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Aube Rouge

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Message  Revan Sam 23 Avr 2011 - 9:46

L’Aube Rouge


Ce qu’il y a de pire chez un fanatique, c’est sa sincérité. (Oscar Wilde)

3 octobre 2020
Séoul - Corée du Sud


Par une triste journée d’automne, le monde basculerait dans le chaos. Le chaos permettrait à la Corée de retrouver sa gloire d’antan. Cette ère de violence et de peur serait nécessaire pour l’avènement d’un monde meilleur, pour que la lumière du Grand Leader chasse les ténèbres américaines. La crainte du changement favoriserait son rejet, et les imbéciles rejoindraient l’Amérique impérialiste. Pour peu de temps. Le temps nécessaire à l’annihilation du capitalisme de Wall Street et de son gouvernement fantoche au Sud. Les Yankees s’écraseraient lorsque le Soleil de Corée libérerait ses frères de l’oppression. Il réunirait la Corée en un seul état selon les principes du marxisme-léninisme, et la véritable influence socialiste illuminerait les âmes égarées du monde entier. Pas le faux communisme chinois, mais le Juché, cette idéologie qui mènerait les Coréens au sommet de leur puissance.

Kim Sung-min en était persuadé.

Pour le garde du corps du Président de Corée du Sud, aussi. Par ailleurs, il serait l’instrument du Grand Leader pour frapper le cœur de l‘ennemi.

Il inspira une grande goulée d’air pour se calmer, et fit le vide dans son esprit. Le garde se laissa porter par les cris de la foule, et l’odeur aigre de sueur qui en émanait. Comment apprécier les senteurs de son pays avec la pollution ambiante qui stagnait dans les rues de Séoul ? « Une ville américaine implantée en Corée », cracha-t-il pour lui-même.

La cérémonie avait lieu dans le Dream Hub, le nouveau quartier récemment achevé sur les restes d’une base américaine. L’esplanade était recouverte de fidèles qui arboraient des tee-shirts aux couleurs de la Corée. Des feux d’artifice tirés du plus haut gratte-ciel de Séoul ponctueraient la fin du discours présidentiel.

Le convoi blindé, constitué d’une dizaine de véhicules, arriva finalement sur la place.
En plus de l’habituel cercle de gardes du corps et du cordon sécuritaire, les Américains avaient déployés plus d’une dizaine de soldats en civil, armés et bien en vue. Comme chaque fois qu’il voyait ces impérialistes, il serrait les dents et les poings pour ne pas dégainer son arme. Le simple fait qu’ils souillent sa terre natale l’emplissait d’une rage profonde qu’il contrôlait avec difficulté.

Le président Park Jin-woo émergea de sa limousine blindée. Plus grand que la moyenne, il était issu d’une famille bourgeoise de Busan. Ancien maire de cette ville, il avait usurpé le pouvoir quelques années auparavant. Contrairement à Lee Myong-Bak, il avait tenté de se rapprocher de la Corée du Nord tout en renforçant la coopération avec les ennemis américains et japonais. Un Pantin naïf et stupide. Ce surnom venait lui rappeler que l’ennemi était bien l’Amérique, et que cet homme n’était qu’un simple agent. Une marionnette en somme.

Entouré d’une cohorte de policiers en uniformes de parade, le convoi s’était arrêté à mi-chemin de l’estrade présidentielle. Un cordon se forma pour laisser passer le Président au sein de cette cohue qui vibrait de bonheur sur la musique de l’hymne national. Les paroles détestables agressaient ses tympans, mais Sung-min resta impassible.

La foule en liesse acclama le Pantin, qui les salua chaleureusement en retour. Les visages rayonnants donnèrent la nausée à Sung-min. Tant de joie pour un évènement dramatique qui avait séparé les Coréens pendant plus de soixante-dix ans.

Au passage du Pantin, le peuple agitait des drapeaux sud-coréens. Un véritable blasphème. Il demeura néanmoins stoïque malgré le dégoût de cette scène de fausse exultation. Comment pouvaient-ils saluer ainsi ce bouffon à la botte des Américains ? Le camarade Kim Jung-Un était le seul à mériter pareille adulation, un vrai patriote qui combattait pour la glorieuse révolution socialiste, et non ce fantoche qui dansait au gré des envies de ces bâtards de yankees !

Park Jin-woo serrait les mains des personnes présentes, arborait un sourire de façade pour les caméras en se complaisant de sa notoriété et de cet accueil triomphant. Kim Sung-min secoua la tête. Le Pantin n’en avait plus pour longtemps. Il pouvait continuer de sourire ainsi, mais bientôt Kim Il-sung, le Grand Leader, armerait le bras du garde. Depuis des années, il attendait cet instant unique. Depuis ses dix-huit ans.

Lorsque des officiers nord-coréens l’avaient choisi parmi tous les candidats potentiels, ses rêves s’étaient enfin réalisés. Son seul désir était alors d’accomplir les vœux du Grand Leader. Son entraînement très dur l’avait aguerri. Il était l’un des meilleurs tireurs de Corée, il en était persuadé. Après tout, Kim Jong-il le lui avait dit à l’époque. Et à travers la bouche du Fils, c’était le Père qui s’exprimait. Et qui pouvait contester la bonne parole du Soleil de Corée ?

Il avait également contemplé le visage de l’ennemi. L’ennemi héréditaire. Un vieux Japonais enlevé sur une des plages de son sol natal pour servir la Corée. Sung-min se rappelait la difficulté de son enseignement, qui s’était révélé d’une grande utilité pour infiltrer le camp capitaliste. Pour peu, il en était venu à plaindre ce vieillard dont le peuple s’était soumis à l’impérialisme américain. Ces leçons avaient renforcé son désir le plus profond : refouler les Yankees hors de Corée.

La partie la plus difficile de sa mission avait été de s’intégrer au sein de cette population ignorante des bienfaits du stalinisme. Ils étaient perdus, et Sung-min était l’un des instruments qui les extirperait de ce marasme capitaliste et occidental. Pourtant, il y était parvenu à force de persévérance, et avait su intégrer les plus hautes sphères. Il avait passé sa vie à se conformer au capitalisme et aux lois érigées par les occupants. Il avait même épousé une jeune femme ce qui lui avait conféré une certaine stabilité sociale. Bien que très différente de lui, il l’avait aimé à sa manière. S’il survivait à sa mission, il lui apprendrait les bienfaits du socialisme. Il se l’était juré.

Sa femme était une fervente catholique comme bon nombre de ses concitoyens. Le garde du corps avait en horreur ce culte occidental, importé par des prêcheurs pour corrompre les cœurs coréens. Au moins, dans le Nord, les Coréens avaient rejeté toutes les religions, occidentales et chinoises, pour se concentrer sur culte du Juché et du Grand Leader. Sung-min était un vrai croyant, et ses prières allaient à Kim Il-sung dans l’espoir qu’il l’aide à guider sa main.

Le Président se rapprocha de l’estrade depuis laquelle il devait parler à la foule. Son discours du 3 octobre 2020 pour la fête de l’indépendance. Sung-min reconnut que les Yankees avaient de l’humour. Cynique, mais de l’humour quand même.

L’hymne national résonnait encore dans le Dream Hub lorsque le Pantin monta sur l’estrade. Placé à quelques mètres de lui, il remarqua la sueur qui perlait son front. La chaleur était étouffante en cette journée d’automne ; sa chemise humide lui collait à la peau sous son costume noir impeccable.

Encore quelques minutes et il deviendrait un héros. Adulé des foules, son nom serait repris par toutes les bouches coréennes. Il deviendrait peut-être un martyr, mais le Parti avait besoin qu’on se sacrifie pour lui. Il aurait servi la nation coréenne tout entière. D’une simple pression, il aurait prouvé qu’aucun Américain n’était plus à l’abri, qu’aucun loyaliste de ce gouvernement ridicule n’aurait de répit. Le bien-fondé de ce meurtre lui apparaissait dans toute sa grandeur.

Son regard scruta toute la scène, ses yeux passèrent sur les visages heureux des Coréens présents, sur les visages attentifs des gardes du corps. Ses compagnons d’armes ne se doutaient pas de ses intentions et observaient la foule, prêts à se jeter sur le Pantin. À sacrifier leur vie pour qu’il puisse encore exercer sa fonction de marionnette.

Puis il croisa le regard des mercenaires de Washington. Ils se tenaient fiers, l’arme en bandoulière. Que pourraient-ils faire ces puissants Yankee lorsque Sung-min abattrait sa dernière carte ? Ils observeraient la chute de leur estimé Pantin. Un simple prélude à la leur.

Park Jin-woo entama son discours sur la nécessité d’établir de bonnes relations entre les différents pays d’Asie de l’Est, de renforcer la coopération avec la Corée du Nord conciliante depuis plusieurs mois. La réunification n’avait jamais paru aussi proche. Sung-min était au moins d’accord sur un point avec ce Président.

Il continua à évoquer les difficultés du quotidien mais que le courage de la population avait permis de surmonter. Mais Sung-min n’écoutait plus. Il ne voyait plus que le Pantin de dos, dans son costume importé d’Amérique. Aucun des gardes du corps ne prêtait attention à ce qui se passait sur l’estrade. Après tout, il devait le protéger d’un éventuel agresseur dans la foule, pas d’une traîtrise dans son propre détachement. Aucun des tireurs d’élite en position ne l’abattrait avant qu’il n’ait accompli sa mission.

Le Nord-Coréen s’avança de quelques pas. D’un mouvement sec, il agrippa la crosse de son arme. Sung-min avait une arme de fabrication américaine chargé avec des cartouches à pointe creuse de même origine. Lui aussi avait de l’humour.

D’un coup, il dégagea son arme du holster, le leva derrière la tête du Pantin et pressa la détente. La balle ressortit entre les deux yeux du Président. La foule retint un cri d’horreur lorsque la tête de leur cher Pantin éclata sous l’impact de la balle. Il s’effondra sur le plancher, déjà mort avant même de s’en rendre compte. Du sang moucheta le pupitre depuis lequel il prononçait son discours. Un frisson d’effroi parcourut la foule et les premiers rangs se dispersèrent dans le plus grand désordre. La panique se répandit comme une traînée de poudre. La peur remplaça la joie, et des hurlements d’horreur se firent entendre. Une douce mélodie aux oreilles de Sung-min.

Il tira encore à deux reprises sur le corps du Pantin auréolé d’écarlate.

Une balle atteignit Sung-min en pleine poitrine. Ses poumons expulsèrent l’air qu’ils contenaient. Il s’attendait à une vive douleur, mais il ne ressentit rien à part cet impact au plexus. Il tenta d’inspirer à nouveau. D’autres impacts le déséquilibrèrent. Il expira avant même de toucher le sol, criblé d’impacts de divers calibres. Les gardes avaient ouvert le feu sur lui, des actes bien inutiles compte tenu des circonstances.

Un sourire ravi flottait sur son visage. Il avait déclenché une guerre pour son Grand Leader.
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Message  elea Sam 23 Avr 2011 - 18:13

J’avoue que le thème n’est pas ma tasse de thé, mais il est bien traité. C’est bien écrit, agréable à lire, on est dans l’ambiance, le personnage est bien campé. Peut-être un tout petit peu d’insistance sur ses motivations, la même idée revient plusieurs fois, d’un autre côté cela marque bien l’obsession de Sung-min.
Et la citation de Wilde est parfaite.
Bienvenue.

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Message  Revan Dim 24 Avr 2011 - 6:29

Merci beaucoup de ta lecture et de ton commentaire
Je vais passer sur un de tes textes ^^
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Message  Invité Lun 25 Avr 2011 - 10:09

Salut Revan.

Le récit est bien mené, l'expression simple et efficace. L'assassinat est décrit avec précision et réalisme,on y est vraiment.

Par contre, au niveau du style, je trouve que ton incipit st très "scolaire", et ce choix au niveau des temps verbaux (conditionnel et passé simple) rend le texte un peu lourd. Pourquoi pas au futur et passé ? Le futur n'est-il pas un temps qui sied mieux à un fanatique.

Au niveau du fond, je trouve que si l'endoctrinement du personnage est très bien rendu (j'ai particulièrement aimé cette idée du "père" qui parle derrière les paroles de son fils, cela donne une dimension sacrée, l'impression d'être dans une secte), par contre, j'aurais aussi aimé "ressentir" ce que le personnage vit : s'il tremble, s'il doute, s'il a peur ou le contraire, bref, un suspens plus grand, une vraie focalisation interne, qui gagnerait en force.

Sinon, c'est un prologue intéressant, mais je ne pense pas que cela puisse être un texte qui se suffise à lui-même, s'il n'y a pas de suite.

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Message  Invité Lun 25 Avr 2011 - 10:10

vincent M. a écrit:Pourquoi pas au futur et passé ?

futur et présent de l'indicatif, je voulais dire

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Message  Revan Lun 25 Avr 2011 - 12:23

Merci de ton commentaire Vincent ^^
Ton avis m'importe beaucoup (grâce à toi, j'ai revu complètement le début du roman)
Je peux bien évidemment essayer de changer les temps. (Mais le reste du roman est au passé, cela ne serait-il pas dérangeant ?). Le présent permet une meilleure immersion et pour le futur, la remarque est bonne ; les convictions de l'assassin en ressortent grandies. Je vais essayer d'axer ma relecture sur le ressenti du personnage, pour le rendre peut-être plus humain, plus proche du lecteur. Car au final, je fais un pari sur l'immersion.

On m'avait conseillé de modifier la fin. Parce qu'il manquait une chute qu'on s'attendait à retrouver.
J'ai essayé d'en écrire un premier jet.


D’un coup, il dégagea son arme du holster et le leva derrière la tête du Pantin.

Plusieurs détonations éclatèrent. La foule retint un cri d’horreur avant que la panique ne se répande comme une traînée de poudre dans les rangs des spectateurs. Les balles atteignirent Sung-min en pleine poitrine. Du sang éclaboussa le Pantin et moucheta le plancher. Ses poumons expulsèrent l’air qu’ils contenaient et s’emplirent d’un fluide vermeil. En vain il tenta d’inspirer à nouveau. Son bras armé flancha mais il pressa la détente à deux reprises avant de s’écraser sur le sol de l’estrade.

La première balle se perdit dans le ciel nuageux de Séoul. La seconde s’encastra dans le dos du vice-président des Etats Unis d’Amérique.

L’absence de douleur le surprit alors qu’il gisait sur le sol, et qu’une mare rougeâtre auréolait son corps. Sa vision se brouilla, alors qu’autour de lui, d’autres détonations survinrent. Les hurlements de la foule lui parvenaient déformés ; une cacophonie incompréhensible agressait ses tympans.

Ses yeux se tournèrent vers un homme qui se hissa sur l’estrade. Vêtu d’un treillis américain et d’un gilet pare-balles noir, il braquait son automatique sur la silhouette prostrée de l’assassin. Il croisa le regard bleu du Yankee avant de sombrer dans l’obscurité.

Un sourire flotta néanmoins sur le visage de Sung-min. Malgré son échec, il avait déclenché une guerre pour son Grand Leader.

Est-ce que ce n'est pas mieux avec cette fin du moins pour une nouvelle ?
Qu'en penses-tu ?
(D'ailleurs c'est pas trop manichéen ?)

Merci d'avance. Et encore merci pour ton commentaire
Revan
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