Exo anonyme « L'attente » : Les pincements de la lyre

C'est le neuvième jour déjà et tu restes sans réponse. Je parle à haute voix depuis toujours, il me semble. J'ai de la chance : ce matin, c'est Marie-Louise, l'infirmière sympa, elle se fait le plus discrète possible. Elle m'accueille de son air bienveillant et me caresse le dos avant de se retirer et de nous laisser tranquilles.
Pourquoi, mais pourquoi cette chute à mobylette ? Toi qui n'oubliais jamais ton casque, d'habitude!
Il était question de te tirer du coma artificiel il y a deux jours. Mais pour le médecin chef, il vaut mieux prolonger ton séjour.
Ne t'inquiète pas pour moi. Matin et soir, c'est Thérèse, mon amie, qui m'accompagne. Elle attend dans le salon réservé aux visiteurs. Sa présence m'est précieuse, elle trouve les mots justes pour m'insuffler du courage. Non, le silence des médecins n'a rien de suspect, ils veulent être sûrs à 200% avant de faire des déclarations.
C'est notre petite Éva qui commence à trouver le temps long... elle croit que tu es parti pour la cueillette des olives. Heureusement, mes parents assurent la garde. Je préfère qu'ils ne viennent pas, tu sais.
Tes parents auraient aimé une autre équipe médicale, mais je ne veux pas me laisser influencer. Je reste confiante.
Ton visage est plus calme qu'aux premiers jours. Tes doigts dans ma main sont tièdes. Je les presse doucement, les masse, les interroge, ils restent encore sans réponse. Ton front est moins tuméfié, tes yeux ne vont pas tarder à frémir.
Je saurai être patiente, je déroulerai les mots, les mots qui pansent l'âme.
Au début, je me trouvais maladroite près de toi. A part quelques câlins trébuchants. ma voix me faisait peur. Je la trouvais blanche, morne, sans saveur.
Au fil des jours, elle gagne en assurance, elle vibre. Hier soir, Éva m'a fait le plus beau compliment. Alors que je lui racontais l'histoire d’Orphée et Eurydice, elle m'a coupée, éblouie :
- Oh Maman, ta voix c'est un arc-en-ciel !
Cette voix est ma seule force, notre seul lien. Mes inflexions sauront-elles te ramener à la vie ?
Je voudrais t'envoyer les rayons colorés de tous ses dessins, les sonorités jaune vif de sa joie quand elle parle de toi, y mêler les nuances bleutées de mes imprécations, ma tendresse indigo, la pulsion rouge de mon espoir.
Mais déjà on me fait signe de ne pas te fatiguer...
Cette fois, j'en suis sûre ! j'ai vu ta paupière s'entrouvrir !
Je reviendrai demain, mon amour. Je te tiendrai en éveil avec mes infatigables pincements de lyre.

Touchants ces "câlins trébuchants" et cette voix qui de blanche devient arc-en-ciel pour tirer l'être aimé de l'obscurité du coma.
L'espoir est au bout de l'attente mais les pincements de la lyre m'ont un peu prise au dépourvu, j'étais trop imprégnée par la couleur des sentiments pour saisir ce nouvel élément.

Un texte... grave, poignant ! De très belles choses, d'autres plus tristes...
J'aime : Oh Maman, ta voix c'est un arc-en-ciel !

Je relis !

Touchant, même si beaucoup de personnages cités à la suite m'ont demandé une deuxième lecture pour tout bien comprendre. Beaucoup aimé les couleurs de la voix.

Il y a des passages poignants. Oui, très émouvants.

Une autre forme d'attente, bien déclinée, entre confiance et inquiétude.

Peut-être aurais-je aimé, dans cette situation, quelque chose d'un peu moins construit, d'un peu plus chaotique - moins tranquille en fait, moins raconté, plus de l'intérieur.

Mais là, je m'approprie ton sujet !

forcément émouvant, et je crois que le thème de la Lyre avec ses pincements n'y est pas pour rien, en cela c'est bien trouvé.
Orphée et Eurydice n'y sont pas pour rien non plus, un entre deux sombre et lumineux à la fois...en douceur.
on n'espère pas que Charon débarque, toutefois...auquel cas tout basculerait dans le chagrin.

Une attente parmi les pires qui soient.
Un parti pris celui de l'espoir.
Bien vue, cette force qu'on peut trouver en soi parfois dans les pires circonstances.

Parle avec lui : ce qu’elle fait, elle lui parle, à son homme dans le coma. Elle lui dit les mots de tous les jours, les mots qui redonnent le jour ; elle dit les mots qui rassurent, réconfortent, les mots qui vont droit à l’âme. Les mots qu’elle dit sont des yeux, un regard qui permet à ses pupilles closes de voir, à sa conscience en sommeil d’apercevoir, cette réalité qui l’entoure, sa présence aimante, sa fille Eva qui l’attend. Elle dit le monde extérieur à son âme pour ne pas qu’il reste fermé sur lui-même, fermé sur sa nuit.
Elle cherche la musique des mots, les inflexions sensibles d’une voix ; Orphée, elle veut tirer son Eurydice, par le sortilège de sa voix musicale, des parages de cet enfer où il risque de se perdre, sans conscience et sans vie.
Eva lui a révélé la voix arc-en-ciel, la voix irisée. L’arc en ciel pour tirer des flèches colorées qui traversent les ténèbres de son esprit perdu ; la voix qui tisse les liens, fibres et fibrilles qui relient avec force à la vie ; l’arc-en-ciel comme un pont de couleur entre elle et lui, un passage pour le tirer au-dessus des zones d’ombres. L’arc-en-ciel : une arche d’alliance aux couleurs et aux intonations de la vie aimante.
Elle n’est pas dans l’attente passive, ne se résigne pas à l’impuissance, ses paroles sont des actes, ses paroles au pouvoir vivifiant.
Joli texte, émouvant.

Touchant, oui. Et ma paresse me fait profiter de ce que je passe après Louis pour dire tout pareil.Il a bien commenté!

j'ai omis, parce que cela va sans dire, mais j'y reviens tout de même: oui, bien sûr qu'il est beau ce texte...!

L'émotion est là, les sentiments aussi mais je trouve - simple avis perso - qu'il y a déséquilibre entre le recul adopté dans le traitement du sujet et ces émotions qui pointent le bout du nez. Le grand nombre de précisions, le descriptif très détaillé de ce qui se passe, ce qui se pense, pourraient apporter à l'ensemble un regard quasi clinique sur ce qui se passe, un détachement que j'estime bienvenu dans ce genre de texte mais ça ne marche pas tout le temps car ça se téléscope avec une forme de plainte lancinante qui colore le texte du début à la fin.
Cela n'empêche pas le texte d'être beau et de raconter quelque chose de fort mais rien à faire, même en relisant, il y a quelque chose qui ne colle pas tout à fait dans la manière de raconter, comme une hésitation entre un "trop bien rangé" et "un peu désordonné".

Sahkti a écrit:
Cela n'empêche pas le texte d'être beau et de raconter quelque chose de fort mais rien à faire, même en relisant, il y a quelque chose qui ne colle pas tout à fait dans la manière de raconter, comme une hésitation entre un "trop bien rangé" et "un peu désordonné".

C'est bien dit ça, aussi, je me retire en précisant que je partage cet avis. Ce qui pour l'auteur n'en est que mieux, chacun connaissant ici mes qualités de commentateur…

Je plussoie, n'ayant rien de mieux à ajouter mais désirant tout de même dire mon admiration pour ce joli texte.

On ne dira jamais assez la magie de la parole.

C'est donc toi qui as écrit ce texte poignant, Chrystie !
Comment ne pas le lire, la gorge serrée ? (D'autant que j'ai vu partir un proche, ainsi, et terrifiée, n'ai rien su lui dire)