La belle

Elle me faisait de l'oeil. Je le voyais bien. Elle s'était faussement camouflée au bout de la table, derrière les plats. Mais cela ne suffisait pas. Je l'observais, je l'épiais, je sentais monter toute l'avidité en moi. Mais elle me repoussait. C'était un danger. Il suffisait de craquer, de l'approcher et c'en était fini. Je deviendrais un drogué, un dépendant. Peut-être qu'elle me tuerait, ou peut-être qu'elle me volerait simplement ma vie, tellement je l'aimerais. En même temps, que restait-il à voler ? Il n'y avait plus rien dans ma vie. C'était un grand chaos. De la merde en boîte. Je pouvais bien la laisser entrer... Peut-être comblerait-elle quelques vides ? Peut-être m'apporterait-elle un peu de joie ? Un peu de plaisir ? Elle avait l'air délicieuse, sous ses airs sévères, on sentait qu'elle ne demandait qu'à être prise. Et si c'était seulement pour une nuit ? Elle me tiendrait compagnie. Elle abreuverait mes sens jusqu'à les étourdir et je me sentirais léger... Ainsi, je pourrais dormir, il fallait également voir l'aspect pratique, parce que cela faisait des nuits que monsieur Sommeil que posait des lapins... Au moins avec elle, le temps passerait plus vite... Mais si la nuit suivante, je ne pouvais faire sans elle ? S'il fallait commencer une relation qui bousillerait le peu de stabilité qui me restait ?

Elle continuait à le regarder, du bout de la table. Elle restait indifférente au bruit, à tout ce qui se passait. Son seul objectif, c'était moi. Fermée à toute avance pour l'instant, elle semblait m'appeler, me hurler de venir pour la décoincer. Je résistais. Mais ses formes et la couleur de son teint me revenaient sans cesse comme si leur image s'était gravée dans ma rétine. Quel goût pouvait-elle bien avoir ? Est-ce qu'elle ressemblait à quelque chose que j'avais déjà connu avant ? Chacune est unique, m'a-t-on dit un jour... Et si j'en abusais de trop, les sensations seraient-elles toujours les mêmes ? Il paraît que le meilleur, c'est d'effleurer avec les lèvres. Ce serait trop peu pour moi. Jamais, dans mon état, je ne pourrais me contenter de cela. Il faudra que j'aille plus loin, le regretterais-je ?

Mais je me posais tant de questions, alors qu'après tout, elle n'avait pas l'air bien difficile. Pas trop raffinée, elle devait se laisser prendre facilement, à moins qu'elle n'ait quelque chose de farouche en elle, allez savoir... Il fallait tenter le coup. Au pire, si ça ne convenait pas, j'essaierais autre chose, il doit y en avoir des dizaines comme celle-là.

Et je débouchai cette fichue bouteille de vodka.

On flaire l'entourloupe au bout de quelques lignes... Mais tu distilles assez bien le suspense, on te suit...
Il y a pourtant quelque chose qui cloche, ici

Elle continuait à le regarder, du bout de la table. Elle restait indifférente au bruit, à tout ce qui se passait. Son seul objectif, c'était moi.

Et un pléonasme :

Et si j'en abusais de trop

Oui, tu fais tenir le suspense et on se pose des tas de questions quant à l'identité de La Belle. Outre le fait qu'on la sache de nature féminine, le reste est inaccessible.
Toutefois, ce procédé ne tient pas sur la longueur, heureusement, tu as su t'arrêter à temps.

Remarques :
-"parce que cela faisait des nuits que monsieur Sommeil que posait des lapins... "
-"comme si leur image s'était gravée dans ma rétine." ("sur")

Jamais, dans mon état, je ne pourrais me contenter de cela. Il faudra que j'aille plus loin, le regretterais-je ? (concordance des temps : le futur de "faudra" entraîne le futur aussi pour le verbe suivant. J'irais jusqu'à chipoter et le mettre dans la phrase précédente ("pourrai") mais c'est optionnel).

déjà 9 mois de séparation avec la mienne... que de temps passé, enfin faut dire,j'en usais et en abusait, la laissant exsangue sur le bord de la table. Elle me rappelait bien vite, des le lendemain ragaillardie et fraîche, bien que de mauvaise facture.
Son contact m'en ai privé maintenant, je ne peux même plus l'effleurer sous peine de me perdre, corps et bien. Mais je me fais une raison, j'y ai plus gagné que perdu, au final.
J'aime bien ton texte, j'avais vite compris de quoi tu parlais, tu doit être dans le vrai ;).

Le procédé se dévoile rapidement, un peu trop peut-être, et je pense que c'est dû à la taille du texte, un chouïa trop long pour faire tenir ce faux suspense jusqu'au bout; il y a une impression de tourne-en rond par moments. Ceci mis à part, le rapport est intéressant, ce mélange de distance et de proximité, dans lequel on ne sent pas tout le temps la dépendance mais presque.