Figures de style 4 : Sous le voile

Cette route aurait dû m'emmener dans un théâtre vide, celui de la nuit qui vous prend dans son manteau de solitude. J'aurais avancé sur la scène, solitaire, et sous la houlette des étoiles j'aurais sombré dans la houle d'une housse fourragère, bercé par le bouhou d'un bubo bedonnant qui m’aurait fait naviguer dans les eaux profondes du sommeil, j'aurais perdu le nord, rêvé du phare ouest, me serais réveillé à l'est, sans rien de nouveau sous le soleil, pour mettre le cap au sud. La vie nous réserve souvent quelques erreurs.

La lune brillait ce soir là, d'un plein éclat sur le fossé le long duquel je marchais négligemment. Les bretelles de mon sac à dos sciaient mes épaules, je crois que j'étais au bord de l'épuisement. Aussi aurais-je pu passer à côté d'elle sans la voir tant mon regard ne balayait plus rien d'autre que le bout de mes pieds. Et c'est justement sous ma semelle droite que se produisit, dans le silence de la nuit et le bruit de mon pas traînant sur le goudron, un bruit métallique qui me surprit. Je ramassai une tablette en aluminium ayant contenu des médicaments, à son côté la boîte d'emballage : des narcoleptiques. Bon. Rien de fulgurant n'est-ce pas. Sauf que... Encore un peu à côté, mais plus bas cette fois, carrément dans le fossé d'ailleurs, dormait un grand voile blanc avec des cheveux. A l'autre extrémité, un pied chaussé d'une ballerine blanche, l'autre nu avec, entre deux orteils, un couteau suisse, hisse et haut, au secours, cours y vite, vite et bien, un deux trois soleil ! La course ou la vie ! J'ai sauté dans le fossé opposé, coupé ma respiration et le sifflet du hibou.

Silence.

Ou presque... Je perçus un léger ronflement : le soupir d’une jolie fille s’entend plus loin que le rugissement d’un lion ! Malgré la prédominance de mon caractère pour la procrastination, la curiosité réveilla mes sens endormis par de longues heures de marche. Je devins vaillant, l’esprit vif, l’oeil alerte et le corps tendu, et je bondis d’un seul élan en direction du voile !

Pour atterrir sur une salamandre qui ne perdait rien pour attendre ! J’allais la pourfendre, la réduire en cendres... Elle se sauva. Soulagement d’un procrastinien usant peu de sa lame, abandonnant son rasoir et toute velléité.

Assis à côté du doux moteur ronronnant dont le voile battait le rythme, je me décidai à en soulever un coin, côté cheveux. Une couronne de mariée ornait le front d'une jeune femme que... J’eus un mouvement de recul ! Qui provoqua un cri du hibou, il hulula, ça sentait l'hallali, ah la la que n'avais-je fait là ! Elle ouvrit les yeux et son regard amical pétri d’indifférence se planta dans le mien. Je crois qu’elle aussi me reconnut.

« J’ai la bouche pâteuse....
- J’ai trouvé une boîte de neurolpetiques sur la route, ça te dit quelque chose peut-être ?
- Non, oui, enfin... Je me souviens d’une église, et.... Et j’ai pas pu, je ne l’aimais pas, pire que cela, je le haïssais. J’avais une boule de feu dans l’estomac, des épines dans le coeur, un poison dans la bouche, du venin dans le sang. J’aurais voulu déverser tout ça sur l’autel mais je n’ai pas eu ce courage alors je me suis enfuie, j’ai avalé ce qu’il me restait de narcoleptiques, et...
- Et le cri du hibou t’a réveillée.
- J’étais en train de rêver... Tu te souviens quand élève de sixième je me suis cassée la gueule au collège sur une plaque de verglas pour atterrir sur les pieds du plus beau mec de l'école, toi, un grand de troisième, dont j'étais amoureuse of course comme toutes les petites connes du coin, et que je n'osais même pas regarder... ça t'a fait rire toi et tes copains. Moi aussi ça me fait rire... aujourd'hui.
- On fait un bout de route ensemble alors ?
- Dis donc, tu sais que t’as oublié la prosopopée ?
- Chuuutttt... On va la laisser dormir sous le voile, allez viens...»