La vieille femme (conte)

Le visage de la vieille est une pomme fripée avec presque tous les pépins à l’intérieur. Elle est assise à l’ombre devant sa maison et elle regarde les gens passer. Dans sa main, elle tient un ouvrage de coton qu’elle tricote avec un crochet très fin. La vieille n’a pas de lunettes, elle voit tout, elle nous voit aussi dans notre costume du dimanche. Elle sourit lorsqu’elle met ses mains usées sur son tablier. Elle rit soudainement, emportée par une pulsion. Les passants se retournent étonnés et pensent qu’aujourd’hui la vieille a due se décrocher du monde. Elle ouvre sa bouche et l’on voit le reste de ses longues dents espacées. Les enfants sont un peu effrayés et resserrent leurs mains à celles de leurs parents. Ses yeux sont des lumières de malice. Elle pleure de rire, de bonheur. Puis, elle se lève, le sourire encore sur ses lèvres et tourne sur elle-même dans une Jig inventée. Elle lève ses bras au-dessus de sa tête. Ses pieds gigotent, tricotent un napperon de toute beauté. Elle est belle la vieille quand elle gonfle son jupon blanc en dentelle et qu’elle fait tourner ses mains avec délicatesse. Elle tourne, tourne, elle devient la belle blanche neige. Ses cheveux d’ébène tombent sur son robe, ses yeux bleus nous envoûtent d’un claquement de cil, sa peau blanche rayonne au soleil et ses lèvres rouges semblent nous envoyer des baisers. Sa taille est si fine qu’un homme séduit veut la capturer de ses grandes mains. Les oiseaux lui tiennent la main et sa robe est devenue toute blanche à force de tourner à force de tourner. La dentelle jaillit et des diamants s’envolent sur son passage. Les gens se précipitent pour les ramasser. Les joyaux frappent comme des perles de pluie au contact de leurs mains. Une averse de lumière jaillit sur les parapluies de leur vie. Le soleil ne pourrait pas donner autant de rayonnement que ce spectacle. Un homme de sang royal s’avance vers elle. Il danse la valse du cygne princier. Elle devient reine et sa couronne brille comme un ciel étoilé. Le vent s’engouffre dans leurs pas et ils s’envolent vers les lumières du ciel. Les nuages les emportent très haut dans le firmament. Une étoile s’est posée sur le tableau noir de la destinée.
La chaise de la vieille femme se balance encore et son ouvrage de dentelle blanche tricote des points d’une main invisible.

J'aime ce conte dans lequel une étoile s'est posée sur le tableau noir de la destinée.
Une vieille femme s'échappe de sa laideur, se décroche du monde, pour vivre un rêve. Le beau rêve !
Richard2,ton conte est merveilleux. Il est bon de rêver, quand on est une vieille ! Emue. Merci.

Magnifique ! ... ce soir si je vois une étoile un peu plus brillante qu'une autre, je penserai à cette vieille dame, sûrement pas bien jolie, mais tellement gaie ... gaie n'est pas le mot, mais je n'en trouve pas d'autre.
Bravo et merci pour ce joli conte (à la cendrillon) version mamie.

Que de belles images dans ce conte ! et on a sans doute tous une petite vieille dans notre entourage à qui l'on souhaite la même étoile.

une petite remarque ou question : je ne connais pas Jig, mais gigue : erreur ou incompréhension de ma part?

Au début j'ai eu peur. Ca y est encore un portrait mélo d'une brave petite vieille, sûrement la mémé de l'auteur... Et puis miracle ! Tu transgresses. La danse, la révérence du monde envers la vieille. Et superbement écrit. Rythme, présence, corps, poésie concrète. Bien sûr tout cela est dans la tête de qui ?
Au final, il ne reste qu'une fragrance de mémoire, le souvenir de cette chère mémé disparue...

Quelle belle personne, cette vieille dame !
Joli texte.