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Figures de style 4 : Ascension

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Kilis
Janis
bertrand-môgendre
grieg
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Message  grieg Mer 7 Mar 2012 - 19:05

Je tiens ma robe, haut, ça coule le long de ma jambe. Je caresse la jarretière. Ma traîne suit péniblement.
Les marches, devant, jouent à l’illusion d’optique. On aurait dû les peindre de différentes couleurs, façon damier, histoire de nous donner l’impression d’avancer.
Toutes les quarante marches, une fenêtre.
Je compte pour ne pas me perdre.
Dehors, la houle répond au souffle du vent, comme une comptine… Dans la forêt lointaine… Je fredonne, hulule, hurle. Ma voix s’élève dans l’escalier, roule, me précède, rapide, jusqu’en haut du phare, coule, se cogne et revient. Ma voix est blanche, parfaitement camouflée par les murs, l’escalier, ma robe, presque. La haine tourne et m’étourdit. Vertige.
Je trébuche, écorche la paume de ma main sur le crépi. Un peu de couleur. Enfin. Je n’ose pas regarder mes jambes. Doucement. Rien ne sert de courir, il faut pâtir à point.
Cent vingt.
Et puis le noir, dehors, constellé par les clins d’œil rouges des balises qui s’étalent et dansent sur l’océan que l’on devine à peine.
Là, une date s’inscrit sur le mur. Je passe mes doigts dessus.
Ne te retourne pas.
« Tais-toi ! Je ne veux plus que tu me parles. »
Cent quatre-vingt.
Rien ne change. La haine revient. Mêmes marches, rien qui puisse faire une histoire qui ne tournerait en rond. Spirale de haine. Quarante. Fenêtre. Blanc, noir et du rouge. Rien ne change, rien ne peut changer, c’est tout au fond de moi, et ça revient. Quarante. Fenêtre. Blanc, noir et du rouge. Et la haine, spirale d’un phare de Babel que Dieu aurait oublié de détruire.
Et, toi.
Deux cent soixante-dix.
Je pousse la trappe qui mène au fût du phare. Obscurité. Je tâtonne, trouve un interrupteur… Lumière sur une pièce ronde, presque vide, cerclée de portes fenêtres, acier noir et verre, tachées de sel. Au centre, un minuscule moteur ronronne. Une chaise, je m’assois.
J’ai toujours été là pour toi.
« Sauf quand tu dormais ».
Tu te souviens de la première fois que tu m’as vu tomber ?
C’est moi qui voulais te protéger, te protéger de ces imbéciles, morts de rire, parce que tu t’étais ridiculement vautrée, glissant de la plaque de verglas aux pieds de ton idole.

« Mais tu t’es endormi. »
L’émotion, cette chienne… Malgré tout, les rires et les moqueries ont cessé. T’étais toujours là, la tête collée aux baskets de… Comment s’appelait-il déjà ? Grégoire. Ton béguin, le grand de troisième, l’inaccessible crétin… Mais les rires ont cessé, ou plutôt, non, ils n’ont pas cessé, ils se sont déplacés, sur moi, mais je m’en foutais, je dormais, et je t’ai sauvé. Pour la première fois, j’étais content d’être narcoleptique. Si j’avais continué à les insulter, ils m’auraient sûrement défoncé la gueule.
« Crétin. Et je t’ai aimé comme on aime un enfant, pour le protéger. Mais, ce que j’ai dû subir ensuite… Si tu m’avais laissé, j’aurais simplement transformé l’humiliation en anecdote, sans avoir à supporter pendant des années cette peur. Peur qui te changeait en zombie. Cet amical mépris qui me changeait en monstre»
Je me lève, traverse la pièce, trois pas, ouvre une des baies vitrées, le vent s’engouffre. Je ne l’entends plus.
J’ai menti. Je l’ai vraiment aimé. J’aimais son absence d’ambition, le trouver au matin, affalé sur un dessin, sur lequel il avait travaillé la nuit, et s’était endormi ; lui soulever la tête et essuyer l’encre sur sa joue. Il me faisait rire quand il me disait : le jour où je souhaiterai moins travailler, je trouverai un emploi. J’aimais tout de lui avant que la peur ne le rattrape, qu’il ne devienne mou, craintif, ennuyeux, à raser les murs et les gens. Notre vie se résumait à procrastiner, glander, dormir. Et moi, mourir.
On n’a invité personne au mariage. Simple. Sans émotion. Il est malgré tout tombé aux pieds du maire. Et puis la route. Notre voyage de noce… Pourquoi ? Pourquoi a-t-il voulu s’arrêter.
J’ai juste voulu donner un peu de piquant.
« Tais-toi ! »
Comment j’aurais pu imaginer. Je ne l’avais même pas vu ce mec.
« La ferme ! »
Je pose les mains sur mes oreilles. Le balcon est étroit et le vent gronde.
«Moi, je l’avais aperçu, au bord de la route, le pouce tendu, nous l’avions passé pendant que tu me parlais, que tu essayais de me convaincre de nous arrêter, de nous aimer, là, au milieu de nulle part…»
Je ne l’avais pas vu.
« Non, et tu n’as pas vu la suite. Tu n’as rien ressenti. »
Je dormais.

Il sort de l’obscurité. Il me demande si mon ami a un problème. Je lui explique, il sourit, me demande s’il peut finir, fouille sa poche. Le couteau suisse dans sa main, sa main fouille sous ma robe, ma robe découvre mes jambes, mes jambes s’ouvrent, s’ouvrent et mon esprit se ferme.
Son mandrin visqueux, salamandre glissant entre mes jambes, me brûle, à me fendre, à hurler, hoqueter et rendre…

Et toi, dormant, dormant, dormant.
Je te hais. Pour nous, l’avenir, c’est du passé.

Tu ne dors plus, tu ne te réveilleras plus. Jamais. Je vois la voiture, en bas, je vois ton corps, étalé sur le sol. J’enjambe le garde-fou.
J’arrive. Je saute.

grieg

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Message  Invité Mer 7 Mar 2012 - 19:58

Littéralement impressionné voire troublé par ce texte angoissant, d'une violence inouïe. Les contraintes me paraissent invisibles, ce qui est évidemment le but ; elles s'emboîtent même, parfois, sans que ça se remarque, ce qui témoigne de ton talent ou de ta minutie (voire de ton talent minutieux ou de ta talentueuse minutie). Progression implacable, écriture qui en soi ne m'a pas subjugué mais qui rend très bien compte de l'atmosphère vertigineuse. Bel usage de la prosopopée. La métaphore filée de la haine, je n'en parle même pas, ça en transpire, de la haine dans tout ce qu'elle a d'ambigu, de complexe, de limitrophe à la passion.
Ce texte m'a touché, tout simplement.

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Message  bertrand-môgendre Mer 7 Mar 2012 - 20:03

Et bien en voilà au moins une qui a le courage d'apprendre à voler.

Excellent passage : ... Ma voix s’élève dans l’escalier, roule, me précède, rapide, jusqu’en haut du phare, coule, se cogne et revient. Ma voix est blanche, parfaitement camouflée par les murs, l’escalier, ma robe, presque. La haine tourne et m’étourdit. Vertige....
L'ascension est très bien écrite.

Par contre me reste comme une étrange sensation de ne pas saisir les personnages sortant des murs, puis disparaissant sous les pas de la mariée.
Le vent est violent, il trouble un peu ma compréhension.
L'emploi de l'italique, des guillemets et des retours à la ligne y sont aussi pour quelque chose.
J'imagine que tu as bien dissimulé l'ensemble des figures imposées.
Bel exercice.
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Message  Invité Mer 7 Mar 2012 - 21:00

C'est violent et décousu. L'atmosphère est là, et avec une force incroyable le ressentiment face à ce personnage narcoleptique, mais une partie reste un peu confuse, il me semble que tu aurais voulu en écrire plus et que le temps t'a manqué...

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Message  Janis Jeu 8 Mar 2012 - 11:17

j'adore, violent et décousu oui, c'est ça que j'aime justement : sauvage, mauvais, bruit et fureur, rage et désenchantement : c'est OUI
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Message  Kilis Jeu 8 Mar 2012 - 15:52

Ah grieg, toujours une joie de te lire.
Ta mariée, on la suit dans cette course échevelée . Au physique comme au mental. Pour sûr, tu as les poumons pour ce genre très camera sur l’épaule. Certains passages pourraient être plus clairs, je veux dire : oui, tu fournis le trousseau, mais quelle est la bonne clé ? N’empêche, bravo ! Une belle performance
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Message  Invité Jeu 8 Mar 2012 - 18:03

Pour une mariée, fournir le trousseau ...!

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Message  polgara Jeu 8 Mar 2012 - 20:21

je me suis crue dans le projet blairwitch filmé par Truffeau, une pointe de noir et blanc et au loin, la tâche rouge du corps écrasé au sol. c'est un récit que j'ai trouvé vraiment extrêmement cinématographique, avec l'impression d'être plongé dans une ambiance que l'on aime détester ou que l'on déteste aimer, je cherche encore ^^.
j'ai vraiment adoré, aussi parce qu'il reste, à la fin, juste alors que j'écris ces quelques lignes, le sentiment de malaise bien incrusté.
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Message  Chako Noir Jeu 8 Mar 2012 - 23:40

Pierrot le fou, toi! Grieg tu colores avec peu, la mariée en blanc, le reste noir avec quelques pointes de rouge. La qualité d'un bon film monochrome: on ne peut pas en sortir avant d'être arrivé à la fin. Un malaise qui fait plaisir à lire.
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Message  Gobu Ven 9 Mar 2012 - 14:06

Ouh le malaise ! J'ai eu beauoup de mal à m'orienter dans ce texte décousu et d'une présentation plutôt cahotique, mais les personnages émergent lentement de la brume et du vent. L'émotion est une chienne et ce récit à du chien. Du chien de mer, même.
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Message  Janis Ven 9 Mar 2012 - 14:10

c'est son côté grande brune méchante
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Message  elea Ven 9 Mar 2012 - 19:05

Superbe.
Violent, noir, ramassé, haletant, une lecture qui ne laisse pas intacte, j'y étais dans ces marches, avec ce sentiment oppressant de monter vers la chute.
Qu’est-ce que j’aime ressentir quand je lis, je suis servie ici. Merci.

elea

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Message  Invité Sam 10 Mar 2012 - 9:14

Magistral !

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