils partent...laissez-moi que je m'habitue...Que je sais pas pourquoi, je me pensais que c'était Magali qui allait s'en aller la première, je me disais que belle comme la sainte Vierge qu'elle est, le premier milord qui est pas aveugle, pardi, il se la marie et il me l'emmène dans son château, là, qu'après je la vois plus...les filles, c'est pas pareil...qu'on se doute qu'un jour elle vont partir...
— Ah, et les garçons ils restent chez leur maman, c'est ça?
— Mais non, les garçons, ils se marient pareil, mais avec une fille d'ici; qu'est-ce que vous allez aller chercher des négresses, que quand elles sont vieilles elles ont les nichons qu'on dirait des sacs vides? Et qu'en plus elles ont une odeur...
— Maman, il y a des choses qui ne s'expliquent pas...Si Pierre était heureux avec une fille arabe, tu serais pas contente pour lui?
— S'il l'amène à Cagnes, que je profite des pitchouns, oui, mais si c'est pour plus le voir, ni ses enfants, té, je me meurs de la tristesse...
— Que tu te fais le drame toute seule, té...
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Message  Invité Lun 9 Nov 2009 - 10:54

Ah, j'ai adoré la scène du repas, on s'y croirait ! Et puis c'est sûrement une des premières fois depuis le début du récit qu'on retrouve la famille réunie. Je pense que ce passage représente un point crucial du récit (a turning point), on resserre la trame avant de la laisser se relâcher, avec le départ de Pierre et peut-être de Magali.

J'ai ri à cette réplique connue certes mais imparable :
— Maman, le choléra, ça s'attrape avec de l'eau infectée; mais moi, je boirai que du pastis...

Sinon, eh bien silene, ton mépris des espaces dans la ponctuation m'irrite de plus en plus ; en typo française on met un espace avant les deux points, le point virgule, le points de suspension, d'exclamation. Toi tu pratiques la typo à l'anglaise !

"La suspension éclaire les visages d'un halo comme dans les tableaux de Georges de la Tour, "
il me semble que tu as déjà utilisé cette métaphore récemment dans le récit, je ne sais pas si c'est gênant, je ne fais que le signaler, il est possible que je me trompe.

Monsieur Lanzi vient de me faire une proposition que j'ai bien envie d'accepter...

que je les voie grandir et ils vont me rentrer estropiés... (logiquement , je mettrais l'indicatif ici, comme dans le verbe qui suit)

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Message  Sahkti Lun 9 Nov 2009 - 17:14

Je poursuis donc ?

Monsieur Lanzi, parfaitement satisfait de lui, voudrait cependant l'encourager à découvrir d'autres horizons, car il le croit capable d'aller loin, plus en tous cas que dans cette petite ville encore peu développée.
— Pierre, je crois qu'il faut que je me coupe un bras, ça me fera du bien...
— En effet, monsieur Lanzi: c'est bien connu que diminuer un organe renforce les autres. Du coup, vous n'en pêcherez que mieux...avec le bras restant...
— Ne fais pas l'idiot: c'est de toi que je parle; tu t'endors ici, mon garçon, il faut que tu ailles voir ailleurs...

Répétition d'idée qui saute aux yeux et ne me paraît pas indispensable.

Je pense que ce dialogue entre Pierre et Lanzi pourrait être recentré sur l'essentiel, l'idée de partir s'exercer ailleurs sans que tout soit rendu par le menu. On a bien compris l'admiration réciproque, le talent, les capacités... Faut qu'il décolle Pierre, on le sait, donc go ! :-)

J'aime l'échange et la construction de la relation entre le chef de gare et Sabourin, c'est bourru et sincère, en tout cas on dirait, et ça me plaît, c'est prometteur.
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Message  Sahkti Lun 9 Nov 2009 - 17:14

La partie avec Renoir m'intéresse moins, c'est certes question de goûts, je reconnais cette subjectivité mais ce déballage de connaissances m'a l'air laborieux et condescendant de sa part.

La scène à table, par contre... un régal ! Consistant, savoureux, plein de vie et très naturel. Ha oui, j'ai aimé ça ! Pierre s'affirme, la mère aussi, chacun prend de l'ampleur dans cette histoire, c'est bien vu.
Sans compter qu'outre l'affirmation des uns et des autres, tu fais bien rebondir ton récit vers autre chose, un ailleurs à venir.
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Message  silene82 Mar 10 Nov 2009 - 9:45

— Et toi Magali, comment ça se passe aux Collettes avec monsieur Renoir ?
— Ça me fait découvrir des choses que je me serais jamais imaginée...
— C'est-à-dire ?
— Qu'on peut tout supporter quand on est poussé par une passion : le pauvre monsieur Renoir, vous ne pouvez pas vous imaginer l'état dans lequel il est, avec ses mains...et le reste. Les mains, je m'y suis habituée...mais quand il y a des visiteurs, comme l'autre jour, là, les américaines, eh bé elles peuvent pas les regarder...
— Mais enfin, elles sont comment ? Il ne faut pas exagérer, il peint bien avec quand même ?
— Marius, tu sais pas quoi ? Sa main de gauche, elle est déformée par rapport à sa palette, on dirait qu'on l'a moulée dessus; et la droite, pécaïre, elle est toute recroquevillée qu'on dirait celle de la mémée Valérie, tu te souviens, qu'elle nous faisait peur ?
— Ah bon, je pensais pas...
— Rappelle-toi qu'on lui attache le pinceau au poignet...
— Mais comment il fait pour peindre alors ?
— C'est ça le plus étonnant: lui ça le fait rigoler, il dit
« Mais moi, s'il le faut, je peins avec les pieds... »
déjà qu'il en sort des vertes...
— Des vertes ?
— Oui, l'autre jour, il y avait ce gros monsieur noir, là, qu'il paraît que c'est un grand marchand de tableau de Paris, monsieur Ambroise qu'il s'appelle, il lui disait :
« monsieur Renoir, monsieur Renoir, vos femmes sont tellement sensuelles, je ne peux pas imaginer que vous les faites avec ces mains... »
et il lui a répondu, que je savais pas où me mettre
« c'est normal, je peins avec ma queue... »
— Magali ! Tu as pas honte ! Dire des choses comme ça devant ton père !
— Excuse-moi, que je voulais pas faire le scandale, c'était pour dire...
— Moi je me demande si c'est une si bonne chose que tu ailles là-bas; qu'est-ce que c'est que ces paroles devant une jeune fille...
— Oh maman, aux fleurs, j'en entends des plus pires, je te le dis...
— Eh bé moi, je sais pas si c'est bien catholique, tout ça...Heureusement qu'il est dans le fauteuil..
— Enfin maman, le pauvre...en plus, il se croit qu'il peut toujours faire comme avant...l'autre jour, il a un ami, on l'appelle monsieur Georges, mais je crois qu'il s'appelle Rivière, il lui parlait de l'Italie, et monsieur Renoir qui lui dit
« ah, mais moi je viens avec vous, il me faut revoir la Toscane, et les Raphael, -que je sais même pas qu'est-ce que c'est-... »
— Grosse maligne, il faut lui demander...Raphaël, c'est un des grands peintres de la Renaissance...
— Ah, c'est sûr que ça se voit que toi tu as été aux études: maintenant, tu fais le maître d'école de tout le monde...
— Te fâche pas, pitchounette...
— Va te promener...
— Bon et alors, l'Italie...
— Ben rien, il était tellement dans son rêve, qu'il voyait pas de problème, alors que tu peux bien te figurer que dans le fauteuil roulant, pardi, il risque pas de galoper les musées et les églises ; pour de dire que quand c'est des questions de peinture, il oublie tout...
— Même la douleur ?
— C'est ça le plus formidable: sa femme me dit qu'il dort presque pas, de la douleur; le matin, on le prépare, il y a une espèce d'infirmière pour ça, il vient à l'atelier de plein air, qu'il dit qu'il a jamais rien eu d'aussi bien...
— C'est quoi cet atelier ?
— Juste un cabanon au milieu des oliviers, que moi je croyais une serre, pardi; tout vitré, mais il a comme des rideaux, des stores il dit, qu'avec il se règle la lumière comme il veut: il dit
« Gabrielle, un peu plus haut le gauche »
et elle lui tourne la manivelle...
— Et alors, que tu disais de la douleur...
— Ah oui, il s'installe, il commence à donner des grands coups de pinceau, il va vite que c'est pas croyable; il s'arrête, il se fait donner une cigarette, il se recule, il reprend le pinceau, et il se met à chantonner, tu sais, comme quand tu repasses...que tu es bien à ton affaire, que tu penses à des jolies choses...
— Eh bé...
— Même il lui vient un sourire, que tu vois qu'il est ailleurs, dans un monde à lui...
— Ça c'est le Bon Dieu qui l'aide...
— Sûrement...
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Message  Invité Mar 10 Nov 2009 - 10:47

Ok, vu.

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Message  outretemps Mar 10 Nov 2009 - 11:22

Je trouve ce que tu écris très bon dans la forme. Mais à tirer plus vite que ton ombre, parfois tu patines! T'as tout ce qui faut pour qu'en faisant moins vite ça soit parfait. t'aimes pas te relire trop, si j'ai compris. je crois que t'as tort. je dirais que tu te manques de respect! Surtout pas prendre ça mal, mais c'est comme ça que je vois.-:))
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Message  Invité Mar 10 Nov 2009 - 11:28

Alors, là je me permets de plussoyer !! Trop de fébrilité nuit (un peu), silene...

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Message  silene82 Mar 17 Nov 2009 - 12:04

— Mais quand même...il devrait pas dire des choses comme celles que tu me parles...

Cuisine de l'hôtel Sabourin. Mario y vient presque tous les soirs, ainsi qu'entendu avec son futur beau-père. Vif et intelligent, en sus de ses capacités d'artiste, il apprend très rapidement les bases de la cuisine classique, qu'Eugène lui enseigne avec passion. Parallèlement au tronc commun de la grande cuisine, qu'aux côtés d'Escoffier il a contribué à épurer, en partant toujours d'un produit de grande qualité, que la cuisson et les sauces éventuelles doivent mettre en valeur et exalter, et jamais tenter de sauver, il met un point d'orgueil à mettre en avant la cuisine du sud. Cuisine provençale, parente de l'italienne par les ingrédients, mais, comme il aime à le répéter, incomparable par la finesse des goûts et la netteté des cuissons, rapides et précises.

— Qu'il faut bien se mettre dans la tête, Mario, que la cuisine italienne, c'est de la cuisine de bonne femme: ça cuit des heures et des heures...au bout, on ne sait plus trop ce qu'il y a dans le chaudron...
— Oui mais enfin, monsieur Sabourin, ça se ressemble pas mal, non?
— Parce qu'on utilise la tomate, l'ail, l'oignon, l'olive, les champignons? Alors expliquez-moi un peu, moussu le chef de gare, comment ça se fait qu'avec des produits proches, les régions du nord de la France aient des cuisines complètement différentes dans leurs saveurs? Entre la normande et la lyonnaise, aucun rapport, et pourtant elles travaillent toutes les deux à base de crème et de beurre...
— Bien sûr, mais là, c'est différent...
— Enfin, ouvrez les yeux: vous avez déjà goûté la cuisine espagnole -attention, je ne parle pas de la basque, qui est à part-? Huile qui dégouline dans le fond des sauces, qu'on dirait qu'ils ont peur que ça attache, presque toujours trop cuite, que ça empeste, cuissons mal faites, soit ils calcinent, soit ils marquent et c'est pas cuit: es pas coumpliquat, avec les mêmes produits que nous et les italiens, ils te font une grosse mangeaille lourde et grasse, té...
— Vous devez exagérer un peu, monsieur Sabourin...
— Évidemment que j'exagère, sinon où est le plaisir de parler? Pour de dire qu'il n'y a rien qui arrive à la cheville de la cuisine française, et que dans la française, la provençale tient son rang...
— C'est une cuisine paysanne au départ, non?
— C'est de la provocation, je suppose? Toutes les cuisines régionales, c'est ça le fond et les bases de la cuisine classique, c'est des cuisines paysannes qui se sont affinées, peuchère: le savoir-faire du cuisinier, il réside dans le fait d'être capable de faire un fond de sauce dégraissé qui enferme tous les arômes , au lieu d'une grosse ragougnasse où tout a cuit au petit bonheur, en général trop longtemps...tenez, regardez comment on les moule à la cuillère, les gnocchis à la provençale: une sauce tomate maigre aromatisée au basilic par dessus, et vous montez au ciel...
— Ceux à la romaine ne sont pas mauvais non plus...
— Pardi, nageant dans le beurre et le fromage croustillant dessus...mais ça reste de la semoule, vaï...tant qu'à faire, à la parisienne, relevés à la muscade, avec une béchamel parfaite, onctueuse, gratinés dessus...
— Là, il n'y a rien à dire: qui croirait qu'une simple pâte à chou puisse être un pareil régal...
— Oui, mais il faut lui mettre ce qu'il faut, Mario; et savoir les pocher juste ce qu'il faut...

Atelier Menestrou.

— Bon, Marius, comment tu vois les choses?
— De quel point de vue, monsieur Ménestrou?
— Du point de vue de ton avenir, pardi...
— Bé...je me plains pas, moi; je me sens à l'aise maintenant...
— C'est justement ce qui me fait souci: je pense que tu as fait le tour de ce nous pouvions te montrer, et que très vite tu vas t'ennuyer...
— Et qu'est-ce que vous me conseillez alors?
— Un autre tour...le seul: tu as pris tout ce que tu pouvais ici, il te faut l'autre, de tour...Tu le sais bien, qu'on en a parlé je sais pas combien de fois: le mieux pour toi, c'est de partir sur le tour de France; là, tu vas compléter ton savoir, d'aller dans les grandes régions de compagnons...que rends-toi compte, qu'ici, nous, nous sommes au bout du monde, avant de tomber dans la mer, et nous n'avons guère de tradition compagnonnique; Marseille, Nîmes, Arles, Aix, bien sûr; d'ailleurs tu y passeras de tout sûr, que qui a pas vu la Maison Carrée a rien vu...
— Ah oui, que vous me disiez l'autre jour que c'est deux compagnons qui ont fait les portes en noyer, même que c'est à tomber à genoux de la précision et du décor...
— Ça, et tellement d'autres choses, dans tous les arts, pauvre...la vis de St Gilles, qu'on vient de tous les coins d'Europe pour la voir...et Marseille...tu te souviens de ce qu'on parlait, là, avec la serrure?
— Oui, la fameuse serrure, que pendant que l'un avait fabriqué son outillage, fait la serrure que quand on y mettait la clé ça faisait comme un coup de pistolet, de la compression de l'air...avé le médaillon de Napoléon...et les dauphins sur la clé...l'autre, il avait pas encore commencé...
— Je vois que tu as retenu...
— C'est de voir qu'il me faut...
— C'est bien ce que je te dis; que ici, pauvre, tu vas voir un peu de joli travail, sûr, Ste Réparate, le Palais Lascaris...déjà que c'est des niçois, alors, que souviens-toi...
— Mais pas comme les autres régions, comme je me le comprends...
— Les grandes régions, c'est beaucoup la Touraine, l'Anjou, tous les châteaux de la Loire: tu penses bien qu'avec la concentration de tous ces ouvriers formidables, vé, tu peux pas tourner l'œil sans voir quelque chose de beau: presque chaque ville, tu as une merveille, ou plusieurs; et les compagnons installés dans ces coins, pour eux, le château de Blois, c'est comme pour nous lou castel de Cagnes, pareil...
— Moi il me plaît bien, le château de Cagnes...
— Moi aussi; mais tu n'y trouves rien d'extraordinaire comme travail de compagnon...
— Enfin, le plafond...
Oui, le plafond de Carlone, enfin, soi-disant, qu'on sait pas trop, quand même...mais c'est de la peinture, pas du travail de compagnon...
— Bien sûr...
— Moi ce que j'en dis, c'est que je te l'ai déjà expliqué, comment ça marche chez nous autres: tu rentres aspirant, tu commences ton tour, vé mettons Marseille-Toulouse...
— Marseille-Toulouse? Sans rien entre?
— Tu sais, entre Marseille et Toulouse, mon pauvre, un détour par la Couvertoirade, ça, je dis pas, mais des villes de compagnons, il y en a, pardi, Aix, Salon, Nîmes, Arles, tu es pas privé ; mais tu comprends bien que tu peux pas passer vingt ans sur ton tour, non plus. Il te faut te cantonner aux villes essentielles, donc, après, de Toulouse, tu fais Bordeaux: une ville où tu vois du beau travail à toutes les rues...
— Quand même, Nîmes, Arles...
— Mais ça, tu te les vois quand tu es à Marseille; que si tu fais toutes les étapes, tu le finis pour la retraite, ton tour...non, ce qu'il faut, c'est je dirais six ou sept étapes, dans des vraies villes de compagnons, où il y a du savoir-faire. Moins, c'est un peu court, plus, tu finis jamais; pour bien faire, il te faut rester entre 6 mois et un an par ville, que là, tu vois beaucoup de choses et tu apprends des techniques autres, que c'est ça l'intérêt...
— Après Bordeaux?
— Moi je dirais Nantes, puis filer sur Tours, que c'est une ville très importante, rends-toi compte que c'est là qu'il y a un musée extraordinaire...
— Avec la chaire à prêcher que vous me disiez...
— Oui, celle qui avait pas gagné...puis si tu veux pas t'éterniser, tu fais Lyon, que Lyon, c'est Lyon: on dira ce qu'on voudra, que c'est rien que des orgueilleux et des rupins, ceusses de Lyon, mais le beau travail, mon pauvre...tu tombes à genoux tous les matins...
— Et après je redescends?
— Et pardi, si ça te tarde, sûr, couillon; que sinon, tu peux monter de Tours sur Orléans, ou Chartres, Paris, Lille, Reims, Strasbourg; c'est bien simple, quand tu as une cathédrale de grand savoir, de tout sûr c'était et c'est une ville de compagnons...
— Et quand j'ai fini?
— Tu es compagnon du tour, moun beù, et tout le monde te tire le chapeau; tes amis de cayenne t'auront donné un nom, peut-être Provençal-La-bonne-humeur ou Marius-le-Provençal et si tu reviens à Cagnes, et que tu veux retravailler, je te reçois comme un prince, parce que c'est ce que tu es devenu...
— C'est sûr que de bouger, d'être avec d'autres compagnons, d'apprendre tout le temps des nouvelles techniques, on doit se retrouver avec un bagage que...
— Tu le vois bien dans l'atelier, non? Gustave, tu l'as déjà vu peiner pour quelque chose?
— Jamais, moussu Ménestrou, comme vous d'ailleurs...
— Moi, je suis plus guère à l'atelier, parle-m'en pas, que ça me porte peine...
— C'est sûr que c'est la meilleure chose...et vous me disiez que de ville en ville on sait où on va?
— Pardi, qu'est-ce que tu crois? Ce qui fait notre force, c'est que tu es pris en charge, et entouré: tu es avec des gars de ton âge, qui ont le bon esprit...
— Oh! moi je suis pas tant sûr que je l'aie....
— Ah, ce qui est sûr, c'est que tu commences, content pas content, tous les soirs tu t'enquilles 2-3 heures de trait, et de dessin en élévation...
— Ça c'est moins drôle...
— Mais tu ne peux pas faire l'impasse, mon cher: la maîtrise de ton travail est au bout; rappelle-toi quand-même le pourquoi du compagnonnage...
— Les ouvriers voulaient pouvoir discuter face aux patrons...
— C'est ça, Marius: un compagnon, c'est un seigneur: il a une telle maîtrise de son art que dans son domaine c'est lui qui fait la loi, et qui impose son salaire. On ne peut pas se passer de lui, puisqu'il a le savoir...
— Oui mais ...imposer le salaire...
— On est pas des chochottes, sabes: quand on se jouait une ville, et on le fait encore, les perdants des autres confréries ont l'obligation de foutre le camp...
— Et s'ils le font pas?
— Il y a des blessés, si c'est pas trop grave, et sinon des morts...Et si les patrons refusent nos conditions, ils n'ont personne...
— Mais il n'y en a pas qui essaient de s'embaucher au rabais, chez ces patrons?
— Qu'est-ce que tu crois? Qu'on les laisse faire? Ceux qui s'y amusaient, c'est de ça que je te parle, qu'il y a des blessés, et parfois des morts...
— Ce qui est formidable, c'est que vous êtes un patron...qui parle comme ça...
— Tu crois que je serais à ma place si j'avais pas été ouvrier longtemps? Demande à Gustave...Pour ce qui est des salaires, tu le sais aussi bien que les autres: le boulot du patron, c'est de tomber des bons contrats, où tout le monde gagne bien sa vie; sans ouvriers du niveau de ceux que j'ai, je ne risquerais pas de prendre les ouvrages qu'on me propose...
— C'est sûr que d'entendre ce que vous dites, ça me donne envie de faire pareil...
— Mais c'est tout à fait du possible, Marius...
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Message  Invité Mar 17 Nov 2009 - 13:45

OK, alors, il ya va au tour de France, Marius ? Et l'autre dans les colonies ? On y va, faut sauter le pas !

Bon sinon, j'aime bien, mais je trouve par moments que les dialogues détonnent, notamment ici :
"Mais tu ne peux pas faire l'impasse, mon cher"

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Message  Sahkti Mar 17 Nov 2009 - 17:21

En lisant ces deux derniers morceaux, je ressens une impression de plus en plus étonnée face au personnage de Magali, jeune fille qui tentait au début de se cultiver, de se frotter aux idées nouvelles du féminisme, qui semblait avoir du plomb dans la cervelle et qui là, quand elle cause de Renoir et de sa manière de peindre, a l'air un peu simplette. Je ne dis pas que c'est incohérent mais tout de même, ce contraste me paraît trop visible et la demoiselle semble régresser, intellectuellement parlant.

La leçon de cuisine me plaît bigrement, je la trouve vivante, savoureuse comme j'aime.

Idem pour l'échange entre Ménestrou et Marius, assez consistant et plus proche de ce que j'aime dans ce récit, le côté faussement bourru de certains personnages.
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Message  Invité Mar 17 Nov 2009 - 21:02

Pareil que socque, j'ai le sentiment d'avoir fait assez de surplace, j'aimerais bien qu'on arrête d'en parler et qu'on décolle.

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Message  silene82 Mer 3 Mar 2010 - 10:35

Finalement, ce qui me faisait le plus souci, que c'était comment les petits allaient s'en tirer, on dirait que ça se met en place ; Pierre qui part faire le chef chez les marocains, que je veux bien que ça soit intéressant, mais comme s'il n'y avait pas du travail ici, enfin, je comprends bien qu'il ne peut pas louper sa chance. Marius qui se prépare pour son tour de France, que c'est sûr que quand il revient, il s'embauche où il veut et au prix qu'il veut, avec ce qu'il saura faire...la petite, là, je sais pas trop, pardi, elle fait un peu les fleurs, un peu de poser pour le peintre...ya pas à dire, que pour les filles, le mieux, c'est encore le mariage, que sinon, elles restent à tourner, tourne et vire, et à quarante ans elles sont pas encore casées. Et que plus personne en veut. Et pas de petits enfants, bien entendu. Moi, je me fais moins peine que non pas avant : les chaises, c'est pas quelque chose qui va nous rendre rentiers, mais ça amène de l'argent, et ça nous permet de tenir...

Mon pauvre homme, ça me fait vraiment du repos de le voir comme ça, un peu tranquillisé de pouvoir faire quelque chose; que je voyais mal la suite, quand il se demandait qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire...je crois que il se serait rendu compte qu'il pouvait plus rien faire, rien de rien, il se laissait mourir, té, sans donner l'alerte, juste comme une chandelle qui fume, qui fume, puis plus rien. Là, il s'est redonné une place, qu'on se rend pas compte, mais c'est quelque chose...sûr que moi, je le vois pas comme lui, il serait resté invalide, mais je m'en occupais, moi, qu'est-ce qu'il avait à se préoccuper? Et rappelle-toi que rien me manquerait, que les hommes ils se croient toujours qu'on a des envies terribles, que si on a pas la chose, on devient folles ou je sais pas quoi...moi, de ce que je vois, maintenant que les enfants sont grands, ce qui me ferait envie, c'est des petits, tiens. Les galipettes, que c'est quand on a la jeunesse, là, qu'on en profite: que maintenant, les fois que Tonin il tourne autour, que pense que je le connais depuis le temps, pardi, je le laisse faire, que je vais pas le priver en plus, qu'il est déjà pas trop gâté. Mais de moi, de moi toute seule, je me resterais l'année entière toute tranquille, et dans me faire de mauvais sang. Pour de dire qu'on marche pas pareil comme les hommes.
Voilà, ce que je vois, moi, c'est qu'ils vont tous partir, et de qui je vais bien pouvoir m'occuper? Que Tonin, oui, mais ça te fait pas la journée, hein...En plus qu'il aime pas trop que je l'aide, ni rien; ça fait que je fais comme d'habitude, pardi, les choses de la maison. Magali pareil, que de tout ce qui la concerne elle se le fait toute seule, et encore elle m'aide à la maison...Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir se dire avec Tonin en fait? Que ça nous est jamais arrivé jusque là une situation pareille...lui, avant, toujours dehors...même à vieux, moi, je me l'imaginais toujours au cercle, à jouer aux boules, à la pêche, à la chasse. Pense-tu ! Note que je le comprends : il va pas se donner le martyre juste pour le plaisir, que quand tu le vois marcher tu te comprends l'effort que ça doit lui demander, avec sa canne qu'il s'appuie dessus comme un centenaire. Mais là, toujours à la maison, hé, qu'on est pas habituées, nous autres, que l'homme, c'est bien quand on ne l'a pas dans les jambes, qu'on peut s'organiser comme on en a envie.
Bon, il reste Magali; mais attention, que Magali, elle a des idées de l'autre monde dès fois, que il faut se les entendre...D'un côté ses choses des femmes qui devraient faire tout pareil comme les hommes, et les mêmes droits, et l'Assemblée Nationale, et les mêmes métiers...oui, sur le fond, c'est sûr que ça serait plus juste, que c'est pas toutes qui ont envie de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Et déjà celles qui en ont pas, des enfants...Mais ça fait une tel changement par rapport à tout ce qu'on nous a toujours montré, vaï...je crois que j'aurais dit à ma pauvre mère le quart des choses de Magali, elle me tournait de l'oeil, pardi, là devant le nez.
Que pour dire que c'est pas simple...

— Bon, tu as donc pris ta décision, Pierre, je peux réserver les billets?
— Bien sûr Mr Lanzi; vous savez, à part ma mère qui s'imagine qu'on va me couper en rondelles, ou m'empoisonner, ou que je vais être mordu par des serpents qui se seront ingéniés à croiser ma route...tout le monde a l'air content...
— C'est toi qui importe, non?
— Ah mais moi, j'étais partant dès le début...
— Bon, nous sommes d'accord, nous allons organiser ça pour partir vers avril, qu'on puisse livrer les deux villas en cours...
— Ça devrait faire, monsieur Lanzi, si on ne prend pas de retard sur les plâtres...
— Il n'y a pas de raison...

Les Collettes. Un bon feu crépite dans le cheminée de la grande pièce pourvue d'une immense fenêtre panoramique, qui permet à la lumière de pénétrer profondément dans l'atelier.

— Ouh! Ça se supporte, ce feu, non, monsieur Renoir?
— Oui Gabrielle, je suis devenu si frileux...si je n'ai pas plusieurs chandails, je grelotte...
— Pensez qu'ici vous gagnez, je sais pas moi, peut-être huit ou dix degrés par rapport à Paris...
— C'est bien pour ça que Paris, je n'y vais que l'été...et encore, pas toujours...
— Vous avez les deux américaines qui reviennent, aujourd'hui?
— Oui ; il faut bien que je vende quelque chose de temps en temps : sinon, on vivrait de quoi ?
— Elles sont bien gentilles, en tous cas ; et en plus, même si elles ont l'accent, elles parlent français, et ça, ça compte...
— Elles ont leur propre musée, d'après ce que j'en ai compris ; quand je pense qu'ici, le legs Caillebotte n' a été pris qu'en partie...et encore en insistant...
— C'est souvent le problème, à ce que je remarque : votre ami, vous savez, à peu près du temps que je suis venue pour Jean...
— Vincent ? Vincent van Gogh ?
— Je sais plus, moi...je l'ai pas connu...en tout cas, il vient de se vendre un tableau...en Amérique...c'était dans le journal...
— Oh, mais il y avait eu une grande exposition quelques années après sa mort...de toutes façons, on savait tous ce qu'il faisait...Les marchands aussi...

L'été se prolongeait dans cette fin de septembre, au soleil encore chaud. Dès tôt le matin, une activité considérable se déployait dans le grand parc, et le bruit des cisailles et des sécateurs composait comme une ligne mélodique, avec le claquement un peu sec, aigu, du petit à bec pointu, propre à tailler fin et propre rosiers grimpants et bignone, et le crissement robuste et puissant du gros qui coupe sans effort une branche d'un pouce.
Jardiniers et aides s'activent et toilettent le parc, les mauvaises herbes sont traquées par d'innombrables yeux et des doigts avides; l'élagueur est passé, et les palmiers élancés ont été allégés, ainsi que les immenses pins parasols, postés en sentinelles ça et là dans le parc.
L'indispensable Menestrou a dépêché une équipe, qui construit une estrade considérable, dans l'espace que les nouvelles constructions ménageaient entre le corps ancien, l'aile neuve, et la salle à manger flanquée de sa galerie. Les trois bâtiments étant articulés comme en demi hexagone.
On embellit, on plante, les massifs regorgent de fleurs, les bancs, tables et chaises de fer du parc sont brossés avec énergie, poncés légèrement, et reçoivent une nouvelle couche de peinture.
Tout doit resplendir, Eugène Sabourin marie sa fille.
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