Julien
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Hop-Frog
kolkhoze
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Julien
Ton nom dans ma tête bricole des souvenirs. A l'orée du sommeil il s'installe chaque nuit, pose des verbes, des images, les visse et les cloue. Il perce mon mince cerveau déjà parsemé de crocodiles fous, y insère des pleurs, des larmes : l'appel hagard des singes dans la cacophonie morbide des mémoires déjà vaincues. Ils se balancent, les primates, ils ricanent de chagrin en poussant le cri des trahis. Dans ma jungle en réminiscence résonne leur chant absurde. Ils donnent, toujours, aveuglément, ils donnent en raclant, ils donnent même lorsqu'ils n'ont plus que leurs os. Leurs petits squelettes impudiques dansent le ballet macabre de ceux qui ont tout perdu.
Tes contours s'appuient sur mes épaules lorsque je m'égare à te prononcer. Tes syllabes m'effraient, ce n'est rien pourtant, rien de plus que la dénomination triviale que tes parents t'ont accordé, comme tous les autres, tous ceux comme toi. Depuis ton heure je n'ai plus que les formes pour parler, les formes et les couleurs ; ne me reste finalement qu'un cortège confus d'animaux blessés. Je ne sais que t'écrire sans cesse, chaque mot hors de son rang se glisse fatalement derrière les autres : la gueule toujours blessée, toujours tragique, mes loups font profil bas et je ne peux que les vomir. Ils ne hurlent plus, ils aboient ; et leurs glapissements se noient dans le théâtre de tous les lieux communs.
Je ne parle que de toi ; de vous. Les Titans aveugles marchent sur les villes, sur les paupières lourdes et les chevelures damnées. Aucun de vous n'a été Sextus. Brandissant les erreurs, les faux pas, vous plaidiez les malentendus. Je ne le savais pas encore que vous parsemiez déjà mes chemins de mensonges. Ma peau est sillonnée par vos routes infidèles, la traînée des sobriquets chimériques. Mon paysage réduit en charpie, vous le labouriez, encore ; et mes cartographies malsaines, désespérées, sont désormais insensées. Je ne me reconnais plus qu'en terre, je la mâche pour ne rien oublier : et pourtant pour ma chair je ne peux plus rien.
Je voudrais parler de colère ; je n'y arrive jamais. Elle a déguerpi avec le concret, rangeant dans ses bagages tout ce qu'il restait de mon ombre déjà fluette. Je n'ai plus que mes cicatrices que je ne sais exprimer. Je ne parle que de toi, et de tous ces autres après. Je ne sais si ce sont eux qui mentent ou si j'invente, si je fabule, si je me noie dans mes contes fiévreux. J'ai de nouveau peur du noir. Pardon de l'avouer, je devine encore ton poids, ta pression contre ma carcasse, tes grognements contre ma voix ; il suffit de les signifier pour qu'ils deviennent faux, irrationnels, informes. Ces témoins invisibles sous mes paupières ont pourtant le goût du réel. Je t'entends encore me dire, toi comme les autres, tu n'es pas très drôle aujourd'hui ; arrête de pleurer. Je t'entends encore me sommer de me taire.
Dans mes silences souvent j'entends Lucrèce chanter.
Tes contours s'appuient sur mes épaules lorsque je m'égare à te prononcer. Tes syllabes m'effraient, ce n'est rien pourtant, rien de plus que la dénomination triviale que tes parents t'ont accordé, comme tous les autres, tous ceux comme toi. Depuis ton heure je n'ai plus que les formes pour parler, les formes et les couleurs ; ne me reste finalement qu'un cortège confus d'animaux blessés. Je ne sais que t'écrire sans cesse, chaque mot hors de son rang se glisse fatalement derrière les autres : la gueule toujours blessée, toujours tragique, mes loups font profil bas et je ne peux que les vomir. Ils ne hurlent plus, ils aboient ; et leurs glapissements se noient dans le théâtre de tous les lieux communs.
Je ne parle que de toi ; de vous. Les Titans aveugles marchent sur les villes, sur les paupières lourdes et les chevelures damnées. Aucun de vous n'a été Sextus. Brandissant les erreurs, les faux pas, vous plaidiez les malentendus. Je ne le savais pas encore que vous parsemiez déjà mes chemins de mensonges. Ma peau est sillonnée par vos routes infidèles, la traînée des sobriquets chimériques. Mon paysage réduit en charpie, vous le labouriez, encore ; et mes cartographies malsaines, désespérées, sont désormais insensées. Je ne me reconnais plus qu'en terre, je la mâche pour ne rien oublier : et pourtant pour ma chair je ne peux plus rien.
Je voudrais parler de colère ; je n'y arrive jamais. Elle a déguerpi avec le concret, rangeant dans ses bagages tout ce qu'il restait de mon ombre déjà fluette. Je n'ai plus que mes cicatrices que je ne sais exprimer. Je ne parle que de toi, et de tous ces autres après. Je ne sais si ce sont eux qui mentent ou si j'invente, si je fabule, si je me noie dans mes contes fiévreux. J'ai de nouveau peur du noir. Pardon de l'avouer, je devine encore ton poids, ta pression contre ma carcasse, tes grognements contre ma voix ; il suffit de les signifier pour qu'ils deviennent faux, irrationnels, informes. Ces témoins invisibles sous mes paupières ont pourtant le goût du réel. Je t'entends encore me dire, toi comme les autres, tu n'es pas très drôle aujourd'hui ; arrête de pleurer. Je t'entends encore me sommer de me taire.
Dans mes silences souvent j'entends Lucrèce chanter.
Re: Julien
Je n'ai pas ma machette avec moi pour affronter votre jungle, parfois hermétique ; ce qui ne m'empêche pas de constater une certaine maîtrise des mots, et d'y entr'apercevoir de jolies images.
Hop-Frog- Nombre de messages : 614
Age : 36
Date d'inscription : 11/04/2012
Re: Julien
Bonsoir,
Premier texte de votre part, me semble-t-il et c'est une réussite pour moi
De belles images,
On visualise,
L'écriture est maitrisée, c'est sûr
Le début m'a tout de suite happé : Ton nom dans ma tête bricole des souvenirs
Ça tape juste,
Bien à vous,
Remus
Premier texte de votre part, me semble-t-il et c'est une réussite pour moi
De belles images,
On visualise,
L'écriture est maitrisée, c'est sûr
Le début m'a tout de suite happé : Ton nom dans ma tête bricole des souvenirs
Ça tape juste,
Bien à vous,
Remus
Remus- Nombre de messages : 2098
Age : 34
Date d'inscription : 02/01/2012
Re: Julien
Sceptique… Un peu comme Sextus. Non pas tant à cause du style que je trouve plutôt, voire très abouti, mais par la signification, la compréhension que l'on pourrait (devrait) avoir d'un tel texte. À n'en pas douter, il y a de la matière, sauf que l'excès de matière me semble nuire ici à l'intelligibilité. De belles images donc, mais un flou certain. Peut-être y manque-t-il un contexte, une mise en situation ?
À vous lire (et bienvenue).
À vous lire (et bienvenue).
Invité- Invité
Re: Julien
J'aime bien certaines images :
"Leurs petits squelettes impudiques dansent le ballet macabre de ceux qui ont tout perdu."
"Les Titans aveugles marchent sur les villes" .
Pour le reste je n'ai pas les clés. Attention de ne pas trop écrire pour vous car vous allez décourager les lecteurs. Quelque chose me dit aussi que vous devriez essayer la poésie, si ce n'est déjà fait.
"Leurs petits squelettes impudiques dansent le ballet macabre de ceux qui ont tout perdu."
"Les Titans aveugles marchent sur les villes" .
Pour le reste je n'ai pas les clés. Attention de ne pas trop écrire pour vous car vous allez décourager les lecteurs. Quelque chose me dit aussi que vous devriez essayer la poésie, si ce n'est déjà fait.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: Julien
Beaucoup apprécié ce moment de lecture !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 47
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Julien
Sahkti ayant fait remonter ce matin votre prose "Juin", je suis allée rechercher celle ci car il me semble pour l'instant que vous avez posté seulement ces deux textes.
beaucoup de proses sur le forum utilisent le je et le tu, et l'auteur y parle de lui.
alors si c'est le sillon que vous avez envie d'exprimer pour vos premiers pas ici, faites le, n'hésitez pas.
tout en prenant en compte les ressentis des commentaires.
la lecture de "Julien" ne m'apparaît pas à moi plus inaccessible que "Juin", pour peut qu'on veuille bien se donner la peine d'entrer dans l'écriture d'un nouvel arrivant pour faire connaissance.
car des clés, vous en donnez:
"dans mes silences souvent j'entends Lucrèce chanter"
il suffit de comprendre la signification de cette seule phrase, et ce n'est pas bien compliqué, pour pouvoir remonter le fil de votre texte, sa colonne vertébrale.
qui est Lucrèce?
"Lucrèce (en latin Titus Lucretius Carus) est un poète philosophe latin du ier siècle av. J.-C., (peut-être 98-55), auteur d'un seul livre inachevé, le De rerum natura (De la nature des choses, qu’on traduit le plus souvent par De la nature), un long poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure."
(de wikipedia rerum)
j'aime votre écriture et ses associations. elle est poétique, recherchée, et véhicule une réflexion qui, si elle est personnelle, exprime les mêmes doutes que beaucoup d'autres parmi lesquelles elle à sa place ici.
je vous lirai encore avec plaisir, car j'ai beaucoup aimé ce texte humble et sensible qui dépose doucement son ballot pour mieux l'extérioriser, l'observer, le résoudre...
beaucoup de proses sur le forum utilisent le je et le tu, et l'auteur y parle de lui.
alors si c'est le sillon que vous avez envie d'exprimer pour vos premiers pas ici, faites le, n'hésitez pas.
tout en prenant en compte les ressentis des commentaires.
la lecture de "Julien" ne m'apparaît pas à moi plus inaccessible que "Juin", pour peut qu'on veuille bien se donner la peine d'entrer dans l'écriture d'un nouvel arrivant pour faire connaissance.
car des clés, vous en donnez:
"dans mes silences souvent j'entends Lucrèce chanter"
il suffit de comprendre la signification de cette seule phrase, et ce n'est pas bien compliqué, pour pouvoir remonter le fil de votre texte, sa colonne vertébrale.
qui est Lucrèce?
"Lucrèce (en latin Titus Lucretius Carus) est un poète philosophe latin du ier siècle av. J.-C., (peut-être 98-55), auteur d'un seul livre inachevé, le De rerum natura (De la nature des choses, qu’on traduit le plus souvent par De la nature), un long poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure."
(de wikipedia rerum)
j'aime votre écriture et ses associations. elle est poétique, recherchée, et véhicule une réflexion qui, si elle est personnelle, exprime les mêmes doutes que beaucoup d'autres parmi lesquelles elle à sa place ici.
je vous lirai encore avec plaisir, car j'ai beaucoup aimé ce texte humble et sensible qui dépose doucement son ballot pour mieux l'extérioriser, l'observer, le résoudre...
Invité- Invité
Re: Julien
* doute latin, mes conjugaisons sont loin...
peut être dit on plutôt "ex wikipedia rerum" ?
peut être dit on plutôt "ex wikipedia rerum" ?
Invité- Invité
Re: Julien
j'aime votre écriture et ses associations. elle est poétique, recherchée, et véhicule une réflexion qui, si elle est personnelle, exprime les mêmes doutes que beaucoup d'autres parmi lesquelles elle à sa place ici..
c'est je pense qu'il y a là beaucoup de choses imbriquées et fortes à la fois qui se bousculent à sortir, peut être justement parce que que longtemps contenues: "me sommer de me taire".
on comprend à force qu'il s'agit d'une colère ravalée, qui ressurgit rétrospectivement au présent, et s'exprime en kaléïdoscope.
tout cela est précieux, au sens qu'il faut le recueillir. Et pour nous, lecteurs, il s'agit de rassembler les fragments de ce kaleïdoscope complexe.
ce Sextus qui s'oppose à Lucrèce par exemple, est une référence que tout le monde n'a pas pour comprendre qu'il s'agit d'un jugement, d'une sommation, qui vient écraser un épicurisme en cours d'élaboration, resté de fait inachevé, brisé au bord d'éclore.
en tout cas c'est vibrant, et cela me touche beaucoup car les non dits sourdement couvés sont des choses douloureuses à vivre, surtout pour ceux qui s'acharnent à trouver une issue.
pardon si je n'ai rien compris...
c'est je pense qu'il y a là beaucoup de choses imbriquées et fortes à la fois qui se bousculent à sortir, peut être justement parce que que longtemps contenues: "me sommer de me taire".
on comprend à force qu'il s'agit d'une colère ravalée, qui ressurgit rétrospectivement au présent, et s'exprime en kaléïdoscope.
tout cela est précieux, au sens qu'il faut le recueillir. Et pour nous, lecteurs, il s'agit de rassembler les fragments de ce kaleïdoscope complexe.
ce Sextus qui s'oppose à Lucrèce par exemple, est une référence que tout le monde n'a pas pour comprendre qu'il s'agit d'un jugement, d'une sommation, qui vient écraser un épicurisme en cours d'élaboration, resté de fait inachevé, brisé au bord d'éclore.
en tout cas c'est vibrant, et cela me touche beaucoup car les non dits sourdement couvés sont des choses douloureuses à vivre, surtout pour ceux qui s'acharnent à trouver une issue.
pardon si je n'ai rien compris...
Invité- Invité
Re: Julien
d'ailleurs je viens de m'y perdre moi même: Sextus ne s'oppose pas à Lucrèce, je corrige: c'est justement celui qui n'est pas Sextus, comme vous dites, qui s'y oppose.
"Sextus Empiricus expose la philosophie sceptique héritée de Pyrrhon. Il veut atteindre la suspension du jugement (épochè) et la tranquillité de l'âme (ataraxia) en acceptant les représentations sensibles (phantasiai) comme elles se présentent." (wiki encore)
donc Sextus + Lucrèce = paix de l'âme.
"Sextus Empiricus expose la philosophie sceptique héritée de Pyrrhon. Il veut atteindre la suspension du jugement (épochè) et la tranquillité de l'âme (ataraxia) en acceptant les représentations sensibles (phantasiai) comme elles se présentent." (wiki encore)
donc Sextus + Lucrèce = paix de l'âme.
Invité- Invité
Re: Julien
Ce texte a pour moi le mérite essentiel de toucher le lecteur à travers, au moyen des mots et de lui faire ressentir et partager un état d'esprit, à savoir ce qui me semble tout à fait être, comme l'a dit igloo :
Bien écrit par ailleurs, même si en effet, le texte propose parfois des clés dont le lecteur ne dispose généralement pas et qu'il doit rechercher.
Deux remarques sur la forme :
"Tes syllabes" semblent désigner un prénom et non des mots prononcés comme pourrait le laisser penser le raccourci (on s'en rend compte ensuite), il serait peut-être utile de clarifier ce point.
Et là :
autrement dit, il me donne les moyens de percevoir l'état d'esprit de l'auteur, le trouble, les flash-backs lancinants, douloureux, les idées noires qui tournent en boucle, cet espèce de cirque bruyant qui tourne dans la tête, dans les nuits insomniaques."une colère ravalée, qui ressurgit rétrospectivement au présent, et s'exprime en kaléïdoscope"
Bien écrit par ailleurs, même si en effet, le texte propose parfois des clés dont le lecteur ne dispose généralement pas et qu'il doit rechercher.
Deux remarques sur la forme :
"Tes syllabes" semblent désigner un prénom et non des mots prononcés comme pourrait le laisser penser le raccourci (on s'en rend compte ensuite), il serait peut-être utile de clarifier ce point.
Et là :
j'aurais mis un "e" à accordé.la dénomination triviale que tes parents t'ont accordé
demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 64
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
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