L'inéluctable télescopage d'un petit matin gris qui n'aura pas lieu

Le temps de regarder sa montre, elle est déjà partie. Quelle étrange créature ? Il n'est pas de ceux que l'on bouscule mais ce petit bout de femme l'avait jeté sur la grève des rêves en fuite, ceux que l'on voudrait tant se rappeler mais qui nous jouent des tours. Elle s'invite dans sa tête, entre l'express de 07h43 et celui du café de la gare, qu'il prend toujours sans sucre.

Il engage ses pas dans son sillage, celui de "Paris" qu'elle laisse flotter derrière elle ? A dessein ? Des cheveux de pailles, dorés comme les plaines de la Beauce, un blouson de cuir. Un jean... usé ?..., il ne sait plus. La foule des gens en marche vers l'inutile lui barre la route de ses yeux qu'il devine émeraude. Ou turquoise parce qu'il aimerait qu'il en soit ainsi.
Elle marche,...
Il la suit,...
Elle s'arrête, se retourne
A t-elle oublié quelque chose? Etrange cette sensation.. elle vérifie ses poches.. son portable, ses clés avec son porte-clefs siffleur à accrocher aux têtes vides.. dans l'autre, des chewing-gum chlorophylés, un ticket de ciné orné d'un numéro de téléphone qu'elle jettera un jour..son sac au bras, non.. tout est là, à sa place. Alors pourquoi cette impression de manque, d'oubli. Déjà ce matin, en quittant son petit trois pièces, elle s'est retrouvée à penser ainsi à ce qui n'est pas là.
Elle balaie d'un regard la marée en grisaille, ces impers qui se reflètent au ciel..une course de nuages pris dans le vent. Tiens, un regard levé parmi tous ces chasseurs de poussière.. Elle l'a déjà vu ce regard dans le wagon. Elle le croise souvent, en fait, ces derniers jours.. Un regard d'embrun, de houle, de ceux qui sont en voyage avant d'avoir pris place dans le train .. Il semble lui aussi avoir oublié quelque chose.. Il hésite même à avancer. Des épaules le bousculent, le pressent. Une vieille dame armée de son parapluie l'a de peu éborgné. Il semble perdu, elle lui sourit avant de se diriger vers le petit café. 30 minutes, juste le temps de réveiller ses pensées avant d'affronter le courant..
Elle lui a souri, mais peut être que non. Son imagination, fertile escroque son envie. Est-ce un signe le café de la gare ? Il en pousse la porte à son tour, la repère tout de suite, hésite et fini par s’asseoir deux tables plus loin. Il se sent bête tout à coup, se projette vingt ans plus tôt. La Fac, les copains, Lucie…
Il commande son petit noir habituel, elle a demandé un thé. Elle a quitté son cuir, il garde son blouson, prêt à partir ? Elle joue avec son portable, qu’elle tapote d’un doigt expert. Il, l’observe en douce, la trouve belle. Oh, pas cette beauté glacée des magazines papiers qui s’étalent, non. Une beauté simple et sans fard, une touche de poussière d’étoile pour souligner ce qui brille déjà. Et puis elle a ce geste incroyable de la main. Celui qui remonte cette mèche de blé doré venu masquer l'azur de son regard troublant. Son index roule et déroule à l'infini le ruban flamboyant de ses cheveux et ses lèvres dessinent alors cette moue d’enfance, à peine esquissée mais qu’il n’oubliera plus. Curieux, il suit le chemin de ses yeux et se rend compte soudain qu’elle l’observe "à travers" le miroir de la grande salle…
Il a le même regard que lui, celui qui peut te mettre au ciel et l'instant d'après te piétiner au trottoir.. Elle reprend son téléphone, hésite.. Non, elle ne peut se résoudre à effacer ses derniers messages ; ce serait rompre le dernier lien existant entre eux. Elle les relit, elle les connait par coeur.. "La vie sans toi, c'est pas la vie..". Oui.. et pourtant..
Elle relève la tête, observe pensive cet homme.. Il se dégage de lui une certaine chaleur. Elle sent son sourire facile, prêt à s'exposer, un sourire qui étend au bout des phrases des froissures de coton. Elle imagine sa voix, douce et chaude à entendre. Une voix à s'envelopper, comme ces voix qui rassurent par temps d'orage.
.. L'horizon comme abandonné, les éclairs brisent le ciel de partout.. Le tonnerre vrille à ses oreilles sous ses mains serrées. Elle tremble, il fait sombre et lourd.. et cette voix qui arrive sans tapage.. "N'aies pas peur..je suis là.."
Elle se recroqueville contre cette voix, y loge sa tête, s'y frotte la joue, la passe sur sa peau, sous sa peau tout du long.. Elle a envie de la serrer, de la fondre en elle..
Elle se redresse, boit une gorgée de thé. Il est presque froid, elle chasse un frisson au bout de ses doigts..

Il n’ose plus la regarder maintenant. Son esprit vagabonde entre son train qu’il vient de rater, et les yeux de la belle dont il sait maintenant le pouvoir. Oh, cette tristesse fugitive qu’il a pu lire l’espace d’un court instant dans l’émeraude de ses prunelles. Etait ce un message, lui était il adressé ? Qu’a-t-elle perdu qu’il ne saurait lui donner, qu’il aimerait lui offrir ? Lui parler devient une évidence. Il se retourne à nouveau. Elle a pris sa tasse à deux mains, y cherche un peu de chaleur qu’elle ne trouve pas, frissonne. Est-ce le signal qu’il attendait ? Il se lève, ne sait pas encore ce qu’il va lui dire, mais se dirige vers elle d’un pas assuré. Elle le voit et sait déjà qu’il vient pour elle. Son visage s’éclaire.
Et il y a cette porte qui s’ouvre, un courant d’air glacé et ce grand type qui entrent. Il tient par la main une fillette, qui se précipite aussitôt vers la jeune femme.
— Maman !!!!!
Elle se retourne, c’est fini, il ne la verra plus. Sans s’arrêter, il se dirige vers la sortie. La gosse saute au coup de sa mère qui part d’un grand éclat de rire, le grand type la prend dans ses bras à son tour.
Sur le trottoir, il pleut de plus belle. Il relève le col de son blouson, regarde sa montre. Le prochain train part dans vingt minutes. Il se retourne, tente de voir à l’intérieur du café. Ils sont assis tous les trois et semblent heureux. Il se sent un peu bête, seul sous la pluie. Le hall de la gare l’appelle, il court.

— C’était qui ?
— Pardon ?
La jeune femme regarde son frère, elle semble ne pas comprendre.
— Le type qui vient de sortir...
— Je ne sais pas, pourquoi dis tu ça ?
— Je ne sais pas, j’avais l’impression que vous vous connaissiez…

.../...

Elle sort de chez elle, en pas précipités...
Et toujours cette impression étrange de passer à côté...

Il me semble que mieux disposé, ce texte pourrait vraiment être très bon.
Le point de vue qui oscille entre il et elle est à mes yeux légèrement perturbant.
Je pense que, en aérant le texte, on aurait moins une impression de confusion, de passer brutalement du coq (il) à l’âne(sse) (elle).
Le texte est un peu sentimental, plus aurait été dommageable ; mais je trouve réaliste, bien observée et rendue l’attitude de l’homme, sa façon de s’emballer à partir d’un rien. Et la fin est bonne, juste au moment où je commençais à douter de comprendre.

Il y a de belles tournures, c’est le point fort du texte, d’autres plus attendues
Ce que j’ai surtout aimé :

-[...] l'avait jeté sur la grève des rêves en fuite
-on porte-clefs siffleur à accrocher aux têtes vides..
- ces impers qui se reflètent au ciel..une course de nuages pris dans le vent. Tiens, un regard levé parmi tous ces chasseurs de poussière.
-Un regard d'embrun, de houle, de ceux qui sont en voyage avant d'avoir pris place dans le train
-Son imagination, fertile escroque son envie.
-une touche de poussière d’étoile pour souligner ce qui brille déjà.
-le même regard que lui, celui qui peut te mettre au ciel et l'instant d'après te piétiner au trottoir..
-un sourire qui étend au bout des phrases des froissures de coton.
-Une voix à s'envelopper
-elle chasse un frisson au bout de ses doigts..

Comme Easter, j'ai noté de belles expressions et une grande justesse dans les sentiments exprimés, une observation fine des personnages et j'aime beaucoup le côté " Belles passantes" que tu illustres là d'une jolie façon, Marchevêque !
https://www.youtube.com/watch?v=l4Q7urIVYAE

Bonjour à tous,

Pas souvent sur le site, j'ai oublié de répondre à mes fidèles lectrices.
Que dire, sinon que ce texte a été écrit à deux mains.
Je remercie ma chère Libellule pour sa participation à l'élaboration de ce texte.
Une pointe de jalousie tout de même ( sourire ), la majeure partie des extraits préférés d' Easter sont de ma co-auteure.
Marchevêque

il est beau ce texte, j'ai vraiment aimé être une lectrice voyeuse de cette non-histoire d'amour sur fond de malentendus. Merci Marchevèque et Libellule pour cette touchante petite tranche de vie.

Il se termine joliment ce texte (ceci dit, à mes yeux, la toute dernière ligne ne me paraît pas indispensable). Je lui trouve bien de ci de là quelques longueurs mais elles sont à l'image de ces pensées qui se bousculent lorsque l'amour - surtout irréel - vagabonde dans nos esprits et que des histoires se créent au fil des minutes qui constituent ces petits moments de grâce. Des instants que tu restitues plutôt bien, à travers ces détails et ces impressions.
Attention malgré tout à la longueur du texte qui pourrait essouffler le propos.

Sahkti a écrit:que tu restitues plutôt bien

vous restituez, donc, puisque quatre mains autour de ce texte :-)