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Itinéraire désuet

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Itinéraire désuet - Page 3 Empty Phil, comme le vent dan sles branches d'olivier (Twist)

Message  conselia Mar 6 Oct 2009 - 8:54

Les commentaires sont aussi passionnants que le texte et appelleraient tant de remarques que j’y renonce. Mais je poste malgré tout pour dire bien haut mon admiration pour votre travail, d’une part, et mon empathie avec ce qui m’a semblé être votre propos dans chacun des textes que j’ai eu le plaisir de lire. Oui, vos personnages sont éminemment sympathiques et non, cela ne rend en rien votre prose mièvre, bien au contraire.
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Message  silene82 Mar 6 Oct 2009 - 10:05

― Moi, je trouve que la robe des dimanches, elle serait mieux, tu sais...
― Maman, c'est un peintre, ce qui l'intéresse c'est les couleurs: il a trouvé celle-là formidable...
― Elle est jolie, oui, mais quand même, elle fait pas habillé, pour aller chez des gens comme ça...
― Maman, j'y vais pour poser, pour lui servir de modèle: tu comprends bien qu'il sait mieux que nous ce qu'il a envie de peindre...
― Moi, les tableaux, j'en ai vu: déjà à la mairie, quand ton père m'a mariée, dans le bureau du maire, qu'il voulait nous présenter ses vœux, il y avait un tableau très grand, où on voyait plein de gens à une table; il nous avait dit que c'était un banquet qu'il y avait eu avant, le banquet des maires, quelque chose comme ça...je crois qu'il y avait tous les maires du pays: tu te rends compte? Et s'il y a le feu pendant chez temps chez eux? Qui c'est qui s'en occupe? En tous cas, ça c'était un vrai tableau, eh bé tous, ils avaient le beau costume, et même le chapeau: ça, c'est de la vraie peinture. Pareil chez le photographe: quand tu vas te faire tirer le portrait, que c'est pour le mariage, ou la communion, des fois, tu penses bien que tu y vas pas comme une boumian, tu te mets les beaux habits...
― Maman, tu verras que bientôt, les photographes, ils feront des portraits de gens comme ils sont en vrai; té, je te paries qu'un de ces quatre matins, il en vient un qui va vouloir nous prendre comme ça, là, en habits de jardin...
― Malheur! Tais-toi vite! Que je me cache de la honte...
― Tu sais, j'ai vu les peintures de monsieur Renoir qu'il a dans l'atelier, il fait les gens dans les habits de tous les jours: sa bonne, il l'a faite avec le chapeau de paille...
― Et surtout toute nue...
― Mais maman, tu vois bien que toutes les statues, tout partout, té, place Masséna, tu vas pas dire que c'est pas vrai, même les hommes ils sont tous nus, même dans les églises, le saint Sébastien, là, il est tout nu, et le Jésus, c'est tout juste...
― Tu as pas honte, le Jésus tout nu! Manquerait plus que...
― Tu te rappelles pas le catéchisme, que tu y es allée aussi, comme moi? Il disait qu'il lui ont enlevé les habits, même qu'il se les sont pariés. Sans les habits, pardi, il était tout nu...
― Le Jésus tout nu, non, ça c'est pas possible...
― Maman, tu sais bien qu'il l'ont traité comme un moins que rien; moi je suis sûr que dans les églises, ils lui mettent un petit truc de rien du tout parce que ça les gêne, mais qu'en vrai il faudrait rien lui mettre du tout...
― Malheur, ne raconte pas ça à tout le monde...

Ma petite, elle est extraordinaire, quand même; que elle a des idées qu'on sait pas de où elle va les chercher; des idées que c'est pas de son âge, même. Moi, à quinze ans, je me rêvais de qui allait me demander, que je savais que les gars ils me trouvaient jolie. J'avais ma petite idée de qui j'aurais voulu, mais que c'est des rêves, rien de plus...c'est que tu tournes tu vires, moi je née que mes parents c'est des petits maraîchers, pas plus, et que j'ai guère été aux écoles, le petit peu qu'il fallait, que les filles, toujours on entendait qu'elles en ont pas besoin de trop...Magali, elle dirait que sûr, comme ça elles deviennent pas trop malignes, et on continue à se les garder bien braves bien obéissantes.
Elles exagère Magali, que elle, bim bam, on fait la révolution; mais c'est vrai qu'il y a des choses que c'est pas juste: quand tu vois que toujours la femme c'est la première levée la dernière couchée...bon, c'est l'homme qui fait les travaux de force, ça on peut pas le discuter. Quoique je me demande ce qui se passerait s'il n'y avait plus les hommes; à mon avis, on se débrouillerait entre nous, un jour je te donne la main pour ça, le lendemain tu m'aides pour ci. Et en blaguant tout le temps, que ça c'est sûr, on aime discuter; mais ça empêche pas...

― Eh bonjour mademoiselle Magali, jolie comme une bergère, et tu as bien fait de mettre le chapeau, il te va bien, tiens, je vais déjà te dessiner comme ça, là, au pied de l'arbre, que je situe un peu le tableau...
― Monsieur, je me suis pensée...
― Quoi petite...
― Que du temps que vous vous arrêtez, là, moi, je porte la faucille, et je vous coupe toutes ces cochonneries, là, ça serait autrement plus joli...
― Ah ah ah, que tu es mignonne, Magali, mais tu sais que c'est ce qui me plaît le plus ici, toute cette vie sauvage, cette lumière si crue: vous avez le pays où la lumière est la plus belle...
― Même que ça nous fait la peau comme les Arabes...alors vous voulez pas que je vous le mette propre? Après, trois moutons, un âne, vous l'auriez toujours joli...
― Mais ce que je veux, petite, c'est la nature, comme elle est, sans la main de l'homme...
― Sans la main de l'homme, comme vous dites, la nature, elle part en sauvagerie: ça devient la jungle; regardez-moi cette pitié que ça doit être plein de serpentasses. Et de limberts. Que les limberts, rappelez-vous que ça mord; et jusqu'au sang, comme les écureuils, sauf que les écureuils c'est plus joli...
― Écoute, moi, j'aime comme c'est là, et tu sais, ceux qui achètent mes tableaux, aussi: je me mets à peindre des salades et des aubergines, à mon avis, il faudrait que je fasse cadeau des tableaux, et encore...
― Je crois pas moi, quand on sait peindre, on sait peindre: tout sort joli...
― Tu as raison sur le fond, petite: les hollandais, ils peignaient n'importe quoi, une pipe, un verre, un crâne...
― Un crâne? Drôle de tableau pour mettre chez soi...
― Un qui est mort, le pauvre, c'était un peu bizarre ce qu'il faisait, mais il faisait des trucs formidables, un moment il peignait sa chaise et son lit, et encore sa chaise et son lit...
― Il avait rien d'autre?
― Eh non, on l'avait enfermé à l'asile, le pauvre, c'est vrai qu'il était particulier, moi j'ai toujours pensé qu'il était plus malheureux qu'autre chose: quand on voulait l'inviter, avec la bande, Edouard, Edgar, Claude, Auguste, il avait toujours une bonne raison pour filer. Il était maigre à faire peur...
― La bande que vous dites, c'étaient des peintres?
― Les deux, peintres et sculpteurs; d'ailleurs, moi aussi je sculpte...mais tu sais, nous touchons souvent à plusieurs choses: Hugo, tu le connais...
― Oui, c'est beau, j'ai appris des poésies à l'école...
― Eh bien il dessinait très bien, il sculptait un peu, il faisait même des meubles..
― Et alors, ceux que vous dites...?
― Edgar Degas, les deux, Auguste Rodin, il peignait pas, mais tu verrais ses dessins...il nous met tous dans la poche. Les sculpteurs, c'est ça, ils dessinent comme des anges. Edouard Manet, il peignait et il écrivait un peu...Claude Monet, il s'amusait avec pas mal de choses...
― Quelle chance! Que c'est beau, cette vie...
― Tu sais, jeune, on s'amusait bien, ça c'est sûr; mais on n'avait pas grand chose, tu sais, la peinture, ça n'intéressait pas grand monde, surtout ce qu'on faisait...Rodin, le sculpteur dont je parlais, il a commencé à marcher à plus de 50 ans; le hollandais que je te disais, Vincent, je l'aimais bien, même s'il était fou, il n'a jamais réussi à vendre un seul tableau: on l'aidait comme on pouvait, un jour il mangeait chez l'un, un jour chez l'autre...
― Mais vous, il y a longtemps que vous êtes connu...
― Maintenant ça fait longtemps, oui, plus de trente ans; mais avant, tu sais, personne n'en voulait, de ce qu'on faisait; heureusement qu'on avait des copains riches qui nous aidaient...Alfred, Alfred Sisley, qu'est-ce qu'il a pu aider comme peintres, écrivains, musiciens...le pauvre, personne ne s'est rendu compte que c'était un des plus doué d'entre nous...plus tard, on le classera dans les plus grands...
― Je me fais honte...
― Mais de quoi, petite?
― De ne rien savoir de tout ça: je suis qu'une petite paysanne...
― Écoute, j'ai des livres, tu peux en prendre, je te dirai lesquels: déjà, tu vas voir de la peinture: c'est reproduit pas trop mal, tu verras...
― Vous êtes bien brave...
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Message  Invité Mar 6 Oct 2009 - 10:12

Là encore, j'ai beaucoup, beaucoup aimé le monologue de la mère et le dialogue mère-fille, mais je trouve qu'il y a quelque chose de hiératique dans le dialogue entre Renoir et Magali... le peintre est trop archétypal à mon goût dans son rôle de bon papa éveilleur d'esprit, grand homme simple, etc. Ça rend les choses quelque peu raides selon moi.

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Message  Invité Mar 6 Oct 2009 - 13:38

Comment dire ? silene ou l'art de faire tomber mes réserves initiales.
Belle écriture noble ici, épurée de détails encombrants, et du coup charnue juste ce qu'il faut.

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Message  Invité Mar 6 Oct 2009 - 13:48

Commentaire précédent pour passage précédent.


Sur celui-ci, je remarque le changement qui commence à s'opérer chez la mère, la façon dont insensiblement, sous l'influence de sa fille, elle commence à formuler certaines choses, à réfléchir à sa vie... C'est toute la subtilité de l'écriture que d'exprimer cette transformation...

Le dialogue entre le peintre et Magali ne me gêne pas, je pense qu'il est normal qu'il ait envie de la "former", de l'ouvrir à son monde. Pourvu que tu ne nous le rendes pas trop paternaliste, ok silene ?

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Message  silene82 Mar 6 Oct 2009 - 14:02

En réponse à mis sounia et à toi en même temps, pour une première rencontre ou presque, je ne vois pas pépé Auguste courir à quatre pattes comme le bon roi Henri IV. Je trouve logique que des rapports évoluent de quasi professionnels d'abord à plus de liberté par la suite. Renoir a 66 ans, il n'a plus rien à prouver, pourquoi ne serait-il pas un peu papi gâteau? Ça reste un artiste exigeant, de toutes façons...
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Message  Invité Mar 6 Oct 2009 - 16:29

Soit. Autres temps.

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Message  silene82 Mer 7 Oct 2009 - 9:45

Souper du soir. Tonin paraît plus petit, moins massif; l'inactivité a fait fondre ses muscles et sa charpente d'homme solide, accoutumé à travailler dur, et par tous les temps.

Il a l'air d'un petit vieux, mon Tonin. Si c'est pas une pitié de le voir comme ça, lui qui riait tellement fort qu'il faisait trembler les vitres. Ce regard qu'il a , perdu, ça me tourne le cœur. Le docteur a beau lui dire
« vous allez voir, dans un rien de temps, vous galopez comme un lapin et vous montez aux arbres »
je crois qu'il se le sent bien, lui, que ça va pas revenir, de tout sûr. Pour un homme, ça doit être dur, de plus être bon à grand chose. Moi, ça me dérangerait pas de m'en occuper, c'est lui qui veut pas. Il va d'un endroit à l'autre, au jardin, dans la maison, il ne dit rien. Les hommes ils ne savent pas accepter les choses contre lesquelles ils ne peuvent rien. Ils supportent pas qu'on les aide, ils veulent pas être à charge.

Mais qu'est-ce qu'on va devenir, noun de Diou de noun de Diou? De tout sûr, faire le maçon, c'est terminé pour moi, madountessian, que j'ai comme du jus de poireau dans les veines maintenant. Je vais sur le banc dehors sous l'arbre, je suis fatigué: on dirait que j'ai cent ans. Comme je le vois, je vais pas me supporter longtemps comme ça; et pourquoi pas manger à la cuillère, comme les bébés? Et sur le pot, aussi? Plutôt je me fous du haut du pont de chemin de fer quand l'express il passe, qu'au moins ils m'aient plus à charge. Que ça me fait je sais pas quoi...
C'est vrai, j'ai toujours travaillé, de petit j'aidais mon père, ensuite apprenti à douze ans, qu'à l'époque ils regardaient pas, vaï, et allez, roule!
Elle est belle ma femme, et brave comme c'est pas croyable: pour elle c'est tout normal, té, je suis comme un de ses enfants de plus; mais que moi, enfant, -et quoi encore, enfant?- ça me convient pas, moi. Moi j'ai besoin que je fasse vivre ma famille, que je leur ramène de l'argent, sinon, je sers à quoi? Que manger, manger, courageuse comme elle est, ma belle, elle trouvera toujours pour manger: et le jardin, et les poules, et les canards, et les lapins, et les ruches, qu'on a mis des ruches, presque tout, c'est bien simple, ça vient d'ici, on achète le pétrole, les bougies, quelques petites choses comme ça. A la chasse, je ramène des faisans, et des lapins, et tout ce que tu veux, et on fait de ces pâtés, mon pauvre...avec le petit verre de marc dans le fond, que ça te file un goût....

Les pauvres, ça me fait drôle quand même de les voir comme ça, la pauvre de ma mère qui fait la joyeuse, et celle qui prend pas au sérieux, que je sais qu'en vrai elle a peur pour lui, pas qu'il puisse pas retravailler, que je crois qu'elle s'en fiche, et qu'elle s'en doute, qu'il va pas retravailler, parce qu'elle veut pas lui porter peine, alors elle prend l'air de rien, et elle raconte des histoires du marché, que la moitié je parie qu'elle les invente, que je sais pas quand elle peut y aller au marché. Et elle essaie de le faire rire, et lou pauré d'aquel, il fait semblant que ça l'amuse, ils sont à se faire la comédie, là, lui que s'il faut il a mal terrible un peu partout, et il lui donne la réplique, de tout sûr il veut pas qu'elle s'inquiète et elle, elle veut pas lui faire la honte, qu'il arrive pas à s'en débrouiller seul...elle est maligne, elle essaie de faire, qu'il se rende pas compte...

― Quand est-ce qu'il rentre Raoul? Que je me rappelle jamais...
― Samedi après-midi, comme d'habitude...
― C'est drôlement pratique pour lui le tramway comme il l'ont mis: d'où il le laisse, il est à peine à quart d'heure...
― S'il aurait voulu, il pouvait très bien le prendre le matin...en quoi il avait besoin de l'internat...
― Tonin, tu sais bien que déjà la bourse elle comprend l'internat, et que tu le connais, lui il se penserait que c'est du gâchis de pas se l'utiliser, que qu'est-ce que ça veut dire, comme les petits messieurs qui ont des garçonnières que comme ça ils ont pas besoin de l'internat...En plus, il te l'a déjà expliqué que pour travailler le soir, c'est beaucoup mieux, parce qu'ils ont une salle toute équipée, avec les tables pour dessiner, ils sont tous entre jeunes qui font la même chose, ils s'aident quand il y en a un qui a pas compris...c'est le mieux pour lui...
― Et toi Marius, qu'est-ce que ça donne à l'école?
― Ça donne que ça me plaît guère...
― Et allez! Un autre qui aime pas l'école! Mais regarde les choses, petit, faire un métier, c'est bien, c'est formidable, tant que tu as la santé: regarde moi maintenant, je sers à quoi, je fais quoi...
― Tonin, ne dis pas de bêtises...
― J'aurais été dans un bureau, pardi, je risquais pas de tomber...
― Moi, je n'aurais pas aimé un type qui passe sa vie dans les bureaux: tu vois leur mine, adieu...
― Oui, mais il t'arrive quelque chose, tu es plus heureux si tu es dans les bureaux que sur le chantier, que tu es plus bon à rien: c'est comme ça qu'il faut le voir...
― Moi de toutes façons, je veux travailler, et je veux travailler comme Menestrou
― Ah bon? Tu aimes pas la maçonnerie?
― Pas trop, tu sais papa, quand je t'aide les fois que que tu fais des choses, eh bé il me tarde que ça finisse; que chez Menestrou, que j'y passe souvent quand je rentre de l'école, je m'ennuie jamais...
― Oui, mais tu ne travailles pas non plus, c'est pas la même chose..
― Tu sais, il me laisse utiliser ses outils, il m'a appris à m'en servir: il dit que j'ai le sens du bois...
― Le sens du bois? On aura tout entendu...le fils d'un maçon, le sens du bois...il veut t'empêcher de faire maçon, voilà …
― Mais pas du tout, au contraire, il arrête pas de me dire
« va avec ton père, que c'est un bon maçon, tu seras toujours à temps de faire le menuisier... »
mais moi, je veux pas faire maçon...
― Et tu veux faire menuisier, alors?
― Oh oui (les yeux brillent)
― Ah c'est sûr que ça reste bâtiment, les menuisiers, en plus, ils sont à l'atelier, ya juste qu'à la pose...Et il y a du travail tout le temps, pardi...
― Et ça que ça me plaît, c'est qu'on fait jamais la même chose, que maçon, maçon, c'est toujours pareil: on monte des murs, on fait des enduits, on monte des cloisons...même que ce qui m'aurait plu aussi, mais que je vois bien que c'est très dur, surtout de la fatigue, c'est plâtrier, que les plâtriers ils font de belles choses, les moulures des plafonds, tout ça, là...
― Ça c'est les stuqueurs, c'est une autre sorte de plâtrier: les plâtriers, ils couvrent les murs avec le plâtre que je peux te dire que tu finis mort...je le faisais le plâtre, jeune, je peux te dire que j'en ai fait quelques uns de plafonds, eh bé j'ai été bien content de plus faire que de la maçonnerie...Stuqueur c'est autre chose, c'est comme artiste, si tu regardes bien...
― Non mais moi, de tout sûr, c'est le bois que ça me plaît: j'aime tout, l'odeur, quand je rentre dans son atelier, ça sent tellement bon, j'y passerais mes journées; et c'est tellement beau, quand tu rabotes, tu vois le copeau qui s'enroule, la planche qui brille tellement le rabot coupe bien...c'est magnifique...
― Et comment tu vois les choses?
― Menestrou il serait d'accord de me prendre apprenti: il dit qu'avec moi il est sûr de son coup, qu'il va pas passer son temps à rattraper des cagades: déjà j'ai fait des petites choses, un petit escabeau, une table...
― Ils sont où?
― Dans l'atelier, je suis en train de les finir...
― Tu vas en faire quoi après?
― Les amener ici: l'escabeau, maman en a besoin, la table, je dis table, mais c'est un petit bureau, ça nous manque de toujours...
― Eh bé, engagé comme c'est, je crois que je vais devoir t'oublier comme maçon...l'important, c'est que tu aimes ce que tu fais et que tu sois heureux de le faire: on travaille de longues années, c'est important, ça.
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Message  Invité Mer 7 Oct 2009 - 9:56

Bravo. Comme ça sonne vrai, tout ça !

J'adore "Et elle essaie de le faire rire, et lou pauré d'aquel, il fait semblant que ça l'amuse" ; de bonnes gens, oui, et la vie est une chienne.

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Message  silene82 Ven 9 Oct 2009 - 9:47

― Ah, voilà la petite nymphe...je pensais que tu reviendrais plus, que le vilain barbu te faisait peur...
― Il n'y a pas de danger...Il fallait que j'aide ma mère, on a fait la grosse lessive, il fallait tout étendre...
― Tu sais qu'il faudra que tu gardes la même robe chaque fois que tu viens, tu penses bien que j'ai pas assez de tête pour la refaire de mémoire...
― Je me la porterai et je m'en changerai, alors...
― Bien sûr...mais si tu veux, demande à ma femme, je suis sûr qu'elle a des armoires pleines, il y a surement quelque chose qui t'irait, comme ça tu pars avec et tu laisses celle-là ici: tu te changeras en arrivant...
― Vous savez, monsieur Renoir, les femmes, elles aiment pas trop prêter leurs affaires...
― Mais là, c'est des vêtements d'une nièce qui est morte; telle que je la connais, elle sera contente de les voir portés...
― Eh bé, si vous le dites...

Et les séances allèrent leur cours, d'après-midi en après-midi. Souvent Gabrielle apparaissait, un panier en osier au coude dans lequel, à l'abri d'un torchon, était une fouace, ou une tarte; une bouteille de grès emplie de citronnade, des verres bullés...quand les amis montaient, ce qui était fréquent, sachant qu'ils ne dérangeaient aucunement le maître, la peinture, à la différence de l'écriture ou de la composition, autorisant parfaitement la conversation, Gabrielle rajoutait, au goût des visiteurs, bière qu'elle avait mise à rafraîchir dans la pile à l'évier, selon ses propres termes, vin blanc des coteaux de Nice ou vin aigrelet des vignes des Collettes, acide, piquant, à revigorer un mort.
C'était un peu l'esprit des parties de campagne du temps de Watteau, où artistes, peintres, musiciens, littérateurs, poètes, organisaient des sorties champêtres, barques sur le lac, déjeuner impromptu issu des couffins garnis de toile bise, vins pétillants, conversations enjouées et plaisir enfin.
Magali embellissait à vue d'œil dans ce parterre, comme si d'être prise comme sujet et être questionnée par des personnes célèbres et brillantes aidait à l'éclosion de capacités qu'elle portait en elle.

― Tu es malin, Auguste, quand même: tu t'es trouvé un bien joli modèle; allez, avoue, tu te lassais de Gabrielle...
― Gabrielle, je ne m'en lasse jamais: elle est belle comme une amphore, si c'est elle que je sculpte, c'est pas par hasard: il y a de la vraie chair chez elle. C'est une fille de chez nous, de toutes façons....
― C'est vrai, ça fait combien de temps qu'elle vous suit?
― Depuis la naissance de Jean; elle avait 16 ans....
― Ah oui, ça fait un bon petit peu...
― Tu sais, de toutes façons, avant, je ne vois pas comment on aurait fait: avec le mal qu'on a eu pour simplement pouvoir exposer...je parle pas de vendre...bon, il faut être juste, on était une sacrée bande, on partageait...l'un vendait une aquarelle, hop, on fêtait ça à l'atelier...
― Qui achetait?
― Pas grand monde...heureusement pour nous qu'il y avait quelques amateurs...
― Comment vous faisiez pour les couleurs, les toiles?
― C'était toujours le grand problème; le père Tanguy, tu sais, Vincent l'a peint plusieurs fois, il nous avançait, quand il aimait ce qu'on faisait; dès fois, pour le décider, on lui mettait une toile dans son magasin, dès fois qu'un amateur la voit et l'achète...
― Tu as mis combien de temps à décoller vraiment?
― Regarde, c'est pas compliqué: si tu comptes que j'ai vraiment commencé à 13 ans, avec les fleurettes sur porcelaine, qu'après le fameux salon où on nous a baptisés impressionnistes, celui de 74, j'ai rencontré Durand-Ruel et tous ceux qu'il connaissait, ses clients à qui il conseillait d'acheter nos tableaux
« ouvrez les yeux, il leur disait, vous voyez pas ces merveilles » j'aurai mis plus de 30 ans. Et pour que ça marche vraiment, dix de plus
― Ça paraît incroyable: tout le monde était aveugle...
― Bah! Les gens aimaient les grandes machines, les défilés, les scènes héroïques, les trucs des colonies aussi...mais attention, ils savaient peindre, les bonhommes; simplement, on faisait d'autres choses...
― Bon, tu sais que je baptise mon petit-fils, je te veux au banquet...
― Je suis pas fort sur les églises...
― Écoute, tu vas pas en mourir; tu regarderas les jeux de lumière dans la nef, et les enfants de Marie, ça te fera passer le temps; après, le banquet chez Sabourin...
― C'est mal fichu quand même: jeunes, on aurait mangé la mer et les poissons, maintenant que je peux me l'offrir, je n'ai plus de dents et guère d'appétit...
― Bon je compte sur toi, Auguste...
― Je viendrai, je viendrai; mais la messe, je m'en serais passé...

Hôtel Sabourin, dans le bas , au pied de la colline qui constitue la première implantation du village, d'abord fort sommaire, avant les romains, d'où les habitants pouvaient surveiller les menaces venues de la mer, et filer se mettre à couvert si des périls débarquaient.
Bâtisse carrée, solide, sans prétention, un air d'auberge accueillante, trois étages, des massifs plantés de fleurs locales. Une grande allée de platanes qui balise la route devant, comme presque toutes les petites villes du midi en ce temps. Le tramway passe au milieu de la route, peu de véhicules automobiles, voitures à chevaux ou attelées de mules, trottinantes.
Le propriétaire de ce qui n'est encore qu'une grosse auberge de bord de route, avec les écuries, les abreuvoirs, les logements pour les cochers est un professionnel aguerri de la cuisine: il a travaillé aux côtés d'Escoffier, l'illustre rénovateur et styliste de la cuisine française, qu'il a épurée et à qui elle doit une bonne partie de son rayonnement. La chère a la réputation d'y être succulente.
Les invités ont laissé leurs véhicules un peu partout du vaste terre-plein, à l'ombre des pins et des platanes; quelques mûriers, sur une façon de place, provençalisent encore un peu le décor.

― Adeu Eugène! Couman vas?
― Coum'oun vieil! Si es pas oun desolacioun, que mies noun pou estré emé sa mouie se couché (Comme un vieux! Si c'est pas une pitié, celui qui n'a pas mieux couche avec sa femme), moi je fais avec ma vieille carcasse...
― Enfin! Toujours gaillard...
― Le rythme n'est plus le même, pauvre...quand je pense ce qu'on faisait au Savoy...
― Oh, Eugène, qué mé countas? Tu as plus de soixante, tu veux danser comme les jeunesses?
― Sabès qu'es pas droulé...vieillir, moun pauré...vieillir...
― Guarda-mé aquel ome: moussu Eugène Sabourin, cousinié de rei, qui bientôt me sort le mouchoir parce qu'il n'a plus 30 ans...As mountat oun afaire poulido.(tu as créé quelque chose de bien) Ta fille, elle part bien, la pitchoune...
― Elle partirait encore mieux si elle avait sa mère...
― Tu peux te remarier, non?
― Avec une jeunesse? Pour qu'elle m'achète des cornes? Je lui apprends le métier, à la petite. Mais rappelle-toi que tout marche au garde-à-vous avec elle, et elle a pas treize ans...
― Boun sang menti pas... Té, parla-mé de boun, qu'as preparado? Una lebre?(parlons de bonnes choses, tu as fait quoi?Un lièvre?)
― Qu'es pas la sesoun, sabes ben...Hors d'oeuvres, espargos d'aqueu, que me las pourta lou boumian, sabes, Tifouni, emai cachofles...(C'est pas la saison, tu sais bien...Hors d'oeuvres, asperges d'ici, que m'amène le gitan, Tifouni, puis des artichauts...)
― Voui! En barigoule, teisa-ti, que me mato per aco, sies pas fada? (Houla! En barigoule, tais-toi, que je meurs pour ça, tu es pas fou?
― Ah ah, j'ai eu du nez, je vois qu'on parle de choses intéressantes ici, notre bon maître céans, le cuisinier des rois, l'égal d'Auguste Escoffier...
― Ah, écoute, Ferdinand, je vais te dire le vrai: de tout sûr, je lui suis supérieur....
― Egal de tout sûr...
― Je m'incline devant son génie de cuisinier: je suis plus vieux que lui,et il en sait plus que moi; mais malgré tout, je lui dame le pion...
― Alors?
― Il n'est que de Villeneuve quand je suis pur Cagnenc: nous autres Cagnois, nous sommes des seigneurs...
― Écoutez, j'ai un peu de mal avec vos querelles de clocher, Villeneuve, c'est à deux kilomètres, non?
― Justement: ils n'ont pas réussi à être cagnois...
― Tu expliquais à notre ami ton menu, non? J'ai cru entendre quelques bribes...
― On avait fini les hors d'œuvres, après, du loup braisé au fenouil: Moussette m'en a porté 4 magnifiques, qu'il a le diable, celui-là, pour savoir où les trouver...
― Ma foi, ça se laissera manger, ensuite?
― Pintade aux petits champignons, dans une sauce légère, avec un fond de madère, que justement on avait créée avec Auguste pour le duc de Bedford; je suis pas sûr que ça l'ait beaucoup aidé avec la goutte, mais il était content...remarque, avec ce qu'il descendait à côté....
― Pour l'instant, il n'y a rien de trop consistant, Eugène: tu comptes qu'on se rattrape sur le pain?
― Reste tranquille qu'avec la suite, si tu avais la fringale, elle va se calmer: une pièce de bœuf rôtie, sauce au poivre, je l'ai faite avec un vieux Côte-Rotie de 1879, vous allez me dire quoi...
― Puis le reste, bien sûr...Mais comment tu fais pour être là à blaguer avec nous, avec ce qu'il y a à envoyer?
― Qué crés? Je me suis formé ma brigade, comme à Londres: j'ai deux commis, des vrais, rappelle toi que chez moi on apprend à travailler, et vite, et propre; plus mes deux chefs et mon pâtissier: moi, maintenant, pauvre, je fais le marquis, je passe contrôler, je goûte, je rectifie, je gueule un peu, pour la forme...mais ils tournent comme des horloges: rends-toi compte que tous les dimanches, on a ou un mariage, ou un banquet, regarde, es pas coumpliquat, la semaine dernière, le banquet des chasseurs, 230...
― Et les vins? Ils suivent?
― Tu me provoques? J'ai toujours dit que j'ai fait cuisinier, mais que j'aurais dû être sommelier: sur les hors d'œuvre, un Clos de Bellet à tomber à genoux. Je crois qu'il n'y a pas un rosé qui lui arrive à la cheville: des arômes de framboise, mon pauvre...après un grand Riesling, des frères Hoeller, le même que je faisais venir au Savoy...
― Quelle année?
― Elle n'est pas très importante, il est jeune, frais en bouche, racé, mais pas trop fruité: c'est sur le poisson, il faut l'exalter, pas l'assommer....1902, bonne, mais pas exceptionnelle: trop d'arômes iraient à l'encontre du but...c'est l'harmonie qui importe...
― Sur la pintade?
― Un joli Châteuneuf-du-Pape de chez mes amis Soubeyran: j'avais été me le chercher, une année superbe...1901...capiteux sans être trop aromatique...vous allez voir....
― Patron...pardonnez-moi, messieurs...on a besoin de vous: ils demandent si on peut envoyer les hors d'œuvre...
― J'arrive, Manu...Je vous laisse, vous voyez, il y a encore un peu besoin de moi...oh, guère, je pense qu'il pouvait s'en débrouiller seul; allez, j'y vais...allez vous asseoir...
― C'est quand même malheureux que tu puisses pas tirer la chaise pour t'asseoir avec nous...
― Et où tu as vu ça, toi? Le capitaine qui va blaguer avec les passagers et personne pour surveiller? Vaï, je viendrai au fromage, vous me direz pour les vins...
― Courage, Eugène!
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Message  Invité Ven 9 Oct 2009 - 10:08

J'aime bien qu'on change de décor, qu'on passe à un restaurateur haut en couleurs, ça a de la gueule. J'aurai une réserve sur Renoir racontant sa vie à ses visiteurs et amis : ils ne la connaissent pas ?

Quelques remarques :
« il y a sûrement quelque chose qui t'irait »
« des fois, pour le décider, on lui mettait une toile dans son magasin, des fois qu'un amateur la voie »
« avant les Romains »
« Les invités ont laissé leurs véhicules un peu partout du (un peu bizarre, ce « du » ; « sur le » ?) vaste terre-plein »
« Hors d'œuvres »
« rappelle-toi que chez moi »

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Message  silene82 Dim 11 Oct 2009 - 17:58

En cuisine, contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer dans la représentation traditionnelle du coup d'envoi d'un banquet, rien d'autre qu'une agitation réglée, normale, sans débordements, chose d'autant plus surprenante que tous tant qu'ils étaient s'énorgueillissaient de sang provençal, facilement porté à ébullition par la moindre controverse, discussion ou mécontentement. Sans doute les années qu'Eugène Sabourin avaient passées au Savoy, avec son ami et confrère Escoffier, illustre créateur de pléthores de recettes prestigieuses, lui avaient-elles conférées un flegme tout britannique, qu'il avait su inoculer, on ne sait trop comment, aux membres de sa brigade. Tant il est vrai qu'à la guerre comme aux fourneaux, c'est le calme du chef qui rassure les hommes: et le bien nommé coup de feu, qui dans certains établissements génère une débandade quasi italienne, riche en gesticulations, harangues diverses, hurlements de goret, menaces de strangulations, mutilations et contentions diverses sur le maladroit et sa famille élargie, et toutes les pantalonnades annexes, coups de pieds au cul, plats lancés avec morgue sur le mur carrelé de blanc, saucières retournées dans l 'évier, invocations aux dieux du panthéon culinaire, simulacres de seppuku en hommage à Vatel, n'est en rien une obligation incontournable: Eugène, digne descendant des celto-ligures gagnés à la romanité, avait fait sien l'adage, festina lente (hâte toi lentement).
Paternaliste par goût autant que par nature, il parlait de ses employés comme de siens enfants, connaissait les détails de leur vie, les payait largement et ne marchandait pas sa satisfaction, après l'éprouvante bataille d'un banquet achevé.

― Oh pitchoun, qu'es poulido coumo l'as presentat...sies oun artisto! (petit, comme tu l'as bien dressé, quel artiste!)
― C'est comme vous m'avez montré...
― Mais tu as la main, et ça me fait bien plaisir...Ton idée de festons en peau de tomates est bonne, ça donne un air joyeux: on dirait des boutons de roses...Bon, vous êtes prêts pour le poisson, quand il faudra envoyer? Les grills, comment sont-ils?
― Juste un peu en dessous de la température, voyez, chef...
― C'est bon; ah tu, as pensé à faire un peu de sauce pour les dames qui le trouveraient trop sec, qu'est-ce que tu m'as bricolé là, Baptiste?
― Goûtez, chef....
― Une hollandaise légèrement acidulée....oseille?
― C'est ça...et bien citronnée...ça l'allège...
― Il ne faut pas le crier encore trop fort, avec tous ces amateurs de sauces riches, mais il faut se calmer sur les matières grasses: bien sûr, c'est goûteux. Mais on ne me retirera pas de l'esprit qu'on y laisse la santé, et peut-être la vie...
― Ah, c'est sûr qu'avec vos anglais comme des stoquefiches, avec leur sauces à la menthe et je sais pas quoi, pardi, maintenant vous vous méfiez de tout ce qui donne du goût...
― Qu'est-ce que tu me racontes là? Il faut un peu de beurre et d'huile, ça fixe les saveurs; mais je ne pense pas que la cuisine comme on la fait depuis plus de 50 ans, dégoulinante de tout ce que tu peux imaginer, ça soit si bon que ça pour la carcasse; les gens ne font plus assez d'exercice, pauvre: plus personne ne monte à cheval, ils ont la voiture. Et tu verras que bientôt, tous ceux qui peuvent auront une automobile: du lit à la table et de la table à l'auto. Ils finiront qu'ils auraient pas de jambes que ça serait pareil. Alors une autre nourriture, ça serait plus logique, que sinon, c'est bien simple, il leur faut à tous des petites roues pour arriver à se déplacer...
― Mais il y en a bien comme vous, chef, que van à pesca, à cassa...
― Mes amis, oui, pardi...mais regarde par le fenestroun, tu vas me dire si cette belle bande, là, ils marchent beaucoup, dans la journée?
― Je me pense que peut-être qu'ils font des exercices en chambre, que c'est de la gymnastique....
― Boun, allez, vous pouvez commencer à marquer vos bestioles, André, commence; rappelez vous qu'on découpe ici, que les assiettes partent garnies et impeccables...
― Vous les aimez vos petites serveuses, hein, chef...
― Qu'est-ce que tu racontes que je les aime? Et pourquoi, d'abord?
― Que où travaille mon beau-frère, même pour banquet, ils les font découper sur place...que c'est pas pareil...
― Tu sais ce qui se passe avec ces couillonnades? Qu'avec le temps qu'ils mettent, les derniers ont leur poissons tiédasse...que ici, les assiettes dans l'étuve, blim-blam, les petits dressent, là, Claude et Serge, coup de torchon sur le bord de l'assiette, hop, envoyez, les filles galopent, ça arrive brûlant, comme il faut...
― Je sais bien, chef, c'était pour rire...

J'ai repris le bouquin de la dame, que je pense que j'avais pas tout trop bien compris, surtout les choses qu'elle dit du mariage et des enfants; mais que ça, c'est pas tellement dans sa déclaration qu'elle en a parlé, mais plus dans ses pièces de théâtre. Elle m'a expliqué la dame de la bibliothèque qu'elle avait des idées drôlement en avance sur la situation des femmes, que même elle me disait que de tout sûr si ça se faisait en moins de cent ans que ça serait un miracle. Que le mariage ça doit se faire si on veut, quand on veut, avec qui on veut, qu'on doit pouvoir se divorcer si ça ne va plus, ou même qu'on n'aime plus son mari. Même elle dit que si la femme ça ne lui convient plus elle devrait pouvoir redevenir libre, juste par une simple déclaration. Que les enfants, pecaïre, c'est la femme qui doit décider si elle en veut, et quand, et même que si elle en a envie elle devrait pouvoir s'en faire toute seule.
Que si je dis des choses comme ça à ma pauvre mère, je crois qu'elle tourne de l'œil.
Mais moi, je me le vois bien, quand même, de pouvoir dire à quelqu'un
« écoute, j'aimerais plus avoir un endroit à moi que non pas être obligée qu'on se voit tous les jours par force, que je sais comment vont les choses; on n'est pas entrain tous les jours, si on se trouve face à face avec même pas l'envie de rien se dire, des fois ça m'arrive même avec ma mère que pourtant j'aime de lui parler, eh bé il vaudrait mieux d'être comme des fiancés, juste comme je me le suis toujours pensé. Mon compagnon, que ça c'est un mot qui me plairait plus que mari, c'est sûr; moi je te fais le pari bien tranquille que quand il ne te voit pas tous les jours, pour lui ça devient une fête: il se fait beau, il a envie de te regarder, de te parler, rien que d'être avec toi ils est heureux. Et note bien que toi pareil... » Voilà ce que j'aimerais pouvoir dire...
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Message  Invité Dim 11 Oct 2009 - 18:13

Toujours bien, j'ai apprécié cette incursion dans les cuisines, sauf que le restaurateur d'avant la guerre de quatorze devin, qui prévoit la voiture universelle, l'obésité rampante et le goût de la cuisine moins riche, alors là, je n'y crois pas, tout simplement. Je pourrais peut-être y croire si j'en savais un peu plus sur le monsieur, s'il y avait quelque chose en arrière-plan, mais là, jeté tel quel, ça coince pour moi.
J'aime bien l'éveil de Magali.

Remarques :
« tous tant qu'ils étaient s'enorgueillissaient »
« les années qu'Eugène Sabourin avait (et non « avaient ») passées au Savoy »
« rappelez-vous qu'on découpe ici »
« rien que d'être avec toi il (et non « ils ») est heureux »

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Message  Invité Dim 11 Oct 2009 - 18:46

Ok, lu les trois derniers passages ; ça s'étoffe.

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Message  Rebecca Dim 11 Oct 2009 - 20:27

Je n'ai pas le temps de commenter...Je suis toujours à la traine....Mais j'avance , j'avance dans ma lecture...
Et si je ne dis rien , je n'en pense pas moins....
Et si j'en pensais moins , je ne serai plus là depuis longtemps....
En résumé, bravi, bravo.
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Message  silene82 Dim 11 Oct 2009 - 20:36

Reb, (pardonne la liberté que je prends, tant d'user de ce diminutif, que de me permettre une petite suggestion), serait-il pas judicieux, au vu de l'autoportrait que tu nous dévoiles, d'enlever les lunettes, surtout la nuit? A mon avis, tu y gagnerais, tant en confort qu'en rapidité...
En tout cas, merci du com et de me lire.
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Message  silene82 Lun 12 Oct 2009 - 11:47

― Eugène, fas oun trioumpho: regarde-moi ces mines réjouies, pecaïre, tu nous as gâtés: tout était délicieux, comme toujours...
― Parlez moi un peu de mes choix de vins sur les plats: qu'est-ce que ça disait?
― Ça disait des choses formidables, reviens-y, regoûte-moi, ne m'abandonne point ainsi, courage, vide le flacon...
― C'est des paroles de soiffards ça, pas de dégustateurs...
― Écoute, moi, j'ai trouvé formidable la sauce du poisson, avec ce Riesling sur l'ensemble...
― Tu me fais plaisir: celui qui l'a faite, mon second, il commence à appliquer les principes vers lesquels je veux aller. Figure-toi que depuis que j'ai fait l'Angleterre, je me suis demandé pourquoi dans les pays du nord les gens vivent longtemps et dans une bonne forme, plus que nous autres: c'est bien simple, regarde nous les sudistes, italiens, français méridionaux, espagnols, à peine mariés il nous pousse la bedaine, à croire qu'on veut concurrencer nos femmes...
― Qué racontas, Eugène? On a l'air de femmes enceintes? Tu vas fort: c'est la prestance de l'homme, ça...
― Aqueu de prestance! Elle est belle la prestance...la brouette devant pour y poser la panse, oui...En tous cas, les nordistes, ils restent minces, mais c'est pas par miracle: ils font de l'exercice, constamment, rends toi compte que les norvégiens, ils se baignent dans les fjords en plein hiver, et ils mangent autrement. Presque pas de sauces, beaucoup de poisson, moins de viande, plutôt grillée...et tu vois des gens qui à septante font leur course, là, vous savez, avé les skis, qui fait 80 kilomètres. Que nos barriques ambulantes, là, au premier kilomètre, ils meurent d'apoplexie...
― Oui, mais c'est important le goût, quand même...
― Bien sûr que c'est important; mais il n'y a pas besoin de mettre les quantités de gras qu'on a toujours mis dans la cuisine en France...
― Le gras, ça dérange pas, vaï...
― Mais l'exercice, c'est si important, tu penses, Eugène?
― Mais quand vous aurez tous l'automobile, couillon, vous marcherez quand? Pour descendre le perron? Et encore? L'exercice, c'était ce qui permettait à nos parents de manger comme ils mangeaient sans devenir difformes: comme on y va, pardi, bientôt la race évolue, et on n'a plus besoin de pieds, comme les lézards...
― Il faut toujours que tu exagères...
― J'exagère? Vous verrez si ça ne deviendra pas un problème, de plus en plus, le trop et trop bien manger par rapport à la dépense physique...mais il faudra peut-être longtemps...
― Ouh, alors, ça me va: je serai mort...

Pardi, bien sûr que je continue aux fleurs, et quoi encore? J'ai parlé au contremaître, que celui-là rien que de lui voir les yeux qui parpelègent, tu te comprends ce qui l'agite: ils essaie de voir tes nénés et tes fesses en même temps. Ce qu'il risque surtout, c'est de se donner un coup de sang, pas plus. Moi il ne m'impressionne pas, avec sa face de caramantran, là, que je comprends pas les autres filles, malheur, le lorgnon, là, qu'on dirait un japonais, le col cassé, la cravate que même pas il fait le nœud...mais c'est surtout qu'on dirait que c'est ses sous à lui, à le voir comme un petit fox-terrier, là, toujours à fureter, et Martine tu as pas trop bien coupé les queues, que si le client se plaint, je te fais sauter une heure, et cette bannette elle m'a pas l'air pleine...Madountessian, il se croit que les belles dames qui se les reçoivent, les œillets et les roses, elles se les comptent une à une? Et même, que si elles les comptent, elles vont aller se plaindre? A qui, d'abord? Au type qui les leur a envoyé? Marchand de discussions pour rien, vaï...
Alors sûr que j'y continue, ah sûr que les bruits ils vont vite ici, et tu t'es déjà mise toute nue, et comment il te regarde, le peintre, et tu as pas peur qu'il tâte un peu la marchandise, pour voir si les couleurs sont vraies...
La jalousie, pardi, rien d'autre: il aurait mis une annonce dans le journal, ou même chez la boulangère, monsieur Renoir, pour trouver des filles qui posent, la moitié elles auraient déjà enlevé la culotte au début de la montée, que rappelle-toi que ça monte, pour pouvoir être nues plus vite.
En plus il m'a même pas encore rien demandé de me déshabiller ni rien.
Sûr que suivant combien il me donne, on verra bien ce qui se passe; que le petit avorton, là, quand je lui ai dit que je pourrais venir que les matins, que monsieur Renoir il me faisait en tableau, ça lui a fait drôle. Du coup, il a rien osé dire, que avec le maire qui arrête pas à chaque discours de répéter que c'est un honneur esstraordinaire -c'est lui qui dit esstraordinaire, qu'il a un assent de l'autre monde- qu'un peintre qui a des tableaux dans les collections nationales -c'est lui qui le dit comme ça- soit venu s'installer dans notre commune. Moi je me dis il est pas plus bête qu'un autre, couillon, l'endroit est beau, il a de l'argent, qu'il a pu s'acheter cette propriété, le bon air, le soleil, les filles ici sont pas vilaines, que pour un qui fait les tableaux ça compte, ça fait qu'il s'est installé. Ah oui, c'est vrai que monsieur Deconchy, son ami, il m'avait raconté que c'était lui qui l'avait décidé, parce qu'il lui fallait un meilleur climat pour ses rhumatismes, qu'il paraît que quand ça le prend il souffre le martyre.
Moi je serais de lui, même que j'y croie pas, je me tenterais d'aller à Lourdes, que tu as l'argent, qu'est-ce que tu risques? Tu fais un voyage, que tu as vu quelque chose, et imagine toi que ça marche? A tout les coups le pape il t'envoie un billet de train pour venir le voir, que pense un peu la réclame que ça leur fait, là, un coup comme ça: il part infirme, il revient qu'il met la main aux fesses de toutes les filles, tellement qu'il est content...Total, ils parlent plus que de ça dans toutes les églises...Enfin, moi je me le vois comme ça...
En plus, j'y croirais, j'y mènerais mon pauvre père, mais pour ce que j'entends, eh bé ça me donne guère envie, que la tantine à Mathilde elle y est allé pour son chose qu'elle saignait comme ça qu'on a nous autres, eh bé ils lui font le coup eau bénite génuflexions dans la grotte que tu te gèles y paraît que c'est une horreur, et messes et piscine des miracles que l'eau elle est glacée, que c'est de la montagne, si il faut il y en a que ça les guérit juste du choc que ça fait avec le froid, total elle revient, pas trop bien en point, elle se couche qu'elle pouvait plus se lever, ils font venir le docteur, mais un bon, là, qu'il a vraiment fait des études à Paris, il la regarde, tout, il trouve que c'est pas grave, c'est pas grave, du repos, ah oui, du coup de froid de la piscine, double pneumonie, et du coup elle est morte, la pauvre. Alors qu'avant que j'y amène le père, j'attends que c'est l'été ou qu'ils chauffent un peu les piscines.
De dire que sûr que je me dépêche pas de faire la grande dame, oh, j'ai pas gagné la loterie nationale, ça c'est sûr.
Mais en tout cas, moi, ça me plaît drôlement bien, de faire le modèle, que c'est comme ça qu'on dit, même pour une fille, le modèle, j'apprends tellement de choses que je me demande des fois si on était vraiment sur la même planète.
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Message  Invité Lun 12 Oct 2009 - 12:18

Cela me déroute un peu, l'avancée en parallèle des discussions au restaurant et des réflexions de Magali : c'est en même temps ? Ce sera peut-être bien de voir sur l'ensemble si ça ne fait pas bizarre.
La dernière phrase, très bien, je la trouve touchante.

Remarque :
"imagine-toi que ça marche? A tous les coups le pape "

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Message  Invité Lun 12 Oct 2009 - 14:26

Figure-toi que depuis que j'ai fait l'Angleterre, je me suis demandé pourquoi dans les pays du nord les gens vivent longtemps et dans une bonne forme, plus que nous autres

Je trouve ce passage paradoxal, à l'heure où l'on prône le "régime crétois" pour une meilleure longévité. D'ailleurs il paraît que l'Ecosse est le pays d'Europe où le taux d'accidents cardiaques est le plus élevé. Enfin, ça c'est maintenant ; avant, au temps d'Eugène, je ne sais pas.

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Message  silene82 Lun 12 Oct 2009 - 15:12

Ces assertions n'engagent qu'Eugène; le régime crétois, je peux t'en parler, j'ai traversé la Crète à pied, il est très simple: tu manges les poules que tu arrives à attraper, le pain noir et parsemé de grains indéfinissables te tombe dans l'estomac comme une ancre de porte-avion, les oignons te font pleurer rien que de les regarder, et le vin est si fort qu'il te dope. Quelques kilomètres de dénivelés, quelques sirtakis au village suivant, et tu vas à cent ans.
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Message  silene82 Mer 14 Oct 2009 - 8:42

― Ah, notre petit rayon de soleil! Ça fait du bien de voir un joli sourire comme le vôtre, Magali! Ah, je ne sais pas comment nous ferions sans les femmes...
― Ah, c'est sûr qu'il manquerait pas mal de choses...
― Tout ce qui fait la vie agréable, Magali, tout ce qui la rend belle: les chansons en faisant le ménage, les rires...vous avez vu la maison, ma femme, Gabrielle, les petites aides qui viennent pour le ménage, moi je n'arrive à vivre qu'au milieu de femmes; en plus, toutes les activités d'une maison sont bonnes pour elles...
― Bonnes, bonnes...c'est vous qui le dites, monsieur. Bonnes à faire les bonnes, oui...
― Se baisser, les mouvements que demande le ménage, la lessive, c'est ça qui permet au corps de la femme de bien fonctionner; je ne devrais pas vous le dire, mais pour qu'une femme soit satisfaite au lit, son ventre a besoin de ce genre de mouvements; on est en train de nous préparer des avocates, des fonctionnaires, des juges: ce ne seront plus des femmes...
― Mais j'ai lu un livre d'une femme qui pensait le contraire, qu'il faudrait que les femmes puisse prendre tous les métiers des hommes...et même qu'elles devraient pouvoir avoir des enfants toutes seules...
― Ah mais là, je suis tout à fait d'accord: je pense que les femmes devraient être celles qui donnent le nom aux enfants, comme ça on serait sûr...
― Ah là, ça, je l'ai pas entendu souvent, si je dis ça à mon pauvre père...
― Oui, c'est peut-être plus prudent de se le garder entre nous...
― La dame, là, elle pensait que les femmes étaient obligées de mentir pour avoir une place, et qu'en fait elles tenaient les hommes par le lit...et qu'il fallait que ça change...
― Mais c'est le contraire: c'est quand elles semblaient ne pas avoir de droits qu'elles étaient les plus puissantes: quand elles seront les égales des hommes, ce qui est en train de fermenter, tu le sens bien –je te dis tu, ça ne te dérange pas? –, elles connaîtront le véritable esclavage...
― Mais quand même ce sera bien pour les femmes de pouvoir faire les mêmes métiers que les hommes...
― Ah oui, toutes ces choses ennuyeuses, médecins, savants, alors qu'elles savent tellement bien faire ce pour quoi les hommes sont complètement nuls, qu'ils ne peuvent même pas rêver d'aborder: rendre la vie supportable; plus même, la rendre agréable...
― C'est sûr que la dame, là, elle voulait être indépendante, mais que si les hommes font les choses ennuyeuses et que c'est les femmes qui font les choses qui rendent la vie agréable, c'est différent, pardi....
― Cette dame dont tu me parles, c'était quand? Parce qu'elle avait des drôles d'idées, quand même, même si maintenant on va aller de plus en plus dans des choses comme ça: regarde partout, elles demandent le droit de vote en Angleterre, à tous les coups ça va venir en France aussi: il ne manquerait plus qu'elles tiennent les emplois des hommes, s'il y avait une guerre, tiens, pour que tout ce qui fait que les hommes sont heureux... qu'ils partent dans la vie avec de bonnes choses et qu'ils cherchent à les recréer ensuite, hein, ça soit perdu...
― C'était il y a longtemps...à la Révolution...même qu'ils lui ont coupé la tête...
― Ça alors? Et tu sais à quel moment?
― Un peu après la reine, je crois: le livre disait qu'elle a été la première femme qu'on a guillotinée après la reine...
― Eh bien, tu vas me croire ou pas, mais j'ai bien connu un de ceux qui lui a coupé la tête...
― Mais c'est impossible, voyons...c'est trop ancien, vous vous moquez de moi...
― Tu sais, je suis de 41, j'avais 6 ou 7 ans, donc c'était en 47 ou 48...la Terreur, c'était 93, mettons qu'il ait eu vers les trente ans à l'époque, ça lui faisait 85 quand il venait prendre le café chez mon père, dans son atelier à la maison, rue d'Argenteuil; un grand et bel homme aux cheveux blancs...il était l'aide de Sanson, l'exécuteur, sous la Terreur...
― Quelle horreur, un assassin...
― Mais pas du tout, il ne se voyait pas du tout comme ça: c'était un bon ouvrier, qui faisait bien son boulot, voilà tout: c'est pour ça qu'il s'entendait très bien avec mon père, c'étaient deux compères qui se désolaient ensemble des temps qui changeaient et que les bons ouvriers n'y aient plus de place...
― Mais il faisait quoi votre père?
― Il était tailleur, du temps où on se faisait faire des habits qui duraient toute la vie et même plus: on les retaillait pour les suivants...j'en ai vu qui faisaient 3 générations...
― Mais enfin, ça n'est pas pareil de faire des habits et de tuer des gens, quand même...
― Tu sais, lui ne voyait pas ça comme ça; pour te dire, il n'était pas content de la guillotine, il disait que ça avait ruiné le métier, et mon père lui répondait que pareil pour le vêtement de série...deux bons ouvriers...
― Mais si c'était pas la guillotine, quoi alors?
― La hache je pense, et là on comprend ce qu'il voulait dire: décapiter quelqu'un, net, propre, c'est un travail de bon ouvrier, comme un boucher ou un tueur d'abattoir: on ne fait pas de sentiment...
― C'est vrai que moi non plus je n'en fais guère quand je tue les poules...
― C'est les mauvais ouvriers qui font du sentiment; ceux qui font bien leur travail, ça ne les préoccupe pas; pour te dire, moi, c'est ma manière de voir...je suis un ouvrier de la peinture...
― Vous vous moquez, monsieur, j'ai vu des images de vos peintures dans les livres de la bibliothèque, ils disaient que vos tableaux ils sont dans les grands musées...
― Parce que maintenant c'est à la mode, mais je te dis, je peins, moi, c'est mon boulot, comme celui dont je te parle coupait des têtes: il le faisait proprement...
― Ça me paraît incroyable ce que vous dites, enfin, c'est pas la même chose...
― Au point de vue du respect du travail et du savoir-faire, si, c'est la même chose: c'est pour ça qu'il s'entendait avec mon père, ils avaient le même bon sens, mon père, il lui fallait pas d'enfants qui piaillent autour, parce que la coupe, dans un tissu qui coûte cher, tu ne peux pas te permettre de la rater...
― Oui, sur le fond, ça se comprend, mais quand même, couper des têtes...
― Tu sais, ceux qui abattent les petits agneaux ou les chevreaux, je sais pas si c'est pas pire...
― Peut-être bien...
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Message  Invité Mer 14 Oct 2009 - 8:50

Alors ça, ça me plaît beaucoup, ce dialogue. Renoir émet des idées dérangeantes, Magali est confrontée à un autre type de pensée, vraiment, pour moi, ça fonctionne et fait bien avancer les choses.
Une remarque, quand le peintre parle de l'aide du bourreau qu'il a connu : cela m'a fait la même impression que dans un bouquin que j'ai lu il y a longtemps (je ne me rappelle ni le titre ni l'auteur, comme ça c'est plus simple), qui se passe en 36, premiers congés payés, et où de jeunes citadins rencontrent une vieille paysanne qui leur parle de Napoléon quasi en direct. C'est très émouvant, ce sentiment que j'ai eu, les deux fois, de lien intime avec l'Histoire !

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Message  Invité Mer 14 Oct 2009 - 14:01

Lu et apprécié. Magali continue à s'ouvrir au monde.

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Message  Rebecca Mer 14 Oct 2009 - 16:06

J'aime beaucoup tous tes dialogues avé l'assent...ça nous chante dans la tête...toutes ces expressions .
J'aime bien également les remises en perspective d'époques .
Et toute cette galerie de portraits, chacun à leur façon, tous plus savoureux et forts en gueule les uns que les autres même quand ce sont des personnages discrets ...et ces digressions gastronomiques aussi ça nous met en bouche des sensations gourmandes...
Ton univers tes mots sont gourmands.
Le tout m'en bouche un coin.
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Message  silene82 Jeu 15 Oct 2009 - 10:08

L'antre de Menestrou. L'odeur saute au nez dès qu'on passe la double porte vitrée, odeur de forêt, capiteuse, merveilleuse, de résine et de sève sucrée. Menestrou est un bon menuisier traditionnel, formé à l'ancienne, au temps où l'outil était le prolongement de la main, où le métier demandait des années non pour être capable de réaliser quelques babioles, mais pour pouvoir sans problème aborder n'importe quel ouvrage du bâtiment en respectant les règles de l'art: bois stabilisés et purgés de leur sève, donc séchés au vent, à l'air et à la pluie. Idéalement, et Menestrou en soupire de regret, les bois devraient être immergés après la coupe, évidemment effectuée quand la sève est au plus bas, dans les racines, entre mi-novembre et fin février. Et encore, Menestrou a des réserves à formuler là-dessus, car on a, parfois, des février si chauds que les bourgeons se prennent à croire qu'il est vraiment là, ce printemps après lequel tout soupire, et saillent comme tétins brillants; souvent, hélas, une gelée intempestive tue la timide fleur qui venait d'éclore, et par conséquent le fruit. L'idéal, comme il aime à en entretenir Marius, c'est de laisser la bille dans une brave rivière après l'abattage. Pour Menestrou, provençal glorieux de l'être, ce qui est beau et bon est dit brave.

― C'est que tu comprends, Marius, le bois, sabes como es? Es oun espoungo, une éponge, tu te le figures? Je t'ai déjà expliqué que le bois de bout, il avait une résistance incroyable à la compression, que c'est pour ça qu'on fait les billots de boucher avec des plots de hêtre en bois de bout, que sinon, pauvre, la première fois qu'il le râclent, il leur en faut un autre...
― Ça serait pas mauvais pour nous, finalement...
― Tu parles! S'ils devaient en changer tous les quatre matins, ils les feraient faire je sais pas où, où que ça coûte rien, et on serait comme des couillons, je te le dis; bon, aloura, pourquoi il est si résistant, le bois de bout?
― Vous me l'avez dit: parce que c'est des petits tuyaux côte à côte, et que c'est pour ça aussi que le bois il continue toujours à vivre: il fait sec, il se rétrécit...
― Il se rétracte, plutôt, comme les faux témoins...que c'est le mot qu'ils mettent dans les livres...
― Bon, il se rétracte, et s'il fait pluie, il gonfle, et qu'on appelle le menuisier pour raboter la porte...
― Sauf que si le menuisier il est trop gourmand sur ce qu'il enlève, pour pas revenir...
― En été, la porte elle a un jour qu'on y met le doigt...
― Et c'est pas bien joli...Comment ils masquaient ça autrefois, Marius?
― Ils faisaient recouvrir le cadre, déjà qu'ils arrivaient pas trop à être précis précis...
― Tu sais, avec des outils à main, on arrive à une précision de l'ordre de la ligne sur deux mètres; c'est pas mal, quand même...ça fait combien une ligne?
― Deux millimètres environ, vous m'avez dit...
― C'est ça, un douzième de pouce; donc un creux de deux millimètres sur un montant de deux mètres, ma foi, ça n'est pas trop mal; surtout si on fait la porte à recouvrement, comme je disais: à ce moment, le froid passe moins, puisqu'il est piégé par les deux feuillures, et à l'œil, c'est tout à fait bien...
― Je trouve aussi; je comprends bien l'intérêt des machines pour tout ce qui est le rabotage, le sciage, même les assemblages: comme je m'imagine, de votre temps, on devait faire les bouvetages à la main, non?
― Tu sais, ça dépend toujours de beaucoup de choses: ce qui est vrai, c'est qu'en France les choses, eh, elles vont jamais vite, et on se méfie du progrès: regarde quand ils ont inventé le métier moderne, qu'il y avait plus besoin d'ouvriers, ils ont tout cassé...remarque, il nous sort la même chose dans le bois, je crois qu'on fait pareil, pardi.
― Mais quand même, nous on fait tout adapté, sur mesure, non?
― Bien sûr, et c'est ce qui fait que le métier continuera longtemps, même si les machines vont être de plus en plus utilisées: rappelle-toi que quand j'étais apprenti et qu'on devait se raboter tous nos bois, riflard, varlope et compagnie, si on avait pu le faire faire, on aurait été bien contents; d'ailleurs, très vite il y a eu des entrepreneurs en corroyage...
― Ah oui, vous me l'aviez dit, qui faisaient à façon...
― C'est ça, tu leur portait ton bois avec les cotes, tu te le récupérais le soir: ça faisait vivre un paquet de gens, crois-moi...
― C'est dommage que ça n'existe plus...
― Quand tout le monde s'est équipé, ça coûtait moins cher de mettre un jeune, un arpète, à corroyer toute la journée...mais attention, que bien corroyer son bois, c'est pas si simple: un qui ne comprend rien, il te jette un bois sur deux...
― Bien sûr, si au lieu de corriger, il accentue...
― Tu comprends vite, que c'est un plaisir, petit...

Menestrou touche à tout; il a quatre ouvriers, des gaillard capables, souvent au-dehors, à la pose. On fait de tout chez Menestrou, et la complémentarité des compétences des ouvriers permet de ratisser large: toute la menuiserie classique du bâtiment, avec une belle facture, élégante, racée, pleine de détails soignés qui réjouissent le connaisseur et situent l'artisan, netteté des moulures, choix des bois, même sur des ouvrages simples et peu coûteux, précision des assemblages, mais aussi du mobilier en bois massif, agrémenté de sculpture: un des ouvriers a une main merveilleuse pour les ornements de style provençal, cartouches, pots-à-feu, guirlandes, lauriers, branches d'olivier: dans un temps très raisonnable, il transforme une banale traverse de vaisselier en un belle pièce de mobilier, avec des éléments personnalisés, que la main a conçus et exécutés, s'adaptant aux proportions du meuble sans cependant tomber dans un maniérisme pesant.

― Bon, petit, tu t'es très bien tiré de ton bureau, là , que tu as fait pour chez toi: j'ai regardé de près tes tiroirs, ils sont comme j'aime: queues d'aronde impeccables, ajustage précis, coulissage parfait; la seule réserve, c'est que tu sais que moi, je n'aime pas la radinerie française...
― La radinerie française, De quoi vous me parlez, monsieur Menestrou?
― Du côté ratchou, coumprendes pas? Un ratchou, tu sais ce que c'est, non?
― Pardi, çui-là qu'il donne rien...
― Alors j'ai dû en parler...j'en parle tout le temps...parce que ça m'énerve: qui c'est qui faisait des meubles qui duraient dans notre grande époque du 18ème? Hein, qui?
― Eh, j'en sais rien, moi...
― Les Allemands, mon pauvre, les Allemands, et les Hollandais: tais-toi vite...
― Mais j'ai rien dit...
― Ça fait rien, ne défend pas les Français sur ça, que ça m'énerve: les Français, sur ma question des tiroirs, c'est une pitié: une mentalité de mendigots, de gagne-petits; tu démontes une commode formidable, placage, et bronzes, et patin, et couffin: total, qu'est ce que tu trouves pour la carcasse, pauvre?
― Du bois...
― Eh bien sûr, couillon, pas du marbre...mais quel bois?
― Du bon bois...
― Eh bien non, justement, de la cagade, du bois affreux, plein de gerces, de nœuds, une horreur de bois; qu'ils y auraient accroché le Jésus, même pas il aurait eu besoin d'attendre qu'ils le décrochent: il serait tombé tout seul...voilà les français: pour gratter trois sous, on met du bois épouvantable partout où ça ne se voit pas; total, qu'est-ce qui se passe?
― Ça bouge...
― Pire que ça, malheureux: soit c'est du bois tendre, plein d'aubier, et les bêtes s'y mettent; soit ces bois nerveux comme le diable, pleins de gerces, se mettent à se tordre, que rappelle-toi que ça arrive souvent, et ta commode, pardi, elle est sur trois pattes; ou les tiroirs ouvrent plus; mais le pire, le pire du pire, c'est les coulisseaux...
― Les coulisseaux? Qu'est-ce qu'ils ont fait, les coulisseaux?
― Ils les faisaient en peuplier, fan de pute, en peuplier: figure -toi comment ça risque de durer avec ton brave tiroir, là, que la patronne elle t'a bien rempli de tout ce qu'elle peut mettre, tu sais comment elles sont les femmes, rien qui doit traîner, pardi, tout caché dans les tiroirs...
― Ah, ça, c'est ma mère...
― Alors, pauvre, moi, je souffre pour le coulisseau, tu te rends compte, un tchicou de peuplier de rien du tout, là, je sais pas moins, de trente par trente, que tu lui mets dessus un tiroir chargé comme une gabarre, imagine-toi un peu la tête qu'il fait...
― Ah, c'est sûr qu'il doit être vite usé...
― Malheureux, mais c'est pas usé qu'il faut dire, c'est écorché, laminé, raboté: total, tu te retrouves avec les gens qui viennent te dire: je comprends pas, pas moyen d'ouvrir ce tiroir, vous pouvez me l'arranger; ah oui, l'arranger, boudiou, il s'est creusé une rigole, le tiroir, et maintenant il est échoué comme un cachalot , coincé dans le coulisseau...
― Déjà il faut arriver à le sortir...
― Effectivement; et après, bon plaisir: tu peux pas changer le coulisseau, qu'il est pris dans les deux montants; alors, malheureux, tu fait une feuillure tout du long, imagine comme tu t'amuses...
― A la main?
― Pardi, au bédane, comment tu veux passer le guillaume? Tu butes sur le fond...et tu regarnis avec du bois sain; moi, ni une ni deux, je remets du hêtre, que au moins, je sais que j'y retournerai plus, ni mes enfants...
― Mais les Allemands que vous parliez que vous les aimez, c'est pour quoi?
― Non non, j'ai pas dit que je les aimais, les Allemands, manquerait plus: oh, ils nous ont pris l'Alsace-Lorraine, tu as déjà oublié? Et le reste...Non, je disais qu'on peut raconter ce qu'on veut, les parpaillots, ça vole moins que les papistes...
― Je comprends pas...
― Les Allemands, neuf fois sur dix, c'est des protestants; eh bé, qu'est-ce que tu veux, eusses, ils mettaient des coulisseaux en bois dur; et on était jamais enquiquiné...
― Mais pourquoi les Allemands avec les meubles français?
― Mais parce qu'à l'époque, il n'y avait que ça à Paris, mon pauvre: il en arrivait un, le lendemain, il appelait les copains; pauvre, tu lis le livre du comte de Salverte sur l'ébénisterie française, tu as meilleur de pas être chauvin, que sinon tu pleures comme une madeleine: c'est que des étrangers, es pas coumpliquat...
― Je savais pas...
― Eh pardi, tu te rends compte, dans leur pays, là, qu'ils se gelaient lou bicou, on leur dit
« ach, meutzieu Riezéner, fous zallez nach Baris, dou drès pon bour fous, gross archent peaucou, cholies tamoitzelles, drès bien dou »
mais il part en courant, le bonhomme, il en parle même pas à Germaine, qu'il se dit qu'avec les bedides vranzaises...
― Vous croyez que c'était comme ça?
― Mais non couillon, mais on peut s'amuser, non?
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Message  Invité Jeu 15 Oct 2009 - 10:23

œ

Œ

Ç

Excellent ! Très amusant et instructif, j'aime quand tu parles métier. Mais alors, oh sissi, c'est quoi ces erreurs d'inattention, tu l'as seulement relu ton texte, peuchère ?
« la première fois qu'ils le raclent »
« tu leur portais ton bois »
« des gaillards capables »
« en une belle pièce de mobilier »
« tu fais une feuillure »

P.S. : Fais pas attention aux caractères chiants en début de commentaire, c'est ma contribution pour que les participants sachent où les trouver s'ils ne savent pas où ailleurs pour mettre dans leurs textes ; tous mes commentaires et messages comporteront désormais ces caractères cadeaux à copier-coller.

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Message  silene82 Jeu 15 Oct 2009 - 11:59

Tu auras compris, inestimable Kountiss Sigour, que je maîtrise depuis belle lurette les subtilités des Œ et autres colifichets typographiques; bien que cet aveu me coûte beaucoup, je te le dois, et t'en ai une reconnaissance à peu près éternelle.
Pour les forts déplaisants persiflages sur mon inaptitude à me relire proprement, ne savez-vous point, comtesse admirable, qu'à trop lire s'use l'œil, et qu'alors s'immisce la coquille? Il s'agit donc beaucoup plus d'une agression orthographique, venant de ce que le tiers-état qui compose l'essentiel des textes utilise ces déloyales manoeuvres pour signifier son importance, que d'une action -ou plutôt non-action- de mon fait.
Par ailleurs, je navigue besogneusement dans les Terres multiples de ton royaume qu'il a été si galère de mettre en place, et je n'ai encore rien commenté bicoz pas fini.
Mé ji ci pa ci ji vi metr li tri zouli komantair: pask ci tri koumpliki boucou. Ci li matimatik ki ji li oror dipui tijor. Ci por ça.
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Message  Invité Jeu 15 Oct 2009 - 13:58

Ce que j'aime, c'est que la leçon est vivante, foin de la seule théorie, vive le détail qui parle :

Ils les faisaient en peuplier, fan de pute, en peuplier: figure -toi comment ça risque de durer avec ton brave tiroir, là, que la patronne elle t'a bien rempli de tout ce qu'elle peut mettre, tu sais comment elles sont les femmes, rien qui doit traîner, pardi, tout caché dans les tiroirs...
― Ah, ça, c'est ma mère...


Et puis les traits d'humour, où on ne les attend pas :

― Ça fait rien, ne défend pas les Français sur ça, que ça m'énerve: les Français, sur ma question des tiroirs, c'est une pitié: une mentalité de mendigots, de gagne-petits; tu démontes une commode formidable, placage, et bronzes, et patin, et couffin: total, qu'est ce que tu trouves pour la carcasse, pauvre?
― Du bois...
― Eh bien sûr, couillon, pas du marbre...mais quel bois?
― Du bon bois...


Franchement, c'est passionnant, tu nous gâtes ; j'ai une admiration sans bornes pour la façon de l'artisan, j'ai toujours aimé observer le "travail manuel".

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Message  silene82 Jeu 15 Oct 2009 - 18:24

L'entreprise Menestrou a été contactée par Eugène Sabourin, qui a besoin d'aménagements dans sa nouvelle salle à manger: il a décidé d'adjoindre une aile considérable à son bâtiment, reliée au corps principal par une partie vitrée, donnant sur le jardin, orientée au sud, vers la mer, qu'on ne voit pas, à cause des pinèdes, mais dont on devine l'éclat et le scintillement dans les nappes de lumière qui frappent la façade, jaune génois, volets tilleul.
Le chantier est bien avancé, une grosse entreprise locale a mis de nombreux ouvriers sur l'ouvrage; les ambitions de l'hôtelier sont de construire tellement bien pensé et moderne qu'il sera tranquille pour cinquante ans. Toutes les nouvelles chambres avec salle de bain et chauffage central, en plus d'une cheminée, pour le plaisir. Et un petit salon. Chambres donnant toutes sur le parc: calme garanti.
Menestrou avait été sollicité pour les menuiseries intérieures, les portes des chambres, portes de communication, fenêtres, mais le chantier excédait ses capacités de production, et il était déjà submergé de besogne, la qualité de son travail étant réputée, ainsi que son respect des délais.

― Moi ce que je vois, André, c'est que tu veux pas me la faire, ma menuiserie: tu me boudes...
― Eugène, me pourtas peno (tu me fais de la peine), tu sais bien que je ne prends un chantier que si je peux satisfaire le client: en plus, regarde-moi dans quoi tu t'es lancé. Moi, une villa, ça me va, entre la fabrication et la pose, avec mes quatre zouaves, plus lou pitchoun, que tu le connais, ce pitchoun, non, Marius, celui de Tonin...
― Pardi que je le connais, sa sœur à Tonin, tu te souviens, c'était une merveille...
― Une villa, ça me fait 7-8 mois , avec tout ce que j'ai à-côté, malheureux, regarde, c'est pas compliqué, des villas, j'en ai promis 3, calcule...Alors tu comprends bien que quand tu arrives, là, l'autre fois,

« oh André, me pudes pas faire la menusariè »

sieu ben triste, Eugène, mais non. Que regarde un peu lou monstré qu'as fat: trois étages, et ci, et ça, mon pauvre, il te fallait une usine. Combien de chambres nouvelles, déjà que tu m'as dit?
― 35...
― 35 par 3, que tu mets tout, la chambre de bains, les water-closets, que tout Cagnes va venir voir, malheureux, tu vas être le plus moderne de la ville...
― Qué 35 par 3?
― 35 par 3, 105 portes, plus toutes celles d'en bas, là, ton bâtiment de séparation, et les fenêtres...Tu vois bien, il te fallait beaucoup plus gros que moi...Mais avec ceux qui t'ont promis, là, ceux de Magnan -ils sont bien, va, je les connais, et tu sais que je dis pas facilement du bien des niçois- tu pars bien, vaï, ils vont te le faire impeccable; rends-toi compte que même le bois, le bois, moi, mais c'est ce que je passe sur 3 ans qu'il fallait pour ton chantier; et où je le prenais, malheureux?
― Allez, vaï, es pas grave, tu peux pas, tu peux pas; au moins, tu vas me faire les belles choses dans la salle à manger, je veux deux consoles, viens, je vais te montrer...

Dans la partie reliant les deux corps de bâtiment, ancien et nouveau, et qui est presque achevée, les ouvriers s'activent, les plâtres sont finis, les fenêtres de l'espèce de galerie qui joint les deux corps sont posées, le sol a été recouvert de carreaux de ciment, une nouveauté industrielle des dernières décennies avec un très joli motif bleu sur un fond blanc cassé, l'ensemble composant une ensemble qui évoque l'Italie, certains sols d'églises toscanes, eux réalisés bien sûr en marbre et en travertin. Belles proportions, une grande salle où tiendront aisément 140 ou 150 personnes, haut plafond.

― Regarde André, ce que je veux, c'est deux belles consoles des deux côtés de l'arcade, là, pour servir de dessertes et de rangements pour les assiettes de service...
― Et au dessus?
― Au dessus? J'y ai pas pensé...tu verrais quoi?
― Deux grands miroirs, pour éclairer ta pièce et l'agrandir...
― Ah mais bien sûr, évidemment que c'est ce qu'il faut...
― Tu as une idée du style que tu aimerais?
― Ouh, moi, les styles, tu sais...bon, je veux pas que ça fasse auberge de campagne, me coumprendes, après, pauvre, je sais ce que j'aime pas...le reste...

En quatre coups de crayon, Menestrou a dessiné les dessertes telles qu'il les voit, sobres et élégantes, dans un style épuré évoquant les lignes strictes du Directoire, mais avec quelques petits motifs en reliefs qui enjolivent et égayent les meubles. Les miroirs sont traités dans le même style, et Menestrou en profite pour les équiper d'étagères en quart de cercle qui seront bien utiles pour des rangements supplémentaires. Le tout a belle allure, d'un équilibre plein de grâce.

― Quand même, André, tu es un sacré artiste; je les vois déjà, tes meubles...
― Ah mais j'aime ça, de dessiner, de toujours; en plus, même moi ça m'aide, de me penser le projet comme ça...les clients, ils ont tout de suite quelque chose à se mettre au coin de l'œil: tout le monde s'y retrouve...
― Tu sais que monsieur Renoir était là, l'autre jour, pour le baptême...
― Je m'en doute bien: c'est un des grands amis du père...il est brave, ce monsieur Renoir, tu peux pas savoir comme je l'admire...
― Tu sais, moi, je sais qu'il peint, et basta...
― Chaque fois que j'ai la chance d'aller à Paris, je me débrouille pour aller voir quelque chose de lui: à la galerie Durant-Ruel, il y a toujours de ses tableaux en dépôt. La dernière fois, il y avait une scène de famille, avec trois petites filles, leur mère et un petit chien: ça m'a tellement bouleversé que je me suis mis à pleurer...
― Moi, c'est si on me dit le prix que je pleure...Mais tu dois être bien content qu'il habite ici alors?
― Eh pardi, je suis allé le voir, je lui ai dit:

« maître, quoi que ce soit dont vous avez besoin dans mon domaine, je vous le fais et je vous demande quelque chose de votre domaine en échange »

― Et qu'est-ce qu'il t'a répondu?
― Il m'a dit, de maître, rien du tout, je suis comme vous, un artisan de la peinture, et votre idée me fait bien plaisir; vous vous choisirez vous-même, mais à mon avis vous allez vous voler...
― C'est vrai que tu as pas peur...
― Mais tout le monde est aveugle, c'est pas possible: ce bonhomme, c'est un peintre aussi formidable que Raphael...
― Raphael? Celui qui balaye le stade? Je savais pas qu'il peignait...
― Là, tu y vas fort, Eugène: quand tu auras des clients américains qui viendront pour acheter des tableaux à Renoir à coups de millions, tu leur sortira des choses comme ça? Qu'ils vont se demander où ils sont tombés...
― Pour dire comme toi qu'il est brave, tu sais pas ce qu'il m'a dit, que je voulais lui montrer la salle:

« je pourrais plus vous décorer, monsieur Sabourin, je l'ai beaucoup fait autrefois, j'ai décoré je ne sais combien de cafés, de brasseries, ça m'aurait bien fait plaisir, mais je ne tiens plus bien sur mes gambettes; écoutez, je vais faire quelques esquisses, et je pense qu'un jeune peintre d'ici que je connais pourrait s'en inspirer pour vous la décorer; je pense à des feuillages qui courraient tout le pourtour, avec des oiseaux d'ici, rouge-gorge fauvettes, mésanges...est-ce que ça vous dirait? »

― Et qu'est-ce que tu lui as dit?
― Ma foi, je ne savais pas trop quoi lui dire, je l'ai remercié...
― Tu es extraordinaire, Eugène: pour faire des sous, il n'y a pas à dire, tu es le roi, tu es un cuisinier incomparable, mais question de goût, excuse-moi: Renoir te propose des cartons pour tes murs, et tu lui embrasses pas les pieds? Mais tu sais qu'il a décoré certains des plus beaux hôtels particuliers de Paris, et que les gens l'ont payé à coups de millions?
― Eh non, je savais pas...
― De tout cas, ça me le fait encore plus admirer: quel type simple, quand même! Quand tu penses qu'on vient du monde entier maintenant pour le voir peindre et lui acheter des tableaux...
― Où ça, du monde entier?
― Eh bé il ya eu deux Japonais, des collectionneurs très riches; ah pardi, ils sont pas venus au Sabourin: ils logeaient au Negresco...
― Ils méritaient pas d'être chez moi: aller se loger chez les nissarts...plutôt, je dors sur un banc...
― Sies pas fada? C'est des Japonais, qu'est-ce que tu veux que ça leur foute nos histoires avec Nice?
― Quand même, quand même....
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Message  Invité Jeu 15 Oct 2009 - 18:37

Les trois répliques de fin, excellentes ! L'ensemble du texte, j'ai bien aimé pour l'ambiance, la discussion détendue entre copains, mais j'ai trouvé que ça tirait un poil à la ligne.

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Message  Invité Ven 16 Oct 2009 - 8:59

Je continue à beaucoup aimer et à me réjouir des réparties terre à terre, du common sense de ces gens simples . Celui-ci :

― Moi, c'est si on me dit le prix que je pleure...Mais tu dois être bien content qu'il habite ici alors?

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Message  silene82 Sam 17 Oct 2009 - 10:23

Atelier Menestrou.

― Oh Marius! Tourne un peu l'œil par ici, pitchoun...Gustave, viens toi aussi...
Alors regardez, mes braves, vous allez vous mettre sur cet ouvrage, que vous avez intérêt à me le réussir plus beau que si c'était pour le pape, vu qu'à l'endroit où il va être, toute la ville va le voir, et tous ceux qui passent par l'hôtel, pardi; que c'est plus un hôtel qu'il fait, l'ami Eugène, c'est un palais: il s'est mis en tête de faire encore mieux que les nissartés, qu'à mon avis c'est pas dur mais bon...Bon, jetez un coup d'œil sur le croquis que j'ai griffonné, vous voyez que je vous ai mis les cotes...
― Le bois, patron?
― Moi, je me serais pensé de l'acajou, mais ça lui plaît pas trop, qu'il le trouve trop rouge: on va le faire en noyer...Marius, décris- moi les meubles d'après le dessin...
― C'est deux grandes dessertes, non, patron? Arrondies en quart de cercle de part et d'autre d'une arcade...une étagère au milieu...le style, peuchère, je suis pas trop fort là-dessus...
― Es perque te faï legi (tu as besoin de lire) ,à quoi ça te fait penser?
― Au style du corse, là, Napolioné, en bien plus beau...
― Ma foi, tu as l'œil juste, c'est Directoire, juste avant le traîneur de sabre...bon, du Directoire qu'es nostré, que nous nous l'embellissons d'une manière terrible: ils sont pas beaux mes pots-à-feu, et mes cartouches? Et mes moulures, tu les as comprises, que je t'en ai mis en coupe, elles sont pas belles mes moulures?
― Pardi oui qu'elles sont belles, mais il va falloir se fabriquer le fer pour la toupie, non, monsieur?
― Naturellement, comme on fait toujours dès qu'on a un profil nouveau...Continue de me détailler les choses...
― Eh bé...les pieds en gaine, c'est comme ça qu'on dit? Quand ils se rétrécissent vers le bas en partant d'un carré? Vous n'avez rien signalé sur le milieu de la grande étagère du centre, est-ce qu'il faudrait pas l'étayer, que si ils y mettent des piles d'assiettes, que ça pèse un âne mort, ça me semble qu'il va falloir se le penser d'abord...
― Petit, tu me fais bien plaisir: j'avais fait exprès de pas mettre de montant au milieu pour voir si tu faisais la remarque de que ça tiendra pas: aloura, que fasoun?
― Un autre montant, avec une traverse qui se reprend dans le montant arrière...
― Exactement, regarde, je le rajoute; vous avez vu comment je vois les dés de raccordement? Avec les feuilles qui partent dans les quatre directions?
― C'est un motif Louis XVI, ça, non, moussu Menestrou?
― Absolument, pitchoun, ma sabes perqué? Rappelle-toi qu'il y a cent ans, que c'est pas plus, la Révolution, cent ans, c'est pas grand chose, regarde, ma pauvre mère elle va à quatre-vingt douze déjà...eh bé comment tu te crois que les nouveaux styles ils arrivaient jusque à nous, qu'on est au bout du monde, qu'après il y a la mer et les arabes? A pied, couillon, avec les colporteurs qui te portaient les petits cahiers de gravures, la nouvelle mode de Paris, et tchin et tchan; que les belles dames, elles le voyaient passer, le colporteur, qu'il allait aussi pour les habits, il portait les petits cahiers aux couturières...Les femmes, tu sais bien comme elles sont, tu leur dis mode de Paris, déjà elles tournent à moitié de l'œil...alors elles allaient chez la modiste, pour se faire faire vite vite la robe à la mode, aqueu de mode, que tu leur fais la mode de montrer son tafanar (derrière), tu vois plus que des pleines lunes dans la rue...
― Pas ma mère...
― Pas la mienne non plus, pardi; je te parle des belles dames, celles qui font bien de la chaise longue et du maquillage...aloura après les belles robes comme à Paris, qu'imagine-toi comme Adrienne elle risque de te faire pareil qu'à Paris, que même pas elle a idée où c'est, mais je dis pas qu'elle travaille pas bien, atencioun, c'est pour de dire que quand ça voyage, pardi, ça se transforme, même le vin, tu le fais circuler, eh bé il change de goût...
― Ça c'est vrai, que moun païre toujours il dit que tu emmènes un vin pas trop formidable à la chasse, tu te le bois avec les amis un peu sur la hauteur, coumo le baou de St Jeannet, avec le bout de jambon cru, eh bé, il a goût formidable, que tu le reconnais pas...
― Effectivement, que je l'ai vu souvent...en tout cas, ce que je te parle, c'est que l'œil est pas pareil ici qu'à Paris, que c'est pour ça que mes motifs de dés, ils sont plus Louis XVI, comme tu disais, que non pas Directoire...les styles, c'est des inventions que ça veut rien dire, tu regardes les grands messieurs du 18 ème, c'est par petit bout qu'ils faisaient évoluer les choses, un jour tiens, me vaï ver coumo es avé aquel pié, et paf, il te fait le pied qui tourne, là, tu sais, que je te l'ai montré l'autre jour...
― Le Louis XVI en fuseau avec un tore tourné?
― Exactement; que c'est pour dire...bon, toi, Marius, tu vas faire la feuille pour débiter, me calculer toutes les longueurs avec les tenons à partir des cotes que tu as là...
― Et après?
― Après, on trace, pardi, et c'est là qu'il faut le contrôle d'un ancien: l'argent, dans notre métier, tu commences à le gagner ou le perdre là, au traçage, pareil comme les tailleurs: deux bonshommes qui tracent, l'un il te fait le meilleur profit, l'autre il te gâche la marchandise...
― Oui, c'est sûr...moi, je me pense toujours que c'est mon bois que j'ai payé, alors, macarel, je me le tourne plutôt deux fois...

Les Collettes. Le matin bruit de toute une agitation de début de journée. Renoir est dans une espèce de cabane vitrée qu'Aline, sa femme, a fait construire , qui lui permet d'être en plein milieu de la nature, en réglant la lumière comme il le veut avec des stores qui permettent de doser exactement le flux lumineux. Il a toujours énormément de toiles en route: dès qu'il ne sent plus l'inspiration sur un sujet, il s'arrête; il se connaît depuis longtemps, et sait qu'il ne lui sert à rien de s'obstiner, rien de bon ne sortira sous la contrainte. Alors, il allume une de ses Maryland jaunes, et il fait un brin de causette avec un des visiteurs qui viennent constamment, amateurs étrangers pénétrés d'admiration, qui n'osent plus respirer lorsqu'il travaille et, de la pointe de son pinceau, rapide et précis comme la flèche de l'indien d'Amazonie, dépose l'exact point de couleur qui révèle l'éclat qu'il comptait donner au regard. Il aime le bruit, l'agitation joyeuse autour de lui lorsqu'il peint, et il le répète souvent aux visiteurs

« vous avez bien de la chance que je ne sois pas un gratteur de papier comme Stéphane, vous n'auriez même pas le droit de me regarder... ».

Stéphane, c'est Mallarmé, un de ses grands amis. A vrai dire, il n'a, pour autant qu'on sache, que des amis. Dans tous les arts, sans exception. Plus les amitiés sont anciennes, plus elles se sont fortifiées dans le temps, comme celle avec Cézanne, ou Monet; de toutes façons, il pardonne toujours quand quelqu'un se montre indélicat vis-à-vis de lui, ce qui arrive parfois; et non content de pardonner, comme cet « ami » qui lui avait volé plus de cinquante toiles pour solder ses dettes, il est capable d'aller au-delà, et de lui donner de l'argent de surcroît.
Vollard est là, ayant fait 15 heures de train pour voir son ami; certes les choses étaient plus aisées à Paris, quand il suffisait de hisser sa masse imposante jusqu'au Château des Brouillards, où était né le petit Jean, qui pour l'heure joue gravement par terre avec le bilboquet de son père; père attentif, le surveillant du coin de l'œil, inquiet du danger potentiel, et voulant cependant lui laisser découvrir le monde. Ferdinand Decouchy, barbe carrée, œil de faune malicieux, est là et regarde la scène, amusé et séduit:

― Quelle jolie scène! Tu n'as pas envie de peindre ça, Auguste?
― Oh, mais je suis dessus, Ferdinand: en plus j'ai une chance formidable: tu sais, le petit chameau qu'il a reçu, quand nous étions à Grasse, Gabrielle a eu une idée formidable, elle lui a proposé de coudre lui-même un petit costume pour le chameau, il était tellement absorbé que j'ai pu faire toute l'ébauche...
― C'est vrai qu'avec toi les modèles sont heureux, Auguste: s'ils veulent bouger, ils bougent, tu veux qu'ils soient les plus naturels possible...
― Sûr que si c'est pour peindre des statues, je n'ai pas besoin de modèles vivants...ce que je veux, c'est le velouté de la chair, une peau qui ne rejette pas la lumière, l'éclat du regard...

Vollard, assoupi, selon son habitude qui le faisait s'endormir partout, dans les dîners, au théâtre, au cours d'une conversation, se réveilla à demi, marmonnant

― Quand même, quand même, quand j'y repense...
― Ambroise, quand tu repenses à quoi? Parce que là, je crois que tu rêvais...
― Le legs Caillebotte, j'étais en train de revoir les Cézanne...
― Là, tu parles d'une chose qui fait de la peine à Auguste...
― J'en ai été malade...Dieu sait si j'ai tout essayé pour le convaincre, le Responsable des Acquisitions du Louvre; je lui disais

« mais je ne demande pas que vous preniez les miens, mais quand même, ne laissez pas passer une occasion pareille, prenez tout, quitte à les mettre dans les réserves, vous les ressortirez quand les gens comprendront Cézanne, voilà tout »

et il me répondait

« mais je risque ma tête, moi, monsieur Renoir, si je prends ce legs; le votre, là, le grand, là, avec les gens qui dansent, comment il s'appelle déjà?

― Le Moulin de la Galette...
― Oui, c'est ça, le Moulin de la Galette, ça va très bien, ça, c'est populaire; tenez, je vais vous faire une confidence, je suis socialiste, alors pensez si je l'aime, le peuple ‒, les danseuses de votre ami, là, monsieur Degas, très bien, pas de problème, le joueur de flûte de votre autre ami, il n'y aura pas de discussion...mais monsieur Cézanne, non, je regrette, si je le prends, je suis mort...
― Mais ne refusez pas de pareilles merveilles, enfin: jamais la France ne reverra une pareille occasion...
― Écoutez monsieur Renoir, je sais bien que tous ces tableaux sont de vos amis, et que naturellement vous les aimez tous; mais comprenez ma position: je représente l'État, moi, si je prends ce legs de votre ami Caillebotte, l'Institut aura ma peau...
― Retournons voir, je vous en prie...vous ne voulez même pas les Monet...sa série de St Lazare...
― Mais comment voulez vous que je prenne je ne sais combien de toiles sur le même sujet? On va me demander si je suis fou...
― C'est vrai qu'il avait réussi à bloquer St Lazare pour ça? intervint Vollard, décidément un peu plus alerte dès qu'on parlait peinture
― Mais tu le connais, Claude, non? Il te ferait vider la Place de la Concorde si ça lui prenait l'envie, avec son aplomb; il avait été voir le grand patron en lui disant à peu près

« je vous fait la grâce de peindre votre gare, plutôt que celle du Nord , ne me remerciez pas, mon brave...»

Pense un peu, on était aussi inconnus l'un que l'autre, sauf que moi, j'ai jamais eu le millième de son culot. Eh bien, vous me croyez ou pas, mais ils ont bloqué la gare pour lui, et même ils bourraient les locomotives parce qu'il n'était pas content de la couleur de la fumée...Il n'y avait que Claude pour un coup pareil...
Eh bien, il n'en a pas voulu, alors que la série était complète... Elle était formidable...Je m'en veux, je ne l'ai peut-être pas défendue comme il aurait fallu...
― Auguste, je suis sûr que tu t'es plus remué que si ça avait été pour toi...
― Oui, bien sûr...mais Gustave aurait mieux fait de choisir, tiens, justement Claude comme exécuteur testamentaire, lui, il aurait peut-être fait tout prendre, et avec la Garde Républicaine au garde-à-vous en prime...
― Si Gustave t'avait mis toi, c'est que c'est toi qu'il voulait...
― En tous cas, c'est une belle perte, même pas un tiers qui a été accepté...dans trente ans, leurs enfants leur demanderont s'ils étaient fous...
― Combien ont été pris finalement?
― 27 sur les 67 de la collection...
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Message  Invité Sam 17 Oct 2009 - 10:37

Toujours très intéressant, et j'ai été ravie de l'évocation d'Ambroise Vollard, Réunionnais célèbre...

Menues remarques :
"en réglant la lumière comme il le veut avec des stores qui permettent de doser exactement le flux lumineux" (ça se voit, je trouve, ces deux mots de même racine si proches)
"le vôtre, là, le grand"
"je vous fais la grâce"

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Message  Invité Sam 17 Oct 2009 - 16:38

Philippe, je me demandais : dans quel domaine tu sèches ? A part les maths ?
Parce que tu es quand même fichtrement éclectique ! Je t'épouse quand tu veux ( enfin quand je serai veuve, tout de même, pas avant, hein ?!)
J'adore les touche-à-tout ( si tu crois que je vois pas l'étincelle de malice que tu viens d'avoir dans l'œil ( œ merci socque!) !) les amateurs et les dilettantes à condition qu'ils y mettent de la passion et là, on est servi ! Chapeau, on se régale !

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Message  bertrand-môgendre Mar 20 Oct 2009 - 19:57

Je continue à te lire et à ne pas te commenter ! (déjà expliqué précédemment).
Tu fourmilles toujours d'idées servies par une plume alerte et vivante. Le reste n'est que détail.
J'attends toujours la création papier, la seule, la vraie, la palpable, la tant attendue.
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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 7:58

Rien à redire, je trouve ça moderne, pas du tout compassé, vivant quoi !
Je ne doute pas que tu continues dans cette veine.

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Message  silene82 Mer 21 Oct 2009 - 8:36

― Dites-moi monsieur Renoir...
― Mais enfin Ambroise, un coup c'est tu, un coup c'est monsieur Renoir...nous nous connaissons bien, tout de même...
― Vous savez, monsieur Renoir, j'ai tellement d'admiration et de respect pour vous que j'ai un peu de mal...
― Oh, mais j'ai du mal à tutoyer moi aussi, monsieur Vollard: j'ai toujours peur de vexer la personne...avec les très vieux amis, il n'y a pas de problème, je les connais depuis tellement longtemps...
― J'aurais bien aimé vous connaître depuis très longtemps, monsieur Renoir...

Marius Biouli monte d'un pas empressé le chemin escarpé qui conduit aux Collettes. Sa mère est boulangère non loin du port, au pied de l'église, seul bâtiment ou presque sur le front de mer, hormis quelques maisons modestes de pêcheurs qui se serrent peureusement dans un périmètre réduit.
Son père est patron-pêcheur après avoir navigué au long cours pendant plus de vingt cinq ans.
Lui même n'a pas été très longtemps à l'école, mais, entré aux Chemins de Fer très jeune, il a gravi des échelons rapidement, grâce à sa curiosité et son intelligence. Par des cours du soir, il s'est qualifié pour devenir adjoint du Chef de Gare, puis Chef de la Gare, qui voit passer un trafic considérable tant de fret que de voyageurs.
Par ailleurs, autodidacte de talent, il excelle dans toutes les formes d'expression artistique, modelage, maquettisme, musique -il joue du violon et dirige l'harmonie municipale, à laquelle il a l'ambition de faire jouer des morceaux du répertoire classique. Mais il a particulièrement un talent singulier pour le dessin et la peinture: à partir d'une méthode qu'il avait empruntée à une bibliothèque, il a très rapidement réussi à rendre savamment contrastes et volumes des petites natures mortes par lesquelles il débuté.
Ses amis l'y encourageaient depuis longtemps: un beau jour, quoique assez timide, il rassembla un certains nombre de dessins, sanguines, fusains, et quelques petites toiles, et monta demander à Renoir ce qu'il en pensait.
Renoir pouvait fort bien jouer à l'ours, quand il avait le sentiment qu'on lui faisait perdre son temps: son travail, sa poursuite fiévreuse de la peinture, était une de ses priorités et obsessions: c'est pourquoi il feignait d'être asocial, bougonnant sans paroles, quand des curieux sans tact venaient le déranger tandis qu'il peignait, l'assaillant de questions sans intérêt. Bien que d'un naturel et d'un caractère très affable, d'une grande politesse et délicatesse dans tous ses rapports, il pouvait parfaitement contrefaire le rustre pour se débarrasser d'un importun.
Le jeune Mario était plein de respect quand il fut introduit par Gabrielle dans l'atelier où Renoir esquissait une nouvelle fois un enième portrait de Coco, le petit Claude, qu'il avait eu à soixante ans, et qui avait toutes les grâces de l'enfance, bouche boudeuse, bouclettes, et regard tendre. Des carnets entiers de croquis, des gouaches, des aquarelles: Renoir travaillait énormément, et très vite. Il n'attachait aucune importance à tous les croquis préparatoires qu'il avait coutume d'exécuter avant de commencer un sujet sur toile. Périodiquement, il demandait à ceux qui avaient la charge de la maison de l'en débarrasser en allumant le feu avec et surveillait du coin de l'œil pour vérifier si Gabrielle, notamment, se conformait à sa demande: à de nombreuses reprises, il l'avait vu en mettre de côté, car brûler des aquarelles et des gouaches ravissantes, lumineuses, pleines de détails, lui semblait une hérésie insupportable; mais c'était un domaine où il était difficile de s'entendre avec le peintre, car il ne voulait laisser que des œuvres abouties, et non des ébauches.
Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'il ait éprouvé une certaine jouissance un peu trouble à brûler des cartons entiers d'esquisses et de croquis, car les observateurs qui le rapportent relèvent qu'il semblait surtout s'y livrer quand il avait des visiteurs.

― Bonjour, monsieur Renoir, je vous remercie beaucoup de bien vouloir me recevoir...
― Bonjour jeune homme, vous savez, mon travail est une maîtresse exigeante, et je ne vais pas avoir beaucoup de temps à vous consacrer...vous voulez me montrer votre travail...
― Oui, j'ai des études ici pour des petites natures mortes...
― Vous avez un joli coup de crayon...Comment avez vous appris?
― Oh, j'ai toujours griffonné...il y a quelque temps, je me suis inscrit à une méthode par correspondance pour apprendre davantage: ils renvoient les travaux corrigés avec des conseils...
― Ça me paraît toujours un peu dangereux, ce genre de choses: dans ce genre de système, vous risquez surtout de tomber sur un vieux grincheux qui au lieu de vous aider à développer votre talent personnel et votre œil...ces anémones, là, c'est drôlement bien fichu...avec trois fois rien, vous les suggérez vraiment...Moi, il me semble que vous allez vous déformer plus qu'autre chose avec ces cours...Si je devais vous conseiller, ce serait de peindre sur nature, sur le vif, en extérieur autant que possible; après, le motif, le sujet, vous êtes gâté ici, entre la rivière, le bord de mer, la montagne en arrière-fond...
― Je vous remercie beaucoup, monsieur Renoir; c'est en fait ce que je voulais faire depuis un certain temps; est-ce que vous me permettriez de revenir vous voir de temps en temps pour vous montrer mes travaux?
― Ça me ferait bien plaisir, jeune homme...comment vous appelez-vous au fait?
― Mario Biouli
― Un vrai nom d'ici, on dirait...
― Il est sarde, en fait...mon arrière-grand-père qui est venu pêcher dans le coin et qui n'est plus reparti...

A dater de ce jour, une amitié avait grandi entre le vieux peintre et le jeune Mario. Souvent Mario montait le voir pour le plaisir de le regarder peindre, et de passer un moment en sa compagnie, dehors; au bout de quelque temps, il amenait une boîte de couleurs, un chevalet léger de campagne, et peignait des aquarelles tout en parlant avec Renoir.

― Vous savez que l'hôtel Sabourin est en travaux, n'est-ce pas...Monsieur Sabourin aurait aimé que je lui fasse quelque chose, mais je ne suis plus en état pour ce genre de fantaisies; j'ai pensé à vous, Mario, j'ai fait quelques esquisses de ce qui pourrait se peindre à fresque dans sa salle à manger du haut, regardez, de la vigne vierge, de la glycine et du jasmin, des lilas retombants, et des oiseaux qui volètent un peu partout...J'ai pensé à vous pour les exécuter , si cela vous plaît...
― Je ne sais pas quoi dire...je vois bien le décor, avec vos esquisses...bien sûr, ça me plairait...mais cela me fait un peu peur...
― Bien sûr, parce que vous n'êtes pas dessus; allez voir de ma part monsieur Sabourin en lui disant que vous êtes le jeune peintre dont je lui ai parlé, et regardez l'endroit où cela doit être peint...vous verrez bien si ça vos inspire...
― J'y passerai en repartant, monsieur Renoir...

École de Génie Civil. Remise des diplômes de fin d'année. Une brillante assistance, pour parler comme les journalistes qui évoqueront dans le journal local, les familles en vue, et iront même jusqu'à décrire les toilettes des dames et les automobiles, pour ceux en possédant.
Pierre a fini second, d'une très courte tête, puisque c'est sur la partie théorique, et sur une question relative aux agrégats, qu'il ne maîtrisait pas parfaitement, qu'il a perdu le demi-point qui lui aurait permis d'être ex-aequo.
Mr Lanzi, rayonnant, se pavane avec son poulain, et prend tout ceux qu'il trouve à témoins, président du jury, professeurs...

― Étienne, fais pas semblant de pas me voir, tourne un peu l'œil par ici; comment ça se fait que Pierre n'a pas fini premier? Vous êtes sûrs que vous avez bien regardé ses dessins d'examens? Ils sont parfaits, mais en plus, ils sont beaux...plus que le premier...
― Sur ça, tu as raison; il a fait cette petite erreur, c'est vrai que c'est pas grand chose, sur la composition des bétons à base d'agrégats diversifiés...
― Vous auriez quand même pu rééquilibrer et le mettre ex-aequo, sur la base de ses plans: c'est quand même ça qui compte, dans le métier, non? Pour les compositions de béton, il aura des experts, non?
― Sur le fond, c'est sûr...mais tu sais comment c'est, tu n'as pas que des amis ici, depuis que tu es parti; on sait que c'est ton protégé...
― Belle mentalité, vraiment; mais bon, franchement, je m'en fous: moi, je sais qu'il aurait pu et dû être premier, alors...et de toutes façons il vient travailler avec moi...
― Tu l'avais sous le coude, hein?
― Disons que je l'avais remarqué...De toutes façons, c'est pour lui donner le maximum de chances que je le prends: quand il voudra voler, il sera bien équipé
― Ça me semble très bien...
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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 8:55

Il faudrait parler d'itinéraires au pluriel, en fait : on suit plusieurs évolutions, et vraiment je trouve l'ensemble passionnant. Tu réussis bien à entremêler ces diverses histoires.

Une remarque à propos du jeune Mario : pourquoi mettre au passé une partie des paragraphes où tu donnes le contexte de sa visite à Renoir, de "il rassembla un certain nombre de dessins" à "il ne voulait laisser que des œuvres abouties, et non des ébauches" ? Je me demande si ce ne serait pas plus vivant si tu installais le présent du texte au moment même de la visite. Certes, il y a les remarques d'ordre général sur Renoir, mais après tout, le présent historique, ça le fait, non ? À toi de voir, bien sûr.

Quelques remarques :
« pendant plus de vingt-cinq ans.
Lui-même »
« il rassembla un certain (et non « certains ») nombre »
« vous verrez bien si ça vous inspire »
« pour parler comme les journalistes qui évoqueront dans le journal local, (pourquoi cette virgule ici ? S’il s’agit d’une mise en incise de « dans le journal local », manque à mon avis la virgule avant le membre de phrase) les familles en vue »
« et (c’est ?) sur une question relative aux agrégats, qu'il ne maîtrisait pas parfaitement, qu'il a perdu le demi-point qui lui aurait permis d'être ex-aequo » : un peu lourd, je trouve, tous ces « qu’ » et « qui »
« prend tou s ceux qu'il trouve à témoins » (je ne suis pas sûre, mais j’écrirais « à témoin »… à vérifier, éventuellement)
« c'est pas grand-chose »

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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 11:52

eau boulot, Silène, ça fait bien voyager ma tête.
Juste un tuc : c'est Marius ou Mario ?

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Message  Invité Mer 21 Oct 2009 - 11:54

J'ai des fins de mois un peu juste, ce qui me conduit à de regrettables économies inconscientes
Je répare : Beau boulot
et juste un truc

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