Figures de style 4 : Hop hop hop
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Kilis
bertrand-môgendre
Janis
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Figures de style 4 : Hop hop hop
La voiture file sur la route du Gois, entre les remous de la mer montante. La musique bondit dans l'habitacle. Elle appuie sur le champignon. Elle a trop chaud. Elle a ouvert la fenêtre. Son voile de tulle blanc la gêne : elle l'arrache et le jette. Le tissu danse un instant dans le rétroviseur. S'accroche à l'image du phare minable, s'éloigne. Soudain, une silhouette noire immobile sur la route. Un grand brun à l'air plutôt méchant : ses préférés. Elle pile. Elle ouvre la porte. Elle dit : monte.
Plus tard dans l'étroite chambre de l'hôtel, elle a enlevé sa robe de mariée et se promène en petite culotte-soutien-gorge. L'homme dort. Il s'est endormi sitôt étendu sur le lir. Elle apprécie qu'il ne pose pas de questions. Néanmoins, elle parle. Elle a une douce voix de fumeuse, une voix issue des cavernes de l'insomnie. Elle ouvre la fenêtre et on entend le bruit de la mer. Elle parle à sa cibiche : « tu te souviens quand élève de sixième je me suis cassée la gueule au collège sur une plaque de verglas pour atterrir sur les pieds du plus beau mec de l'école,un grand de troisième, dont j'étais amoureuse of course comme toutes les petites connes du coin, et que je n'osais même pas regarder...ça l'a fait rire lui et ses copains
moi aussi ça me fait rire...aujourd'hui. Je suis même morte de rire, en quelque sorte ».
Par la fenêtre ouverte, le sifflet bref et rythmé du Hibou petit duc retentit, en écho à son petit rire mélancolique. Ça sonne doux ouaté par dessus les cotres échoués, comme une note d'oued vouée à l'oubli. Les cendres tombent à ses pieds. D'un orteil elle les écrase. Elle s'en fout. Sa nuit de noce, elle la passe avec l'inconnu brun à l'air plutôt méchant, ses préférés, pendant que l'autre se repose dans une autre chambre, de l'autre côté de la mer.
Elle se souvient de tout :
Cette robe qu'on lui passe au corps, elle bouge doucement comme un rideau léger que l'air mince de l'été soulève révélant la nuit de la fenêtre ouverte,
là bas dansent des ombres qui tout à l'heure se glisseront dans les chambres
et la haine revient par vagues successives dans la nuit enfantine
on ne peut se cacher derrière ce rideau transparent
l'aiguille s'enfonce dans sa peau comme quand petite fille s'ouvrait l'épingle de nourrice qui fermait sa jupette, sous les doigts pressés. Nul rideau si léger ne la protégera, elle est debout enroulée dans la robe-rideau qu'elle n'a pas choisie, elle se voit dans la glace, il est debout à côté d'elle avec ses yeux bleus, il rit et la haine la submerge.
Quand ya d'la haine, ya pas d'plaisir, ricane-t-elle
C'est moche, dit l'homme d'une voix de basse sans que rien ne bouge sous le drap; la mer semble bientôt devoir rentrer dans la chambre, la chambre de l'hôtel, hôtel borgne forcément, forcément bon marché, bon marché et moyennement propre, mais elle s'en fout, c'est sa nuit de noce à Noirmoutier avec un type qui lui plaît, un grand brun silencieux, sec comme un coup de couteau, un couteau suisse forcément, forcément.
C'est quand il s'est mis à rire en me voyant dans la robe que j'ai pété un plomb.
Tu comprends, y avait ce type beau comme un dieu en troisième, et c'était le même rire.
De tout façon, dit-elle, jamais je n'ai voulu prendre pour mari un type qui a des yeux de salamandre, et puis je suis polyandre.
Il ne pose toujours pas de questions. Il a tendu le bras vers elle, a pressé doucement son poignet, elle s'assoit.
Et toi, qu'est-ce que tu foutais sur la route ?
Elle a allumé une autre cigarette avec son mégot.
Elle fait tout le temps ça.
Elle est énervante.
Il lui prend la cigarette des mains et fume lentement.
Moi ?
Peut-être que je t'attendais ? dans un jour, dans un mois, dans un an , je procrastinais vois-tu
ou bien
peut-être que je fuyais des trafiquants de narcoleptiques ?
ou alors
Peut-être qu'en me rasant ce matin, tombant des nues et de la fenêtre après mon shoot, j'ai roulé jusqu'à la mer ?
Peut-être, peut-être;
elle pose sur lui un amical regard glacé.
Ça, elle sait le faire.
Il fait ses yeux mauvais.
Il la fait basculer sur le lit.
Elle dit comment tu t'appelles ?
Il prononce un mot formé de trois lettres, un mot qu'elle ne connaissait pas et qui évoque le cri du choucas.
Les vagues se déchaînent à présent contre les parois de la chambre.
Sa robe pendue à un cintre est comme un rideau blanc qui laisse passer la nuit.
Au loin on peut entendre le cri bref et ouaté du hibou petit duc.
La lumière du phare ouest balaye à intervalles réguliers la scène primitive
un rasoir traîne sur le plancher
avec un couteau suisse on peut décapsuler une bière, ou tailler un morceau de bois trouvé sur le chemin
on peut aussi planter sa pointe dans le cou blanc du marié qui rit trop fort.
Plus tard dans l'étroite chambre de l'hôtel, elle a enlevé sa robe de mariée et se promène en petite culotte-soutien-gorge. L'homme dort. Il s'est endormi sitôt étendu sur le lir. Elle apprécie qu'il ne pose pas de questions. Néanmoins, elle parle. Elle a une douce voix de fumeuse, une voix issue des cavernes de l'insomnie. Elle ouvre la fenêtre et on entend le bruit de la mer. Elle parle à sa cibiche : « tu te souviens quand élève de sixième je me suis cassée la gueule au collège sur une plaque de verglas pour atterrir sur les pieds du plus beau mec de l'école,un grand de troisième, dont j'étais amoureuse of course comme toutes les petites connes du coin, et que je n'osais même pas regarder...ça l'a fait rire lui et ses copains
moi aussi ça me fait rire...aujourd'hui. Je suis même morte de rire, en quelque sorte ».
Par la fenêtre ouverte, le sifflet bref et rythmé du Hibou petit duc retentit, en écho à son petit rire mélancolique. Ça sonne doux ouaté par dessus les cotres échoués, comme une note d'oued vouée à l'oubli. Les cendres tombent à ses pieds. D'un orteil elle les écrase. Elle s'en fout. Sa nuit de noce, elle la passe avec l'inconnu brun à l'air plutôt méchant, ses préférés, pendant que l'autre se repose dans une autre chambre, de l'autre côté de la mer.
Elle se souvient de tout :
Cette robe qu'on lui passe au corps, elle bouge doucement comme un rideau léger que l'air mince de l'été soulève révélant la nuit de la fenêtre ouverte,
là bas dansent des ombres qui tout à l'heure se glisseront dans les chambres
et la haine revient par vagues successives dans la nuit enfantine
on ne peut se cacher derrière ce rideau transparent
l'aiguille s'enfonce dans sa peau comme quand petite fille s'ouvrait l'épingle de nourrice qui fermait sa jupette, sous les doigts pressés. Nul rideau si léger ne la protégera, elle est debout enroulée dans la robe-rideau qu'elle n'a pas choisie, elle se voit dans la glace, il est debout à côté d'elle avec ses yeux bleus, il rit et la haine la submerge.
Quand ya d'la haine, ya pas d'plaisir, ricane-t-elle
C'est moche, dit l'homme d'une voix de basse sans que rien ne bouge sous le drap; la mer semble bientôt devoir rentrer dans la chambre, la chambre de l'hôtel, hôtel borgne forcément, forcément bon marché, bon marché et moyennement propre, mais elle s'en fout, c'est sa nuit de noce à Noirmoutier avec un type qui lui plaît, un grand brun silencieux, sec comme un coup de couteau, un couteau suisse forcément, forcément.
C'est quand il s'est mis à rire en me voyant dans la robe que j'ai pété un plomb.
Tu comprends, y avait ce type beau comme un dieu en troisième, et c'était le même rire.
De tout façon, dit-elle, jamais je n'ai voulu prendre pour mari un type qui a des yeux de salamandre, et puis je suis polyandre.
Il ne pose toujours pas de questions. Il a tendu le bras vers elle, a pressé doucement son poignet, elle s'assoit.
Et toi, qu'est-ce que tu foutais sur la route ?
Elle a allumé une autre cigarette avec son mégot.
Elle fait tout le temps ça.
Elle est énervante.
Il lui prend la cigarette des mains et fume lentement.
Moi ?
Peut-être que je t'attendais ? dans un jour, dans un mois, dans un an , je procrastinais vois-tu
ou bien
peut-être que je fuyais des trafiquants de narcoleptiques ?
ou alors
Peut-être qu'en me rasant ce matin, tombant des nues et de la fenêtre après mon shoot, j'ai roulé jusqu'à la mer ?
Peut-être, peut-être;
elle pose sur lui un amical regard glacé.
Ça, elle sait le faire.
Il fait ses yeux mauvais.
Il la fait basculer sur le lit.
Elle dit comment tu t'appelles ?
Il prononce un mot formé de trois lettres, un mot qu'elle ne connaissait pas et qui évoque le cri du choucas.
Les vagues se déchaînent à présent contre les parois de la chambre.
Sa robe pendue à un cintre est comme un rideau blanc qui laisse passer la nuit.
Au loin on peut entendre le cri bref et ouaté du hibou petit duc.
La lumière du phare ouest balaye à intervalles réguliers la scène primitive
un rasoir traîne sur le plancher
avec un couteau suisse on peut décapsuler une bière, ou tailler un morceau de bois trouvé sur le chemin
on peut aussi planter sa pointe dans le cou blanc du marié qui rit trop fort.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Parce que la chute est là, je dois avouer que pendant la lecture je n'y croyais pas. Alors tout se tient et c'est bon ça.
Une vraie atmosphère se dégage de l'ensemble, comme si ton écriture filait doux sans accroche aucune pour le dévoreur pressé que je suis.
J'aime bien la rupture de rythme à partir de ... Elle se souvient de tout :
et j'irai même jusqu'à dire que le texte vit mieux.
Les dialogues non marqués m'indisposent toujours autant. C'est un style particulier.
Bien joué donc pour cet exercice difficile.
Une vraie atmosphère se dégage de l'ensemble, comme si ton écriture filait doux sans accroche aucune pour le dévoreur pressé que je suis.
J'aime bien la rupture de rythme à partir de ... Elle se souvient de tout :
et j'irai même jusqu'à dire que le texte vit mieux.
Les dialogues non marqués m'indisposent toujours autant. C'est un style particulier.
Bien joué donc pour cet exercice difficile.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Du Janis pur jus ! Contraintes ou pas, tu cisèles, tu ellipses, tu flingues à bout portant!
Bon, si on veut pinailler : le phare n'est pas trop hypotypotique dans l'incipit !
C'est jouissif de pouvoir te trouver des trucs qui collent pas parce que sinon, on serait jaloux comme des poux !
J'ai adoré :
une voix issue des cavernes de l'insomnie
Un grand brun à l'air plutôt méchant : ses préférés.
Et plein de trucs qui font ton style, les petites phrases-mitraillette,tout... enfin bon, je suis jalouse ! ( mais je t'en veux pas, j'en veux encore !)
Bon, si on veut pinailler : le phare n'est pas trop hypotypotique dans l'incipit !
C'est jouissif de pouvoir te trouver des trucs qui collent pas parce que sinon, on serait jaloux comme des poux !
J'ai adoré :
une voix issue des cavernes de l'insomnie
Un grand brun à l'air plutôt méchant : ses préférés.
Et plein de trucs qui font ton style, les petites phrases-mitraillette,tout... enfin bon, je suis jalouse ! ( mais je t'en veux pas, j'en veux encore !)
Invité- Invité
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Elle a traversé la mer pour se donner au premier venu. L’idée est forte et visuelle. J’aime que tu ne dises pas dans quel sens, ni le nom des lieux, ni celui de la mer; que tu nous imposes l’instant, cet instant-là tout cru, tout plein; Un texte prégnant, présent et paradoxalement intemporel.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
le premier venu, le premier venu, pas n'importe lequel !
hop je me fais remonter pour pas rester toute seule en bas
dernière fois
hop je me fais remonter pour pas rester toute seule en bas
dernière fois
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Janis, j'ai adoré ton texte sans doute à cause des inconnus bruns à l'air méchant qui me parlent bien...entre autre ;-)
J'ai toujours eu beaucoup de mal à pouvoir objectiver , à argumenter mes coups de coeur, c'est plus de l'ordre du ressenti et ton texte vraiment je l'ai ressenti et surtout certaines images continuent à me poursuivre et ça je t'assure ce n'est pas rien. Merci.
J'ai toujours eu beaucoup de mal à pouvoir objectiver , à argumenter mes coups de coeur, c'est plus de l'ordre du ressenti et ton texte vraiment je l'ai ressenti et surtout certaines images continuent à me poursuivre et ça je t'assure ce n'est pas rien. Merci.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Alors… J’aime bien parce qu’il y a du souffle, de la vie, des détails qui suggèrent.
Au niveau figures de style, t’as fait dans le timide, parfois dans l’invisible, mais ton texte est bon à lire, alors, tout est pardonné
Au niveau figures de style, t’as fait dans le timide, parfois dans l’invisible, mais ton texte est bon à lire, alors, tout est pardonné
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
oouuufff !
(gouttes de sueur qui perlent sur le front)
de toute façon c'est un texte pour les filles : elles me comprennent avec mon grand brun méchant (il y en avait un hier sur le plateau de busnel)
(gouttes de sueur qui perlent sur le front)
de toute façon c'est un texte pour les filles : elles me comprennent avec mon grand brun méchant (il y en avait un hier sur le plateau de busnel)
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
tu sous-estimes mon côté fémininJanis a écrit:oouuufff !
(gouttes de sueur qui perlent sur le front)
de toute façon c'est un texte pour les filles : elles me comprennent avec mon grand brun méchant (il y en avait un hier sur le plateau de busnel)
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
tu me fais rire mais c'est la dernière fois que je fais stagner mon texte en haut
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
moi aussi
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Bien aimé les cavernes de l'insomnie et le style elliptique qui donne pas mal d'étrangeté à l'ensemble. Une griffe, c'est certain, et un personnage principal attachant. Mais bon, je suis partial : je suis un grand brun méchant...
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 70
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
pareil !Gobu a écrit: je suis un grand brun méchant...
mais avec un côté féminin exacerbé
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Hop hop hop
Sur l'art et la manière, l'écriture, le style, rien à dire sinon mon admiration teintée d’un soupçon d’envie.
Mais j'ai été un peu perdue dans l'histoire au niveau des hommes, entre le présent et le souvenir, pas longtemps, juste quelques hésitations en première lecture, mais c’est sans doute moi.
Mais j'ai été un peu perdue dans l'histoire au niveau des hommes, entre le présent et le souvenir, pas longtemps, juste quelques hésitations en première lecture, mais c’est sans doute moi.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
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