Proposition pour l'exercice Réécriture : La jeune-fille au tableau

Qu’est-ce qui n’allait pas chez elle ? Éva se regardait dans le miroir depuis presque une heure. Ses cheveux clairs descendaient rapidement vers ses épaules, et même si elle les trouvait trop secs, son Problème n’était pas là. Peut-être son nez, il n’était pas parfaitement droit, mais il fallait l’observer longuement pour le remarquer, sans compter qu’il n’avait rien de choquant... Sa poitrine ne lui avait jamais permis de faire les premières pages de magazines, mais là non plus, elle n’était pas la seule.
Plus elle se regardait, plus elle se disait qu’elle était comme les autres. Pourtant, les autres n’avaient pas droit à une rupture dans le mois chaque fois qu’elles s’engageaient avec quelqu’un. Les autres arrivaient à garder un travail plus de deux semaines, les autres arrivaient à se trouver un métier, à se dégoter une passion durable sans changer d’avis deux fois par ans.
Mais pas elle, son petit copain vient de rompre, elle a démissionné la semaine dernière, n’a pas de métier et vient de résilier son abonnement au club de tennis. Elle était aussi stable qu’un voilier durant la tempête.

Elle essuya ses larmes d’un revers de manche, accentuant ainsi l’impression du «maquillage coulé» sur sa peau.
On va pas se laisser abattre, hein, ma puce.» se dit-elle a haute voix. «Allez ! On se motive et on va faire un petit tour dehors !».

Elle sauta du lit sur lequel elle s’était assise, et se précipita vers la salle de bain.

***

Au moins une bonne heure et demi plus tard, elle était dehors. Toute bien soignée, toute bien habillée, toute belle : comme si rien ne s’était passé. Il faut dire qu’elle commençait à être habituée à devoir se remettre vite des ruptures, mais aujourd’hui, seulement en quelques heures, c’était un record !
Sur une des rues qui traversaient la sienne, elle vit de nombreuses personnes se masser devant des stands remplis de bric-à-broc. Ça devait être un vide grenier, où quelque chose dans le genre.
Elle s’avança et déambula dans la rue, passant de maison en maison, d’argenteries de grand-mère en pot-de-chambre de grand-père, de jouets de gamins en bouquins d’étudiants.
Elle s’arrête. Quelque chose semble sortir étrangement du décor. Quelque chose qui n’a pas sa place ici. Un tableau. Une jeune-fille dans un tableau.
Elle la fixa, yeux dans les yeux. Sans qu’elle ne puisse expliquer pourquoi, elle voyait en cette fille toute la stabilité qu’elle n’avait jamais réussie à avoir.
Quel âge a ce tableau ?
Cent cinquante ans», lui répondit le monsieur moustachu avec un large sourire commerçant qui ne lui correspondait pas du tout.
Et il coûte combien ?
Cent cinquante euro, mademoiselle !» Il s’apprêtait à inventer une histoire qui rendait ce tableau extraordinaire qui lui faisait mériter ce prix, mais en bonne négociatrice qu’elle était, Éva décida de le couper net dans son élan.
C’est Madame ! Et d’ailleurs, il n’a que cinquante ans ce tableau. Je vous en donne donc cinquante euro, et ce sera certainement la meilleure offre que vous n’ayez jamais. À moins d’attendre un siècle !

L’homme réfléchit rapidement, effaçant son stupide sourire. Enfin, il accepta l’offre et lui céda le tableau avec en prime un léger juron qu’il eut du mal à ravaler, quelque chose comme «garce»...
Éva rentra chez elle et accrocha le tableau à la place du miroir. Elle se senti fatigué et décida d’aller se coucher. Avant de s’endormir, elle jeta un dernier coup d’oeil à sa trouvaille.
Tiens, elles avaient les mêmes yeux, elle ne s’en était pas rendu compte tout à l’heure. Une belle coïncidence !

***

À son réveil, elle se rendit compte que la jeune-fille avait aussi les même cheveux qu’elle aujourd’hui.
Tu sais pas de quoi tu as hérité, là, ma belle. Ils sont secs comme de la paille !

Tous les jours, Éva se sentait de plus en plus fatiguée, et elle trouvait que la jeune-fille du tableau lui ressemblait de plus en plus. Elle sombrait dans une sorte de dépression qui la clouait de plus en plus longtemps au lit.
Au moins, pour une fois dans sa vie, elle était stable !

Le cinquième jours après qu’elle ait acheté son tableau, elle rentra chez elle plus fatiguée que jamais. Elle se sentait capable de dormir toute une semaine.
Elle ne résista pas et alla se coucher.
Le lendemain, elle n’ouvrit pas les yeux. Elle dormit tout le sixième jours. Elle ne rêva pas, elle ne se réveilla pas à cause du soleil... Au contraire, elle n’avait jamais somnolé aussi bien. Elle s’était sentie comme lévitant au dessus de son matelas, absorbée par le vide de son sommeil.

Mais le matin du septième jour, elle ouvrit les yeux. L’image qui arriva à son cerveau fut troublante : elle était en train de se regarder dormir. Elle ne mit pas plus de deux secondes à comprendre qu’elle était dans le tableau. Elle Était le Tableau.
Incapable de bouger, incapable de regarder ailleurs, incapable de pleurer. Elle était anormalement calme, calme et sereine, sereine mais malheureuse.
Au bout de quelques minutes, quelques heures où quelques siècles, elle était incapable d’en avoir une idée, elle se vit se lever. Pas elle, mais son «ex-moi», la jeune-fille du tableau probablement.
Bonjour ! Bien dormi ?» pas de réponse... «Pas bien bavarde ce matin à ce que je vois ! J’ai un cadeau pour toi.»

La jeune-fille disparut puis revint avec un pinceau et un petit pot de peinture. Elle commença à écrire des mots incompréhensibles sur la toile :

«emmoH’l ed ruehnob el tiaf étilibatsni’L»

Et tous les jours, toutes les nuits, Éva pouvait voir la jeune-fille vivre son instabilité, qu’elle avait détesté, mais qu’elle enviait maintenant. À tous ceux qui croient que le bonheur est dans l’état de «plante verte», achetez un tableau.