L'Algérie libre sur nos boulevards

L'ALGERIE LIBRE SUR NOS BOULEVARDS

sur les beaux boulevards
il y a l’histoire qui défile

nous marchons
sur les feuilles écarlates des platanes
je shoote dans leur corps
au craquement de papier froissé

sur les boulevards en automne
il y a des baraques foraines
avec la parade musculeuse
des catcheurs dans leur slip de velours
les auto-tamponneuses
où les flirts se font et se défont
le temps d’un tour de piste

sur un refrain de Dalida
ou des Shadows

la vie est un boulevard périphérique
qu’on ne parcourt jamais en entier
avant que la grande faucheuse
ne vous ratiboise les pieds

les boulevards
ont le goût amer des rouges à lèvres
des dames matures
qu’on raccompagne après
l’effervescence d’un bon dîner

boulevard de Verdun
boulevard de l’Yser
boulevard de la Marne
boulevard des Belges

les boulevards reçoivent
nos retours le dimanche
des concerts
nos cheveux dégoulinant de musique

je n’ose plus descendre les boulevards
l’actualité chaque jour
y dresse ses mausolées

dans les brouillards poisseux
la misère s’assoit

les clochards délirent
des bouteilles de sang rouge
inondant leur estomac

je les ai croisés
leurs yeux sont comme des phares
qui ne comprennent plus rien
à l’humanité

les petits déjeuners
dans les foyers bourgeois
sont indigestes

les journaux du matin
relatent trop d’injustices

dans les cinémas
on pose des bombes
sur les boulevards
on assassine à coups de couteau
pour une Algérie libre

je m’en vais un peu
m’imprégner de l’air sur les lieux

fellagha fellagha
ici c’est le traître mot
qui enflamme les cerveaux

sur les boulevards de la république
il y a le tremplin d’envol
des vacances d’été

attention travaux
arrivent
les rouleaux compresseurs
de l’histoire

d’un revêtement nouveau
ils recouvrent
misère sang promenade
baisers baveux des amours enfantines

tout est propre et lisse
maintenant
sur le macadam des boulevards

tandis que dans les chemins du cœurs
roulent des humeurs
qu’aucune machine
ne saura lessiver.

Quelle élégance pour des "évènements" si tragiques !
Une bouteille d'eau d'Evian ?

Une force incontestée dans cet écrit (la lecture sur le site ne favorise pas les poèmes longs, j'aime avant de lire voir le texte en entier pour sa forme)

Dalida, les Shadows, les fellagha
Autant de références que nous avons en commun
Très beau poème en hommage à une population victime de l'Histoire

Et je découvre que j'aime autant te lire en prose qu'en poésie. J'apprécie beaucoup l'ambiance de ces "boulevards de l'histoire", il fallait bien tout cela pour rendre compte de l'inexorable progression de l'Histoire.

Je garderais tout en vous remerciant mais j'enlèverai ceci, trop convenu et trop pédagogique :

la vie est un boulevard périphérique
qu’on ne parcourt jamais en entier
avant que la grande faucheuse
ne vous ratiboise les pieds

C'est pas mal tout ça. Il est des mémoires qui ne s'effacent pas.

je feuillette ce catalogue, comme une pile de vieux paris match
je feuillette ce vieux catalogue, comme une odeur d'essence dans les 4 chevaux
je feuillette..., comme des relents de fêtes qui s'éloignent les jours d'été
comme les frissons d'un vieil enfant devant la baraque des stripteaseuses

merci Raoul