Le vieil homme et la mère
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Phylisse
Anne Veillac
Arielle
muzzo
8 participants
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Le vieil homme et la mère
Tu ne me reconnais même pas quand, chaque après-midi je viens te retrouver. J’ai pourtant été ton mari pendant cinquante deux ans.
Tu es là, assise, rangée à côté d’autres pensionnaires ; vous attendez, mais quoi ? Presque tous ont ce regard éteint, vide, dans lequel on devine parfois une ombre d’inquiétude. Certains sourient naïvement à quelque fantôme dont eux seuls discernent les contours. D’autres dodelinent de la tête, mastiquant le vide des mots qui leur manquent. De temps en temps, une soignante vient en chercher un, pousse sa chaise roulante vers une pièce, au fond du hall. S’il fait beau, on vous sort sur la terrasse, au soleil. Tu ne t’en souviens plus, petite mère, mais tu en faisais autant avec tes géraniums, au printemps. Tu es devenue mon géranium, mais tu ne connaîtras plus de floraison, ni d’autre saison que cet interminable hiver. Toutes ces années d’amour, de querelles, d’exaltation, de vie tout simplement, pour en arriver là ! C’était beau la vie, mais c’est trop con de la finir comme ça.
Je vais m’en aller, rentrer chez « nous ». Je vais t’embrasser ; dans ton regard vide, il n’y aura même pas une étincelle d’étonnement. A quoi bon te dire que je t’ai aimée, que c’est la dernière fois que… Ce soir, tu ne te demanderas même pas « pour qui sonne le glas ».
Tu es là, assise, rangée à côté d’autres pensionnaires ; vous attendez, mais quoi ? Presque tous ont ce regard éteint, vide, dans lequel on devine parfois une ombre d’inquiétude. Certains sourient naïvement à quelque fantôme dont eux seuls discernent les contours. D’autres dodelinent de la tête, mastiquant le vide des mots qui leur manquent. De temps en temps, une soignante vient en chercher un, pousse sa chaise roulante vers une pièce, au fond du hall. S’il fait beau, on vous sort sur la terrasse, au soleil. Tu ne t’en souviens plus, petite mère, mais tu en faisais autant avec tes géraniums, au printemps. Tu es devenue mon géranium, mais tu ne connaîtras plus de floraison, ni d’autre saison que cet interminable hiver. Toutes ces années d’amour, de querelles, d’exaltation, de vie tout simplement, pour en arriver là ! C’était beau la vie, mais c’est trop con de la finir comme ça.
Je vais m’en aller, rentrer chez « nous ». Je vais t’embrasser ; dans ton regard vide, il n’y aura même pas une étincelle d’étonnement. A quoi bon te dire que je t’ai aimée, que c’est la dernière fois que… Ce soir, tu ne te demanderas même pas « pour qui sonne le glas ».
muzzo- Nombre de messages : 618
Age : 90
Localisation : Va savoir...!
Date d'inscription : 13/07/2008
Re: Le vieil homme et la mère
Dans sa simplicité poétique et cruelle, ce texte me touche énormément. Il aurait pu être contresigné par mon père dont les dernières années furent assombries par cette épreuve.
J'espère pour toi qu'il n'est nullement autobiographique. Si oui, crois à ma compassion.
J'espère pour toi qu'il n'est nullement autobiographique. Si oui, crois à ma compassion.
Invité- Invité
Re: Le vieil homme et la mère
Tendre et désespérée cette ultime visite que sa banalisation rend encore plus poignante. Combien de géraniums s'étiolent ainsi dans leur pot sous le regard incrédule et bouleversé de ceux qui les ont accompagnés de printemps en printemps ?
Re: Le vieil homme et la mère
Moi aussi je me suis demandé si ce texte était autobiographique et j'ai regardé ton âge pour voir si c'était possible.
Un texte émouvant, triste, mais quand même poétique.
Quand je vais voir ma grand-mère, qui a un Alzheimer, dans sa maison de retraite, je trouve que tout est glauque.
Dans ton texte, il y a une forme de beauté malgré la tristesse.
Un texte émouvant, triste, mais quand même poétique.
Quand je vais voir ma grand-mère, qui a un Alzheimer, dans sa maison de retraite, je trouve que tout est glauque.
Dans ton texte, il y a une forme de beauté malgré la tristesse.
Re: Le vieil homme et la mère
Muzzo, je ne te connaissais pas dans ce genre tendre et cruel, et ça m'a énormément touchée...
Oui, c'est dur d'aller voir faner ses géraniums...
Un texte très émouvant.
Oui, c'est dur d'aller voir faner ses géraniums...
Un texte très émouvant.
Invité- Invité
Re: Le vieil homme et la mère
Une grande douceur émane de ce texte douloureux qui m'a beaucoup touchée, la poésie de certaines images en est sans doute la raison.
J'en ai aimé le titre aussi, et j'imagine qu'Hemingway a son importance dans l'histoire pour qu'il y soit fait référence par deux fois.
J'en ai aimé le titre aussi, et j'imagine qu'Hemingway a son importance dans l'histoire pour qu'il y soit fait référence par deux fois.
Phylisse- Nombre de messages : 963
Age : 62
Localisation : Provence
Date d'inscription : 05/05/2011
Re: Le vieil homme et la mère
Oui Phylisse, C'était un grand admirateur d'Hemingway, et le combat contre le poisson géant ressemblait au sien.Phylisse a écrit:
J'en ai aimé le titre aussi, et j'imagine qu'Hemingway a son importance dans l'histoire pour qu'il y soit fait référence par deux fois.
muzzo- Nombre de messages : 618
Age : 90
Localisation : Va savoir...!
Date d'inscription : 13/07/2008
Re: Le vieil homme et la mère
Avec le titre (et aussi à cause de tes textes précédents), je m'attendais plutôt à un texte drôle.
J'ai été énormément surprise, cela va sans dire, et touchée encore plus.
C'est un beau texte simple, honnête et pudique.
Décidément les géraniums font fleurir de bien beaux textes ( je pense aussi à celui récent de Chako, pour un exo).
J'ai été énormément surprise, cela va sans dire, et touchée encore plus.
C'est un beau texte simple, honnête et pudique.
Décidément les géraniums font fleurir de bien beaux textes ( je pense aussi à celui récent de Chako, pour un exo).
Invité- Invité
Re: Le vieil homme et la mère
un texte magnifique de sobriété et d'une justesse émotionnelle terrible.
C'est toujours particulier de dire que l'on a aimé avoir les larmes aux yeux, mais c'est ainsi. et le fait que ce texte soit aussi court, comme un polaroïd renforce le sentiment d'impuissance. Bravo.
C'est toujours particulier de dire que l'on a aimé avoir les larmes aux yeux, mais c'est ainsi. et le fait que ce texte soit aussi court, comme un polaroïd renforce le sentiment d'impuissance. Bravo.
polgara- Nombre de messages : 1440
Age : 49
Localisation : Tournefeuille, et virevolte aussi
Date d'inscription : 27/02/2012
Re: Le vieil homme et la mère
Simple et pudique, comme dit plus haut.
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 51
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: Le vieil homme et la mère
Sans parler du contenu du texte, bouleversant, j'admire tous les échos, tendres et désespérés qu'y apporte la référence du titre.La vie est une mer déchaînée
obi- Nombre de messages : 575
Date d'inscription : 24/02/2013
Re: Le vieil homme et la mère
"comme un polaroïd", elle s'efface, la mémoire et la vie.
"Tu ne t’en souviens plus, petite mère, mais tu en faisais autant avec tes géraniums, au printemps." brrrrrrr ! Du chanvre et une bonne poutre, vite ! Elle est terrible cette phrase (remise dans son contexte).
"Tu ne t’en souviens plus, petite mère, mais tu en faisais autant avec tes géraniums, au printemps." brrrrrrr ! Du chanvre et une bonne poutre, vite ! Elle est terrible cette phrase (remise dans son contexte).
Invité- Invité
Re: Le vieil homme et la mère
Pas un pétale de trop...
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
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