Le dernier chêne

Ils ont coupé le dernier chêne,
Abattu le dernier pommier,
Ils ont gâché le blé en graines,
Arraché vignes et oliviers.

Le rossignol chante sa peine,
Son cœur ne cesse de saigner.
La boue fait un linceul obscène
A la belette et au sanglier.

...

Ils ont renversé les dolmens
Et les calvaires des sentiers,
Rempli les calices de haine,
Et les autels sont sacrifiés.

C'est une onde grise et malsaine
Qui suinte du vieux bénitier,
Nous n'irons plus à la fontaine,
Nous n'irons plus nous y baigner.

...

Un vent noir souffle à perdre haleine
Dans les mâts brisés des voiliers,
Vaisseaux-fantômes des lunes pleines
Et leurs cortèges de noyés.

Une fille en châle de laine,
Sur la "Falaise des Endeuillées",
Attends et attends que revienne
Celui pour qui elle vient prier.

...

Un calme glacé se déchaîne
Sur l'ancien chemin des douaniers
Des ombres pâles s'y promènent
Poussant des pleurs, traînant les pieds.

Dedans la chambre de la Reine
On a éteint les chandeliers,
Fermé les rideaux et persiennes,
Et fané le bouquet d'œillets.

...

Sur les tarots des Bohémiennes,
Vaines d'images d' écoliers,
La Mort joue son ultime scène
Et le Pendu est crucifié.

Le Magicien se croquemitaine,
L' Empereur finit de régner
Et le Fou a jeté ses chaînes
Sur les cases d'un échiquier.

...

L' Apocalypse nous entraîne,
J'entends ses quatre Cavaliers.
Et les trompettes incertaines,
Du prochain Jugement Dernier.

L'encre noire et bleue de mes veines
S'égoutte à goutte sur mon papier,
Je vais brûler tous mes poèmes
Et mes dessins dans mes cahiers.

...

Ils ont coupé le dernier chêne,
Arraché vignes et oliviers...
Ils ont renversé les dolmens
Et les autels sont sacrifiés...

...
...............Mais...
.....Je sais une contrée lointaine,
.....Sur une carte repliée,
.....Je crois qu'on l'appelait l' Éden
.....En des temps longtemps oubliés.

..........Parfois mes rêves m'y emmènent,
..........Sur les ailes de mes vieux souliers...

C'est sûr que l'agriculture intensive a massacré la Bretagne dans la seconde moitié du siècle dernier. Foutu remembrement qui a rasé les talus, arraché les pommiers et rayé de la carte presque tous les chemins creux.
Mais bon, il reste encore de jolis coins, des alignements de mégalithes et des chapelles rafistolées par des municipalités compréhensive.
Il n'y a vraiment pas de quoi souhaiter se barrer prématurément pour le paradis. D'autant qu'on peut fort bien y être déçu.

Ceci dit, cette chanson (pas très rigolote) est plutôt bien fichue.

Un beau défi d'écriture en seulement 2 rimes et octosyllabes, pas facile de garder une fluidité dans les accords mots / images / messages / sonorités et dans l'ensemble cela tient plutôt. L'inconvénient étant que la lecture est à la longue monotone, un peu endormante, lassante.

Les strophes ne m'ont pas semblé très liées les unes aux autres, des fragments un peu disjoints sur les situations / personnages / époques, cela entrainant une certaine dilution.

Sur les vers, un m'a arrêté, pour sa longueur (je n'ai pas regardé les longueurs mais vous cite celui qui s'est fait sentir en désaccord de rythme) :

« Vaisseaux-fantômes des lunes pleines » le vers fait un vrai 9 (à la lecture on peut difficilement élider le "e" de "fantômes), et rompt le rythme.

Je relève aussi juste ici :

« L' Apocalypse nous entraîne »

J'ai eu du mal à concevoir l'association des 2 notions, « l'Apocalypse » renvoyant pour moi vers une notion violente, alors que le « entraine » davantage à « prend par la main en douceur »; association un peu antinomique (cela sur ma lecture, il y a peut-être / sans doute une dimension autre que je ne connais, ce n'est qu'un ressenti).

Mais merci pour l'ensemble.

Arnaud.

Les strophes sur l'Armor rompent l'unité de sens avec celles sur l'argoat. Mais j'aime, c'est bien réussi. A mettre en musique pour en faire une belle chanson. Et pour le garder percutant, peut-être enlever la dernière strophe avec l'Eden. Bien sur, celle-ci laisse le lecteur sur une note heureuse mais je pense qu'elle enlèverait de la force au chant.

Bonjour

Tant de jolis mots sur seulement deux rimes, il faut le faire!!
Malgré la longueur, on se laisse facilement entrainer par la fluidité de l'écriture et la profondeur du propos.

Vraiment beaucoup aimé

Amicalement

Philippe

Beau pamphlet contre les bleus.

Je rends grâce aux poètes qu'inspire le chêne ou qui lui font une place dans leurs textes. L'un des plus "chêneux" d'entre nous est Hellian (que je regrette de ne plus voir aussi souvent ici, il a peut-être été heurté des suites du concours) qu'on peut avantageusement relire ou lire. J'ai moi-même chesné à la suite de et en hommage à Héllian le Magnifique (ici).

J'ai beaucoup aimé ce texte protest text aux accents manifestes de Bretagne et aux réminiscences de Servat (Gilles, pas William). Ainsi Servatissime est le passage
"Une fille en châle de laine,
Attend.." (La voilà la belle hermine.. triste et seule elle m'attendra) : (ici)

Je ne trouve pas le poème long. Il est fidèle en sa longueur au style des bardes ou aèdes. Il déroule un minimum de narration. La dictature de la brièveté est toute télévisuelle et convient aux tortures du Moi narcissique (qu'on tente trop souvent d'imposer comme poésie, comme si les rives sanglantes des plaies étaient beauté et non hideuses...). Bien sûr que ce texte est dans la veine épique (qui à bien y regarder n'est pas absente de ce site).

Mon seul reproche concerne le "sont" du vers "Et les autels sont sacrifiés". En effet, la phrase et la strophe étant introduites par "Ils ont" ce sont (en plus d'une sonorité pas terrible-terrible) vient en porte-à-faux. Pour ma part je garderais le "ont sacrifié" pour répondre / reprendre le "ont" initial et compenserais par un pied à un autre endroit du vers.

Ce qui donnerait par exemple:
Ils ont renversé les dolmens
Et les calvaires des sentiers,
Rempli les calices de haine,
Et les vieux autels ont sacrifiés.

Encore qu'on peut fort bien se passer de ce pied en plus, voire en trop, pour privilégier les octosyllabes (vers de prédilection de la poésie médiévale). Ce qui donnerait un :

Ils ont renversé les dolmens
Et les calvaires des sentiers,
Rempli les calices de haine,
Et les autels ont sacrifiés.


Merci à Gerwal

Un bel hommage à un vieux pays qui comme tout " vieux" se désagrège, entraînant notre nostalgie...
J'ai bien aimé, mais je ne suis pas sûre que l'olivier soit ici à sa place ! La vigne, je veux bien ( j'ai même découvert du muscadet rouge !)
Il y a de beaux accents, un rythme.
Quelques vers de moins rendraient l'ensemble plus concentré, partant plus efficace.

coline Dé a écrit:... bien aimé, mais je ne suis pas sûre que l'olivier soit ici à sa place !

Coline je peux me tromper mais il me semble que la vigne et l'olivier sont ici intemporels et a-géographiques. Il s'agirait de l'éternelle richesse de la terre, celle de tous les mondes paysans de toujours et de partout. Et l'agriculture est d'origine méditerranéenne (au sens large: Iran/Irak/Egypte).
On retrouve un peu partout cette image pour la même thématique, y compris par exemple chez le poète occitan Marti où le sens de la terre est très fort.

Donc je ne perçois pas de Breizhitude dans la première strophe, ce qui ne sera introduit qu'en suite, à la 3è strophe, avec Dolmen (encore que ce ne soit pas du tout une spécialité bretonne: Aveyron, Portugal, domaine atlantique largo sensu disent les archéologues). Avec la vigne et l'olivier il s'agit d'un éternel, d'un Age d'Or. J'en veux pour preuve la fin où ce couple vigne et l'olivier (par ailleurs 2 symboles également chrétiens) sont de retour...associés à l'Eden (Heaven)

"Ils ont coupé le dernier chêne,
Arraché vignes et oliviers...
Ils ont renversé les dolmens
Et les autels sont sacrifiés...

...
...............Mais...
.....Je sais une contrée lointaine,
.....Sur une carte repliée,
.....Je crois qu'on l'appelait l' Éden"

Assurément un poème complexe. J'hésite entre le rejet du genre folklo-nostalgo-conservateur façon le Puy du Fou, et l'intérêt pour certains vers, certains thèmes qui sont propres en fait en toute évocation du monde enchanté que chacun garde en soi depuis l'enfance.
Savoir modeler ce monde, l'exprimer, vivre sans le trahir, sans le magnifier non plus, c'est une dure tâche d'adulte.

Sur le plan purement formel, en effet je trouve que globalement c'est bien trop long. Oui les bardes et les aèdes composaient des chants très longs, on sait pourquoi, il leur fallait tout retenir par coeur, et sans hésiter ils raboutaient des morceaux selon la disponibilté du public. Mais nous sommes plus modestes et nous écrivons.
La brièveté, Marvejols, n'a rien à voir avec l'épanchement narcissique, le moi a plutôt tendance à s'épancher largement, sans entrave, et je crois que c'est le cas du poème de Gerwal, il nous dit tout ce qu'il a sur le coeur.
La brièveté au contraire marque la volonté de condenser sa pensée, donc d'analyser.

Compter des syllabes? Les erreurs abondent dès "Arraché vignes et oliviers" (= 9) et je crois que c'est inutile.
"Vaines d'images d' écoliers," je suppose qu'il faut lire vaines images, et ces 2 strophes (les bohémiennes et le magicien) sont à mon avis les plus réussies.

Les trompettes de l'Apocalypse, pour autant qu'on retienne cette légende il faut en respecter la force, n'ont rien d'"incertain".
Suffit pour les remarques de détail, je ne sais pas si ça sert à quelque chose de les écrire, globalement l'impression est exprimée.

PS: l'anagramme de Gerwal : Gel , war.

Annie a écrit:PS: l'anagramme de Gerwal : Gel , war.

Je n'ai pas vérifié mais ne pourrait-il pas simplement s'agir de Gérard en Breton? A fortiori quand on va sur ses blogs (par ex. là où l'on peut d'ailleurs entendre Le vieux chêne chanté par Gerwal, en bas à droite dans le player). Au passage on apprend que Gerwal est (entre autres) un admirateur de Glen Morr (un barde) et de Servat (un ... bardeur!).