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Janus tout-puissant

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Message  ubikmagic Mer 9 Mai 2012 - 13:00

... Je me souviens que le premier jour, on nous avait relativement laissés tranquilles. Guidés par un SS-Oberschütze nommé Heffner, nous avions visité les installations et on nous avait donné les consignes de sécurité. Puis, on nous avait remis un texte que nous devions recopier, à destination de nos familles, visant à les informer que nous étions bien arrivés. Il était défendu d’ajouter quoi que ce fût de personnel. Ce courrier serait relevé dans une demi-heure. Ensuite, nous avions quartier libre. Il était, évidemment, interdit de sortir de l’enceinte de la caserne, ni même de parler aux gardiens.

C’est le soir, alors que le soleil s’enfonçait dans une agonie sanglante, que le SS Sturmbannführer Julius Ziebke avait fait son apparition.

Il ne ressemblait guère à l’image d’un commandant SS. Petit, trapu, nanti d’une bedaine de bon vivant, il évoquait de prime abord quelque facteur débonnaire, ou un fonctionnaire des douanes. Mais lorsqu’il nous passa en revue, je réalisai que les apparences m’avaient trompé. Ce que j’avais pris pour un sourire était une moue cruelle. Il nous sondait, nous toisait avec ses yeux gris fer, et ne ménageait pas ses commentaires. Et d’où lui sortait cette bande de freluquets, on les avait tirés du berceau ou quoi ? Nous n’étions que des minables, des fils à maman. Des merdeux à peine capables de se torcher.
Le tout aboyé à la cantonade, comme si les habitants des quartiers avoisinants devaient connaître son jugement. De temps en temps, il rajoutait un coup de cravache, à celui qui ne se tenait pas droit, ou soutenait son regard.

Il nous assura qu’il ferait de nous des SS, dût-il nous rendre la vie impossible. Ceux qui ne correspondraient pas seraient impitoyablement jetés dehors, par la peau des fesses. Ici, on ne conservait que les plus coriaces, qui le méritaient. Il nous le promit : on allait en baver.

Il enchaîna sur un couplet plus conventionnel, ainsi que je l’ai mentionné : notre statut d’élite, nos devoirs de prestige, de perfection. Puis il reprit un ton nettement venimeux : sous son commandement, on attendrait de nous un engagement fanatique, un sens du sacrifice, de l’honneur, du devoir, exemplaires. Tout homme qui se montrerait médiocre ou tiède, par son comportement, actes ou paroles, serait jugé indigne et refoulé sur le champ. Nous devions incarner l’idéal National-socialiste. Et gare à celui qui serait surpris à voler, cacher de l’alcool ou tenter de faire le mur : là, ce serait directement le camp de concentration. Sachsenhausen était juste à côté, on s’y retrouverait avant même d’avoir le temps de comprendre.

Le souper qu’on nous servit me parut fade. J’avais un nœud dans la gorge, l’estomac contracté. Puis, dans la chambrée, je n’arrivais pas à dormir. Je commençai par me tourner, d’un côté, de l’autre, en me disant que le sommeil finirait par venir. Mais en vain. Franz aussi était excité par cette nouvelle vie. Nous étions au fond de la pièce, près de l’étroite fenêtre. Je lui parlais à voix basse, il me répondait tout doucement. Mais nos chuchotements furent entendus : Heffner couchait dans un coin, séparé de la troupe par un simple rideau. Il nous intima l’ordre de faire silence.

Enfin, je dus m’assoupir. Cependant, vers quatre heures, on nous réveilla sans ménagements : sac et barda sur le dos, nous dûmes crapahuter dans les bois, alors qu’il faisait un froid terrible. C’était le SS-Unterscharführer Karl Von Hagen qui se chargeait de notre instruction. Un grand type, maigre et blond, reconnaissable à une balafre qu’il portait sur la joue gauche. Il l’avait reçue lors d’un duel au fleuret et ne cherchait pas à la cacher, à l’atténuer par quelque artifice. Bien au contraire, il semblait fier de l’arborer et présentait de préférence ce côté de son visage. On disait qu’il avait tué son adversaire ce jour-là, un Oberleutnant de la Wehrmacht. Mais le motif restait obscur.

Cavaler en pleine nuit, parmi les ronces et les taillis, n’avait rien d’agréable. En plus, à l’instant où Von Hagen avait débarqué en hurlant, en renversant des lits, je traversais un songe merveilleux où Inge me prenait la main, m’embrassait... Un quart d’heure plus tard, j’étais trempé de rosée, de sueur, griffé sur jambes et bras, les reins sciés par le paquetage. Heureusement qu’avec Franz, nous étions déjà endurcis. Cependant, j’avais du mal à tenir le rythme. Mon ami s’efforçait de m’encourager, avec discrétion. Si Von Hagen s’en était aperçu, je n’ose imaginer ce que ça aurait pu donner.

J’étais fourbu, mais guère surpris : beaucoup de ces entraînements ressemblaient à ceux que nous avions maintes fois effectués aux Hitlerjugend, puis à la caserne Schutzpolizei de Brême.

Au bout de quarante-huit heures, alors que je commençais tout juste à trouver mes marques, on nous annonça qu’un test décisif aurait lieu. Dès notre lever, on nous prévint : aujourd’hui, l’affaire devenait sérieuse.

Je traversai cette matinée le ventre gonflé d’angoisse. Il gargouillait, protestait, refusait d’avaler quoi que ce fût ; je me forçai tout de même, mais le petit déjeuner me pesait, emplissait mes joues d’une salive aigre. Moi qui ne fumais jamais, j’acceptai une des Eicksten de Franz ; elle me fit tourner la tête, j’étais comme engourdi.

Vers midi, nous étions rassemblés près du réfectoire pour l’appel, quand Heffner vint nous chercher.



On nous mit en ligne en bordure d’une clôture grillagée, surélevée de trois rangées de barbelés. Nous étions là, chargés d’un sac à dos rempli de pierres. Dans la main droite, une pelle d’infanterie, en ferraille. Von Hagen, qui commandait cet exercice, énonça en une phrase lapidaire qu’il s’agissait de courir et creuser un trou assez vite pour ne pas être écrasé. Cela me rappela les jeux organisés à la section de Detmold. Sauf que dans le cas présent, ce ne seraient pas des camarades avec une charrette qui chargeraient, mais de véritables véhicules blindés.

Cette épreuve avait valeur de sélection finale : celui qui, trop lent pour éviter le tank, se faisait blesser, était considéré comme incapable d’appartenir à la SS ; il retournait à la vie civile, éclopé. Celui qui finissait écrasé n’appartenait plus à rien, on envoyait un bulletin à sa famille expliquant qu’il était mort au cours d’une manœuvre en conditions réelles.
Von Hagen ajouta que nous avions de la chance : la veille, il avait plu, le sol était gorgé d’eau. On perdrait du temps en glissades, mais on en gagnerait au moment de s’enfouir. Dans d’autres promotions, par temps très froid, il y avait eu beaucoup de cadets tués, la terre étant trop dure et compacte.

Il parlait à contre-jour. J’étais certain que ça n’était pas un hasard. Je clignais des yeux, m’efforçant de ne pas me détourner, de rester bien raide, digne. Il m’apparaissait comme nimbé de lueurs effrayantes. Sa voix calme portait dans le silence alentour. Le soleil chauffait les mottes grasses, par endroits de la vapeur montait. Des corbeaux tournoyaient au loin. J’avais du mal à prendre la menace au sérieux. Pourtant, sur son ordre, derrière lui les moteurs se mirent à vrombir, vomissant une fumée âcre. Il y avait des observateurs sur les tourelles, prêts à guider les pilotes. De chaque côté du terrain, des gardes armés de mitrailleuses. Pendant que l’Unterscharführer retournait vers les chars, je me rapprochai discrètement de Franz :
- Dis, tu crois que c’est vrai ? Ils vont le faire ?
- Ils vont se gêner, peut-être ! Va falloir foncer.
- Mais je…
- Laisse tomber. Prépare-toi, déplie ta pelle !
Non, ça n’était pas une mise en scène, encore moins une plaisanterie. Au coup de sifflet, nous partîmes comme une bande de lièvres débusqués par une volée de plomb.

Je suivais mon ami désespérément, me raccrochais à lui, comme si fixer mon regard sur sa nuque pouvait nous enchaîner, empêcher une distance de s’introduire entre nous. A chaque foulée, les cailloux me défonçaient le dos, s’acharnaient sur ma colonne vertébrale. Au loin, Von Hagen s’était mis à crier, les mastodontes d’acier s’ébranlaient en grinçant. L’officier avait sorti un pistolet, il tirait, j’ignorais si c’était sur nous. Deux fois je me pris les pieds dans une fondrière et m’étalai lamentablement. Mais aussitôt je me relevais, la peur au ventre.

Lorsque nous parvînmes à environ cent mètres de l’extrémité du champ, les gardes firent feu, coupant toute retraite. Alors je me jetai au sol, le grattai avec rage. Sans réfléchir, je me mis à élargir la brèche que Franz avait ouverte dans les touffes d’herbe. Je ne savais pas si nous avions le droit d’unir nos forces, mais c’était venu instinctivement. Le bruit des roues dentées, des engrenages, se rapprochait. Von Hagen, perché sur le premier blindé, nous encourageait à sa manière : visant nos jambes, il faisait siffler ses balles. Un porte-voix devant la bouche, il criait : « Allez-y mes petits cochons ! On ne garde pas les péteux, ici ! Les dégénérés, la merdouille, retour chez Maman » ! Du coin des yeux, je voyais son visage blême se tordre, déformé par une sorte de furie qui n’avait plus rien de commun avec le masque impassible servi quelques minutes auparavant.

Nous réussîmes de justesse à nous tasser dans la cavité. Au tout dernier instant, je n’avais pu m’empêcher de me retourner : les chenilles arrivaient droit vers ma figure. J’étais hypnotisé, incapable de bouger. Franz, couché sur moi, me tira par le col. Mon ami avait eu le réflexe d’arracher son sac ; malgré cela, sa poitrine écrasa la mienne, les pierres me broyèrent les omoplates. Nous étions comme d’involontaires amants, cloués par un spasme non de plaisir, mais d’intense douleur. Je voulus crier, mais je n’avais plus de souffle, mes poumons s’étaient vidés instantanément. Si le char continuait, je vivrais. Si par malheur Von Hagen lui ordonnait de s’arrêter, alors c’en était fini de moi. Franz, livide, son nez plaqué sur ma joue, me vomit dessus. Je fus noyé sous un flot de matières tièdes, un haut le cœur me secoua à mon tour. Confusément, j’entendis un hurlement quelque part.

Le véhicule s’éloigna. Franz se releva, hébété, me tendit la main. Il dut insister pour m'extirper de cette boue, qui avait gardé l’empreinte de mon corps. Nous étions là, tous les deux, les pieds enfoncés dans le sol, couverts de glaise collante. Pliés en deux, crachant, peinant à retrouver notre respiration. Réduits à l’état de loques. Il se laissa tomber sur le bord du fossé, ses fesses firent un floc sonore. Les bottes encore à moitié enlisées, il eut une sorte de haussement d’épaules, un rictus gêné :
- Je suis désolé, c’est le pot d’échappement. Ce putain de Diesel m’a fait dégueuler.

J’étais incapable de lui répondre. Je me rendis compte, à cet instant, que je m’étais déféqué dessus.
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Message  Invité Mer 9 Mai 2012 - 13:58

L'écriture est tellement claire et limpide que vous réussissez l'exploit de me passionner alors qu'à priori, le sujet aurait pu me décourager. Pas une seule seconde je n'ai songé à arrêter ma lecture.

Si je peux me permettre, j'ai juste une petite remarque à faire. J'espère que vous n'en prendrez pas ombrage.
Dans ce passage :

« C’était le SS-Unterscharführer Karl Von Hagen qui se chargeait de notre instruction. Un grand type, maigre et blond, reconnaissable à une balafre qu’il portait sur la joue gauche».

il me semble que deux points seraient bienvenus entre le mot instruction et la suite.

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Message  Remus Mer 9 Mai 2012 - 17:52

J'adore. Rien à dire sur le style, l'écriture, le sujet : au top.

Deux remarques:
- Cet exercice est tiré de votre imagination ou a-t-il vraiment existé?
- " Le souper qu’on nous servit me parut fade. J’avais un nœud dans la gorge, l’estomac contracté. Puis, dans la chambrée, je n’arrivais pas à dormir. Je commençai par me tourner, d’un côté, de l’autre, en me disant que le sommeil finirait par venir. Mais en vain. Franz aussi était excité par cette nouvelle vie. " ... " Franz aussi était excité par cette nouvelle vie. " J'ai d'abord cru à une erreur : Franz est excité, mais pas lui : lui a peur, il est angoissé. Mais ensuite, l'effet est extra : parce que Franz est excité, lui (je n'ai pas son nom, il n'est jamais apparu depuis les extraits que je lis, il me semble) semble convaincu - inconsciemment - de l'être ; ou bien il se ment, se trompe, volontairement. Il se sait angoissé, mais naturellement, il se croit "aussi" excité que Franz. Je ne sais pas si je m'explique bien, bref, j'adore. Voilà, c'est tout !
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Message  Invité Mer 9 Mai 2012 - 20:08

Bonsoir,
Je repasse pour dire que j'ai bien lu votre réponse aux commentaires dans la section discussions autour des textes.
Merci !

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Message  AleK Jeu 10 Mai 2012 - 7:28

l'écriture est fluide.
j'ai tiqué la première phrase le "que" un peu inutile qui alourdi la phrase. il y a un "cependant" aussi qui n'est pas nécessaire à mon avis, mais ce sont des détails.

Ensuite le fond.
les unités SS ont évolué avec le temps dans 35 et 45, mais jamais les méthodes des nazie ont été de casser les soldats. la propagande est une chose merveilleuse, les SS était choisi pour leurs critères physiques et leur idéologie sans faille.
par la suite ce fut plus compliqué, mais une menace de camp pour les sujet difficile, c'est trop extrême en réalité.
"un engagement fanatique" est inclus dans un passage au discours indirect libre du SS, il n'aurait pas utilisé cet adjectif péjoratif pour parler de son idéologie.

sinon, comme toute armée, les SS encourageait la cohésion, et les exercices se faisait plus en peloton qu'en binômes à mon avis, et c'était plus des compétition sportive que des exercices dangereux.

j'aime bien sinon, il y a moyen d'ajouter pas mal de détail historique, de faire d'un des protagoniste un "malgres nous" ou un bosniaque musulman. mais ce texte court est efficaces, il montre l'amitié des deux hommes, c'est une ouverture sur un texte plus long ?
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Message  AleK Jeu 10 Mai 2012 - 7:55

je reviens sur ce que j'ai dit pour l'épreuve effectivement elle est véridique, et même plus :
- Arracher les yeux d'un chat sans le tuer (et sans protection) et les présenter intact à l'examinateur
- Dégoupiller une grenade et la tenir en équilibre (jusqu'à explosion) sur son casque en gardant un garde à vous impeccable
- Creuser une fosse à la pelle de tranchée où se blottir sachant qu'un char vous fonce dessus.

même si à l’époque c'était des épreuve solitaire, mais la on entre vraiment dans le point de détail.
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Message  AleK Jeu 10 Mai 2012 - 9:21

merci pour vos précisions, effectivement, tellement de détail de l'histoire son sujet à extrapolation ou a interprétation, on peut tiquer sur des choses qui semble sorti de leur contexte et en fait non.
j'ai pris ce morceau de texte comme il est présenté sans savoir qu'il faisait parti d'un roman, je comprend mieux la présentation de certain personnages comme le SS à la cicatrice.

Il y a tellement de variation possible dans un cadre historique, et changer ne serais que la ville de naissance peut changer une portion du recit, je trouve cela grisant, même si c'est dangereux car on trouvera toujours quelqu'un pour prétexter un faute Historique. Donc désolé si j'ai pu paraitre tranché dans mes critique, c'est par méconnaissance.

pps : je lui ai volé son chapeau, un de mes plus grand exploit.
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Message  Louis Jeu 10 Mai 2012 - 17:53

Wolfgang et Franz poursuivent leur ascension dans la hiérarchie du pouvoir : ils étaient de simples policiers, ils entrent maintenant dans les rangs des S.S.

Mais l’admission dans leurs rangs se fait par une sélection impitoyable.
Les aspirants à la S.S. sont d’abord isolés du reste de la société, enfermés dans une caserne d’où il leur est interdit de sortir, « Il était, évidemment, interdit de sortir de l’enceinte de la caserne, ni même de parler aux gardiens » ; ils sont coupés de leur famille et coupés d’eux-mêmes.
Dès leur arrivée dans la caserne, ils subissent l’exigence, en effet, de renoncer à leur personnalité. Il ne leur est pas permis d’écrire une lettre à leur famille de leur propre initiative, ils y sont contraints, « on nous avait remis un texte que nous devions recopier ». Ils doivent renoncer à être sujets de leur parole, comme de leurs actes, abandonner leurs désirs et leur volonté individuelle, pour être des sujets soumis et obéissants.
« Il était défendu d’ajouter quoi que ce fût de personnel. » : l’entrée dans la caserne S.S. commence par une dépersonnalisation ; chaque recrue doit être vidée d’elle-même, de ce qui fait sa personne singulière, pour se laisser remplir par l’autorité du supérieur hiérarchique et la discipline de fer ; chacun doit renoncer à soi pour être tout entier sous les ordres.

C’est dans ce milieu fermé, et dépersonnalisé, que se fait la sélection des recrues puis leur formation.
La sélection se présente sous forme d’une épreuve vitale : on survit ou l’on meurt, ou l’on perd son intégrité physique. Une forme de darwinisme est sous-jacente à l’organisation de l’épreuve. Il s’agit de trier ceux qui, naturellement, seraient les plus aptes à survivre aux conditions d’une situation des plus difficiles, des plus dures, des plus dangereuses. L’épreuve n’est pas finale, le test d’un apprentissage, d’un acquis, mais initiale : « Au bout de quarante-huit heures, alors que je commençais tout juste à trouver mes marques, on nous annonça qu’un test décisif aurait lieu ». La formation ne viendra qu’après le tri de ce qui est supposé une force de nature. On développe la force innée, on élimine les faiblesses supposées naturelles.

L’arrivée du dirigeant S.S. annonce la couleur, celle du sang : « C’est le soir, alors que le soleil s’enfonçait dans une agonie sanglante, que le SS Sturmbannführer Julius Ziebke avait fait son apparition. ». Le moment : le soir, la mort du jour, pour indiquer ce qui attend chacune des recrues dans les épreuves de sélection naturelle qu’ils vont subir, la mort de leur personne, et une renaissance au matin comme un homme nouveau, un S.S. incarnant l’idéal nazi. La couleur : mort et renaissance dans le sang et la douleur. Son nom, Sturmbannführer, porte déjà en lui la force de la nature à laquelle il faudra se plier, ou rompre, Sturm : la tempête.

L’idée est confirmée par le discours du dirigeant qui les place dans un état infantile : « Et d’où lui sortait cette bande de freluquets, on les avait tirés du berceau ou quoi ? Nous n’étions que des minables, des fils à maman. Des merdeux à peine capables de se torcher. » Les recrues ne sont encore que des enfants, des « merdeux », ils doivent mourir à l’enfance et renaître adultes. Ce qui les attend, c’est une sélection naturelle qui est en même temps une épreuve initiatique, celle qui leur permettra d’entrer dans le monde des « hommes », les hommes conformes à l’idéal nazi.

L’épreuve comporte un paradoxe. Alors qu’il s’agit de sélectionner « l’élite », les hommes qui seront élevés dans la hiérarchie sociale, les aspirants devront s’enfouir dans la terre et dans la boue. Il leur faudra plonger au plus bas, ils seront mis plus bas que terre pour être admis au plus haut. « Von Hagen, perché sur le premier blindé, nous encourageait à sa manière (…) Un porte-voix devant la bouche, il criait : « Allez-y mes petits cochons ! ». La future élite est d’abord ravalée au rang d’animal, et d’un animal symbole de bassesse, d’ordure, de saleté ; elle est ramenée à l’animalité, à sa part de nature grossière mais capable de survivre aux forces naturelles hostiles, auxquelles on a substitué les chars ; capables d’échapper donc aux forces terribles qui cherchent à les écraser. Il faut se montrer plus fort que ce qui cherche à « écraser ». Il faut au plus bas être capable de se relever ; et non pas y rester, en y perdant la vie, dans un retour à la minéralité inerte. La puissance est un plus de forces, dans un affrontement des forces.
La terre est le lieu de la mort, le lieu de l’enterrement, et aussi le lieu, natura mater, d’une renaissance. C’est là, dans la terre, qu’il faut mourir ou renaître.

Dans l’épreuve, Wolfgang se place, comme toujours, dans les pas de Franz. Franz montre la voie, il la suit. Franz trace le chemin, il le suit. « Je suivais mon ami désespérément, me raccrochais à lui, comme si fixer mon regard sur sa nuque pouvait nous enchaîner, empêcher une distance de s’introduire entre nous. » Ce suivisme est une union, une fusion entre les deux amis. Cette fusion s’accomplit symboliquement dans la terre, dans ce même trou où ils s’enfouissent. Ils renaîtront ensemble, unis et plus forts, unis dans la force. Dans ce trou creusé dans la terre, véritable matrice, ils s’engendrent dans la douleur, « Nous étions comme d’involontaires amants, cloués par un spasme non de plaisir, mais d’intense douleur » ; dans la douleur et dans la force, ils s’engendrent dans et par une union qui fait d’eux un seul être à deux visages, tel la figure mythique et divine de Janus.
Un autre paradoxe, c’est qu’ils survivent à l’épreuve, mais restent soumis à leur corps. Wolfgang reste un enfant, un « merdeux » : « Je me rendis compte, à cet instant, que je m’étais déféqué dessus. »
Si leur esprit, par idéologie, accepte la situation, leur corps se rebelle, et la vomit, et la rejette.

Excellent Ubik, cet extrait au riche contenu.



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Message  Hop-Frog Ven 11 Mai 2012 - 22:16

C'est un beau projet que vous menez là.
Texte immersif, vraiment. Votre écriture est assaisonnée avec mesure, ni plate, ni maniérée ; juste claire.
La fin de ce passage extrêment bien menée (même si le narrateur en a plein le... Janus).
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Message  roro Ven 11 Mai 2012 - 23:48

Bonsoir Ubik, contrairement aux commentaires ci-dessus, j'aime un peu moins que vos autres textes (c'est très subjectif).

Certaines erreurs alourdissent le texte (si je puis me permettre...) :
- interdit de sortir de l’enceinte de la caserne, ni même de parler aux gardien : interdire de... et de...
- mais en vain / j'enlèverais le "mais"
- C’est le soir, alors que le soleil s’enfonçait / accord des verbes?
- « visant à les informer que nous étions bien arrivés »  / un peu trop direct, me rappelle les formulations des lettres de motivation, recommandation, etc. trop formel.

Voilà. Il me semble que ce texte n'est pas abouti, contrairement à d'autres de vous.
Après, pour la cohérence des personnages, la construction des lieux, rien à dire. On imagine bien les personnages et on les "voit" : la scène est imagée, un peu comme dans un film.

Retravailler peut-être la forme. sinon l'écriture est agréable.
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Message  roro Ven 11 Mai 2012 - 23:50

Et aussi, répétition de "et on nous avait", "et on nous avait"...
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Message  roro Ven 11 Mai 2012 - 23:53

Et aussi : trancher entre l'usage du "on" ou du "nous :

"Il nous le promit : on allait en baver"

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Message  ubikmagic Sam 12 Mai 2012 - 19:30

... J'ai tenu compte de vos observations, et j'ai modifié, sur presque tous les points. Et, tant qu'à faire, j'ai rajouté le paragraphe dont je parlais récemment...
... Voyons voir si quelqu'un trouve qui est Janus...



Je me souviens que le premier jour, on nous avait relativement laissés tranquilles. Guidés par un SS-Oberschütze nommé Heffner, nous avions visité les installations ; l’homme, peu loquace, avait marmonné les consignes de sécurité, précisant qu’elles étaient, de toutes façons, affichées dans le hall. Un texte nous fut remis, que nous devions recopier, à destination de nos familles, visant à les informer que nous étions bien arrivés. Il était défendu d’ajouter quoi que ce fût de personnel. Ce courrier serait relevé dans une demi-heure. Ensuite, nous avions quartier libre. Pas question de franchir l’enceinte de la caserne, ni même parler aux gardiens.

C’est le soir, alors que le soleil s’enfonçait dans une agonie sanglante, que le SS Sturmbannführer Julius Ziebke avait fait son apparition.
Il ne ressemblait guère à l’image d’un commandant SS. Petit, trapu, nanti d’une bedaine de bon vivant, il évoquait de prime abord quelque facteur débonnaire, ou un fonctionnaire des douanes. Mais lorsqu’il nous passa en revue, je réalisai que les apparences m’avaient trompé. Ce que j’avais pris pour un sourire était une moue cruelle. Il nous sondait, nous toisait avec ses yeux gris fer, et ne ménageait pas ses commentaires. Et d’où lui sortait cette bande de freluquets, on les avait tirés du berceau ou quoi ? Nous n’étions que des minables, des fils à maman. Des merdeux à peine capables de se torcher.
Le tout aboyé à la cantonade, comme si les habitants des quartiers avoisinants devaient connaître son jugement. De temps en temps, il rajoutait un coup de cravache, à celui qui ne se tenait pas droit, ou soutenait son regard.
Il nous assura qu’il ferait de nous des SS, dût-il nous rendre la vie impossible. Ceux qui ne correspondraient pas seraient impitoyablement jetés dehors, par la peau des fesses. Ici n’étaient conservés que les plus coriaces, qui le méritaient. Il le promit : on allait en baver.
Il enchaîna sur un couplet plus conventionnel, ainsi que je l’ai mentionné : notre statut d’élite, nos devoirs de prestige, de perfection. Puis il reprit un ton nettement venimeux : sous son commandement, on attendrait de nous un engagement fanatique, un sens du sacrifice, de l’honneur, du devoir, exemplaires. Tout homme qui se montrerait médiocre ou tiède, par son comportement, actes ou paroles, serait jugé indigne et refoulé sur le champ. Nous devions incarner l’idéal National-socialiste. Et gare à celui qui serait surpris à voler, cacher de l’alcool ou tenter de faire le mur : là, ce serait directement le camp de concentration. Sachsenhausen était juste à côté, le coupable s’y retrouverait avant même d’avoir le temps de comprendre.

Le souper qui nous fut servi me parut fade. J’avais un nœud dans la gorge, l’estomac contracté. Puis, dans la chambrée, je n’arrivais pas à dormir. Je commençai par me tourner, d’un côté, de l’autre, en me disant que le sommeil finirait par venir, en vain. Franz aussi était excité par cette nouvelle vie. Nous étions au fond de la pièce, près de l’étroite fenêtre. Je lui parlais à voix basse, il me répondait tout doucement. Mais nos chuchotements furent entendus : Heffner couchait dans un coin, séparé de la troupe par un simple rideau. Il nous intima l’ordre de faire silence.

Enfin, je dus m’assoupir. Cependant, vers quatre heures, on nous réveilla sans ménagements : sac et barda sur le dos, nous dûmes crapahuter dans les bois, alors qu’il faisait un froid terrible. C’était le SS-Unterscharführer Karl Von Hagen qui se chargeait de notre instruction. Un grand type, maigre et blond, reconnaissable à une balafre qu’il portait sur la joue gauche. Il l’avait reçue lors d’un duel au fleuret et ne cherchait pas à la cacher, à l’atténuer par quelque artifice. Bien au contraire, il semblait fier de l’arborer et présentait de préférence ce côté de son visage. On disait qu’il avait tué son adversaire ce jour-là, un Oberleutnant de la Wehrmacht. Mais le motif restait obscur.
Cavaler en pleine nuit, parmi les ronces et les taillis, n’avait rien d’agréable. En plus, à l’instant où Von Hagen avait débarqué en hurlant, renversant des lits, je traversais un songe merveilleux où Inge me prenait la main, m’embrassait... Un quart d’heure plus tard, j’étais trempé de rosée, de sueur, griffé sur jambes et bras, les reins sciés par le paquetage. Heureusement qu’avec Franz, nous étions déjà endurcis. Cependant, j’avais du mal à tenir le rythme. Mon ami s’efforçait de m’encourager, avec discrétion. Si Von Hagen s’en était aperçu, je n’ose imaginer ce que ça aurait pu donner.

J’étais fourbu, mais guère surpris : beaucoup de ces entraînements ressemblaient à ceux que nous avions maintes fois effectués aux Hitlerjugend, puis à la caserne Schutzpolizei de Brême.

Au bout de quarante-huit heures, alors que je commençais tout juste à trouver mes marques, on nous annonça qu’un test décisif aurait lieu. Dès notre lever, on nous prévint : aujourd’hui, l’affaire devenait sérieuse.


Je traversai cette matinée le ventre gonflé d’angoisse. Il gargouillait, protestait, refusait d’avaler quoi que ce fût ; je me forçai tout de même, mais le petit déjeuner me pesait, emplissait mes joues d’une salive aigre. Moi qui ne fumais jamais, j’acceptai une des Eicksten de Franz ; elle me fit tourner la tête, j’étais comme engourdi.
Vers midi, nous étions rassemblés près du réfectoire pour l’appel, quand Heffner vint nous chercher.


On nous mit en ligne en bordure d’une clôture grillagée, surélevée de trois rangées de barbelés. Nous étions là, chargés d’un sac à dos rempli de pierres. Dans la main droite, une pelle d’infanterie, en ferraille. Von Hagen, qui commandait cet exercice, énonça en une phrase lapidaire qu’il s’agissait de courir et creuser un trou assez vite pour ne pas être écrasé. Cela me rappela les jeux organisés à la section de Detmold. Sauf que dans le cas présent, ce ne seraient pas des camarades avec une charrette qui chargeraient, mais de véritables véhicules blindés.
Cette épreuve avait valeur de sélection finale : celui qui, trop lent pour éviter le tank, se faisait blesser, était considéré comme incapable d’appartenir à la SS ; il retournait à la vie civile, éclopé. Celui qui finissait écrasé n’appartenait plus à rien, on envoyait un bulletin à sa famille expliquant qu’il était mort au cours d’une manœuvre en conditions réelles.
Von Hagen ajouta que nous avions de la chance : la veille, il avait plu, le sol était gorgé d’eau. On perdrait du temps en glissades, mais on en gagnerait au moment de s’enfouir. Dans d’autres promotions, par temps très froid, il y avait eu beaucoup de cadets tués, la terre étant trop dure et compacte.
Il parlait à contre-jour. J’étais certain que ça n’était pas un hasard. Je clignais des yeux, m’efforçant de ne pas me détourner, de rester bien raide, digne. Il m’apparaissait comme nimbé de lueurs effrayantes. Sa voix calme portait dans le silence alentour. Le soleil chauffait les mottes grasses, par endroits de la vapeur montait. Des corbeaux tournoyaient au loin. J’avais du mal à prendre la menace au sérieux. Pourtant, sur son ordre, derrière lui les moteurs se mirent à vrombir, vomissant une fumée âcre. Il y avait des observateurs sur les tourelles, prêts à guider les pilotes. De chaque côté du terrain, des gardes armés de mitrailleuses. Pendant que l’Unterscharführer retournait vers les chars, je me rapprochai discrètement de Franz :

- Dis, tu crois que c’est vrai ? Ils vont le faire ?
- Ils vont se gêner, peut-être ! Va falloir foncer.
- Mais je…
- Laisse tomber. Prépare-toi, déplie ta pelle !

Non, ça n’était pas une mise en scène, encore moins une plaisanterie. Au coup de sifflet, nous partîmes comme une bande de lièvres débusqués par une volée de plomb.

Je suivais mon ami désespérément, me raccrochais à lui, comme si fixer mon regard sur sa nuque pouvait nous enchaîner, empêcher une distance de s’introduire entre nous. A chaque foulée, les cailloux me défonçaient le dos, s’acharnaient sur ma colonne vertébrale. Au loin, Von Hagen s’était mis à crier, les mastodontes d’acier s’ébranlaient en grinçant. L’officier avait sorti un pistolet, il tirait, j’ignorais si c’était sur nous. Deux fois je me pris les pieds dans une fondrière et m’étalai lamentablement. Mais aussitôt je me relevais, la peur au ventre.

Lorsque nous parvînmes à environ cent mètres de l’extrémité du champ, les gardes firent feu, coupant toute retraite. Alors je me jetai au sol, le grattai avec rage. Sans réfléchir, je me mis à élargir la brèche que Franz avait ouverte dans les touffes d’herbe. Je ne savais pas si nous avions le droit d’unir nos forces, mais c’était venu instinctivement. Le bruit des roues dentées, des engrenages, se rapprochait. Von Hagen, perché sur le premier panzer, nous encourageait à sa manière : visant nos jambes, il faisait siffler ses balles. Un porte-voix devant la bouche, il criait : « Allez-y mes petits cochons ! On ne garde pas les péteux, ici ! Les dégénérés, la merdouille, retour chez Maman » ! Du coin des yeux, je voyais son visage blême se tordre, déformé par une sorte de furie qui n’avait plus rien de commun avec le masque impassible servi quelques minutes auparavant.

Nous réussîmes de justesse à nous tasser dans la cavité. Au tout dernier instant, je n’avais pu m’empêcher de me retourner : les chenilles arrivaient droit vers ma figure. J’étais hypnotisé, incapable de bouger. Franz, couché sur moi, me tira par le col. Mon ami avait eu le réflexe d’arracher son sac ; malgré cela, sa poitrine écrasa la mienne, les pierres me broyèrent les omoplates. Nous étions comme d’involontaires amants, cloués par un spasme non de plaisir, mais d’intense douleur. Je voulus crier, mais je n’avais plus de souffle, mes poumons s’étaient vidés instantanément. Si le blindé continuait, je vivrais. Si par malheur Von Hagen lui ordonnait de s’arrêter, alors c’en était fini de moi. Franz, livide, son nez plaqué sur ma joue, me vomit dessus. Je fus noyé sous un flot de matières tièdes, un haut le cœur me secoua à mon tour. Confusément, j’entendis un hurlement quelque part.
Le véhicule s’éloigna. Franz se releva, hébété, me tendit la main. Il dut insister pour m'extirper de cette boue, qui avait gardé l’empreinte de mon corps. Nous étions là, pitoyables, les pieds enfoncés dans le sol, couverts de glaise collante. Pliés en deux, crachant, peinant à retrouver notre respiration. Réduits à l’état de loques. Il se laissa tomber sur le bord du fossé, ses fesses firent un floc sonore. Les bottes encore à moitié enlisées, il eut une sorte de haussement d’épaules, un rictus gêné :

- Je suis désolé, c’est le pot d’échappement. Ces saloperies de gaz m’ont fait dégueuler.

J’étais incapable de lui répondre. Je me rendis compte, à cet instant, que je m’étais déféqué dessus.


Il y eut des blessés. Le cas le plus grave fut celui d’un nommé Bruckmeyer, si je me souviens bien, traîné sur plusieurs mètres, et qui avait eu la jambe partiellement broyée. Des camarades ont su, je ne sais comment, que lorsque l’intéressé était rentré à la maison, son père, lui-même ponte du Parti, l’avait roué de coups et répudié, couvert de honte par l’échec de ce rejeton qui lui revenait inapte, déshonoré et estropié.

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Message  AleK Sam 12 Mai 2012 - 19:44

j'ai relu (je lis vite l'avantage de ne pas s'attarder sur l’orthographe :)...)

-Pour moi Janus depuis le début ce sont les deux perso, ils interagissent entre eux mais ne font qu'un face au monde, de la à penser qu'ils ne font qu'un.

si je prend les petits textes que j'ai lu en tout cas. Ca et peut être parce que Fight Club est mon film fétiche.
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Message  Louis Dim 13 Mai 2012 - 16:51

Autre interprétation possible de Janus, dont la figure n’est pas dans le texte, et qui n’est, semble-t-il, que le titre de ce passage du roman : Janus est justement la divinité du passage ; il gouverne les entrées et les sorties, il préside à l’introduction et à l’exclusion. Le denier paragraphe rajouté montre une exclusion, le personnage n’est pas admis chez les S.S., mais, de plus, il est « répudié » par sa famille, exclu pour l’avoir déshonorée.
Janus tout-puissant : toute-puissance tutélaire de la force de sélection qui ouvre ses portes aux nouvelles recrues ou les ferme ; qui introduit ou qui exclut, qui admet ou qui rejette. Ou ça passe, ou ça casse : Bruckmeyer repart cassé, « broyé », et exclu.
La question, je suppose, n’était pas néanmoins de savoir si le texte passe ou pas auprès du lecteur.
Peut-être y a–t-il d’autres interprétations possibles encore de la figure de Janus… ( elle évoque d’abord pour moi l’unité d’un être au double visage ).
Pas toujours facile de savoir quelle interprétation est privilégiée par l’auteur.
Salut Ubik.

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Message  Invité Lun 14 Mai 2012 - 18:57

une remarque, la "répudiation" en toute fin de paragraphe ne me semble pas correcte, après consultations de plusieurs dictionnaires.

Un chapitre particulièrement animé et cependant profond, comme le souligne Louis, un pamphlet qui ne dit pas son nom, contre les embrigadements, contre l'adjudant standard . Je n'ai pas le plaisir de jouer à la devinette du Janus, je préfère gouter au texte; sobre et vomitif, et rester avec mes quelques interrogations en suspension. Ainsi ; je n'ai pas établi d'avis précis sur la souillure finale, qui avait été pourtant prédite par le petit gros " vous n'êtes que des merdeux " . L'exercice a donc été vain ? un échec malgré la réussite ? C'est une question que je ne prétend pas poser à Ubik, Louis, Pierre, Paul ou Jacques, c'est le plaisir de lire et de s'interroger un poil.

Bonne continuation.



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Message  Invité Lun 14 Mai 2012 - 19:07

autre-chose

la jambe : partiellement broyée par une chenille de Panzer ; elle a du être broyée tout court et surtout tout du long. (^^)

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Message  Phoenamandre Jeu 17 Mai 2012 - 19:37

Oui vraiment, très bien écrit, très plaisant à lire en tout point !

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Message  Invité Ven 18 Mai 2012 - 10:55

Du coin des yeux, je voyais son visage blême se tordre, déformé par une sorte de furie qui n’avait plus rien de commun avec le masque impassible servi quelques minutes auparavant.
Janus Von Hagen, imprévisible et tout-puissant, avec pouvoir de vie ou de mort sur cette jeunesse à l'idéal malmené.

J'apprécie ce nouvel éclairage sur le récit, vu du côté nettement moins glamour que les extraits précédents.

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Message  demi-lune Ven 18 Mai 2012 - 22:14

je viens de lire mais je n'ai pas lu les commentaires précédents donc je risque de faire doublon, tant pis :
Bien aimé le style construit en phrases brèves qui collent bien avec le côté violent et haletant de l'épisode et les aboiements des chefs SS. Je trouve aussi que le style indirect employé pour rapporter les paroles de Ziebke est une belle réussite en leur donnant finalement plus de force parce qu'elles viennent de celui qui les entend et qu'on devine son effroi.
Quelques remarques de forme :

on nous avait relativement laissés tranquilles
on nous avait laissés relativement tranquilles
En plus, à l’instant où Von Hagen avait débarqué
De plus, à l'instant..
. Sauf que dans le cas présent, ce ne seraient pas des camarades
ce ne serait pas

Pour le reste : compliments comme d'hab !
demi-lune
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Message  Invité Sam 19 Mai 2012 - 17:03

Non non, demi-lune : "ce ne seraient pas des camarades" est correct (au présent : "ce ne sont pas des camarades").

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Message  Pascal-Claude Perrault Lun 11 Juin 2012 - 1:43

L’écriture est fluide et claire comme d’hab, simple sans être simpliste. Les phrases courtes donnent une dynamique malgré l’emploi des temps imparfait et passé simple.

On se demande ce que ce héros, tendre et si peu sûr de lui, fait dans les rangs SS. Il serait nettement plus enclin à vivre une aventure de Roméo et Juliette, qu’à devenir une espèce de machine de guerre. Il est souvent angoissé, boule au ventre ; c’est un être sensible. N’y aurait-il pas un peu de toi dans ce personnage ? C’est le narrateur qui prétend s’endurcir mais qui demeure néanmoins assez émotif, plus ou moins rassuré (peut-être) dès le début, lorsque la visite des lieux constitue l’introduction.
Sur la lancée, il va même jusqu’à apprécier, en première impression, un Sturmbannführer (une sale bête certainement) dont le prénom Julius est plutôt cool, tandis que le patronyme Ziebke (prononcer ZIBKEU) est nettement moins engageant (et là, je me demande s’il n’y aurait pas un jeu de mots entre l’allemand et le français).
Donc, disais-je, notre héros a cru un bref instant être au Club Med où le débonnaire gentil organisateur cité plus haut se révèle très rapidement un malade mental atteint de fanatite. Ce qui fait manifestement peur à notre héros qui se retrouve non seulement avec un nœud à la gorge (l’empêchant de s’exprimer d’une voix naturelle de mâle), mais avec l’estomac contracté, ce qui, à mon avis, n’est pas de bon augure quant à la digestion qui doit suivre inévitablement.

Concernant l'épreuve sur le terrain (pelle vs Panzer), force est de reconnaître que le procédé utilisé pour la sélection des meilleurs est, pour ainsi dire, meurtrier. Cela est-il bien réaliste ? Si tel est le cas, je conçois que les Allemands sont capables d’éliminer leurs compatriotes.
Vient ensuite le gratin vomoscato, on baigne dans les éléments. Entre vomi et défécation, on est servi sur le plan matériel.

Finalement je dirais que c'est un roman organique !

J'aime bien la fin destroy du texte : ce pauvre mec qui s'est fait broyer la patte et qui se fait défoncer par son darron ; à mon avis, le mec est mort deux fois en quelque sorte. On se demande ce qui peut bien lui rester de foi nationale-socialiste après ça !

nous partîmes comme une bande de lièvres débusqués par une volée de plomb.
Bien cette expression.

Sinon, quelques détails que j’ai relevés :

précisant qu’elles étaient, de toutes façons, affichées dans le hall. => de toute façon ou alors de toutes les façons

Un texte nous fut remis, que nous devions recopier, à destination de nos familles, visant à les informer que nous étions bien arrivés. Il était défendu d’ajouter quoi que ce fût de personnel. Ce courrier serait relevé dans une demi-heure.

C’est un peu haché ici avec toutes ces virgules, j’aurais plutôt vu un truc du style :

Il nous fut remis un texte visant à informer notre famille que nous étions bien arrivés ; nous devions le recopier, mais il était défendu d’y ajouter quoi que ce fût de personnel. Ce courrier était relevé dans la demi-heure (et non pas Ce courrier serait relevé dans une demi-heure.)

Le souper qui nous fut servi me parut fade => le dîner plutôt, car le souper c’est plus tard, en rentrant du théâtre ou en pleine nuit, à l’heure de la soupe à l’oignon.

le petit déjeuner me pesait => le petit-déjeuner

un haut le cœur me secoua => haut-le-cœur

Non, ça n’était pas => c’est du langage parlé. Ce n’était pas est plus correct.

Sinon, je ne sais pas qui est Janus bien que j'aie pensé à la même chose que Louis. Tu m'expliqueras ce mystère.
Pascal-Claude Perrault
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