Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
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Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
« Du haut du promontoire, vous pouvez admirer le golfe, depuis la saignée du canal à l'ensemble d'îlots qui se prélassent au large. Et là, devant vous, ce magnifique phare, tout de blanc taillé, au port éblouissant. C'est un ancien phare de pierre, toujours en fonction, une bâtisse carrée surmontée de son dôme vert-de-gris ».
Non, je ne te crois pas !
Si, ma fille, je t'assure, tu parlais et tu marchais, les yeux fermés. Comme si tu récitais ton laïus de guide. J'ai eu la frayeur de ma vie.
Je suis sous le choc : je ne peux pas imaginer que je suis somnambule. Ce doit être la fatigue de tous ces derniers mois qui ressort. Le jour J avait bien commencé !
… Je n'en peux plus de cette robe de mariée. J'ai horreur de me sentir comme une papillote fourrée, juste bonne à croquer. Je sens Colin en train de se liquéfier, lui aussi. Sa main moite me le confirme. Mais il est bien élevé, reste impassible et affiche le sourire des grands jours. Dans cette chapelle confinée, l'esprit peine à s’élever. Dès que je ferme les yeux, des gyrophares blanchâtres me balaient le fond de l’œil. Dès que je les ouvre, des bouquets blancs, des rubans blancs et la belle famille en hémicycle. Le menton présomptueux et l'amicale condescendance de belle-maman. La calvitie arquée du beau-père flambant neuf. Et Colin de couver à la fois présomption et calvitie... Plus j'observe, plus le tableau de famille me sort par les yeux. Et dire que c'est pour eux que je me retrouve en ces lieux. A vrai dire, moi, je n'en voulais pas de cette cérémonie religieuse.
Mais le prêtre est là, le Père Degarde. Il a la barbe fleurie et la panse bien pansante. Il s'était déjà fait attendre à notre première rencontre et il avait balbutié des excuses vaseuses. De quoi parlait-il au juste, d'une somme de péchés, d'un somme sous les pêchers ? Franchement, je lui trouve une sale mine et un regard blafard. Sa voix chancelle à côté de la ligne mélodique. Je lutte, je lutte pour rester positive... Mais au moment décisif : « Voulez-vous prendre pour époux Monsieur Colin Maillard ici présent ? », voilà subitement que le prêtre s’affale. J'entends un murmure, soufflé, comme au théâtre, puis des bouches s'arrondissent et propagent en cascade : nar-co-lep-tique !.. Vite, de l'eau fraîche... Tous les invités lancent des cris de stupeur. Une cousine s'effondre, entraînant dans sa chute une partie de la famille. Comme un couteau suisse, suis pliée en deux, en deux temps trois mouvements, je quitte l’église par une porte dérobée. Personne ne m’a vue. Sur le parking je me faufile vers la vieille mustang de l'oncle Renaud. Il cache toujours ses clés dans un recoin de la carrosserie au-dessus des roues avant.
Je démarre sur les chapeaux de roue et au premier tournant, ma coiffe s'envole. A quoi bon me voiler la face : je ne pouvais plus les flairer. Je me laisse aller dans l'air frais qui ravive mes couleurs. et subitement, contre une haie, un auto-stoppeur. Je freine sec. Un grand brun avec son T shirt noir rayé de jaune fluo. Un beau sourire souligné d'une fine mouche taillée au rasoir et au ras de la lèvre.
-Vous allez à la pointe du cap ?
Je veux bien vous conduire jusqu'au lac. Après, je dois obliquer.
Mais au moment de descendre, ma salamandre refuse de comprendre et semble attendre. Il insiste pour m'inviter à boire un verre. Stéphane qu'il s'appelle.
Je suis scotchée au glaçon de mon verre, à essayer d'éclaircir le fouillis d'idées qui tournicotent dans mon esprit. A vrai dire, c'est le flou total. Le glaçon s'effondre comme un flan de banquise, un rire qui sonne gras, une plaque de verglas. Attention tu t'agrippes et tu glisses, n'es-tu pas cette élève de sixième qui s'en allait dans un dérapage magistral s'affaler sur les après-skis du beau et du grand Etienne, dont toutes les minettes étaient folles. Je me sens sonnée, histoire de me faire une contenance, mais suis pliée de rire. Ah ! la tête que va faire la sainte famille ! Qu'à cela ne tienne, Stéphane ou Étienne, c'est du pareil au même. Cap sur le grand large !
Alors, nous avons continué jusqu'au phare. Il doit mener des recherches sur le site archéologique qui jouxte la bâtisse. Il possède les clés du phare qui lui servira de gîte le temps de son travail. Il est pressé de me faire explorer son perchoir offert. Et de baisers généreux en fourmis émotives, il m'a promis monts et merveilles. Mordu du mont de Venus, il a fait « cascader ma vertu ». Son truc, c'est l’archéologie et ensemble nous allons avancer les fouilles.
Toute la nuit, les fulgurances du phare ont roucoulé. Le hibou a ajouté sa touche, poussant ses ululements rythmés. Mais les soupirs d'une jeune à marier s'entendent bien plus loin que le rugissement d'une lionne.
Pour l'heure, je vais m'en remettre à mon instinct qui me dicte : « Ajourne, repousse, puis retourne à ta couche ».
Non, je ne te crois pas !
Si, ma fille, je t'assure, tu parlais et tu marchais, les yeux fermés. Comme si tu récitais ton laïus de guide. J'ai eu la frayeur de ma vie.
Je suis sous le choc : je ne peux pas imaginer que je suis somnambule. Ce doit être la fatigue de tous ces derniers mois qui ressort. Le jour J avait bien commencé !
… Je n'en peux plus de cette robe de mariée. J'ai horreur de me sentir comme une papillote fourrée, juste bonne à croquer. Je sens Colin en train de se liquéfier, lui aussi. Sa main moite me le confirme. Mais il est bien élevé, reste impassible et affiche le sourire des grands jours. Dans cette chapelle confinée, l'esprit peine à s’élever. Dès que je ferme les yeux, des gyrophares blanchâtres me balaient le fond de l’œil. Dès que je les ouvre, des bouquets blancs, des rubans blancs et la belle famille en hémicycle. Le menton présomptueux et l'amicale condescendance de belle-maman. La calvitie arquée du beau-père flambant neuf. Et Colin de couver à la fois présomption et calvitie... Plus j'observe, plus le tableau de famille me sort par les yeux. Et dire que c'est pour eux que je me retrouve en ces lieux. A vrai dire, moi, je n'en voulais pas de cette cérémonie religieuse.
Mais le prêtre est là, le Père Degarde. Il a la barbe fleurie et la panse bien pansante. Il s'était déjà fait attendre à notre première rencontre et il avait balbutié des excuses vaseuses. De quoi parlait-il au juste, d'une somme de péchés, d'un somme sous les pêchers ? Franchement, je lui trouve une sale mine et un regard blafard. Sa voix chancelle à côté de la ligne mélodique. Je lutte, je lutte pour rester positive... Mais au moment décisif : « Voulez-vous prendre pour époux Monsieur Colin Maillard ici présent ? », voilà subitement que le prêtre s’affale. J'entends un murmure, soufflé, comme au théâtre, puis des bouches s'arrondissent et propagent en cascade : nar-co-lep-tique !.. Vite, de l'eau fraîche... Tous les invités lancent des cris de stupeur. Une cousine s'effondre, entraînant dans sa chute une partie de la famille. Comme un couteau suisse, suis pliée en deux, en deux temps trois mouvements, je quitte l’église par une porte dérobée. Personne ne m’a vue. Sur le parking je me faufile vers la vieille mustang de l'oncle Renaud. Il cache toujours ses clés dans un recoin de la carrosserie au-dessus des roues avant.
Je démarre sur les chapeaux de roue et au premier tournant, ma coiffe s'envole. A quoi bon me voiler la face : je ne pouvais plus les flairer. Je me laisse aller dans l'air frais qui ravive mes couleurs. et subitement, contre une haie, un auto-stoppeur. Je freine sec. Un grand brun avec son T shirt noir rayé de jaune fluo. Un beau sourire souligné d'une fine mouche taillée au rasoir et au ras de la lèvre.
-Vous allez à la pointe du cap ?
Je veux bien vous conduire jusqu'au lac. Après, je dois obliquer.
Mais au moment de descendre, ma salamandre refuse de comprendre et semble attendre. Il insiste pour m'inviter à boire un verre. Stéphane qu'il s'appelle.
Je suis scotchée au glaçon de mon verre, à essayer d'éclaircir le fouillis d'idées qui tournicotent dans mon esprit. A vrai dire, c'est le flou total. Le glaçon s'effondre comme un flan de banquise, un rire qui sonne gras, une plaque de verglas. Attention tu t'agrippes et tu glisses, n'es-tu pas cette élève de sixième qui s'en allait dans un dérapage magistral s'affaler sur les après-skis du beau et du grand Etienne, dont toutes les minettes étaient folles. Je me sens sonnée, histoire de me faire une contenance, mais suis pliée de rire. Ah ! la tête que va faire la sainte famille ! Qu'à cela ne tienne, Stéphane ou Étienne, c'est du pareil au même. Cap sur le grand large !
Alors, nous avons continué jusqu'au phare. Il doit mener des recherches sur le site archéologique qui jouxte la bâtisse. Il possède les clés du phare qui lui servira de gîte le temps de son travail. Il est pressé de me faire explorer son perchoir offert. Et de baisers généreux en fourmis émotives, il m'a promis monts et merveilles. Mordu du mont de Venus, il a fait « cascader ma vertu ». Son truc, c'est l’archéologie et ensemble nous allons avancer les fouilles.
Toute la nuit, les fulgurances du phare ont roucoulé. Le hibou a ajouté sa touche, poussant ses ululements rythmés. Mais les soupirs d'une jeune à marier s'entendent bien plus loin que le rugissement d'une lionne.
Pour l'heure, je vais m'en remettre à mon instinct qui me dicte : « Ajourne, repousse, puis retourne à ta couche ».
Invité- Invité
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
Il fait bon être auto-stoppeur du côté du phare ouest. C'est quand même la deuxième mariée ce soir qui prend du bon temps. Bref.
L'histoire se lit avec plaisir car le texte possède le rythme dynamique qui me plaît.
Une petite hésitation lors de ce passage :...Sur le parking je me faufile vers la vieille mustang de l'oncle Renaud. Il cache toujours ses clés dans un recoin de la carrosserie au-dessus des roues avant La cachette me surprend.
Par contre la liaison avec le texte imposé est habile.
Je trouve quelques répétitions de-ci de-là et au moment de la partie de jambes en l'air.
Cette phrase était imposée ? Mais les soupirs d'une jeune à marier s'entendent bien plus loin que le rugissement d'une lionne.
J'ai tout loupé alors.
Bravo pour l'exercice.
L'histoire se lit avec plaisir car le texte possède le rythme dynamique qui me plaît.
Une petite hésitation lors de ce passage :...Sur le parking je me faufile vers la vieille mustang de l'oncle Renaud. Il cache toujours ses clés dans un recoin de la carrosserie au-dessus des roues avant La cachette me surprend.
Par contre la liaison avec le texte imposé est habile.
Je trouve quelques répétitions de-ci de-là et au moment de la partie de jambes en l'air.
Cette phrase était imposée ? Mais les soupirs d'une jeune à marier s'entendent bien plus loin que le rugissement d'une lionne.
J'ai tout loupé alors.
Bravo pour l'exercice.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
CHrystie, j'ai beaucoup aimé la façon habile dont tu as inséré les contraintes et l'humour du texte, : la jeune mariée comparée à une papillote fourrée, ( pas encore !) la description haute en couleur de la belle famille, de l'autostoppeur, et les "lesteries" de la fin, ça a fait cascader pas ma vertu mais mon rire !
Invité- Invité
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
Il y a de beaux passages, le portrait de famille entre autre. D’autres m’ont semblés un peu trop précipités et donc (pour moi) pas faciles à décrypter. N’empêche, c’était une gageure d’intégrer autant de contraintes dans un texte relativement court et ton écriture est vive et agréable.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
oui c'est enlevé, c'est rond, ça retombe sur ses pattes. Me manque quand même un petit brin de folie supplémentaire, qui court sous ton texte comme un ruisseau caché
par contre, je n'apprécie guère que tu essayes de me piquer mon beau brun (à l'air méchant ?)
par contre, je n'apprécie guère que tu essayes de me piquer mon beau brun (à l'air méchant ?)
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
Bien aimé la scène dans la chapelle, avec un tel point de vue, la fuite était logique ! Bien aimé ta fin aussi même si elle s'accélère drôlement, le tout dans un ton vif, parsemé d'humour, très agréable.
Un coup de coeur pour la papillotte fourrée !
Un coup de coeur pour la papillotte fourrée !
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Figures de style 4 : Quand rugissent les meltem
un vrai bon texte servi par une écriture qui fait plaisir aux quelques neurones qu'il me reste
j'avoue un penchant particulier pour ton harmonie imitative
bravo et merci
j'avoue un penchant particulier pour ton harmonie imitative
bravo et merci
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
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