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Pauvre Julien

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Plotine
Zenati
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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 19:39

PAUVRE JULIEN

Julien sort du restaurant, relève le col de sa parka sur ses joues congestionnées, lutte à petits pas, courbé, contre le vent glacé pour atteindre sa voiture. La neige a cessé de tomber mais le sol devient incertain. Il démarre en sifflotant. Un coup de fil, au milieu du repas, lui a mis le cœur en joie. Il va la retrouver ce soir. Demain elle a son samedi de repos. Il se voit déjà dans le nid douillet de sa geisha. Toute la journée de gros câlins, bien à l’abri des intempéries… Le pied !

Décidément la route devient sombre et glissante. Il allume ses phares, ralentit un peu. Comme sur l’écran noir des nuits blanches de Nougaro, il voit sur le pare-brise le sourire provocant d’Ursula. Ses formes suggestives apparaissent en une langoureuse mouvance, disparaissent, reviennent dans des poses différentes… Il ne la trouve jamais aussi désirable que quand il rêve d’elle, qu’il la sent si proche et encore inaccessible. Il soupire, troublé, puis pense tout haut : « Reste à prévenir Christine. » Il attrape son portable, fait une légère embardée. L’excitation du moment l’a fait accélérer à son insu. Il se ressaisit, explique à sa femme le désir de son patron « de le rencontrer impérativement demain chez un client. Lui qui pensait sa semaine terminée, qui se réjouissait de rentrer à la maison, fatigué, il allait devoir dormir à l’hôtel. Vraiment le boss exagérait, surtout que ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait le coup », etc.

Sûr d’avoir été crédible il veut terminer en l’embrassant très très fort quand une plaque de verglas l’envoie sans ménagement embrasser très très fort la glissière de sécurité.

Transporté inerte jusqu’à l’hôpital le plus proche, il est réveillé par le froid des plaques de radio. Les bruits sont multipliés, un triple écho fait éclater sa tête. Où est-il ? Il veut parler mais n’y arrive pas. Il voit flou. Une horrible douleur irradie tout son côté gauche. On le rassure, on lui promet un calmant : « Il faut faire tous les examens d’abord, n’est-ce pas… » Il arrive à bégayer : « Pas, pas ma fem… femme… »
─ On va la prévenir. Ne vous inquiétez pas.
Il ouvre grand sa bouche, veut crier « non ! », mais la douleur le paralyse. L’infirmier, affairé, ne voit pas son regard affolé.

Dans sa villa confortable, Christine, déçue, débarrasse son couvert, lave sa petite vaisselle et s’apprête, morose, à vivre une soirée canapé-télé en compagnie des petits flics sympas de la P.J. St. Martin. Elle a l’habitude !

Dans son loft à la déco design, Ursula s’active dans un rangement désordonné. Son déshabillé entrouvert s’accroche aux chaises, elle perd une de ses mules en soie rose. Oh la la ! Il lui faut encore laquer ses ongles !

On a rangé Julien, ses plâtres et ses gémissements dans une chambre dûment aseptisée, la 13. Les calmants font leur effet. Il somnole.

Christine somnole aussi. Elle abandonne Fournier et Léonetti à leur planque, et va se coucher.

Ursula et son appartement, enfin présentables, attendent leur invité. Cent fois sa main a soulevé le rideau. Pas de voiture. Pas de Julien. Pas possible, il a eu un pépin !
A croire que l’impatience d’Ursula agit comme un aimant sur son amant car, à cet instant, il sort de sa torpeur. Il faut absolument qu’il la prévienne, surtout qu’elle ne vienne pas ici, l’infirmier a dû téléphoner à Christine. Quelle histoire ! Dans sa panique, il revoit Raimu, il entend son accent : « Je suis dans le pétrin ! » Cette vision lui fait grimacer un sourire amer.

Après d’infinis efforts il atteint le téléphone.
─ Ursula, ma chérie, j’ai un petit problème, heu… Je viendrai te voir, comme promis, heu… mais pas ce soir.
_ Comment pas ce soir ? Pourquoi ? Je t’attends depuis des heures, on est au milieu de la nuit ! Où es-tu ?
─ Ne t’inquiète pas, il faut que je me requinque…
─ Quoi ? Te requinquer ? Tu as bu ! Tu as une drôle de voix. Avec qui étais-tu au restaurant ? Tu sais que je le saurai !
─ Mais non, mais non, je n’ai pas bu et je suis seul. Je suis à l’hôpital. Sur l’autoroute la glissière de sécurité s’est brusquement jetée sur moi. Je n’ai rien compris.
─ Oh ! Mon Choupinet ! J’aurais dû m’en douter, à cette heure ! Où c’est l’hôpital ? J’arrive. Tu n’es pas mort ? Dis, réponds-moi. Où c’est, où c’est que t’es ?
─ Calme-toi. Je suis vivant mais j’ai mal partout. Le toubib a interdit les visites. Surtout ne viens pas, on ne te laisserait pas entrer. Je t’appelle demain. Dors mon chou, dors… A demain.

La sonnerie du téléphone réveille à grand peine Christine :
─ Madame Sidobre ?
─ Oui…Qu’est-ce que c’est ?
─ Votre mari s’appelle bien Julien Sidobre et vous habitez rue Guitton ?
─ Oui, mais mon mari n’est pas là cette nuit.
─ Je sais madame. Il est chez nous.
─ Chez vous ? Qui c’est vous ? La police ? Qu’est-ce qu’il a fait ?
─ Ne vous affolez pas madame. Il est à l’hôpital pour quelques examens. Il a un peu tutoyé une rampe de sécurité. Rien de grave.
─ Oh ! Mon Biquet ! J’aurais dû m’en douter, à cette heure ! Où c’est l’hôpital ? J’arrive. Il n’est pas mort ? Dites, répondez-moi. Où c’est, où c’est qu’il est ?
On lui donne l’adresse. Elle se rhabille en hâte.

Ursula est déjà prête. Elle a appelé la police, donné le nom de son amant, expliqué l’accident, a su très vite où on l’avait transporté. Dans la nuit noire, une petite Simca blanche et une grosse Ferrari rouge convergent à toute vitesse vers l’hôpital. Dans le couloir, Christine, en tête, trace à grandes enjambées. Ursula, entravée par sa jupe fourreau, court derrière en sautillant. A l’instar du petit Poucet, ses talons aiguille sèment des petits ronds, comme des centimes d’euros, qui s’impriment sur le souple linoléum. Mais que ce couloir est long !

Les voici enfin dans la chambre numéro 13. Là seulement, chacune réalise la présence de l’autre. Elles comprennent, se précipitent de chaque côté du lit :
─ Biquet, qui c’est celle-là ?
─ Choupinet, ne me dis pas que tu étais…
Julien, les yeux clos, une grimace de douleur sur son visage tuméfié, feint d’être très atteint, incapable de répondre, d’entendre même. Elles insistent, ironisant, sûres qu’il entend très bien.
─ Biquet chéri, je comprends enfin ! Les exigences répétées de ton patron ont des cheveux rouges, des bas résille et des rondeurs appétissantes !
─ Voilà donc la vieille mère dont tu devais t’occuper et qui t’empêchait de venir me voir plus souvent ? Elle a bien rajeuni ! Mon pauvre Choupinet !
─ Et depuis combien de temps durait cette relation ? Quand je pense à toutes les soirées, toutes les nuits, toutes les journées que je croyais sacrifier sur l’autel de ta carrière, c’est sur l’autel de ta lubricité que je les ai sacrifiées !
─ Donc tu es marié. Et depuis quand ? Peut-être as-tu des enfants ? Quand je pense que tu m’avais laissé entrevoir la bague au doigt dès que ta pauvre mère ne serait plus là !

Et le pauvre Julien, cloué sur son lit de souffrance comme Prométhée enchaîné sur le Caucase se voit condamné à se faire dévorer le foie par ces deux harpies pour l’éternité. Seul un Héraclès en blouse blanche pourrait le sauver. D’un geste vif il saisit la sonnette d’appel.
─ Vous voyez comme il est mourant ?
─ Faut bien qu’il soit comédien jusqu’au bout !
L’infirmier arrive, demande aux dames de rentrer chez elles. Il ne faut pas fatiguer le blessé.

Les salles d’attente étant vides, elles vont, d’un même pas, en squatter une pour faire plus ample connaissance.
─ On ne s’est même pas présentées : Christine Sidobre.
─ Ursula Garance. Enchantée.
Polies, mais pas plus. Elles se jaugent du regard, sans aménité. Christine pense : « elle a l’air d’une gourde, mais, évidemment, côté avantages, je suis battue », et Ursula se dit : « elle n’est pas trop jolie, mais elle doit bien avoir quelques qualités bien cachées… »
─ Vous croyez qu’il est…très blessé ?
─ Si vous n’aviez pas surgi dans ma vie comme un diable rouge jaillissant de sa boîte, j’aurais peut-être pensé à lui poser la question.
─ Lui marié ! Il cachait bien son jeu. Il me paraissait avoir toutes les manies du vieux garçon endurci.
─ Et ce qu’il mentait bien ! Il était épuisé, et pour cause, mais moi j’ai toujours cru aux semaines harassantes imposées par son patron !
Ursula, croise et décroise nerveusement ses jambes :
─ Pendant des mois et des années il a été mon seul amant. J’en ai raté des occases ! Croyez-moi, c’est fini et bien fini. Je n’aurai pas de mal à le remplacer.
Christine se lève, fait les cent pas avec énergie :
─ Un homme même pas fichu de faire des enfants à sa femme ! Qu’il en trouve une autre pour supporter ses coucheries. Pour moi aussi, c’est fini et bien fini. Ouf ! Enfin libre !
Ursula se levant à son tour, les mains sur les hanches :
─ Mais c’est qu’il était goujat avec çà ! Mô…sieur se faisait servir !
Christine se rassied, étonnée :
─ Ha, bon ? Avec moi, au contraire, il était d’une gentillesse incroyable. En fait, il avait la sollicitude appuyée des mômes qui ont quelque chose à se faire pardonner. Détestable !
─ Vous avez remarqué ? Nous parlons de lui au passé.
─ C’est vrai.
─ C’est peut-être déjà de l’histoire ancienne pour vous, non ?
─ Oh ! Sans doute. Et je suis sûre que pour vous itou.
Eclats de rire.
─ Le jour se lève. Allons dormir un peu. On l’a bien mérité.

Dès l’après-midi le téléphone sonne chez Christine.
─ Bonjour, c’est Ursula. Vous savez, je vous ai trouvée vachement sympa et…
─ Moi aussi Ursula. Justement je pensais à vous et j’allais vous appeler.
─ Ah, chouette ! Je voulais savoir si, pour nous remettre de cette nuit blanche…
─ Un bon petit resto suivi d’une toile ? C’est çà ?
─ Ben oui !
─ Ok ! Dis- donc, je pense qu’on pourrait se dire « tu », non ?
─ Bien sûr ! Je passe te prendre à 19 heures. A toute !


Embellie

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Message  Zenati Mar 5 Jan 2010 - 21:44

Histoire touchante et bien écrite...
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http://membres.multimania.fr/zenatilepeintre/

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Message  Invité Mar 5 Jan 2010 - 22:21

Oui, c'est bien écrit, c'est même nickel. Et justement, il y a à cette histoire un côté lisse et attendu, à la fois dans la description des personnages et le déroulement du récit, qui m'empêche de savourer pleinement cette composition.

Un petit point de détail, embellie, un truc qui m'a chiffonnée : à un moment tu parles de Simca, une marque de voiture assez vieille il me semble ; puis pas loin après, des petits ronds laissés par les talons aiguille, comme des centimes d'euros. Ce qui me fait me poser la question d'un léger anachronisme. Ceci dit, je suis loin d'être experte en marques de voiture !

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Message  Plotine Mer 6 Jan 2010 - 8:14

C'est un joli conte auquel j'ai du mal à croire mais bon... Quelque chose me dit que les Messieurs vont le trouver stupide.
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Message  Invité Mer 6 Jan 2010 - 9:03

Ça sent ses années soixante ! Pourquoi pas ? Mais c'est un poil trop convenu pour qu'on se laisse aller au charme de l'adultère bourgeois enfin puni !

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Message  CROISIC Mer 6 Jan 2010 - 14:03

Belle écriture, comme d'habitude chère Embellie.
Les Ursula sont redoutables....même et surtout au cinéma ; mais le mariage est si pesant !
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Message  silene82 Mer 6 Jan 2010 - 15:32

Ma foi ! Ça m'a paru gnan gnan et sans grand intérêt, car tout se devine dès les premiers paragraphes. On ne se refait pas, et il me semble retrouver dans la netteté de ton écriture les qualités que tu devais posséder dans ton métier : transparence, souci du détail, clarté.
Sauf que là, c'est une histoire qui devrait être drôle, ou tragique, suivant le point de vue du narrateur, et que je trouve assez plate : les filles s'entendent sur le dos du mâle ? Ben comme souvent, non ? Donc je suis frustré et déçu de ne pas trouver un pétillement, une manière de conter qui aurait pu enlever l'histoire, somme toute fort banale, et en faire autre chose.
Mais je crains que tu n'aimes pas affabuler....
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Message  abstract Sam 9 Jan 2010 - 11:46

J’ai trouvé le texte en deçà de ta production habituelle. L’histoire n’est pas très originale et il y a trop de clichés à mon goût (le luxueux loft, la voiture de sport, l’épouse pas très jolie, mais compréhensive), le tout fait un peu roman à l’eau de rose. Les dialogues m’ont également paru manquer de naturel. C’est rare que je n’aime pas ce que tu proposes, j’apprécierai certainement plus ton prochain écrit.
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Message  Sahkti Mer 28 Juil 2010 - 13:50

On voit qu'Embellie connaît bien P.J. :-)

Pas super convaincue cette fois, désolée. D'abord parce que tout ceci me paraît cousu de fil blanc, sans surprise. Ensuite parce que ça sonne un peu faux entre les Choupinet et Biquet à outrance, les réactions des femmes qui semblent très maniérées et peu naturelles. L'écriture est certes toujours aussi fluide et agréable mais quelque chose fonctionne moyennement à mes yeux dans ce texte.
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