Lettre à un poète (plus très jeune)

Mon cher ami, j'ai bien reçu votre lettre qui je dois vous l'avouer m’a laissé bien soucieux. Vous, qui il y a encore quelques jours, étiez plein de vigueur et de charme, vous me semblez d'un seul coup si désemparé, si affligé, à ne trouver réponse à cette question qui vous tourmente sur «le comment écrire de la poésie».
Comme vous le savez je n'ai jamais eu l'âme d'un précepteur, encore moins d'un maître,mais je souhaite, au regard de notre très ancienne amitié, essayer de répondre à cette mise en demeure qui semble bien vous tracasser.
A cette minute de l'écriture, j'ose donc une réponse toute personnelle. J'espère qu'elle vous conviendra et que vous pourrez en tirer un certain apaisement.
Mais surtout, n'oubliez jamais, les poèmes s'éveillent toujours d'un souffle.

Les rafles du tumulte qui vous bercent depuis quelque temps
Annoncent pour vous un heureux événement
Un soulagement qui s'installe et qui va vous emporter vers l'inconnu
Le corps frissonne de cette intrusion subite
Comme l'on dit, vous vous sentez prêts
D'abord ne rien apprivoiser, ni l'heure, ni le lieu
Regroupez, sans construire un amas d'infortune, les mots encore un peu sauvages qui voudraient, à force d'avoir patienté, vous fausser compagnie
Et puis allez-y, lancez-vous, jetez tout ce beau monde d'un seul trait sur le papier
Ne vous privez pas, pendant ce temps consacré, de regarder par la fenêtre ouverte, de lever la tête, d'apprécier un verre de vin ou même de tendre votre nez vers l'odeur qui vient de la cuisine et qui met en appétit, ça aide aussi
Une fois que vous aurez terminé, respirez un bon coup
Mais ne relisez pas, enfin pas tout de suite
Il faudra revenir plus tard quand la bouffée aura cessé
A votre retour, parfois plusieurs semaines après, surtout n'oubliez pas d'être accompagné des chemins parcourus pendant le temps de la séparation
Cela permettra pour certain d'apprécier encore mieux cet instant de réconciliation
Si de votre relecture des mots écrits, découle une banalité sans intérêt, tout le monde peut se tromper, surtout ne pas se poser de question, ni y chercher une quelconque réponse
En la circonstance, cela ne vous mènera à rien, bien au contraire cela vous tourmentera inutilement
Sans regrets, déchirez les mots ! C'est le mieux que vous ayez à faire
N'ayez crainte, ils ont l'habitude et se reformeront un jour ou l'autre
Attention, de ne pas les effacer pour autant
On sera bien heureux de remettre la main dessus quand viendra de nouveau l'envie de l'écriture
Mais si à vos yeux le souffle ne s'est pas envolé et que vous le sentez toujours présent
Alors ne  touchez plus aux mots écrits, laissez les en l'état
Vous pouvez même sans prétention vous enivrer d'une énième lecture
Car il faut toujours un peu de fierté pour réussir
Laissez de côté pour une fois la sacro-sainte humilité
Il ne sert à rien de l'avoir continuellement comme aide de camp
Cependant n'en faites pas abstraction, vous deviendriez alors trop confiant
Et cela pourrait vous mener dans des contrées dont on ne revient que rarement  
Mettez à présent un peu d'ordre dans l'écriture
Rajoutez s'il le faut une virgule, un singulier ou un point d'interrogation
N'oubliez pas un titre ou un simple chiffre si les mots vous semblent suffisants
Improvisez, pourquoi pas, une touche finale sous n'importe quelle forme !
Vous y voilà, c'est enfin le grand moment
Celui de partager votre prose
Encore une fois n'y voyez pas prétention, simplement un geste d'affectation
Donnez lecture de votre construction à celle ou à celui que vous aimez pour mille raisons
Asseyez-vous à ses côtés
Regardez, sans indécence, ses lèvres et ses yeux
Écoutez son silence
Si un souffle l'accompagne  
Soyez heureux, vous avez bien travaillé
Ne recommencez pas l'exercice immédiatement
N'en faites pas trop d'un seul coup
Il est peut être temps pour vous de se reposer
Profitez en pour commencer la lecture de quelques maîtres
Colombi, Supervielle et Milan Rùfus feront l'affaire et suffiront pour débuter  
Mais rien ne vous empêche d’aller en chercher d’autres,
Fouinez et découvrez
Franchissez des seuils et promenez-vous dans les jardins où ils vous invitent  
Imprégnez-vous de la beauté des mots
Ne soyez pas jaloux cela ne sert à rien
Ne recopier pas non plus, c'est mesquin
Mais par dessus-tout, évitez d'être déçu
Apprenez par cœur quelques poèmes
Pour ne pas vous sentir seul quand par hasard vous vous trouverez loin des livres
Si vous n'y arrivez pas, recopiez en quelques-uns sur des bouts de papier
Et gardez-les bien précieusement au fond de vos poches
Où vous pourrez toujours puiser au grès de vos besoins
Et puis un jour comme une agréable surprise  
Un nouveau souffle viendra frapper à votre porte
Vous le laisserez entrer, heureux de tout votre corps impatient de le revoir
Il sera temps alors pour vous de continuer votre ouvrage  
Et de nouveau au plus profond coulera un foisonnement que vous ne pouviez imaginer

Bien à vous, votre toujours dévoué.

P.S : pour bien écrire, quelques-uns conseillent d’être saoul lors de l'instant de l'écriture et ne relire la composition qu’une fois dessaoulé, d’autres affirment au contraire, qu’il faut écrire sobre et se relire aviné. Pour ma part, je vous conseillerai les deux à la fois, écrivez ivre et relisez-vous dans le même état, les résultats sont parfois surprenant.

À la Rilke ?

P.S : pour bien écrire, quelques-uns conseillent d’être saoul lors de l'instant de l'écriture et ne relire la composition qu’une fois dessaoulé, d’autres affirment au contraire, qu’il faut écrire sobre et se relire aviné. Pour ma part, je vous conseillerai les deux à la fois, écrivez ivre et relisez-vous dans le même état, les résultats sont parfois surprenant.

en effet...

Voilà de judicieux conseils, Laventure. Et bien écrits, de surcroît. Mais un poète plus tout jeune est-il à même d'en tirer parti ? Si, à son âge, il ne les a pas encore découverts, il y a certainement de bonnes raisons à ça...

Si c'était seulement pour le citer, paraphraser ("maladroitement" je trouve, mais n'est-ce pas inévitable ?) ou parodier, je ne peux m'empêcher de penser que tu aurais pu laisser le cher mort tranquille...

Bonsoir, les amies, et amis.
Oh loin de moi, mais si loin de moi de paraphraser Rilke, comment aurais-je trouvé cette prétention, elle ne m'est même pas venue à l'esprit. Non il s'agissait plutôt d'une pointe d'humour, un peu comme le "ps" de fin ... et pour paraphraser un autre grand ... "on n'est pas sérieux quand on a "49 ans" ... " .
Merci pour vos commentaires, parfois je les trouve, à les lire, plus important, plus enrichissant que les textes eux-mêmes ...

En repensant à mon "commentaire" précédent (que j'ai écrit à la hâte) je trouve la remarque lapidaire et très mal formulée, je m'en excuse. Ce que je voulais dire, c'est qu'en parcourant ces lignes j'ai eu l'impression d'avoir affaire au propos de la correspondance à laquelle elles font référence (avec une volonté manifeste de l'évoquer dans la forme) mais résumé, forcément: une seule lettre qui me rappelle sans cesse Rilke mais sans l'amplitude des phrases de Rilke (c'est personnel), ses images, le développement de ses "conseils" au fil des ans... bref, j'ai pensé au poète plutôt que de penser lire du laventure, ce qui m'a laissé l'impression d'une parodie. Je regrette de n'avoir pu lire ce texte autrement, mais c'est le risque que l'on court en prenant une référence à ce point, de la transformer en humour obligatoire ; une espèce de grotesque naît de la différence entre le souvenir toujours ramené de "l'original" et ce qu'on a effectivement sous les yeux qui s'en trouve occulté, qu'on trouve ça intéressant ou non par ailleurs. "Le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli".

C'est certes bien écrit mais comment dire... je ne trouve pas cela exceptionnel ou exaltant. Des conseils dont certains semblent une évidence, un préambule que je trouve très - trop timoré - avec toutes ces précautions oratoires et puis un aligment de concepts que tout poète même débutant (et donc de sucroît plus très jeune) devrait avoir en tête. Si maintenant vrai débutant il y a, je trouve que la leçon du maître manque un peu d'expérience et de personnalité, elle me paraît assez plate. Par maître, j'entends ici bien entendu le narrateur et non l'auteur.