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Marie-Christine, une enragée minuscule

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Marie-Christine, une enragée minuscule Empty Marie-Christine, une enragée minuscule

Message  bertrand-môgendre Dim 18 Mar 2012 - 21:25

Marie-Christine


— J'ai faim !
Dans cette cave, murs humides sur terre battue prédisposaient à la culture des champignons. J'imaginais un rayon de soleil inonder le lieu et ce serait la catastrophe assurée. Coloration immédiate des chapeaux blancs, évaporation instantanée de l'eau de ruissellement, assèchement de l'humus, arrêt de croissance. Bref, la mort des êtres vivants dont je faisais partie.
Au début de mon incarcération, je criais et pleurais, criais et riais, criais et criais mais jamais n'obtenais de réponses. Mes plaintes s'évaporaient aussi vite que la buée qui sortait de ma bouche.

— J'ai soif !
La faim m'avait abandonnée.
Une chanson grésillait dans le jukebox de mes souvenirs.

Depuis combien de temps,
Depuis combien de jours,
Que tu es reparti....
J'en oubliais les paroles.
Il pleut...
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut sur le visage.

Avant visage il devait y avoir une rime comme rivage. Oui, rivage.

Il pleut sur le rivage
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut sur le visage.
Cette chanson égarée était revenue comme par enchantement.
Encore un effort de mémoire et je déclamerais les poésies de mes auteurs favoris.

— J'ai soif !
Mes suppliques ne portaient pas plus loin que le mur qui me renvoyait à moi-même. Nous étions seuls, l'écho et moi. Aucune échappatoire possible de ce trou à rats creusé dans la roche, si ce n'était le puits de lumière perçant le plafond. De là tombait le seul lien avec l'extérieur, un panier en osier qui butait contre une ferraille au faîte du plafond, déversait son contenu à même le sol. Au début, j'avais pensé le saisir, l'agripper, le tirer pour entraîner vers moi le manipulateur tenant l'autre bout de la corde.
Trop petite. Ce défaut physique s'amusait à consolider mon complexe d'infériorité. Dans l'équipe de basket mon mètre cinquante au milieu des géantes paraissait ridicule.
Trop petite. Voilà que se pointait à nouveau la sentence de l'entraineuse. Trop petite pour saisir un panier.

— J'ai soif !
Pleurer, oui mais pour quoi faire ? Évacuer ma colère ? Non, inutile.
Enragée, je devais me concentrer pour consolider ma détermination légendaire. Je comptabilisais les passages du noir à la clarté. Les intervalles correspondaient au rythme des journées. Je gravais avec un caillou de petits traits délimités par le blanc salpêtre.

Voilà combien de temps,
Voilà combien de jours,
Que tu es reparti...
Anne Vanderlove. J'étais persuadée que c'était elle, la chanteuse. Barbara, Gréco auraient pu l'interpréter tout autant. Ici, lorsqu'il pleuvait, l'eau suintait des murs, stagnait un moment sur le sol avant de s'écouler dans un regard obturé par une grille solidement scellée dans du ciment.

— J'ai soif !
J'aurais du papier, je dessinerais l'endroit. J'aurais un stylo j'écrirais cette histoire. La mine de plomb noircirait quelques taches contre le mur. Elles illustreraient bien les cavités petites mais solides que j'avais pu réaliser jour après jour. Le premier caillou que j'avais utilisé comme outil n'était pas plus gros qu'un ongle, mais contenait toute l'énergie de mon désespoir. Jamais je n'aurai pu imaginer avoir la patience de gratter centimètre après centimètre le joint des pierres. L'idée de m'évader avait germé dès la première seconde où j'avais ouvert les yeux.
À quatre mètres du sol, le puits de lumière débouchait sur le plafond. Cheminée.

— J'ai soif !
Je devais attendre ma livraison quotidienne. Sitôt le riz dévoré, sitôt l'eau avalée, je calculais mentalement le nombre de secondes exactes pour atteindre l'ouverture.
Les gestes précis cent fois répétés pour se positionner dans le puits, le pied gauche calé poussant fort contre la paroi tandis que le droit replié sous les fesses assurerait la poussée vers le haut, jusqu'à atteindre la sortie estimée à six mètres. Vu du bas, les longueurs semblaient tronquées.
Mes séjours à Argentière avec mon éducateur Grangeard, m'avait permis de connaître les rudiments de l'escalade. Guide de profession première, il m'enseigna vite et bien. Mon attitude de rebelle débrouillarde me permit de me qualifier dans la catégorie des garçons manqués. Plus tard, à tord ou à raison, je n'en manquais pas de garçons.

— J'ai soif !
L'attente réserve de drôle de surprise, la non-action.
Concentrer son énergie pour s'échapper d'une mauvaise passe. Tout contrôler, le temps, les mouvements, les gestes précis. Bien répéter dans sa tête le chemin à suivre. J'avais tout organisé dans les moindres détails, repéré les pierres saillantes jusqu'à la trouée du puits de lumière, la progression dans cette cheminée, lente mais solide. Ne jamais flancher, pour ne pas riper, déraper.
Sept mouvements me seraient nécessaires : quatre prises pour le pied gauche, autant pour le droit, les mains seront mises à forte contribution lorsque je devrai m'emparer du piton scellé dans la roche. Le passage dans la cheminée sera des plus délicats. Il consistera à rester suspendu avec les bras collés au corps tout en provoquant un mouvement de balancier pour me permettre de projeter les pieds contre la paroi opposée. Fixation, rétablissement. Le reste semblait un jeu d'enfant. J'avais connu épreuve autrement plus ardue dans les Grandes Jorasses avec mon référent. Nous partions du refuge de Leschaux de bonne heure le matin pour effectuer nos courses. Si le matériel me semblait peser lourd dans mon sac à dos, j'appréciais sa présence pendant l'ascension. Grangeard le montagnard connaissait l'indispensable, pas le superflu. Les charges inutiles se retrouvaient bien souvent abandonnées sur le parcours par les apprentis grimpeurs. Dans cette cave, je n'aurais ni matériel, ni charge à transporter. Seule mes muscles seraient sollicités pour dégager ma carcasse hors de cette prison.
Demain je pars.

— J'ai soif !
J'avais bien organisé mon évasion. Le panier devait déverser ma ration quotidienne. L'esprit de liberté m'occupait à présent à chacune de mes respirations. J'observais mon souffle qui prenait de la hauteur puis disparaissait comme aspiré par la cheminée. C'était donc bien là le chemin à suivre pour m'échapper. Je me gardais bien de parler fort, de peur de trahir mes intentions. Je me chuchotais les encouragements. De la place où je me situais, je ne pouvais voir le sommet de la cheminée. Pas de porte. Pas de fenêtre. Le solide mur en forme de citerne était constuit en pierre de taille.
Demain je pars.

— J'ai soif !
Chaque panier déversait une boule de riz enveloppé dans un film transparent. Une bouteille plastique d'un demi-litre d'eau devait contenter mes besoins quotidiens. Je m'en contentais. Au début de mon incarcération, j'avais jeté les bouteilles vides, empilé, explosé. Elles se transformaient tantôt en défouloir, tantôt en objet créatif, récréatif. Depuis un certain temps, j'avais décidé d'aligner les bouchons restés à ma portée. Sagement ordonnés par paquets de sept, les 428 bouchons comptabilisaient mes journées enfermées ici.
Demain je pars.

— J'ai soif.
Le piton scellé ne bougeait pas de place. Je me voyais prendre appui dessus pour me hisser vers la sortie. Quatre mètres de mur, six mètres de cheminée. Facile pour une grimpeuse comme moi.

— Fastoche !
Un jeu d'enfant. Un jeu d'enfant sauf que là, le jeu virait à la partie sans fin. J'avais soif de lumière, de vent, de paroles, de bruits, de tourbillons. Un besoin de toucher une peau étrangère ou familière, de goûter la fraîcheur d'un baiser, de me sentir bercée entre les bras protecteurs de mon ami, le dernier en date, celui qui m'avait redonner goût à la vie. Le fait qu'il soit riche m'avait offert la possibilité de ne manquer de rien. Riche, très riche, il était.
Depuis que j'avais vu les champignons me pousser entre les doigts de pied, j'avais l'impression d'appartenir à la terre.

Noir.
Au jugé, minuit se pointait.
Depuis combien de temps mon sang ne rougissait-il plus la rigole ?
Avec lui, mes repères avaient pris le large. Dans repères il y a père deux fois.
Mon premier biologique avait cru bon de me confier à un autre homme et de se faire la malle.
Mon second, adoptif, confondit les vrais câlins aux épanchements d'un vieux mâle.
Mon troisième ne se racontait pas. Tant le bonheur.
Mon tout ressemblait à un puzzle mal emboîté, un non-être recouvert d'une enveloppe non distribuée. L'institution tenta plusieurs placements au rythme de mes rébellions.

Noir.
Précisément, j'avais peur, non pas du noir mais de moi.
Ma certitude peinait à garder le cap.
Un doute s'installait puis disparaissait. Un autre prenait sa place.
Je me réunirai une fois encore.
Je pouvais me permettre de pisser debout. Plus rien n'était tabou, ni sale, ni vivant. Pas même moi.
Si un jour je ne me lève plus, je préférerais être enterrée vivante.

Noir.
Demain je cogiterai ma future évasion pour la énième fois.
Rien ne troublera plus le silence qui m'enchaîne à ce mur de cave.
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Message  elea Lun 19 Mar 2012 - 20:58

J’y reviendrai, j’ai aimé ce texte, beaucoup, mais n’arrive plus à commenter ce soir.

elea

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Message  elea Mar 20 Mar 2012 - 20:18

J’aime les textes sur l’enfermement, je trouve celui-ci réussi, d’autant plus qu’on ne connait pas le pourquoi du comment, on se focalise sur ce que ressent l’enfermée, sur ses pensées tournées vers la sortie.

Bien aimé aussi que la peur ou le désespoir soient à peine évoqués et que tout soit concentré sur l’évasion, le but, les moyens. Une manière de tenir, un espoir auquel s’accrocher puisque que ce ne semble être qu’un leurre.

Seul bémol : le refrain des "j’ai soif", ils rythment le texte mais finissent par être répétitifs, le premier qui répond au "j’ai faim" et permet de l’abandonner est parfait, ensuite peut-être les supprimer ou les rendre plus rares.

Et puis, mais je ne sais pas si ce n'est pas déformé par le fait que j'ai lu l'exo avant, la fin me paraît un petit peu en décalage avec le reste du texte, le ton est différent.

elea

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Marie-Christine, une enragée minuscule Empty Re: Marie-Christine, une enragée minuscule

Message  Invité Mer 21 Mar 2012 - 8:57

Lu et relu. Chaque fois je découvre quelque chose.
Par exemple, ce "Depuis combien de temps mon sang ne rougissait-il plus la rigole ?" sur lequel j'étais passée et qui d'un coup apporte un nouvel éclairage au texte, à l'histoire de la narratrice, sa condition.
Cela dit, dès la toute première lecture, j'ai pensé - évidemment- à Poe, Le Puits et le Pendule, au début en particulier, où l'enfermement est très présent ("Mes suppliques ne portaient pas plus loin que le mur qui me renvoyait à moi-même. Nous étions seuls, l'écho et moi. Aucune échappatoire possible de ce trou à rats creusé dans la roche, si ce n'était le puits de lumière perçant le plafond. De là tombait le seul lien avec l'extérieur, un panier en osier qui butait contre une ferraille au faîte du plafond, déversait son contenu à même le sol.").
Il y a un passage que je trouve vraiment réussi dans la précision au scalpel de la description: "Sept mouvements me seraient nécessaires : quatre prises pour le pied gauche, autant pour le droit, les mains seront mises à forte contribution lorsque je devrai m'emparer du piton scellé dans la roche. Le passage dans la cheminée sera des plus délicats. Il consistera à rester suspendu avec les bras collés au corps tout en provoquant un mouvement de balancier pour me permettre de projeter les pieds contre la paroi opposée. Fixation, rétablissement. Le reste semblait un jeu d'enfant."
Bien aimé aussi les "j'ai soif" qui rythment le texte et prennent tout leur sens récapitulés en une seule phrase : "J'avais soif de lumière, de vent, de paroles, de bruits, de tourbillons. Un besoin de toucher une peau étrangère ou familière, de goûter la fraîcheur d'un baiser, de me sentir bercée entre les bras protecteurs de mon ami"
Pour finir, j'ai aimé la façon dont le texte est construit, dont il évolue, les révélations progressives comme un mouvement qui s'accélère, et l'abattement de la fin ("Si un jour je ne me lève plus, je préférerais être enterrée vivante."), le calme temporaire avant que le mouvement ne reprenne ("Demain je cogiterai ma future évasion pour la énième fois."), un peu comme un mouvement de pendule justement, celui évoqué dans le passage relevé ci-dessus ("un mouvement de balancier "). C'est un texte riche qui fourmille de détails subtils ( le panier, le matériel d'alpinisme, les petits traits gravés dans le salpêtre...), qui n'en finit pas de se dévoiler. Sans doute parce qu'il puise dans une certaine réalité, celle de Marie-Christine... ?
Un beau, un bon texte, Bertrand.

(Une coquille : "celui qui m'avait redonner goût à la vie." ("redonné"))

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Marie-Christine, une enragée minuscule Empty Re: Marie-Christine, une enragée minuscule

Message  Janis Mer 21 Mar 2012 - 9:20

beaucoup, aussi
vraiment vraiment réussi
sobre et habité
et l'écriture au plus près

et puis

j'ai toujours aimé les garçons manqués
Janis
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Marie-Christine, une enragée minuscule Empty Re: Marie-Christine, une enragée minuscule

Message  Invité Jeu 22 Mar 2012 - 14:24

Bien aimé cette attente mouvementée, fourmillant d'évocations calculées. Perçu les "j'ai soif" comme autant d'incantations.

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Marie-Christine, une enragée minuscule Empty Re: Marie-Christine, une enragée minuscule

Message  mentor Sam 24 Mar 2012 - 22:35


Un texte qui se démarque de ton registre habituel et que j'apprécie toujours
celui-là est grave, très
et le fait de ne rien savoir des raisons de cet enfermement renforce le malaise de la lecture
jusqu'au bout je souhaitais assister à l'évasion, ou à son échec, et puis non, rien, on doit imaginer
et c'est bien

Pour info, 2 autres coquilles en plus de celle relevée par Easter :
- Mes séjours à Argentière avec mon éducateur Grangeard, m'avait (m'avaient) permis de...
- Plus tard, à tord (tort) ou à raison...

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